Nombre de messages : 858 Âge : 60 Pensée du jour : 1022 ! Date d'inscription : 25/08/2021
Le rosier/ Double assassiné dans la rue Morgue Mer 6 Oct 2021 - 15:46
Pasiphae a écrit:
Quelques-uns de mes poèmes préférés, tous des poèmes traduits !
Dans le fleuve d'Héraclite, poisson pêche poisson ... merci de ce partage, c'était magnifique.
Sur la notion de traduction en littérature, mes convictions profondes sur le sujet ont bien changé, comme quoi, oui, je me suis mainte fois baigné dans ce fleuve ... pendant longtemps, je me suis figuré qu'un texte ne pouvait bien s'apprécier que dans la langue de la personne qui l'avait écrit. Ce qui m'a amené à nager longtemps dans les eaux troubles mexicaines de Carlos Fuentes. Mais un jour, désireux de découvrir Virginia Woolf, c'est en ouvrant Orlando que mes certitudes ont commencé à vaciller...
Et j'aime bien cette notion d'écriture bicéphale. Pour avoir travaillé avec six traductrices et traducteurs, j'ai apprécié, en tant qu'auteur, ce travail de créativité intense, de parties enjouées, d'immersion dans la langue de l'autre, dans ses beautés et ses contraintes. Ce voyage eut quelque chose de merveilleux.
Nombre de messages : 24 Âge : 36 Date d'inscription : 09/09/2021
alyssasco/ Homme invisible Mar 9 Nov 2021 - 23:00
L'un de mes poèmes favoris :
La chevelure
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève ! Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
Nombre de messages : 442 Âge : 22 Date d'inscription : 02/02/2018
pobil/ Pour qui sonne Lestat Mar 16 Nov 2021 - 5:58
Apollinaire quand tu avais la tête fendue par un obus et le cœur fendu par une orange aujourd'hui encore ciel et terre stupeur et espoir fixe mon regard aussi roule dans un panier d'oranges l'illusion est mon lot une fontaine et mon sang romance contre des mondes étroits et pour un amour roulant dans ses branches que d'amours éclatés dans le sol funéraire nous sommes ensemble seuls dans la vague éthérée l'ombre translucide nous enfuit
Marie Uguay
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mar 16 Nov 2021 - 10:35
Très beau merci pour cette découverte !
Invité/ Invité Mar 16 Nov 2021 - 21:11
Oui c'est très beau !
Nombre de messages : 795 Âge : 29 Localisation : Tours Date d'inscription : 27/07/2020
Leah-B/ Blanchisseur de campagnes Lun 3 Jan 2022 - 20:31
Un classique, le Cimetière Marin, de Paul Valery (1927)
Courons à l'onde en rejaillir vivant...
Spoiler:
Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !
Quel pur travail de fins éclairs consume Maint diamant d’imperceptible écume, Et quelle paix semble se concevoir ! Quand sur l’abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d’une éternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir.
Stable trésor, temple simple à Minerve, Masse de calme, et visible réserve, Eau sourcilleuse, œil qui gardes en toi Tant de sommeil sous un voile de flamme, Ô mon silence... ! Édifice dans l’âme, Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
Temple du Temps, qu’un seul soupir résume, À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ; Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain.
Comme le fruit se fond en jouissance, Comme en délice il change son absence Dans une bouche où sa forme se meurt, Je hume ici ma future fumée, Et le ciel chante à l’âme consumée Le changement des rives en rumeur.
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change ! Après tant d’orgueil, après tant d’étrange Oisiveté, mais pleine de pouvoir, Je m’abandonne à ce brillant espace, Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.
L’âme exposée aux torches du solstice, Je te soutiens, admirable justice De la lumière aux armes sans pitié ! Je te rends pure à ta place première, Regarde-toi... ! Mais rendre la lumière Suppose d’ombre une morne moitié.
Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même, Auprès d’un coeur, aux sources du poème, Entre le vide et l’événement pur, J’attends l’écho de ma grandeur interne, Amère, sombre, et sonore citerne, Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !
Sais-tu, fausse captive des feuillages, Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants, Quel corps me traîne à sa fin paresseuse, Quel front l’attire à cette terre osseuse ? Une étincelle y pense à mes absents.
Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière, Fragment terrestre offert à la lumière, Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux, Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres, Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ; La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !
Chienne splendide, écarte l’idolâtre ! Quand solitaire au sourire de pâtre, Je pais longtemps, moutons mystérieux, Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes, Les songes vains, les anges curieux !
Ici venu, l’avenir est paresse. L’insecte net gratte la sécheresse ; Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air À je ne sais quelle sévère essence... La vie est vaste, étant ivre d’absence, Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.
Les morts cachés sont bien dans cette terre Qui les réchauffe et sèche leur mystère. Midi là-haut, Midi sans mouvement En soi se pense et convient à soi-même... Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.
Tu n’as que moi pour contenir tes craintes ! Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes Sont le défaut de ton grand diamant... Mais dans leur nuit toute lourde de marbres, Un peuple vague aux racines des arbres A pris déjà ton parti lentement.
Ils ont fondu dans une absence épaisse, L’argile rouge a bu la blanche espèce, Le don de vivre a passé dans les fleurs ! Où sont des morts les phrases familières, L’art personnel, les âmes singulières ? La larve file où se formaient les pleurs.
Les cris aigus des filles chatouillées, Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu, Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent, Les derniers dons, les doigts qui les défendent, Tout va sous terre et rentre dans le jeu !
Et vous, grande âme, espérez-vous un songe Qui n’aura plus ces couleurs de mensonge Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ? Chanterez-vous quand serez vaporeuse ? Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse, La sainte impatience meurt aussi !
Maigre immortalité noire et dorée, Consolatrice affreusement laurée, Qui de la mort fais un sein maternel, Le beau mensonge et la pieuse ruse!
Qui ne connaît, et qui ne les refuse, Ce crâne vide et ce rire éternel !
Pères profonds, têtes inhabitées, Qui sous le poids de tant de pelletées, Êtes la terre et confondez nos pas, Le vrai rongeur, le ver irréfutable N’est point pour vous qui dormez sous la table, Il vit de vie, il ne me quitte pas!
Amour, peut-être, ou de moi-même haine? Sa dent secrète est de moi si prochaine Que tous les noms lui peuvent convenir ! Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche ! Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche, À ce vivant je vis d’appartenir!
Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Êlée ! M’as-tu percé de cette flèche ailée Qui vibre, vole, et qui ne vole pas ! Le son m’enfante et la flèche me tue ! Ah ! le soleil... Quelle ombre de tortue Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !
Non, non... ! Debout ! Dans l’ère successive ! Brisez, mon corps, cette forme pensive ! Buvez, mon sein, la naissance du vent ! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme... Ô puissance salée ! Courons à l’onde en rejaillir vivant.
Oui ! Grande mer de délires douée, Peau de panthère et chlamyde trouée, De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l’étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil,
Le vent se lève... ! Il faut tenter de vivre ! L’air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs ! Envolez-vous, pages tout éblouies ! Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs !
Nombre de messages : 1297 Âge : 27 Pensée du jour : Peau neuve Date d'inscription : 02/07/2015
Urkeuse/ Tentatrice chauve Dim 16 Jan 2022 - 20:39
Il a sûrement déjà été posté, mais au cas où, "Lady Lazarus" de Sylvia Plath.
Spoiler:
I have done it again. One year in every ten I manage it——
A sort of walking miracle, my skin Bright as a Nazi lampshade, My right foot
A paperweight, My face a featureless, fine Jew linen.
Peel off the napkin O my enemy. Do I terrify?——
The nose, the eye pits, the full set of teeth? The sour breath Will vanish in a day.
Soon, soon the flesh The grave cave ate will be At home on me
And I a smiling woman. I am only thirty. And like the cat I have nine times to die.
