Nombre de messages : 290 Âge : 33 Date d'inscription : 20/02/2020
Jardin/ Autostoppeur galactique Jeu 3 Sep 2020 - 14:42
Ce matin j'ai pris le café avec une poétesse algérienne, elle m'a parlé avec un grand enthousiaste d'une poétesse bédouine du VIe s : Al-Khansâ. Ca a l'air très beau. Je vous laisse ici les quelques poèmes que j'ai réussi à trouver sur internet.
Ton œil est-il blessé ? Est-il malade ? Ou bien épanche-t-il ses larmes quand tu es seule à la maison ? Oui ! Mon œil, à son souvenir, déborde Et mes joues sont baignées de pleurs. Pleure sur Ṣaḫr, ô source de mes larmes ! Entre lui et nous un rideau de terre est tiré.
*
Et quand les jeunes filles marchaient ensemble comme des aigrettes Dans l’étang d’eau boueuse se penchant sous la pointe des lances Montrant leurs jambes sur une route dangereuse Il donnait des coups si violents que nulle magie du sorcier Nul pansement n’auraient pu arrêter le sang.
*
Nous étions telles deux branches Issues d’un même tronc Croissant en beauté de la meilleure façon Mais quand on s’exclama sur ses longues racines se solides plants et la richesse de ses fruits Un Sort cruel brisa l’une d’elles (…) Le Destin m’a écorchée vive déchirant ma chair à belles dents la lacérant avec férocité.
*
Ma longue nuit a refusé de m’offrir Un léger somme après l’affreuse nouvelle. “Le fils d’Amr est mort !” a crié le héraut. “Assassiné !” Puissé-je mourir de tristesse ! Avec lui, le siècle cruel m’a brisée ! Les malheurs, à ruiner une vie, excellent… Un héros tel mon bien-aimé fait pleurer Un œil aride, et touche l’âme insensible. J’avais un frère, loyal à tout compagnon, qui nourrissait la caravane affamée. Il vibrait à la guerre, luttant dans l’arène, Comme vibre le tranchant lustré du sabre. Qu’ai-je fait au siècle, fécond en malheurs ? Tous les maux nous sont-ils donc échus en partage ?
Elle était apparemment spécialisée dans la marthiya, qui a ce que j'ai compris est une espèce d'élégie funèbre. Elle me disait que c'était sa façon à elle de pleurer dans ses vers, et que son souffle s'était révélé suite à deux deuils qui sont les morts successives de ses frères préférés.
Invité/ Invité Ven 4 Sep 2020 - 20:14
Deux poèmes, bien différents, qui m’ont fait craquer
Poème d'enfant sur la Vilaine:
"Je te donne un message sur le nénuphar Viens sur le pont Si tu ne viens pas je te pose des questions Tu aimes l’eau ? Oui non Celui que tu aimes est devenu quoi ?"
Saint-John Perse - Amitié du Prince III:
Je reviendrai chaque saison, avec un oiseau vert et bavard sur le poing. Ami du Prince taciturne. Et ma venue est annoncée aux bouches des rivières. Il me fait parvenir une lettre par les gens de la côte : « Amitié du Prince ! Hâte-toi… Son bien peut-être à partager. Et sa confiance, ainsi qu’un mets de prédilection… Je t’attendrai chaque saison au plus haut flux de mer, interrogeant sur tes projets les gens de mer et de rivière… La guerre, le négoce, les règlements de dettes religieuses sont d’ordinaire la cause des déplacements lointains : toi tu te plais aux longs déplacements sans cause. Je connais ce tourment de l’esprit. Je t’enseignerai la source de ton mal. Hâte-toi. « Et si ta science encore s’est accrue, c’est une chose aussi que j’ai dessein de vérifier. Et comme celui, sur son chemin, qui trouve un arbre a ruches a droit a la propriété du miel, je recueillerai le fruit de ta sagesse ; et je me prévaudrai de ton conseil. Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, nous deviserons des choses de l’esprit. Choses probantes et peu sures. Et nous nous réjouirons des convoitises de l'esprit... Mais d’une race a l’autre la route est longue ; et j’ai moi-même affaire ailleurs. Hâte-toi ! je t’attends !.. Prends par la route des marais et par les bois de camphriers. » Telle est sa lettre. Elle est d’un sage. Et ma réponse est celle-ci : « Honneur au Prince sous son nom ! La condition de l’homme est obscure. Et quelques-uns témoignent d’excellence. Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, j’ai entendu parler de toi de ce coté du monde, et la louange n’était point maigre. Ton nom fait l’ombre d’un grand arbre. J’en parle aux hommes de poussière, sur les routes ; et ils s’en trouvent rafraichis. « Ceci encore j’ai à te dire : « J’ai pris connaissance de ton message. Et l’amitié est agréée, comme un présent de feuilles odorantes : mon cœur s’en trouve rafraichi... Comme le vent du Nord-Ouest, quand il pousse l’eau de mer profondément dans les rivières (et pour trouver de l’eau potable il faut remonter le cours des affluents), une égale fortune me conduit jusqu’a toi. Et je me hâterai, mâchant la feuille stimulante. »
Telle est ma lettre, qui chemine. Cependant il m’attend, assis a l’ombre sur son seuil...
