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 [L'Immeuble - appartement 601] - Imanuel Davis Ferreira

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Chamanii
   
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Chamanii  /  Déesse de l'Amor (hein ?)


[Imanuel Davis Ferreira]

Est-ce que je parle à des fantômes ?
Je parle à des fantômes.

D'ailleurs... je vous parle. A vous. Non ?
Ouais, c'est bien ce que je pensais.

Mais ne vous en faites pas, j'entends vos chuchotements.


Dernière édition par Chamanii le Mar 17 Oct 2023 - 19:01, édité 1 fois
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Cesarea & Lupe Madero  /  Petit chose


— Il ne se souvient pas de moi ? Papa-Papa ! Papa-papa !
— C’est toi qui as oublié petit poisson. Papa ne ressemblait pas à ça.
— Mais…
— Mais quoi !
— La musique…
— Cette musique…
— C’est la musique de papa. Papa-papa !
— C’est la musique des noyés, dans une goutte d’espoir.
— Papa-papa, il était triste, hein ?
— Lupe… Papa ne reviendra jamais. Il a perdu le combat des hommes qui veulent changer le monde.
— Pourquoi il voulait changer le monde, alors ?
— Pour que les petites filles comme toi, petit poisson, ne deviennent pas des filles comme moi.
 
Chamanii
   
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[Imanuel Davis Ferreira]

Papa.
J’ouvre la dernière.
Tu vois. J’aurais fini comme toi.
Accablé par mes fautes. A boire ta tequila. Votre tequila !

Putain de flotte.
Putain de barrage !
T’aurais payé cher pour voir ça, hein.
T’aurais peut-être loué ce même foutu trou-à-rat, juste pour le plaisir de la vue ; espérant le passage du corps boursouflé de Montes, au gré des flots ; le voir racler les façades, se désarticuler aux angles des murs, s’échouer sur un pylône, le temps que tu fumes ta clope, puis qu’il en rejoigne un autre et encore un autre. Il aurait peut-être fini dans ce tas de gravats, là ; et toi, t’aurais passé tes journées à cette fenêtre, à le regarder se décomposer.
T’aurais aimé ce dernier petit plaisir, avant de crever ; je sais.

On dirait que quelqu’un a eu les couilles de faire ce que t’as toujours voulu faire ; et c’est pas moi.

Tu sais quoi ? Je suis à peu près sûr qu’il est mort ; le Montes – cet enfoiré – et tu sais quoi ? Maintenant que j’ai plus rien à perdre… Si je le vois – je veux dire : si je le vois et qu’il est pas mort – je le bute. Sur mon âme, je le bute. Avec ces mains, là. Ces mains tremblantes, là. Je le bute.

Pour maman ; et pour toi.

Pour tout te dire : ça m’arrange pas cette histoire. Parce que, moi, j’en avais rien à foutre, de c’barrage à la con ; qu’il soit là, qu’il soit pas là.
Seulement maintenant, Maria m’a foutu à la porte ; et j’ai aucun moyen de la contacter, aucun moyen de la voir, aucun moyen de lui dire...
Aucun moyen de me mettre à genou...
Aucun moyen d’espérer !
Rien.

Putain, t’as été con.
Faire un deal avec Montes, c’était vraiment con.
Je sais que tu flippais, mais – j’veux dire – c’était sûr qu’ils allaient tout vous prendre. Ah ! Evidemment, tu pensais pas qu’ils iraient jusqu’à priver ton gosse de leur mère. Ça, non !
Ça, non…

Moi, je suis encore plus con.

Je suis encore plus con !
Parce que j’ai passé de deal avec personne …pour perdre ma femme.
Enfin…
Un peu…
J’ai passé un deal avec elle, là – putain, la moitié déjà.

Et avec elle, aussi. Mais elle, je l’aime trop. Je veux dire – elle : c’est une partie de moi. Tu sais.
Putain, tu m’verrais… J’sais même plus souffler.
Comme toi. Après.
T’as arrêté d’jouer.
D’ailleurs, j’crois que j’t’ai jamais plus entendu jouer, après la plantation.

J’sais plus souffler…

Par contre…
J’sais encore boire ! krkrkr…

Putain…
J'devrais pas rigoler.