This is Number Three. What a trash To annihilate each decade.
What a million filaments. The peanut-crunching crowd Shoves in to see
Them unwrap me hand and foot—— The big strip tease. Gentlemen, ladies
These are my hands My knees. I may be skin and bone,
Nevertheless, I am the same, identical woman. The first time it happened I was ten. It was an accident.
The second time I meant To last it out and not come back at all. I rocked shut
As a seashell. They had to call and call And pick the worms off me like sticky pearls.
Dying Is an art, like everything else. I do it exceptionally well.
I do it so it feels like hell. I do it so it feels real. I guess you could say I’ve a call.
It’s easy enough to do it in a cell. It’s easy enough to do it and stay put. It’s the theatrical
Comeback in broad day To the same place, the same face, the same brute Amused shout:
‘A miracle!’ That knocks me out. There is a charge
For the eyeing of my scars, there is a charge For the hearing of my heart—— It really goes.
And there is a charge, a very large charge For a word or a touch Or a bit of blood
Or a piece of my hair or my clothes. So, so, Herr Doktor. So, Herr Enemy.
I am your opus, I am your valuable, The pure gold baby
That melts to a shriek. I turn and burn. Do not think I underestimate your great concern.
Ash, ash— You poke and stir. Flesh, bone, there is nothing there——
A cake of soap, A wedding ring, A gold filling.
Herr God, Herr Lucifer Beware Beware.
Out of the ash I rise with my red hair And I eat men like air.
Nombre de messages : 1175 Âge : 33 Date d'inscription : 08/10/2016
Pattrice/ Effleure du mal Dim 17 Avr 2022 - 12:42
Invité/ Invité Lun 30 Jan 2023 - 21:34
Quelques extraits des recueils de Ile Eniger
Elle sait les manques, les chemins à rebrousse jeunesse, les miroirs perfides, les carrefours, l’embuscade des sillons, tous les fléchissements. Elle sait les traîtrises d’automne, la lumière crue, la lumière nue qui appelle le corps par son âge. Elle sait l’inconfiance malgré la violence des désirs. Alors, elle voile la chute, protège l’intime, cherche la distance. Elle masque la peur, marche et sait qu’elle ne court plus. La cruauté naturelle ne laisse aucun doute, la route est plus courte. Pourtant, elle y boit toujours le soleil d’un trait. Encore son pas réunit l’eau et le galet. Doit-elle dire je quand elle parle d’elle ? A les voir se chercher, je me dis qu’il faut du temps pour joindre les deux bouts d’une femme.
Extrait de "L'inconfiance" de Ile Eniger
Elle a aux yeux l'escarpée des pierrailles, les lilas de tombée de jour, l'herbe qui blesse, le froid des matins. Elle a la chaleur du rêve, l'aile du geste. Elle est de châtaigne et d'ortie, de feu et de terres. Elle serre la visite du moindre, ouvre les mains, souffle et le brouillon de la journée commence. Elle relaie les heures, distrait le silence, boit le café à la bouilloire de midi, et, jusqu'au soir, vérifie sa verticale. On ne tombe jamais que de soi. L'arbre est patient, pas elle qui veut tout et maintenant. Elle a aux yeux l'enfance d'une interrogation: tu m'aimes?
Extrait de "il n'y aura pas d'hiver sans tango, mon amour" de Ile Eniger
Pose tes mains sur moi, mais pose-les vraiment. Que je n'aie plus besoin d'images de mémoire pour le goût de ton sel.
Donne encore à ma peau cette patine de l'intérieur des mas, quand le blanc du soleil mange le ciel plus marine que bleu. Pose tes mains, fais l'eau, l'aride et le sauvage. Que les vignes redressent, belles et dures. Et ne me parle pas de choses et de mots qui ne sont que de choses, de mots. Donne l'élan, plus fort que le Mistral, et renverse le lit où seule je t'écris . … Parle-moi des odeurs, des phrases de passage, des nuits profondes où s'enfoncent les ongles et les étoiles. Encore, encore, sois-moi cette caresse longue … Pose tes mains sur moi, mais pose les vraiment, que je n'aie plus à parler au silence, cette douleur de porte refermée sur mes doigts.