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Jeu 17 Sep 2020 - 23:38
TW sexe:
(le tw ne concerne pas de choses visuelles, mais simplement l'évocation du sexe masculin)
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Pasiphae/ Truquage geniphasien Jeu 8 Oct 2020 - 20:21
Arachné, dans le livre VI des Métamorphoses d'Ovide ; traduction de Marie Cosnay pour les éditions de l'Ogre, 2017.
Spoiler:
Arachné, livre VI des Métamorphoses
La déesse du Triton a empli ses oreilles de ces paroles, apprécié les chants et la juste colère des filles d’Aonie. Alors elle se dit : « Louer est peu de choses. Il faut être louée. Ne pas laisser sans punir mépriser ma divinité. » Elle se tourne vers le sort d’Arachné de Maéonie. Celle-ci ne lui cédait pas dans le talent de tisser la laine, entendait-on. Ni par son état, ni par son nom elle n’était célèbre – mais par son art. Son père était Idmon de Colophon, il teignait de pourpre de Phocée les laines qui ont soif. La mère était morte, mais venait du peuple comme son mari. Arachné pourtant, dans les villes, s’était fait un nom inoubliable à force de talent – même si elle était née dans une petite maison et habitait la petite ville de Hypaépa. Pour voir son magnifique travail, souvent, les nymphes laissaient les vignes du Tmolus, les nymphes laissaient les ondes du Pactole. Arachné aimait regarder les robes toutes faites, et regarder aussi comment elles se font, il y a tant de beauté en cet art. Soit elle roulait la laine brute en pelotes, soit elle pressait l’ouvrage entre ses doigts, d’une longue Poussée, répétée, attendrissait les cordons semblables à des nuages, soit elle tournait le fuseau arrondi d’un pouce léger, soit à l’aiguille elle dessinait : tu la croyais élève de Pallas. Elle le niait, offensée d’avoir une maîtresse, même grande : « Qu’elle se batte contre moi. Vaincue, je ne refuserai rien. » Pallas imite une vieille dame, à ses tempes colle de faux cheveux blancs et d’un bâton soutient ses membres fragiles. Elle commence : « Le grand âge ne nous porte pas que des maux à fuir. L’expérience nous vient avec les années. Ne méprise pas mon conseil. Cherche-toi la plus belle réputation de faiseuse de laine chez les mortels. Cède à la déesse et pour tes paroles, prétentieuse, à voix suppliante demande le pardon. Ce pardon qu’elle donne à qui le lui demande. » Arachné la regarde de travers, abandonne les fils commencés, retient à peine sa main, son visage montre sa colère et elle répond à Pallas méconnaissable : « Pauvre folle, au bout de ta longue vieillesse ! Avoir trop longtemps vécu, misère ! Que t’écoute ta belle-fille si tu en as ou si tu en as, ta fille. Moi j’ai assez de mes conseils à moi. Ne crois pas m’être utile avec ton avis. Mon opinion reste la même. Et pourquoi ne vient-elle pas elle-même ? Pourquoi évite-t-elle le combat ? » Alors la déesse : « Elle est venue. » Et elle retire sa forme de vieille et se montre Pallas. Les nymphes adorent sa divinité, les femmes de Mygdon aussi. La seule sans terreur, c’est la fille. Elle a rougi – subite, la rougeur a marqué malgré elle son visage, lui s’évanouit comme l’air pourpre le fait dès qu’Aurore bouge, comme après un petit temps l’air blanchit, soleil levé. Arachné reste là – dans le désir d’une palme stupide elle court à son malheur ; la fille de Jupiter ne recule plus, ne prévient plus, ne retarde plus le combat. Vite, les deux s’installent d’un côté et d’autre, tendent deux toiles sur les fins métiers à tisser ; les toiles nouées, un roseau sépare le métier, au milieu, de la navette aiguë, la trame se faufile, que les doigts dévident, et entre les métiers les dents taillées dans le peigne qu’on frappe cognent. Toutes les deux vont vite, une robe ceint leur poitrine, leurs bras habiles bougent, le talent trompe le travail. Là, la pourpre qui sent le cuivre de Tyr est tissée avec des ombres fragiles de petites nuances, comme quand la pluie a frappé les rayons de soleil, un arc couvre le ciel immense d’une longue courbure, au-dedans, variées, les ombres brillent de mille couleurs, juste le passage trompe les yeux qui regardent, ce qui se touche est semblable, juste les extrémités diffèrent. Là, l’or souple se mêle aux fils Et de la vieille histoire est racontée sur la