Maria…

MARIA !

S’ t’plait…
Maria…

Putain !
Maria ?

C’est…

Ah non, c’pas Maria.

Ah… Putain… y a des gamines dans ma piaule.
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Cesarea & Lupe Madero
   
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Cesarea a écrit:
Notre grand-mère aurait dit : Jesus Cristo, aidez-moi, faites-moi l’aimer ou qu’il disparaisse de ma vue, et pardonnez-moi, seigneur, car je sais. J’en aurais profité. Oh oui ! Si tu savais comme on aimait se battre, notre grand-mère et moi. On en venait à casser des assiettes – on attendait que ça – sur les carreaux, au sol de la cuisine – tu sais, tu jouais dans les trous – on les sortait des armoires, au fil de la discussion, on les empilait sur la table en formica, essayant de ne pas sourire. Un homme – torse-nu – dans notre chambre… oh crois-moi ! On l’aurait abandonné sans se poser de questions. On se serait empressées d’aller dans la cuisine. J’en aurais profité : je l’aime ! C’est mon homme ! Elle aurait dit : qui c’est ? Tu le connais depuis une seconde et tu dis que tu l’aimes ! Déjà une assiette en main, mais c’est trop tôt pour la briser, elle m’aurait attendue, l’air de dire : vas-y, dis-moi ! Oh, mais – je sais – abuelita, ne t’en fais pas ! Et je lui aurais donné la première, j’aurais dit : j’aime son… sans rien de plus, et paf ! Une assiette ! Elle aurait adoré. Il est énorme… Et paf ! – elle ne m’aurait pas laissé finir – une assiette. Mais je veux casser la vaisselle aussi, elle le sait : elle aurait pris un air digne – un faux – ma fille, tu te contentes de peu, il est… peut-être… gros – elle l’aurait dit vite – mais on voit bien qu’il n’a pas un sou ! Tu auras un toit, mais les pieds dans l’eau. Oh, elle sait ! L’argent ; l’argent, la viande et la graisse ! Vous, les vieux, vous n’avez que ça près du cœur ! Je serais montée : l’argent, l’argent, l’argent ! J’aurais crié, et paf ! Une assiette ! Alors on aurait commencé à avoir un peu honte et pour amorcer la fin du jeu, elle aurait dit : toi ! Tu casses des assiettes dans ma maison ? Elle aurait pris mon visage entre ses mains, aurait fait mine de me mordre la main et le plus sérieusement du monde, elle aurait demandé : il est gentil avec toi ? Mais ! je ne le connais pas ! Vraiment, tu penses que j’amènerais un homme, ici, sans que tu le saches ? Et me rendant compte que je mens : non, abuelita, vraiment, je ne le connais pas. Elle aurait sorti le fusil.


Dernière édition par Cesarea & Lupe Madero le Sam 4 Nov 2023 - 21:35, édité 1 fois
 
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Ximeno Otravez a écrit:
Toc-toc-toc — le petit poing d'O-TRA-VEZ qui n'attend pas que la porte ouvre pour crier :

— Señor Imanuel ! Jaime diris, ke mi diru al vi: jen!

Quand Jaime dit « jen ! » ou « voilà ! » dans son accent texan, ça veut très souvent dire : « la Raicilla est prête, passe à l'appart' quand tu veux cuando quieras si quieres (« quand tu veux si tu veux »).

[Imanuel Davis Ferreira]

