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 [L'Immeuble - appartement 601] - Imanuel Davis Ferreira

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Cesarea & Lupe Madero
   
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Cesarea & Lupe Madero  /  Petit chose



Cesarea a écrit:
La grande maison ; c’était aussi le jardin. Tu te souviens, petit poisson ? Il y avait la terrasse, à gauche ; encadrée de quatre immenses catalpas, qui éparpillaient leurs cosses, partout au sol et sur la grande table en plastique. Il y en avait tant qu’il fallait passer le balai chaque jour. Cette partie du terrain était plane, mais tout le reste plongeait ; un dénivelé qu’accompagnait, près du mur, un escalier de roches et de cailloux amassés comme des marches un peu tordues, et qui continuaient en tournant, jusque derrière la maison ; et là, il y avait la haute porte de l’atelier et de la cave qui soutenaient l’édifice. Il y avait aussi un jardin de ce côté-ci, plus petit, bordés de grands bambous secs. Une petite table de dentelle métallique, blanche. Je ne sais pas pourquoi Socrates et Fernando étaient toujours là. Oui, Socrates Soria, tu te souviens ? C’est ça, le poète. Oui, ils étaient les plus grands amis de papa. Papa admirait Socrates, comme personne. C’était un honneur, disait-il, de le savoir chez lui. Il tenait à ce qu’il sache qu’il était toujours le bienvenu ; et pour le savoir, ça il le savait : Socrates et Fernando étaient tous les jours chez nous. Tous les soirs ils rentraient dans leurs maisons et le lendemain, ils revenaient. Socrates n’était pas seulement poète, il faisait de la peinture aussi ; et je le voyais souvent en train de travailler sur une toile, dans cet arrière-jardin ; Fernando le regardait faire, en fumant, en écrivant. C’était devenu aussi leur maison. Même lorsque papa était éloigné, pour ses activités, eux, ils étaient là. Je les aimais beaucoup. Socrates Soria était quelqu’un de calme et réservé, il ne parlait pas fort, prenait peu de place dans les conversations et s’importait peu des affaires des autres ; mais c’est lui qui m’a le plus appris. Il a été mon professeur, en quelque sorte. Surtout lorsqu’il n’a plus été possible que j’aille à l’école ; c’est lui qui s’est occupé de moi. L’autre ? Fernando Cazoni. Tu ne te souviens pas ? Avec sa grande barbe blanche ? Il était plus âgé. Pour papa, il était plutôt un mentor de la littérature. Il était étrange. Très cultivé. Lui aussi était quelqu’un de calme et très doux la plupart du temps, mais il arrivait qu’il se montre sévère et lorsqu’ils débattaient tous, il se fâchait ; s’écartait pour fumer. Il aimait que tout soit ordonné, réglé. C’était un fervent catholique ; vraiment. Pourtant, quand je me suis confiée à Socrates, c’est vers lui qu’il s’est tourné. Oui. Nous sommes partis, Fernando et moi, dans sa voiture. Tu me connais, je suis quelqu’un de fier. Ils avaient tout fait, tout dit pour me rassurer, mais j’étais terrifiée. Jamais je n’aurais pleuré, mais je me sentais trembler et tout cela m’épuisait ; je lui ai dit que j’avais peur, que j’avais peur de tout. Je savais qu’il était très pieux et je me souviens qu’il y avait cette croix qui ballotait, accrochée au rétroviseur ; je lui ai demandé, si c’était un péché si grave que Dieu ne me le pardonnerait jamais. Oui, petit poisson, moi, j’ai dit ça. Il m’a répondu : « Toi, tu as peur de Dieu ? Non, jeune fille, la seule que tu crains, c’est toi-même. Dieu ne punit personne. Il n’y a que les hommes qui punissent et le plus souvent, ils se punissent eux-mêmes. » Je lui ai demandé si, pour lui, ce n’était pas grave. Il m’a répondu : « Tu sais Cesarea, j’ai soixante-cinq ans. Cela fait soixante-cinq que je vais à la messe, tous les dimanches. Je ne mens jamais. Je ne vole jamais. Je n’ai jamais blasphémé une seule fois dans ma vie – peut-être une fois ou deux. Je bois et je mange avec modération ; et tous les soirs, je prie. Et tout cela, tu sais pourquoi je le fais ? Pas parce que j’ai peur de Dieu ; mais parce que… c’est comme ça ! C’est ma vie et je suis bien comme ça ! Je vais te dire : l’important, c’est d’être bien avec soi-même. Il y a quelque chose que j’aime plus que Dieu : ce sont les femmes. J’adore les femmes ! Et je crois que, dans notre monde, les femmes, elles souffrent beaucoup à cause de nous, les hommes. Tu sais, je serais malheureux si tu étais malheureuse ; et Dieu aussi. Mon amie t’aidera, elle a l’habitude. » Non, petit poisson, c’était terrible. Oui, j’ai eu de la chance. Mais non, Lupe ! J’avais quinze ans ! C'était le fils Cortes.