toile. Pallas, c’est le rocher de Mars, sur la citadelle de Cécrops, qu’elle peint. Et l’antique débat autour du nom de cette terre. Les douze dieux du ciel, sur leurs sièges hauts, Jupiter au milieu, en majesté sacrée, sont assis. Chaque visage désigne chaque dieu. Jupiter, c’est une image de roi. Elle fait le dieu de la mer : debout, qui frappe de son long trident les rochers escarpés. Du milieu de la blessure du rocher jaillit le flot, preuve qu’il réclame la ville. Elle se donne le bouclier, se donne la lance de pointe aiguë, se donne le casque pour sa tête ; sa poitrine est défendue de l’égide, elle figure que la terre, frappée de la pointe de sa lance, fait naître un olivier avec des fruits pâles, et les dieux admirent. Une Victoire pour la fin. Pour que sa rivale comprenne par l’exemple de sa gloire le prix qu’elle peut attendre pour sa folle audace, aux quatre coins elle ajoute quatre combats, clairs de couleur, différents parce qu’en miniature. Dans un coin, on a Rhodope de Thrace et Haémus, aujourd’hui montagnes glacées, corps mortels alors, qui avaient pris sur eux les noms des plus grands dieux. Le sort lamentable de la mère de Pygmée, de l’autre côté. Junon l’a vaincue au combat, a ordonné qu’elle soit une grue et qu’elle déclare la guerre à son peuple. Elle peint aussi Antigone, qui a osé rivaliser avec l’épouse du grand Jupiter. La reine Junon l’a changée en oiseau et ni Ilion ni son père Laomédon n’ont empêché que toute blanche, vêtue de plumes, cigogne, elle ne s’applaudît elle-même de son bec cliquetant. Il reste un côté, c’est Cinyras en deuil, les escaliers du temple, les membres de ses enfants, il les embrasse, se jette sur la pierre, pleure. C’est ce qu’on voit. Pallas dessine sur les bords les oliviers de la paix. Une manière, par son arbre, de mettre fin à son travail. La fille de Maéonie dessine Europe, trompée par l’image d’un taureau. Tu dirais un vrai taureau, de vrais flots. On voit Europe qui regarde les terres qu’elle quitte, on la voit crier vers ses compagnes et craindre le toucher de l’eau bondissante et relever ses pieds timides. Elle fait aussi Astérie, prise par un aigle en lutte, elle fait Léda, couchée sous les ailes d’un cygne, elle ajoute, caché sous une image de satyre, Jupiter, qui donne deux bébés à la très jolie fille de Nyctée. Le voici Amphitryon avec toi, reine de Tirynthe, il prend, il est or avec Danaé, feu pour jouer avec la fille d’Asopus, berger avec Mnémosyne, serpent bigarré avec la fille de Déo. Toi aussi, Neptune, changé en taureau fou de la fille d’Éole, elle te dessine ; sous visage d’Énipée tu conçois les Aloïdes, bélier tu abuses de la fille de Bisalte et elle t’a senti passer, blonde de cheveux, la mère très tendre des moissons, elle t’a senti cheval et, avec sa crinière de couleuvres, elle t’a senti oiseau, la mère du cheval-oiseau, et elle t’a senti dauphin, Mélantho. À chacun elle rend son apparence, aux lieux elle rend leur apparence. Voici Phœbus sous image de paysan, avec une fois les plumes de l’épervier, une fois la peau d’un lion, berger il joue avec la fille de Macarée, Issé, Liber déguisé en grappe de raisin trompe Érigone, Saturne en cheval donne vie à Chiron le Double. Le bord de la toile, cerclé d’une fine frange, montre des fleurs et du lierre tout entrelacés. Pallas ne peut rien, la Jalousie ne peut rien contre l’œuvre ; la mégère blonde se plaint de ce succès, déchire l’œuvre de couleur, les crimes des dieux du ciel tissés, elle tient la navette, venue du mont Cyrore et avec, trois fois, quatre fois, frappe le front d’Arachné. La malheureuse ne supporte pas. Désespérée, d’un lacet elle se noue la gorge. Elle est pendue, Pallas a pitié et la soulage : « Que tu vives, mais vives pendue, pauvre fille ! dit-elle. Et cette même loi, cette peine, n’espère pas sur l’avenir, je l’édicte pour toute ta famille, pour tes neveux lointains. » Elle s’éloigne et l’arrose des sucs d’une herbe d’Hécate, aussitôt les cheveux touchés du triste poison tombent, et avec eux le nez et les oreilles, la tête devient minuscule, elle est toute petite de corps, à son flanc des doigts maigres s’accrochent, comme des jambes, tout le reste est ventre. Il lui reste pourtant de quoi tisser, l’araignée travaille comme autrefois sa toile.