Imanuel, comme une bête que l'on surprend dans son sommeil, dresse le nez en l'air, un filet de bave aux lèvres, le blanc des yeux veiné d'un rouge brulant. Il émerge de son désespoir, plus que de l'ivresse d'hier soir.
Quelqu'un frappe sur les murs ! Non, à la porte ! A la fenêtre ?
Imanuel regarde les carreaux de verre sales. Le temps est gris et lourd. Il se sent gris et lourd ; et parcouru d'un frisson au souvenir des fillettes, blanches et légères.
Il décide de jeter un coup d'œil prudent derrière la porte.
« Encore un fantôme »
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Lupe & Cesarea a écrit:
— J’aime quand tu racontes les histoires de famille. Je voudrais bien retourner dans la grande maison, moi ; pour essayer de me souvenir ; un peu mieux. Pourquoi tu ne me parles jamais de papa, papa-papa ?
— Tu sais comment on reconnait un vrai héros, petit poisson ? Ses filles sont des fantômes. J’étais invisible, déjà à cette époque. Le soir – tu les aurais vu – tous ses amis (que des hommes) plongés dans le brouillard ; ils l’écoutaient tous, comme s’il était un prophète. Lui, il ne leur parlait pas ; c’était au monde entier qu’il s’adressait. C’était un rêveur et cela les portait. Tous brandissaient leurs énormes cigares qui éjaculaient leurs fantasmes de monde meilleur. Philosophie, politique et littérature s’accordaient au pragmatisme des armes ; celles-ci figuraient sur la table comme un ancrage, un rappel constant, à la réalité ; mais cela ne suffisait pas ; le mezcal et surtout, les héros du passé transformaient toute peur, tout dégoût, en exaltation. Je me cachais derrière le piano – qui ne servait jamais – mais ce n’était pas nécessaire : personne n’aurait fait attention à moi. J’attendais impatiemment qu’ils soient ivres, qu’ils arrêtent de rire ; c’était quand ils étaient ivres qu’ils entrecoupaient leurs discussions de poèmes ou de chansons ; et là, ils arrêtaient de rire. Les textes, c’était leur nourriture ; et on ne joue pas avec la nourriture. Papa ne faisait pas de musique, mais il l’adorait. Quand un compère prenait la guitare, c’était le seul moment où il pouvait se taire – devant un petit air doux, des campagnes mexicaines – mais, très vite, se rappelaient à lui les mots, et il lançait ce regard à Socrates Soria – le seul vrai poète qu’il connaissait, selon lui – un regard perçant et ce sourire aux dents serrées, puis il lâchait, à voix basse, quelques vers chargés de sens ; et ça faisait mouche, dans les yeux, aux coins des lèvres. Si on ne lui donnait pas le change, il continuait à dire le poème, un peu plus fort. Parfois, je retenais un vers ou deux et – tu sais, papa, tous les jours, il me faisait écrire de la poésie – alors il m’arrivait de glisser ce que j’avais entendu la veille, dans mon propre texte ; et une fois qu’il m’avait lu, il ne disait rien ; seulement : ça me rappelle quelque chose ; tu devrais lire tel ou telle poète, ou poétesse. C’était tout ce qu’il me disait, de toute la journée. La seule chose qu’il me demandait, était de lui présenter un poème, chaque matin. Pour lui, la seule mission qu’avait un père pour sa fille était de la faire écrire et de la faire lire. Après avoir lu mon poème, je n’existais plus pour lui ; je disparaissais.


Dernière édition par Cesarea & Lupe Madero le Sam 4 Nov 2023 - 21:36, édité 1 fois
 
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Teófano Riviera a écrit:
Bon alors je me suis planté une fois, mais pas deux. J'entends la trompette sortir de l'appartement 601, impossible que je me plante. Surtout que, pour une raison qui m'échappe, tout le monde me ferme la porte au pif. Comme si j'allais faire un truc un peu louche ; sortir une arme ou...

Aaaaaah d'accord ouiiiii ils sont au couraaaaaant...D'accord ; je suis surveillé, ils savent qui je suis, ce que je prépare. Ils ont peut-être mes écrits. Ils ont peut-être mes écrits pas encore écrits. Ils sont partout, c'est sûr, mais aussi dans ma tête et dans mon futur...ils en sont capables. Je dois me méfier, me montrer très prudent ; d'une prudence non prédictible ; une seule imprudence prévisible et je suis grillé...mais si je pense ça, ils savent déjà que j'allais le penser, donc il faut que je pense l'inverse. Mais ils le savent, ça aussi ! Oh putain de ses grands morts les noyés de ta race, je suis dans une merde noire ; un peu comme le fleuve mais avec le côté polar ésotérique, tu vois le truc.

Calmons-nous tous un bon coup. Respire. Je regarde à gauche, à droite. Rien. Personne. Ils doivent avoir des mouchards, des faux-murs, des trompe-zyeux. Quelque chose qui échappe à tout le monde ; pas à un Riviera en cavale. Est-ce qu'ils savent pour l'attentat ? Peu de chances, les flics auraient déjà fait sauter le champagne avec ma porte. Qu'est-ce qu'ils savent ? Et s'ils savent que je sais, ne font-ils pas semblant de ne pas savoir...et je le sais aussi...la vache, j'aimerais pas jouer au poker avec ces gars-là ; ils viennent d'un autre planète, c'est pas possible.

Le mieux avec ces gens, c'est de les contrer avec des témoins gênants. Tu peux tromper une personne une fois, mais pas...non c'est pas ça. Tu peux tromper mille personnes mille fois...pas ça non plus, merde ; tu peux tromper une fois mille personne mille fois et...bordel c'est quoi la phrase...tu peux tromper...bon je frappe.


- Y'a quelqu'un derrière la trompette ? T'es un putain d'artiste Marcello !

Vu que tout le monde est complice, se cache ou s'occupe de sa tuyauterie personnelle, je me demande qui je vais devoir menacer pour avoir un témoin gênant et contrer tous ceux qui nous écoutent pour nous supprimer. D'ailleurs, la fille du 602 est sûrement un individu ; de type féminin je crois ; qui fait semblant de pas savoir jouer de la trompette pour brouiller les pistes. C'était aussi clair que la devise qui dit qu'on peut tromper mille personnes une fois mais...

Putain de Tenorio, encore raté !

[Imanuel Davis Ferreira]

La porte s’ouvre devant Teófano Riviera et laisse apparaitre une petite chambre traversée par un éclatant soleil de fin de journée. Il met du temps à distinguer le visage de son hôte, mais finit par y voir les traits creusés d’un homme en sueur et aux yeux rougis par les pleurs. Il est torse-nu et tient une trompette à la main.
— Pardon. Je ne suis pas vraiment présentable.
Il s’éponge le front d’un revers de main.
— Je fais trop de bruit n’est-ce pas ? Désolé, je… à une époque, vous savez, les gens payaient pour m’écouter. Maintenant, eh bien… On me demande d’arrêter de jouer. Pardon. C’est l’alcool, vous savez… Et ma femme… Et…
Imanuel Davis Ferreira se perd un instant dans ses pensées, l’air abattu et son regard s’échoue au sol, entre ses pieds nus ; puis, d’un coup, il se ressaisit, redresse son long corps filiforme et les yeux écarquillés, il fixe Teófano.
— Pardon ! Je ne suis pas vraiment présentable ! Je fais trop de bruit n’est-ce pas ? Je… à une époque, vous savez…
Il s’arrête brièvement, puis reprend :
— Je peux vous offrir un verre pour me faire pardonner ? Il me reste un Mezcal ; et du bon !
Il fait volte-face vers l’intérieur de la mansarde et tout en saisissant une bouteille, il s’assoie sur un lit étroit. Souriant, il désigne, comme une invitation, un pouf au cuir élimé, près d’une petite table basse. Des feuillets de notations musicales, écornés, sont dispersés en pagaille, partout dans la pièce ; certains sont chargés d’écritures, d’autres sont vierges. Plusieurs bouteilles d’alcool vides trainent ça et là.
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Chamanii
   
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Teófano Riviera a écrit:
Que le Grand Robinet soit Loué ! La porte s'ouvre sur un ange traversé par la grâce ! Il manque un septième étage à cet immeuble, mais le paradis a été descendu d'un cran. Tu m'étonnes. L'ange qui apparaît devant moi emboucane pourtant l'humanité de souffrance ; de la sueur, des larmes et du sang versé dans sa trompette ; un mélange entre Churchill et Miles Davis finalement.

Je zieute un peu le bonhomme et sa trompette. On dirait qu'il pleure en jouant. Comme je pleure, dans mon appartement, en écrivant. On dit que l'art est cathartique, c'est surtout pour s'éviter des dépenses chez les psys, les pharmaciens et les dealers ; pléonasme. Il bredouille et semble s'excuser d'exister, comme pas mal de monde dans Aguacope. Avec la moitié des effectifs qui a bu la tasse, on a l'impression d'avoir grugé le Grand Robinet. Appelle-le comme tu veux.