Dernière édition par Cesarea & Lupe Madero le Mar 24 Oct 2023 - 23:19, édité 1 fois
 
Chamanii
   
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Chamanii  /  Déesse de l'Amor (hein ?)


Teófano Riviera a écrit:

Je ne comprends pas tout ; je ne sais plus si c'est l'alcool ou moi qui bloque. Dans le doute, disons que c'est de la faute du Concierge. Quoi des poétesses avec nous, autour de nous ; quoi d'être le feu ; quoi des yeux de ceux qui m'aiment qui me disent quoi j'en sais rien c'est fini on est foutu on va plonger comme tous les autres avant nous dans le bouillon. Oui, c'est bon, je comprends que je suis le feu, que je le renie ; comment ne pas renier qui j'ai été maintenant que je suis moi, avec ma gueule de moi, avec ma barbe pas rasée de moi, avec mes errements internes externes, mes perditions de lâche, avec mes pleurs de moi ? Mais...ce qu'il dit, ça résonne. Je comprends mieux comment il peut jouer sur sa trompette. Pourquoi j'ai ouvert les vannes en l'écoutant l'autre soir. Les poétesses, si elles sont bien là comme il dit, alors mes poésies, les seules qui vaillent, elles sont là aussi...elles me disaient de ne pas devenir un monstre, le mien, avec ma gueule de monstre et ce que l'ange appelle le feu qui rugit de souffrir tout en bas de moi, tout au fond ; comme une bête dans un puits. Un fantôme...c'était donc ça. C'était le mot, la définition que je cherchais, en vain. Au fond de l'appartement, je l'ai cherché, dans mes mots, dans les vers ; dans tout ce que disait l'instinct de survie. Je me croyais en sursis, je suis déjà mort et brûlant. Par tous les bouts. Par chaque pore ouvert à cette ville.

Il me saisit les épaules, son regard angélique croise le mien, désespéré. Je le serre davantage et l'amène contre moi, pour une accolade qui semble durer une existence entière. Je hurle, la bouche bavante au-dessus de son épaule ; je lâche tous ces bagages de souffrance que je traîne depuis des jours comme des poux dans ma chevelure.  


- C'est pas juste, putain ! C'est pas juste ! Pourquoi on a survécu, hein, tu peux me le dire ? Pourquoi un scribouillard inutile comme moi ? Mes poésies sont parties avec le courant de ce putain de caprichoso , elles méritaient pas ça ! C'était à moi de me noyer , de montrer le chemin, de les accompagner !

Je le lâche et je titube pour me resservir un verre, en tremblant. Ce qu'il dit a résonné en moi, le diable, le feu, les fantômes, les poétesses, bien sûr. Mais...je n'ai plus aucun combat qui ne tienne debout. Les armes, les explosifs, ce sont des jouets pour adultes, et pas ceux qu'on aiment avoir dans son tiroir. Ce sont des jouets pour endosser un autre costume que soi. Pour jouer les durs. Pour se rassurer quand ça crie dans la ruelle.  