Nombre de messages : 2493 Âge : 21 Date d'inscription : 17/05/2010
art.hrite/ Chantre brahmane ज्ञानयोग Jeu 8 Oct 2020 - 20:28
Pasiphae a écrit:
Arachné, dans le livre VI des Métamorphoses d'Ovide ; traduction de Marie Cosnay pour les éditions de l'Ogre, 2017.
Spoiler:
Arachné, livre VI des Métamorphoses
La déesse du Triton a empli ses oreilles de ces paroles, apprécié les chants et la juste colère des filles d’Aonie. Alors elle se dit : « Louer est peu de choses. Il faut être louée. Ne pas laisser sans punir mépriser ma divinité. » Elle se tourne vers le sort d’Arachné de Maéonie. Celle-ci ne lui cédait pas dans le talent de tisser la laine, entendait-on. Ni par son état, ni par son nom elle n’était célèbre – mais par son art. Son père était Idmon de Colophon, il teignait de pourpre de Phocée les laines qui ont soif. La mère était morte, mais venait du peuple comme son mari. Arachné pourtant, dans les villes, s’était fait un nom inoubliable à force de talent – même si elle était née dans une petite maison et habitait la petite ville de Hypaépa. Pour voir son magnifique travail, souvent, les nymphes laissaient les vignes du Tmolus, les nymphes laissaient les ondes du Pactole. Arachné aimait regarder les robes toutes faites, et regarder aussi comment elles se font, il y a tant de beauté en cet art. Soit elle roulait la laine brute en pelotes, soit elle pressait l’ouvrage entre ses doigts, d’une longue Poussée, répétée, attendrissait les cordons semblables à des nuages, soit elle tournait le fuseau arrondi d’un pouce léger, soit à l’aiguille elle dessinait : tu la croyais élève de Pallas. Elle le niait, offensée d’avoir une maîtresse, même grande : « Qu’elle se batte contre moi. Vaincue, je ne refuserai rien. » Pallas imite une vieille dame, à ses tempes colle de faux cheveux blancs et d’un bâton soutient ses membres fragiles. Elle commence : « Le grand âge ne nous porte pas que des maux à fuir. L’expérience nous vient avec les années. Ne méprise pas mon conseil. Cherche-toi la plus belle réputation de faiseuse de laine chez les mortels. Cède à la déesse et pour tes paroles, prétentieuse, à voix suppliante demande le pardon. Ce pardon qu’elle donne à qui le lui demande. » Arachné la regarde de travers, abandonne les fils commencés, retient à peine sa main, son visage montre sa colère et elle répond à Pallas méconnaissable : « Pauvre folle, au bout de ta longue vieillesse ! Avoir trop longtemps vécu, misère ! Que t’écoute ta belle-fille si tu en as ou si tu en as, ta fille. Moi j’ai assez de mes conseils à moi. Ne crois pas m’être utile avec ton avis. Mon opinion reste la même. Et pourquoi ne vient-elle pas elle-même ? Pourquoi évite-t-elle le combat ? » Alors la déesse : « Elle est venue. » Et elle retire sa forme de vieille et se montre Pallas. Les nymphes adorent sa divinité, les femmes de Mygdon aussi. La seule sans terreur, c’est la fille. Elle a rougi – subite, la rougeur a marqué malgré elle son visage, lui s’évanouit comme l’air pourpre le fait dès qu’Aurore bouge, comme après un petit temps l’air blanchit, soleil levé. Arachné reste là – dans le désir d’une palme stupide elle court à son malheur ; la fille de Jupiter ne recule plus, ne prévient plus, ne retarde plus le combat. Vite, les deux s’installent d’un côté et d’autre, tendent deux toiles sur les fins métiers à tisser ; les toiles nouées, un roseau sépare le métier, au milieu, de la navette aiguë, la trame se faufile, que les doigts dévident, et entre les métiers les dents taillées dans le peigne qu’on frappe cognent. Toutes les deux vont vite, une robe ceint leur poitrine, leurs bras habiles bougent, le talent trompe