Extrait de "Celle qui passe" de Ile Eniger
On ne meurt pas Du non-amour Les gestes se referment Les regards s'éteignent On pleure le soleil On silence le cri Au puits On empierre l'injure On crée des mots de sable Où s'enfonce le cœur.
Extrait de "La parole gelée" de Ile Eniger
Nombre de messages : 1146 Âge : 31 Date d'inscription : 21/10/2022
Pèlerine/ Effleure du mal Sam 5 Aoû 2023 - 8:46
Nombre de messages : 1047 Âge : 40 Localisation : Au pays de l'Oiseau d'Or Date d'inscription : 12/07/2023
Sarashina/ Effleure du mal Dim 6 Aoû 2023 - 17:41
Quelques poèmes soufis de Rûmî (1207-1273) (traduction française, la langue originale étant le persan) :
Un amour est venu, qui a éclipsé tous les amours. Je me suis consumé, et mes cendres sont devenues vie. De nouveau, mes cendres par désir de ta brûlure Sont revenues et ont revêtu mille nouveaux visages.
*** Bien que dans l’amour il faille avancer pas à pas, Seul est un pas véritable celui qui vient de l’éternité. Dans la demeure de la non-existence, On peut avoir beaucoup d’existences. Ouvre les yeux : partout est la non-existence.
Nombre de messages : 43 Âge : 36 Date d'inscription : 15/06/2023
Daphné/ Petit chose Lun 7 Aoû 2023 - 12:47
Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s'est retirée Démons et merveilles Vents et marées Et toi Comme une algue doucement caressée par le vent Dans les sables du lit tu remues en rêvant Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s'est retirée Mais dans tes yeux entrouverts Deux petites vagues sont restées Démons et merveilles Vents et marées Deux petites vagues pour me noyer.
Jacques Prévert.
Nombre de messages : 5 Âge : 17 Date d'inscription : 22/08/2023
lefou/ Magicien d'Oz Ven 1 Sep 2023 - 22:51
Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux, Passait dans son esprit pour le plus beau du monde. Il accusait toujours les miroirs d’être faux, Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les Conseillers muets dont se servent nos Dames ; Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands, Miroirs aux poches des galants, Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer, N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure : Mais un canal formé par une source pure Se trouve en ces lieux écartés. Il s’y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine. Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau. Mais quoi, le canal est si beau, Qu’il ne le quitte qu’avec peine. On voit bien où je veux venir. Je parle à tous ; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d’entretenir. Notre âme c’est cet Homme amoureux de lui-même. Tant de Miroirs ce sont les sottises d’autrui ; Miroirs de nos défauts les Peintres légitimes. Et quant au Canal, c’est celui Que chacun sait, le Livre des Maximes.