- Vous faites du bruit, c'est certain. Mais je suis monté du deuxième pour vous remercier, justement. Cet immeuble est rempli de sociaux-traîtres et de profiteurs, vous vous en êtes rendu compte je suppose. Votre trompette m'a redonné le goût de quelque chose, peut-être la vie, encore jolie et surprenante, même amputée de quasiment toute sa sève...

Je recommence à trembler. Pas bon. Cette fois, ce n'est pas face à un gamin de dix ans qui invente son propre langage ; sans doute pour échapper à la cruauté de son destin et de sa sexualité. Je me dis qu'on est pareil, cet ange et moi. Sauf que je ne porte pas une armure de lumière, j'ai renié la Bible après mon séminaire ; la chasteté, qu'on se le dise, on s'en lasse. J'ai emprunté pour quelques semaines le costar du démon et j'ai l'impression qu'il me va de mieux en mieux, jusqu'à ce que je trouve ma propre porte de l'enfer ; que j'en finisse avec toute cette eau, toutes ces chiasses qui nous traversent ; que les responsables paient le karma qui vient chercher son dû à la gâchette.

- Du mezcal ? Je connais une super recette qui...ahem...oui, un verre ça me va.

Déconne pas Riviera. L'ange est un virtuose de l'évier de cuivre, c'est pas le moment de faire le malin parce que tu as été deux trois fois dans ta vie derrière le comptoir à secouer des shakers. Je m'effondre sur le pouf et avise son appartement. Pas fameux, comme le mien. Des bouteilles vides. Pour oublier ou se concentrer. Je comprends l'addiction. Moi c'est l'écriture.

- Moi c'est l'écriture. Pas musicale. Enfin y'a débat. De la poésie, surtout. Des textes, des trucs sans intérêt maintenant qu'on vit dans une baignoire. J'ai été chanteur aussi, j'ai pensé à des noms de groupe mais on verra ça plus tard...même si « les fados du sixième » c'est assez dans l'époque...enfin voilà je viens pour vous remercier de m'avoir donné ces moments musicaux, si rares, si précieux, si...intenses.... Je suis venu vous dire de ne pas écouter ces traîne-savates, à commencer par le Concierge qui pense qu'on est à l'armée...et si vous cherchez un chanteur...

Ok je ne lui mentionne pas la consigne reçue de me créer une couverture efficace dans l'immeuble. Autant joindre l'utile à l'agréable. Je le fixe un peu du regard, pour vérifier si y'a bien une âme dans le bonhomme. J'ai des explosifs-maison à préparer avec des tequilas bon marché, je ne peux pas non plus prendre tout mon temps à jouer les traviatas. Un peu de mezcal histoire de, on n'est pas là pour être ici alors autant se faire plaisir.

[Imanuel Davis Ferreira]