le travail. Là, la pourpre qui sent le cuivre de Tyr est tissée avec des ombres fragiles de petites nuances, comme quand la pluie a frappé les rayons de soleil, un arc couvre le ciel immense d’une longue courbure, au-dedans, variées, les ombres brillent de mille couleurs, juste le passage trompe les yeux qui regardent, ce qui se touche est semblable, juste les extrémités diffèrent. Là, l’or souple se mêle aux fils Et de la vieille histoire est racontée sur la toile. Pallas, c’est le rocher de Mars, sur la citadelle de Cécrops, qu’elle peint. Et l’antique débat autour du nom de cette terre. Les douze dieux du ciel, sur leurs sièges hauts, Jupiter au milieu, en majesté sacrée, sont assis. Chaque visage désigne chaque dieu. Jupiter, c’est une image de roi. Elle fait le dieu de la mer : debout, qui frappe de son long trident les rochers escarpés. Du milieu de la blessure du rocher jaillit le flot, preuve qu’il réclame la ville. Elle se donne le bouclier, se donne la lance de pointe aiguë, se donne le casque pour sa tête ; sa poitrine est défendue de l’égide, elle figure que la terre, frappée de la pointe de sa lance, fait naître un olivier avec des fruits pâles, et les dieux admirent. Une Victoire pour la fin. Pour que sa rivale comprenne par l’exemple de sa gloire le prix qu’elle peut attendre pour sa folle audace, aux quatre coins elle ajoute quatre combats, clairs de couleur, différents parce qu’en miniature. Dans un coin, on a Rhodope de Thrace et Haémus, aujourd’hui montagnes glacées, corps mortels alors, qui avaient pris sur eux les noms des plus grands dieux. Le sort lamentable de la mère de Pygmée, de l’autre côté. Junon l’a vaincue au combat, a ordonné qu’elle soit une grue et qu’elle déclare la guerre à son peuple. Elle peint aussi Antigone, qui a osé rivaliser avec l’épouse du grand Jupiter. La reine Junon l’a changée en oiseau et ni Ilion ni son père Laomédon n’ont empêché que toute blanche, vêtue de plumes, cigogne, elle ne s’applaudît elle-même de son bec cliquetant. Il reste un côté, c’est Cinyras en deuil, les escaliers du temple, les membres de ses enfants, il les embrasse, se jette sur la pierre, pleure. C’est ce qu’on voit. Pallas dessine sur les bords les oliviers de la paix. Une manière, par son arbre, de mettre fin à son travail. La fille de Maéonie dessine Europe, trompée par l’image d’un taureau. Tu dirais un vrai taureau, de vrais flots. On voit Europe qui regarde les terres qu’elle quitte, on la voit crier vers ses compagnes et craindre le toucher de l’eau bondissante et relever ses pieds timides. Elle fait aussi Astérie, prise par un aigle en lutte, elle fait Léda, couchée sous les ailes d’un cygne, elle ajoute, caché sous une image de satyre, Jupiter, qui donne deux bébés à la très jolie fille de Nyctée. Le voici Amphitryon avec toi, reine de Tirynthe, il prend, il est or avec Danaé, feu pour jouer avec la fille d’Asopus, berger avec Mnémosyne, serpent bigarré avec la fille de Déo. Toi aussi, Neptune, changé en taureau fou de la fille d’Éole, elle te dessine ; sous visage d’Énipée tu conçois les Aloïdes, bélier tu abuses de la fille de Bisalte et elle t’a senti passer, blonde de cheveux, la mère très tendre des moissons, elle t’a senti cheval et, avec sa crinière de couleuvres, elle t’a senti oiseau, la mère du cheval-oiseau, et elle t’a senti dauphin, Mélantho. À chacun elle rend son apparence, aux lieux elle rend leur apparence. Voici Phœbus sous image de paysan, avec une fois les plumes de l’épervier, une fois la peau d’un lion, berger il joue avec la fille de Macarée, Issé, Liber déguisé en grappe de raisin trompe Érigone, Saturne en cheval donne vie à Chiron le Double. Le bord de la toile, cerclé d’une fine frange, montre des fleurs et du lierre tout entrelacés. Pallas ne peut rien, la Jalousie ne peut rien contre l’œuvre ; la mégère blonde se plaint de ce succès, déchire l’œuvre de couleur, les crimes des dieux du ciel tissés, elle tient la navette, venue du mont Cyrore et avec, trois fois, quatre fois, frappe le front d’Arachné. La malheureuse ne supporte pas. Désespérée, d’un lacet elle se noue la gorge. Elle est pendue, Pallas a pitié et la soulage : « Que tu vives, mais vives pendue, pauvre fille ! dit-elle. Et cette même loi, cette peine, n’espère pas sur l’avenir, je l’édicte pour toute ta famille, pour tes neveux lointains. » Elle s’éloigne et l’arrose des sucs d’une herbe d’Hécate, aussitôt les cheveux touchés du triste poison tombent, et avec eux le nez et les oreilles, la tête devient minuscule, elle est toute petite de corps, à son flanc des doigts maigres s’accrochent, comme des jambes, tout le reste est ventre. Il lui reste pourtant de quoi tisser, l’araignée travaille comme autrefois sa toile.
<3
Nombre de messages : 442 Âge : 22 Date d'inscription : 02/02/2018
pobil/ Pour qui sonne Lestat Dim 11 Oct 2020 - 1:34
Hector de Saint-Denys Garneau-Accompagnement:
Je marche à côté d’une joie
D’une joie qui n’est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d’opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d’atomes
par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
s’étiolant à ma gauche
Sous les pieds d’un étranger
qui prend une rue transversale.
Nombre de messages : 71 Âge : 34 Pensée du jour : "Les clefs sont toujours sur la porte." Date d'inscription : 31/10/2020
JeanYanaudel/ Clochard céleste Lun 2 Nov 2020 - 17:04
Voilà une agréable surprise
Enfin nos corps coïncident Je parie que tu pensais que ça n’arriverait jamais. Moi non plus. Voilà une agréable surprise.
Richard Brautigan
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Dim 8 Nov 2020 - 17:07
Mon Oiseau bleu, de Philippe de Jonckheere et Joachim Séné ; un poème numérique que je viens de commencer et qui a l'air trop chouette !
Nombre de messages : 2062 Âge : 26 Date d'inscription : 27/03/2019
Scezelivo/ Crime et boniment Dim 8 Nov 2020 - 17:24
Pasiphae a écrit:
Mon Oiseau bleu, de Philippe de Jonckheere et Joachim Séné ; un poème numérique que je viens de commencer et qui a l'air trop chouette !
Nombre de messages : 100 Âge : 27 Localisation : Dans un bateau volant Date d'inscription : 23/07/2020
Koola/ Barge de Radetzky Dim 15 Nov 2020 - 20:57
Un poème que j'aime beaucoup (en anglais) et qui me fait chaud au coeur. Désolée, je n'ai pas trouvé de traduction et je n'ai pas confiance en moi pour en offrir une !
SMALL KINDNESS
I've been thinking about the way, when you walk down a crowded aisle, people pull in their legs to let you buy. Or how strangers still say "bless you" when someone sneezes, a leftover from the Bubonic plague. "Don't die," we are saying. And sometimes, when you spill lemons from your grocery bag, someone else will help you pick them up. Mostly, we don't want to harm each other. We want to be handed our cup of coffee hot, and to say thank you to the person handing it. To smile at them and for them to smile back. For the waitress to call us honey when she sets down the bowl of clam chowder, and for the driver in the red pick-up truck to let us pass. We have so little of each other, now. So far from tribe and fire. Only these brief moments of exchange. What if they are the true dwelling of the holy, these fleeting temples we make together when we say, "Here, have my seat," "Go ahead---you first," "I like your hat."