- Tu sais, toi, comment devenir un fantôme ? J'ai envie que tout s'arrête. J'ai envie de rejoindre les miens. J'ai envie de me noyer pour de bon et d'arrêter tout ce massacre. Plus rien ne me retient sur le rivage, je veux partir. Mais avant, en tant qu'époux, en tant que fils, en tant que père, oncle, cousin, neveu de tous les miens, je vais aller faire danser les responsables dans les feux de l'enfer. Je vais tous les embarquer avec moi...et quand viendra la gueule de mon monstre, je les dévorerai tous les uns après les autres, un croc de Diavolo après l'autre. Après ça, j'irai rejoindre mes poésies, leurs prénoms, et je me purifierai à leur amour.

Le feu dans les yeux est bien vif ; je me sens fondre, pleinement entièrement moi, avec mon monstre ; je regarde fixement l'ange tombé du sixième étage et lui propose de trinquer une nouvelle fois, en reniflant peut-être pathétiquement ; avec l'assurance de celui qui connaît sa prochaine route.


[Imanuel Davis Ferreira]

— J’aimerais être comme toi, Sedoso. Tu as de belles larmes. Je ne me suis pas trompé. Cette enveloppe de soie, que tu as, elle est fine, peut-être un peu déchirée par endroit, mais elle est là, toujours, à contenir le feu. Je veux continuer de boire avec toi. J’aime l’alcool, mais j’aime encore plus te voir pleurer et j’aime ce que tu dis. Tu n’es pas inutile, ami des mots ; tes larmes, elles feraient céder des barrages. Et ta poésie, dans le Tenorio, elle est là ! On peut la voir ! Puissante ! Ravageuse ! Vengeresse ! Et toi, si tu es un fantôme, c’est celui de l’avenir ! Peut-être incertain ; peut-être que tu gémis des vers, comme une petite rivière de larmes, mais, à l’embouchure du fleuve, c’est une gueule immense, prête à avaler les douleurs du monde ! Ta rivière de larmes, elle peut digérer, comme un intestin de fantôme, les blessures de tes amours. Tu n'es pas le diable, Sedoso. Tu es le guerrier qui pleure la lumière du feu. Tu es l’espoir.
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Chamanii
   
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Teófano Riviera a écrit:



J'écoute l'ange tenter de me réconforter comme il peut, mais je sens qu'on n'est pas si différents, lui et moi. Il y a une résonance, quelque fréquence qui passe entre musiciens. Chacun à sa manière. Chacun de son côté de la balance. Je ne sais comment digérer ce qu'il me dit ; aimer me voir pleurer ; vouloir être comme moi : envisager d'écrire encore, participer au futur de cette maudite ville... je ne crois plus en l'espoir ; l'espoir, c'était les miens, c'était elle, c'était les petites mains qui me tiraient les cheveux, c'était son parfum qu'elle dispensait, l'enfouissant dans mes écharpes. Je n'ai jamais cru que la poésie sauverait le monde, j'ai mis toutes mes religions au service de mon foyer. Balayé. Dévasté. Emporté par le torrent hurleur du barrage...Le déjectisme ne sauvera personne sinon la stature de la poésie aguacopienne. Peut-être que dans dix, quinze ans, les rescapés, les orphelins la reliront pour trouver des voix à incarner, à faire revivre ; pour un temps.

- Les larmes ne sont jamais belles, mon ami. Elles reviennent toujours depuis des filets de pêche qui draguent en nous nos propres abysses. Echappées, ce sont nos erreurs roulées en boule, en boucle, remuées dans nos flux et nos fluides. J'ai bien peur que tu ne trouves que le sens qui me rassure ; qui te rassures aussi, peut-être. Mais je te remercie, il y avait longtemps que je n'avais pas rencontré une âme inspirante capable d'une telle accolade. J'aime aussi l'alcool, la prochaine fois ce seront mes tournées.

Je le regarde, dégageant les bouées de larmes collées aux coins des yeux. Ses mots me ramènent sans ménagement aux apéritifs infinis dont Paolo Acebes avait le secret. « Guerrier qui pleure la lumière du feu », voilà qui s'inscrirait bien dans un poème ; même dans un morceau. Je le regarde différemment, comme après des heures et des heures de discussions, des choses jamais dites à qui que ce soit ; les verres resteront les confessionnaux des poètes et des musiciens, même au bout du chemin.  