Ce grand type, qu’est Immanuel, on sent tous les nerfs qui agitent son corps. Ça prend de la place, cet être qui vibre, dans l’espace restreint de cette chambre. C’est de l’excitation (et de l’ivresse), comme si, enfin, on lui apportait à manger ; une nourriture spirituelle, juste là, à portée. Les yeux exorbités, il dévore les paroles de l’homme qui lui fait face. Pour seule réponse, il lui adresse un sourire exagéré, mais ô combien sincère et passionné. Après qu’Imanuel a vidé son verre d’une traite, Riviera ne se fait pas prier, sous l’injonction d’un mouvement de tête, il l’imite. Immédiatement, c’est un empressement quasi sauvage qui fait tinter la bouteille : le mezcal coule à nouveau, ça déborderait presque.
— Un ami des mots ! Tu sais – « tu », hein – j’y pensais, hier, justement ! La poésie… J’en écrivais ! J’en écrivais, dans ma jeunesse, des poèmes ! C’est incroyable ! J’y pensais, justement. J’écrivais des poèmes, quand j’avais… vingt ans ! J’y pensais, car, les jeunes filles, ce sont des… – comment on dit – des poétesses ! Les jeunes filles, elles ont dit des poèmes, hier, justement. Alors j’y pensais… que, moi aussi, dans ma jeunesse… Si tu les entendais ! Elles disent des poèmes et elles racontent… des… des… leurs vies ! Regarde !
Immanuel fige son discours d’un doigt levé et vide son verre, puis une impulsion l’envoie plonger les mains dans un tas de paperasses au sol ; il cherche, il froisse et finalement, en retire, brandit au nez de Riviera, une feuille chiffonnée, sur laquelle les portées musicales sont dépourvues de notes, seulement des mots, des phrases, absolument illisibles.
— J’ai écrit hier ! Justement. De la poésie. J’ai voulu renouer, retrouver ma jeunesse. Les jeunes filles. Des poétesses. Mais je ne suis pas doué pour ça. Comment t’appelles-tu, amis des mots ? Si tu me disais ta poésie, je pourrais te donner un nom ! C’est ainsi qu’ils faisaient, les guérilleros. Ils se lisaient des poèmes et alors, on leur attribuait le nom du poème ; ou du poète ! Il y avait des notes, dans les affaires de ma mère – des carnets que j’ai lu – je me souviens qu’elle parlait d’un de ses amis – je parle trop, pardon, amis des mots – un de ses amis, qui, lui, aimait « La Rivière », un poème, de… Desnos, je crois ? Elle avait écrit – ma mère – le poème dans son carnet. Moi aussi je l’aimais bien, il m’avait marqué et je le connaissais par cœur. Et lui – cet ami de ma mère – il disait – c’est ma mère qui a rapporté ses propos – qu’un jour, il traverserait la rivière aussi, mais, en fait, lui, il parlait de la mort : comment il allait mourir au combat. C’est beau, non ? On l’appelait Riviera. Tu imagines ; si on t’appelait Riviera ? C’est un très beau nom, je trouve.
Là, on peut voir une douceur, un apaisement dans le cœur d’Imanuel ; qui un instant, demeure silencieux, pensif, le regard perdu. Quand il revient à la réalité, c’est un sourire entendu et complice qu’il présente à Teófano Riviera, comme s’il ne doutait pas de son approbation.
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Lupe a écrit:
Les yeux de papa – des baies d’açaï
Noires comme des plumes
Et mes mains tachées – d’un goût acide

— Tu fais encore des cauchemars, petit poisson ?
— Je ne dors jamais.
 
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  La litanie de Cesarea et Lupe :

  Nous resterons des fantômes hantés
  Tu m’as tuée
  Eh oui
  Tu as bien fait
  Nous avons bu de l’eau empoisonnée

  Chaque jour, avons maudit Aguacope
  Ils l’ont tué
  Père
  Au bout d’une corde
  Nous voulons leur faire payer

  San Joado sera notre tombeau
  Au vingt-deux
  Ici
  Rue des pâquerettes
  Pour une éternité reposent nos os

  Sœur adorée suivons l’eau du patio
  Elle mènera
  Sous terre
  Notre vengeance
  Et d’iles les collines feront les flots
 
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Teófano Riviera a écrit:
On mégote pas sur la quantité d’alcool pour se dire les choses en face. Ça me plaît, ça me change des peaux-mortes mesurées en tous points et en tous lieux. L’excès est non seulement une porte de sortie, mais peut-être aussi une planche de salut ; un dernier signe d’humanité avec le grand saut. Le type semble transporté ; transcendé par je ne sais quelle puissance à l’œuvre dans son esprit. Sans toute cette eau, on aurait juré un de ces shamanes qui t’amènent aux confins du cosmos sous bouger de leur cabane faite en bois et en excréments.

Je lève un sourcil en l’entendant parler des poétesses. Il y avait bien longtemps, plus d’une semaine et quelques jours de plus à ramer dans la ville, que je n’avais pas entendu ce terme. Il m’a ramené encore plus loin ; au temps des débats des déjectistes. Certaines d’entre nous, les meilleures musiciennes du mot, voyaient en ce suffixe la libération de leur condition ; pourrie, abusive, déterminée du début à la fin. Aguacope était, avant le Déluge, une ville réputée pour ses disparitions de femmes ; enlèvements ; prostitutions clandestines ; violences banalisées. Toutes ces joyeusetés validées en douce par nos dirigeants ; ces enfoirés prenaient leur part dans l’affaire, évidemment.
D’autres sœurs d’armes voyaient dans le terme, au contraire, l’enchaînement à cette même condition. Un piège impossible à éviter. Tout le monde l’ayant adopté, il y avait anguille sous roche. Être validées par l’ennemi, il y avait de quoi se poser des questions ; pas qu’un peu. On leur donnait raison, elles disaient qu’on leur donnait les clés de leur propre enfermement, avec un numéro de dossier connu et rangé comme il fallait. Je n’ai jamais pris part à leurs discussions, je prenais des notes. Il était temps d’inverser les rôles. Puis j’aimais bien servir à manger et à boire pour mieux les écouter ; enfin mieux les écouter, aurait dit Paolo.


- Hier, tu dis ? Tu es encore en contact avec des poétesses aguacopiennes ? J’ai cru qu’elles étaient toutes parties dans la sororité Neruda ! Un immeuble entier de femmes artistes, qui mettent la main dans les eaux sales pour éduquer les enfants perdus ou pour aider les femmes qui sont agressées un peu partout ! Si tu as des contacts, je suis preneur. J’ai même plus de nouvelles de Fabrizio qui habite à deux rues d’ici...c’est comme si…

Dur de finir la phrase. C’est comme si tout le monde était mort, qu’on flottait encore dans un dernier soupir ; un grand cauchemar impossible à terminer. Je lis les feuilles qu’il me tend et je ne comprends rien, mais mon cerveau lance des messages codés à mon corps ; se trouve que j’ai le code. A boire, vite. Je me ressers plusieurs fois et je vide mon verre plusieurs fois. Sans trop réfléchir. Il y a des séquences, des mots, des échos qui me perforent le plexus, remontent dans les narines comme de la moutarde ; tout ça s’échoue entre mes pieds et le ciel au-dessus de nous. Ne deviens pas ton monstre. Pourquoi est-ce que je pense à ça, maintenant ? Desnos, qu’il dit ? Sans doute un espagnol qui a suivi les grandes pompes à merde du pouvoir là-bas. Les poètes, pour part, sont les héritiers des chroniqueurs médiévaux. Une bande de suceurs capable de tout écrire pour s’endormir dans de la soie. Les poétesses sont les seules à avoir garder, de force, le goût de la révolte, de la colère ; de la dignité, tout simplement.

- Mourir au combat, rien de plus con. Peut-être que c’était cool du temps de ta mère, et tant mieux pour elle et son espagnol. Moi je ne souhaite que mourir pour enfin trouver le repos. Le silence total. J’ai comme un grand robinet qui coule dans mes veines, le bruit ne s’arrête jamais, l’écoulement dure toute la journée ; toutes les nuits ça me dévale. J’ai même refait pipi au lit, j’ai arrêté de dormir. Et faut pas que je devienne mon monstre.

Merde, ça m’a échappé. Qu’est-ce qui se passe ? Comme si je jouais contre moi-même, tout à coup. Il dit qu’il va m’appeler Riviera ; un sacré bol que ce soit mon nom de famille. Enfin celui marqué sur mon passeport et sur les papelards de la location. Les poètes ne sont jamais tels qu’ils se présentent ; ça fait partie de leur sport. Je me souviens d’un texte que j’avais proposé à Fabrizio. Cet enfoiré l’avait refusé car c’était trop sincère, trop vrai. Sans trop capter que je commence à le réciter après un autre verre de mezcal, je le balance comme ça à l’ange qui me regarde de son visage ailé de bon pasteur. Peut-être alors, peut-être que mon monstre s’assagira.

- De mon ancienne peau
il ne reste presque rien
le monstre en moi a tout croqué

de ma barbe sont venues les flammes
mes cheveux se sont unis en cornes
j'ai senti mes pieds courir en sabots
des poils pousser partout
jusqu'à l'intérieur jusqu'à l'os
des rugissements remplacer le mot
des crocs pour mieux le savourer

mon ancienne peau est devenue
la maison de mon monstre
la demeure de ses hurlements
ses critiques ses injures ses plaies
comme un champ planté en moi

j'ai senti les piques les tenailles
l'odeur du sang dans les naseaux
j'ai respiré ma propre âme et je l'ai cachée
pour ne pas qu'il me l'enlève
un jour de danse ensorcelée

mon monstre n'est pas comme vous
il vient d'une source de feu
d'énergie pure et des nuits sans couleur
il se nourrit des morts des deuils
des vêtements de la vie
ce qu'on laisse le soir sur le dossier d'une chaise
à crever à petit feu
devant un miroir cassé qui fragmente
les multiples rires de mon monstre

il veut se raser il veut s'habiller de moi
mais je connais son nom qu'il
me murmure qu'il me menace
quand je le regarde droit dans l'espace
et la lumière et ses yeux qui me tuent
Diavolo...et ma voix se casse
tombée au sol.

Ne deviens pas ton monstre, dit la voix. Pourquoi je l'entends encore, après dix-huit ans de vie commune, pourquoi l'odeur de ses cheveux rejoint comme un fleuve de lumière celui de sa voix, l'odeur de sa voix celui de son parfum, qui me récitait par cœur des poèmes d'amoureux ; ceusses qui s'endorment seuls au monde, main dans la main. D'où vient-elle ? Pourquoi l'ai-je oubliée ? Et pourquoi cet ange me rappelle à tout ça, tout ça qui se déploie comme un grand carnaval de fantômes ? Il faut boire, de toute urgence.  


[Imanuel Davis Ferreira]


— Le monstre de soie ! Le monstre… de soi. Il fait un geste de la main, pour montrer l’ambivalence. Tu comprends ? Celui qui voit le diable en lui… il n’est pas tout à fait perdu ! Tu sais, le seul moyen de ne pas ressentir le feu – le feu qui coule dans nos veines – c’est d’être le feu ! Et ça, crois-moi, tu ne le veux pas ; parce que tu ne le sais plus – que tu es le feu – tu ne t’en rends pas compte ; et c’est seulement les yeux de ceux que tu aimes qui te le disent ; lorsqu’ils sont en flamme – ceux que tu aimes – car tu les as calcinés jusqu’à l’os. Non, tu ne le veux pas, monstre de soie. Tu me fais penser… Il lève le regard au plafond, vers des cieux imaginaires et balaye l’espace d’une main d’orateur. Tu me fais penser à ces musiciens ; ceux qui s’arrêtaient au carrefour du désert, sur la route – tu sais – la 66 ; et qui faisaient un pacte avec le diable ; ils n’en pouvaient plus de sentir le feu en eux. D’un seul mouvement, il prend et vide son verre. Mais, c’est comme cela que l’on vit ! En éprouvant, encore et encore, le feu ! Et c’est comme cela que l’on meurt ! A quoi bon mourir, si l’on est le diable ? Quel repos ? La consolation de la mort, c’est, précisément, d’apaiser ce qui nous brûle l’intérieur, ce pourquoi nous brûlons en dedans ; nos combats ! « El Sedoso », le monstre de soie. Tu me fais penser aux poétesses. Tu ne m’as pas compris. Elles sont là, avec nous, autour de nous, les poétesses. Elles aussi, elles sont de soie, mais… par-delà la mort ! Elles sont glacées comme la mort ; et pourtant, le feu coule toujours en elles. Elles ont maudit ces terres et leurs habitants ! Elles ont refusé d’éteindre le feu en elles car elles ont compris le sens de la vie ! Seuls les fantômes ont compris le sens de la vie ! Il dit ça comme une révélation, puis, un instant, se perd dans ses pensées. Hier, petit poisson, elle disait :

Les yeux de papa – des baies d’açaï
Noires comme des plumes
Et mes mains tachées – d’un goût acide

— Tu comprends ? Il réfléchit. Non… moi non plus. Mais, les « plumes noires », je me disais, en voyant les corbeaux qui tournent au-dessus de la ville, un peu partout… Il hésite. Bref, peu importe ! Mon ami… ami des mots, Monstre de Soie… Il se penche vers Riviera, le saisit par les épaules et le regarde droit dans les yeux. El Sedoso… toi aussi, tu peux être un fantôme.
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 [L'Immeuble - appartement 601] - Imanuel Davis Ferreira

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