DANUSHA LAMÉRIS, de Bonfire Opera: Poems
Nombre de messages : 752 Âge : 94 Localisation : Perpète-les-Alouettes Date d'inscription : 28/10/2016
Grise Mine/ Blanchisseur de campagnes Mer 18 Nov 2020 - 21:02
Puisque la fleur, l'oiseau, La source, le coteau, Le cœur de l'homme, l'arc-en-ciel, La vie, le temps et l'espace, Puisque tout ici est miracle, Pourquoi la mort ne serait-elle, Elle aussi, miracle éternel ?
Maurice Carême
Nombre de messages : 1297 Âge : 27 Pensée du jour : Peau neuve Date d'inscription : 02/07/2015
Un de mes poèmes préférés de Marceline Desbordes-Valmore.
Mal du Pays.
Ce front facile à se rider, ces joues légèrement creusées, gardaient l’empreinte du sceau dont le malheur marque ses sujets, comme pour leur laisser la consolation de se reconnaître d’un regard fraternel, et de s’unir pour lui résister.
— MADAME DE BALZAC. —
Clémentine adorée, ame céleste et pure, Qui, parmi les rigueurs d’une injuste maison, Ne perd point l’innocence en perdant la raison.
Je veux aller mourir aux lieux où je suis née ; Le tombeau d’Albertine est près de mon berceau ; Je veux aller trouver son ombre abandonnée ; Je veux un même lit près du même ruisseau.
Je veux dormir. J’ai soif de sommeil, d’innocence, D’amour ! d’un long silence écouté sans effroi,
De l’air pur qui soufflait au jour de ma naissance, Doux pour l’enfant du pauvre et pour l’enfant du roi.
J’ai soif d’un frais oubli, d’une voix qui pardonne. Qu’on me rende Albertine ! elle avait cette voix Qu’un souvenir du ciel à quelques femmes donne ; Elle a béni mon nom… autre part… autrefois !
Autrefois !… qu’il est loin le jour de son baptême ! Nous entrâmes au monde un jour qu’il était beau : Le sel qui l’ondoya fut dissous sur moi-même, Et le prêtre pour nous n’alluma qu’un flambeau.
D’où vient-on quand on frappe aux portes de la terre ? Sans clarté dans la vie, où s’adressent nos pas ? Inconnus aux mortels qui nous tendent leurs bras, Pleurans, comme effrayés d’un sort involontaire.
Où va-t-on quand, lassé d’un chemin sans bonheur. On tourne vers le ciel un regard chargé d’ombre ? Quand on ferme sur nous l’autre porte, si sombre ! Et qu’un ami n’a plus que nos traits dans son cœur ?
Ah ! quand je descendrai rapide, palpitante, L’invisible sentier qu’on ne remonte pas, Reconnaîtrai-je enfin la seule ame constante Qui m’aimait imparfaite, et me grondait si bas !
Te verrai-je, Albertine ! ombre jeune et craintive ; Jeune, tu t’envolas peureuse des autans : Dénouant pour mourir ta robe de printemps, Tu dis : « Semez ces fleurs sur ma cendre captive. »
Oui ! je reconnaîtrai tes traits pâles, charmans ! Miroir de la pitié qui marchait sur tes traces. Qui pleurait dans ta voix, angélisait tes grâces, Et qui s’enveloppait dans tes doux vêtemens !
Oui, tu ne m’es qu’absente, et la mort n’est qu’un voile, Albertine ! et tu sais l’autre vie avant moi. Un soir, j’ai vu ton ame aux feux blancs d’une étoile ; Elle a baisé mon front, et j’ai dit : C’est donc toi !
Viens encor ; viens ! j’ai tant de choses à te dire ! Ce qu’on t’a fait souffrir, je le sais ! j’ai souffert.
Ô ma plus que sœur ! viens : ce que je n’ose écrire, Viens le voir palpiter dans mon cœur entr’ouvert !
Invité/ Invité Sam 2 Jan 2021 - 21:06
Une litanie pour la survie
Pour celles d’entre nous qui vivent sur le rivage debout, sur le dur rebord de la décision cruciale et seule pour celles d’entre nous qui ne peuvent pas s’abandonner aux rêves fugaces du choix qui aiment dans l’embrasure des portes, allant et venant, aux heures d’entre deux aubes regardant à l’intérieur et à l’extérieur à la fois avant et près cherchant un maintenant qui pourrait engendrer des futurs comme le pain dans la bouche de nos enfants pour que leurs rêves ne reflètent pas la mort des nôtres.