Nombre de messages : 2388 Âge : 100 Localisation : ardèche Pensée du jour : Je suis ignorant de ce que j'ignore Date d'inscription : 29/05/2016
pehache/ Guère épais Mer 6 Sep 2023 - 18:33
https://www.youtube.com/watch?v=CUPuZzPaFJM
Vaduz (y'a un moment où le disque est rayé, après ça reprend normalement)
Nombre de messages : 423 Âge : 33 Date d'inscription : 24/07/2019
Fedora/ Pour qui sonne Lestat Dim 15 Oct 2023 - 15:20
PRÉSENTE ABSENCE
Le crépuscule tombait lentement à AI-‘Arîsh. Les rayons de soleil enlaçaient sans se presser les branches des palmiers émerveillés par la couleur de feu qui s’en dégageait lentement, très lentement, pour aller teinter les vagues de la mer, soumises de toute éternité à ce marivaudage. Elles nous saluaient d'une brise estivale, comme un éventail dans les mains d'un ange. Quand arriverons-nous à Gaza ? as-tu dit à ton ami préoccupé par la braise de son narguilé. Quand tombera la nuit, a-t-il répondu. Tu as rétorqué : Je veux la voir de tous mes sens. Il a souri : La patrie est plus belle la nuit. Profite du crépuscule sur la mer d'Al-‘Arîsh, tu ne verras pas la mer là-bas comme ici... Elle est, là-bas, colonisée. Puis il reprit : La patrie est plus belle la nuit, alors, patience ! Tu as remis ton carnet dans ta sacoche et tu l'as refermée après y avoir enfoui tes sentiments. Que ressens-tu ? t’a dit Yasser. Tu as répondu : Le chemin a épuisé mes sentiments et mes attentes... Je ne ressens rien et n'attends rien. C’est mieux ainsi, a-t-il dit. Nous sommes entrés, ou plutôt nous nous sommes infiltrés dans Gaza dans le noir. Je t'ai laissé marcher devant moi et j’ai porté ton ombre à ta place. Tu ne pouvais la protéger d'une chute sur la dure réalité. Je t’ai vu cacher ton visage pour échapper aux caméras qui avaient hâte d'y saisir l'ivresse du retour et d'entendre tes invectives de l’exil, préparées par avance. Tu as dit : je ne suis pas arrivé. Je suis là mais je ne suis pas revenu. Tu n’as menti à personne ni à toi-même. Il n’y avait rien à célébrer et Gaza ne s’était pas encore relevée. Les ruines laissées par l’occupation te hantaient. Il te fallait rêver pour que la mer, dans ta langue, ne fuie pas les pécheurs. Dans cette nuit entrecoupée de barrages, de colonies et de miradors, on a besoin d'une nouvelle géographie pour connaître la frontière qui sépare un pas d’un autre et l’interdit de l’autorisé. C’est aussi difficile que de distinguer l'ambigu de ce qui ne l’est pas dans les accords d'Oslo. À la fin de la nuit, tu eus besoin d'un tranquillisant pour dormir et, au réveil, d'un long moment pour te convaincre que tu étais bien à Gaza que tu as aussi tôt dénommée : ville de malheur et de vigueur. Dans la chaleur de midi, tu t’es rendu avec des amis dans les camps de réfugiés. Vous marchiez péniblement dans les ruelles et tu avais honte de toi-même en pensant à l’eau et à la propreté. Tu ne pouvais croire, tu n’avais jamais cru, que la misère était une condition nécessaire pour réaffirmer et pérenniser le droit au retour. Mais tu t’es souvenu de ce qu’il fallait oublier : la conscience universelle. Tu as alors maudit les théories du progrès et du sens de l'Histoire qui pourrait ramener l'humanité aux cavernes. Pour demeurer réaliste, tu t'es interdit le sérum de l'optimisme et de l'enthousiasme, les compensant par un cachet hypotenseur. Tu t’es dit : Si je pensais à autre chose, ce serait comme si je jetais ma conscience aux chats. Tu te demandes : Y a-t-il un génie, juriste ou linguiste suffisamment malin pour élaborer un traité de paix et de bon voisinage entre un palais et une masure, un geôlier et un prisonnier ? Tu marches dans les ruelles, honteux de tout : de tes habits bien repassés, de l'esthétique de la poésie, de l'abstraction de la musique, de ton passeport qui te permet de voyager partout. Tu as mal à ta conscience. Puis tu reviens à Gaza, chez ceux qui regardent de haut les camps et les réfugiés, qui ont peur aussi de ceux qui rentrent, et tu ne sais plus dans quel Gaza tu te trouves. Tu dis : Je suis venu, mais je ne suis pas arrivé. Je suis là, mais je ne suis pas revenu !
MAHMOUD DARWICH trad Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar