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| | Nombre de messages : 423 Âge : 33 Date d'inscription : 24/07/2019 | Fedora / Pour qui sonne Lestat Dim 15 Oct 2023 - 15:24 | |
| UNE MÉMOIRE POUR L’OUBLI
Ce bruit au loin a fait remonter en nous l’angoisse des forêts vierges des premiers âges. La crainte guide nos pas. Près du jardin de Sanaiïyeh, une scène de Jugement dernier. Des centaines de personnes affolées entourant un énorme cercueil de pierre. Sous un ciel portant toutes les nuances de la cendre, l'accablement lourd comme une chape. Nous nous frayons un passage au milieu de la foule pour essayer d'apercevoir quelque chose derrière la lisière des épaules, derrière la barrière humaine, autour de la peur et de la colère, et nous voyons... Un immeuble que la terre a englouti. L'universelle barbarie s'en est emparée. Il y a un nom pour cette chose ? Une bombe à implosion ; elle creuse un énorme vide sous son objectif qui perd ses fondations, qui se retrouve avalé, transformé en cimetière enfoui, sans modification ni changement. Là-dessous, dans ce nouvel espace, les formes conservent leur apparence et les habitants de l'immeuble gardent l'attitude qu'ils avaient, la trace du geste étranglé. Là-dessous, sous ce qui était le dessous il y a moins d'une seconde, ce sont désormais des statues de chair, dépourvues de toute vie, pas même pour un adieu. Celui qui dormait continue à dormir, celui qui tenait à la main une cafetière la tient toujours à la main, celui qui ouvrait la fenêtre l'ouvre encore, celui qui tétait le sein de sa mère, celui qui dormait au côté de sa femme... Mais celui qui se trouvait par hasard sur la terrasse n'a eu qu'à secouer la poussière de ses vêtements et à sauter sur la chaussée, sans avoir à emprunter l'ascenseur, l'immeuble ayant été réduit à un tas de gravats à peine plus haut que le sol. Les oiseaux aussi volettent dans leurs cages posées sur ce qui fut une terrasse.
MAHMOUD DARWICH trad par Yves Gonzalez-Quijano et Farouk Mardam-Bey |
| | | Invité / Invité Dim 15 Oct 2023 - 15:40 | |
| | Nombre de messages : 357 Âge : 34 Localisation : 00.000.00.0 Pensée du jour : « Il n'y a pas une tête lucide entre deux termes d'un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n'être pas les deux. » Date d'inscription : 22/07/2021 | Nuage-Rouge / Tapage au bout de la nuit Dim 15 Oct 2023 - 17:20 | |
| Oui merci pour ces textes de Darwich que je ne connaissais pas ! la fin percutante - Citation :
Mais tu t’es souvenu de ce qu’il fallait oublier : la conscience universelle. Tu as alors maudit les théories du progrès et du sens de l'Histoire qui pourrait ramener l'humanité aux cavernes. Pour demeurer réaliste, tu t'es interdit le sérum de l'optimisme et de l'enthousiasme, les compensant par un cachet hypotenseur. Tu t’es dit : Si je pensais à autre chose, ce serait comme si je jetais ma conscience aux chats. Tu te demandes : Y a-t-il un génie, juriste ou linguiste suffisamment malin pour élaborer un traité de paix et de bon voisinage entre un palais et une masure, un geôlier et un prisonnier ? Tu marches dans les ruelles, honteux de tout : de tes habits bien repassés, de l'esthétique de la poésie, de l'abstraction de la musique, de ton passeport qui te permet de voyager partout. Tu as mal à ta conscience. Puis tu reviens à Gaza, chez ceux qui regardent de haut les camps et les réfugiés, qui ont peur aussi de ceux qui rentrent, et tu ne sais plus dans quel Gaza tu te trouves. Tu dis : Je suis venu, mais je ne suis pas arrivé. Je suis là, mais je ne suis pas revenu !
Un Darwich un peu différent dans le style : * La terre nous est étroite (1986) La terre nous est étroite. Elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer. Et la terre nous pressure. Que ne sommes-nous son blé, pour mourir et ressusciter. Que n’est-elle notre mère Pour compatir avec nous. Que ne sommes-nous les images des rochers que notre rêve portera, Miroirs. Nous avons vu les visages de ceux que le dernier parmi nous tuera dans la dernière défense de l’âme. Nous avons pleuré la fête de leurs enfants et nous avons vu les visages de ceux qui précipiteront nos enfants Par les fenêtres de cet espace dernier, miroirs polis par notre étoile. Où irons-nous, après l’ultime frontière? Où partent les oiseaux, après le dernier Ciel? Où s’endorment les plantes, après le dernier vent? Nous écrirons nos noms avec la vapeur Carmine, nous trancherons la main au chant afin que notre chair le complète. Ici, nous mourrons. Ici, dans le dernier défilé. Ici ou ici, et un olivier montera de Notre sang. Mahmoud Darwich (trad Elias Sanbar) |
| | | Invité / Invité Dim 15 Oct 2023 - 18:28 | |
| | Nombre de messages : 19 Âge : 24 Localisation : Toulouse Pensée du jour : Pas certain de penser chaque jour Date d'inscription : 28/09/2023 | RodJag / Homme invisible Lun 13 Nov 2023 - 16:31 | |
| Salut les JE, je découvre ce fil en fouillant un peu dans le forum et j'adore! Je n'ai pas encore fini de tout lire mais je me suis dit qu'il y a peu de chances que quelqu'un en ai déjà parlé donc je me lance : En tant que basque, ce poème qui a été repris en chant résonne assez fort en moi pour la pureté et l'innocence de l'histoire qu'il raconte et néanmoins la force de sa signification. Pour la petite histoire ce poème a été écrit par Joxean Artze sur la serviette d'un restaurant basque et témoigne bien de l'histoire qu'illustre ce poème : l'interdiction d'utiliser la langue basque au sein même de ce pays. Hegoak | Txoria txori par Joxean Artze- Version Basque:
Hegoak ebaki banizkio, Nerea izango zen, Ez zuen aldegingo.
Bainan honela, Ez zen gehiago txoria izango
Eta nik, Txoria nuen maite.
- Version Française:
Si je lui avais coupé les ailes, Il aurait été à moi, Il ne serait pas parti.
Oui mais voilà, Il n'aurait plus été un oiseau
Et moi, C'est l'oiseau que j'aimais.
Le poème est court et très simple mais quand on en connaît l'histoire je le trouve très fort. Qu'en pensez-vous? La version en chant est toute aussi belle et je vous encourage à aller l'écouter. |
| | Nombre de messages : 1024 Âge : 26 Localisation : le plus près possible d'une forêt Date d'inscription : 01/12/2016 | Aquae / Amazone du Dehors Sam 18 Nov 2023 - 17:27 | |
| Hegoak Je l'ai souvent chanté en chorale, je le trouve magnifique. Le premier poème du recueil Nourrir la pierre, de Bronka Nowicka, traduit du polonais par Cécile Bocianowski : La tristesse m'enseigne que je sers à vivre. - Quand tu manges, dit-elle, rappelle-toi de mâcher et d'avaler, c'est tout. Parce que, vois-tu, les cheveux poussent sans ton aide, on respire et on dort tout seul, et les yeux savent quoi faire pour se fermer. En fait, tu n'as besoin de toi pour presque rien. Donc en marchant, je remue les jambes et, assise, je presse le tabouret qui grince. Quand je suis assise ainsi, la vue m'utilise pendant des heures pour regarder. |
| | | Invité / Invité Dim 19 Nov 2023 - 11:03 | |
| J'ai beaucoup aimé ce recueil |
| | Nombre de messages : 1149 Âge : 41 Date d'inscription : 14/11/2023 | Seb / Effleure du mal Jeu 7 Mar 2024 - 8:07 | |
| Ce n’est qu’en rêve, ce n’est que dans l’autre monde du rêve que je te rejoins, à certaines heures, quand je ferme les portes derrière moi. Moi qui ai tant méprisé ceux qui rêvent, me voici à mon tour ensorcelé, pris au filet. Avec quelles délices morbides je te fais entrer dans la maison abandonnée pour t’aimer mille fois d’une même façon différente ! Ces endroits que nous connaissons tous deux chaque nuit nous attendent comme un vieux lit et dans l’obscurité il y a des choses qui nous sourient. J’aime te le répéter, mes mains adorent tes cheveux, et je te presse doucement contre moi jusqu’à mon sang. Frêle et douce, tu étreins mon étreinte. Mes lèvres sur tes lèvres, je te cherche encore et encore. Parfois, c’est un souvenir. Et parfois, c’est la fatigue de mon corps qui m’en parle. Quand vient l’aube cruelle, tu disparais et je n’ai plus entre mes bras que ton ombre.