Pour celles d’entre nous sur qui on a imprimé la peur comme une ligne fine au milieu de nos fronts une peur apprise dans le lait de nos mères car par cette arme cette illusion d’une certaine sécurité à trouver les pieds lourds espéraient nous faire taire Pour nous toutes ce moment et ce triomphe Nous n’étions pas censées survivre.
Et quand le soleil se lève nous avons peur qu’il ne reste pas quand il se couche qu’il ne se lève pas le lendemain quand notre ventre est plein nous avons peur de l’indigestion quand notre ventre est vide nous avons peur de ne plus jamais manger quand nous sommes aimées nous avons peur que l’amour disparaisse quand nous sommes seules nous avons peur que l’amour ne revienne jamais et quand nous parlons nous avons peur que nos mots ne soient pas entendus ni bienvenus mais si nous nous taisons nous avons toujours peur
Il vaut donc mieux parler sachant que nous n’étions pas censées survivre.
Audre Lorde
Invité/ Invité Sam 2 Jan 2021 - 21:54
Très beau, je te le pique et le recopie dans mon carnet de poèmes.
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mer 6 Jan 2021 - 19:07
Préface
Celui qui croit que la littérature est littérature est idiot. C’est clair. Ce livre n’est pas un livre. Voici : j’avais envie de chanter, ce matin et j’ai chanté toute la matinée. Je chantais et je me lavais, je chantais et je battais le linge, je chantais et j’ai mis du papier dans la machine à écrire. L’écriture n’allait pas. Ça a commencé, le tourment : pourquoi je m’empêchais encore de vivre, pourquoi j’étais intimidée par le téléphone, pourquoi je craignais les moqueries des manucures, pourquoi j’avais honte de mes doigts gercés, pourquoi je me taisais, dans les soirées entre amis, pourquoi ce nœud, cette boule, insupportables, qui font qu’on ne m’invite pas sans faire la moue – facilement je jette un froid – pourquoi personne ne reste-t-il à côté de moi ? Oui, voilà, oui, je suis insupportable. J’en étais arrivée là : où étaient passés ma bonne humeur, mon chant ! – À quoi sert tout ça ? – je tapais à la machine. – Que puis-je encore dire à quiconque ? Alors j’ai compris tout à coup que ce que moi je suis, cette somme de peurs et de refus est le signe des humiliés, des asservis, et que sur terre nous sommes plus nombreux avec ce signe, qui fait notre malheur que les affamés ou ceux qui meurent de faim. Nous sommes là, nous faibles, asservis avec nos maux hérités, souillés des empreintes de l’Histoire. Moi, j’arrache pour moi-même des lambeaux de liberté. Rien ne m’a été d’abord donné. Pays natal, patrie, il m’a fallu tout trouver pour moi-même, quand d’autres y sont nés. … et tous les moments – le mot gentil, pour lequel je m’assois, dans un parc sur un banc, admire les laides broderies ; le verre d’eau que j’ai bien mérité, à Gyímesközéplok, mes amis, enfin tout, et tous les jours, encore et encore il me faut tout tirer de tout, il n’y a personne qui puisse m’aider, qu’on ne m’aide pas – je suis têtue, je vais jusqu’à sembler ne plus le supporter, je suis seulement au bord de tomber, et puis, encore et encore… Mais oh ! en vain. Ils voient à tes yeux que tu es sans défense, ils l’entendent à ta voix, ils le voient à ta gêne, à tes gestes inhabiles. Ils savent où frapper avec le coup précédent pour complice. Ils te rétorquent : – Pourquoi te laisses-tu faire ? – Pourquoi te laisses-tu faire, marche des asservis, anneau tout autour de la terre ? Prends appui sur la terre, prends appui sur toi-même, prends appui sur la liberté que tu as arrachée, prends appui sur l’amour ! Ce livre n’est pas un livre. Mais l’unique possibilité, à présent, de créer ma liberté, et d’en savourer tous les goûts. Dans ce livre je crache au visage de chacun de ceux qui m’ont humiliée, qui m’ont détournée de la vie, prise en pitié, rejetée, trompée, ce livre est entièrement ce grand crachat pour tous ceux qui ont été humiliés une fois, ou qui le sont toujours. Et celui qui dira qu’il y a plus important que ça, c’est qu’il ignore que la littérature n’est pas littérature, et donc, qu’il est idiot.
Gizella Hervay, dans Phrases élémentaires, trad. du hongrois Zsófia Szatmári et Jean-François Puff