Jaime Sabines - Tarumba Trad. Jean-Clarence Lambert |
| | Nombre de messages : 284 Âge : 28 Date d'inscription : 30/08/2023 | Moïra / Autostoppeur galactique Sam 23 Mar 2024 - 19:17 | |
| Si tu savais, Robert Desnos
Loin de moi et semblable aux étoiles et à tous les accessoires de la mythologie poétique, Loin de moi et cependant présente à ton insu, Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t’imagine sans cesse, Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir. Si tu savais. Loin de moi et peut-être davantage encore de m’ignorer et m’ignorer encore. Loin de moi parce que tu ne m’aimes pas sans doute ou ce qui revient au même, que j’en doute. Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés. Loin de moi parce que tu es cruelle. Si tu savais. Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir dans les champignonnières. Loin de moi silencieuse encore ainsi qu’en ma présence et joyeuse encore comme l’heure en forme de cigogne qui tombe de haut. Loin de moi à l’instant où chantent les alambics, l’instant où la mer silencieuse et bruyante se replie sur les oreillers blancs. Si tu savais. Loin de moi, ô mon présent présent tourment, loin de moi au bruit magnifique des coquilles d’huîtres qui se brisent sous le pas du noctambule, au petit jour, quand il passe devant la porte des restaurants. Si tu savais. Loin de moi, volontaire et matériel mirage. Loin de moi c’est une île qui se détourne au passage des navires. Loin de moi un calme troupeau de bœufs se trompe de chemin, s’arrête obstinément au bord d’un profond précipice, loin de moi, ô cruelle. Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l’étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin de moi. Si tu savais. Loin de moi une maison achève d’être construite. Un maçon en blouse blanche au sommet de l’échafaudage chante une petite chanson très triste et, soudain, dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de la maison : les baisers des amants et les suicides à deux et la nudité dans les chambres des belles inconnues et leurs rêves même à minuit, et les secrets voluptueux surpris par les lames de parquet. Loin de moi, Si tu savais. Si tu savais comme je t’aime et, bien que tu ne m’aimes pas, comme je suis joyeux, comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l’univers. Comme je suis joyeux à en mourir. Si tu savais comme le monde m’est soumis. Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière. Ô toi, loin-de-moi, à qui je suis soumis. Si tu savais. |
| | Nombre de messages : 2388 Âge : 100 Localisation : ardèche Pensée du jour : Je suis ignorant de ce que j'ignore Date d'inscription : 29/05/2016 | pehache / Guère épais Dim 24 Mar 2024 - 9:26 | |
| Merci, je croyais que c'était un catalogue des poèmes de MAHMOUD DARWICH. |
| | Nombre de messages : 284 Âge : 28 Date d'inscription : 30/08/2023 | Moïra / Autostoppeur galactique Mer 27 Mar 2024 - 1:26 | |
| C'est si bien Mahmoud Darwich ! Il faut que je le relise ! |
| | Nombre de messages : 2388 Âge : 100 Localisation : ardèche Pensée du jour : Je suis ignorant de ce que j'ignore Date d'inscription : 29/05/2016 | pehache / Guère épais Mer 27 Mar 2024 - 8:45 | |
| Oui, c'est bien. Mais ce fil serait-il son mausolée ? |
| | Nombre de messages : 2068 Âge : 40 Localisation : Toulouse Date d'inscription : 24/09/2017 | SuperAlice / Adjointe sérénissime à la modération reconnaissante Mer 27 Mar 2024 - 12:27 | |
| Et celui-ci, il pas beau ?! Je l'ai retrouvé hier dans mes archives et aux minuscules en début de vers, j'ai compris qu'il n'était pas de moi... Je l'avais archivé ! Je vous laisse un peu deviner, pour ceux qui connaissent. j'ai voulu dévorer toutes ces clartés qui font l'amour d'un homme et n'ai trouvé qu'un peu de quoi nourrir ma faim ma faim sauvage et malheureuse la pureté est la tristesse d'un désir que nul aliment ne rassasie |
| | Nombre de messages : 1149 Âge : 41 Date d'inscription : 14/11/2023 | Seb / Effleure du mal Mer 27 Mar 2024 - 22:30 | |
| SA trop beau ! Par contre Google et moi on ne trouve pas la source. Ça me sort approximativement du Nietzsche |
| | Nombre de messages : 2068 Âge : 40 Localisation : Toulouse Date d'inscription : 24/09/2017 | SuperAlice / Adjointe sérénissime à la modération reconnaissante Mer 27 Mar 2024 - 23:46 | |
| C'est Art.rhite. |
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