- Et toi, mon ami, qui es-tu ? Tu m'as réconforté, parlé d'espoir, de poésie, de feu, de fantômes...toi aussi tu as des douleurs, tu as perdu des gens que tu aimais sans doute. Comment tu es revenu de ça, aussi vite ? Tu as un secret ? Tu parles en ligne directe avec le Grand Robinet qui nous lavera tous ? Tu dis que tu aimerais être comme moi, mais depuis le début, c'est moi qui te jalouse ; moi qui vampirise ton inspiration...tu dois avoir un secret, ou alors...ou alors beaucoup de mezcal ! Dis-moi deux trois fois ta vie dans le passé, mon ami. Je suis certain que sur la route des artistes, tu as laissé quelques godasses gonflées de belles choses.

[Imanuel Davis Ferreira]

— Eh non, mon ami, je n’envie pas tes pleurs. Pardon, je parle mal ; je t’ai induit en erreur, avec mes histoires de « belles larmes ». Tu as raison, il n’y a pas de belles larmes ; mais tu as la blessure, pour porter les armes ; ta poésie peut-être. Pour se servir d’une arme, il faut… il faut… avoir perdu un bras, ou un cœur ! Une amie ou une sœur ! Moi… je n’ai que moi à tuer. Imanuel marmonne pour lui-même : et peut-être Montes aussi. Peu importe ! Moi, j’ai fait du mal à ceux que j’aimais. J’ai été arrogant et capricieux, je mérite mes larmes. Je dis que je dois tuer Montes, mais – en vérité – ce n’est pas mon combat ! Je suis lâche comme mon père ! Et de Dieu, je ne connais rien – je ne connais rien – j’ai même cru qu’il m’aimait ; que j’étais un de ses favoris. Ha ! Je ne suis qu’un misérable et… vaniteux. Il se recroqueville sur lui-même en disant cela, et fait mine de se poignarder le ventre à plusieurs reprises. Ha ! Je suis lâche ! J’avais tout ! Pour être heureux, mais, surtout, pour rendre heureux. Il se redresse et posant à nouveau ses mains sur les épaules de Riviera, lui annonce dans un chuchotement rêche : si tu me dis que tu veux te jeter dans le Tenorio, non ! Laisse-moi y aller à ta place ! Je le fais pour toi ! Toi ! Tu as un combat à mener ! Toi ! Tu peux être un porteur de lumière ! Tu as le droit ! Et tes mots ! Et tes mots… Ça ! …c’est une belle arme ! …Sedoso. Sedoso… Fais-moi sauter ce barrage ! Ah non… il a déjà cédé… Sedoso… Tes mots… Ils peuvent sauver des gens, ils peuvent les aimer, ils peuvent être les drums qui leur donnera courage, qui les feront marcher, danser ! Pourquoi les drums – c’est que je l’aimais tant (le mien), lui aussi je l’ai laissé tomber – tu serais un chef d’orchestre, Sedoso ! Avec tes poèmes ! Un guérisseur ! Un chamane ! Tiens, j’en ouvre une autre ! Le soir commence à tomber. C’est peut-être la lune, ou les étoiles ; et puis la nuit, c’est là, qu’on voit les fantômes. Dis-moi que je ne suis pas fou ! Qu’il y a ici… une porte, vers ce que l’on croit, ce que l’on demande chaque jour, chaque nuit, une porte vers les rêves. S’il y a des fantômes-poétesses alors tout est possible.
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Cesarea & Lupe Madero
   
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Cesarea a écrit:
Il était beau, vraiment très beau ; mais qu’est-ce qu’il était bête. C’est pas permis d’être aussi beau, quand on est bête comme ça. Je n’en avais rien à faire. Non, en fait, j’aimais ça ; qu’il ne connaisse rien de rien, qu’il ne s’intéresse à rien. A la maison, c’était tout le temps… les discours, la culture, le savoir, la musique, la philosophie – tout le temps – les maths, la poésie – tout le temps, tout le temps… Alors, moi, face à ce type, là ; beau, qui ne disait pas grand-chose, et à qui j’apprenais tout… J’aimais bien. J’avais la main sur lui ; à tous les niveaux car je voyais bien… comme il me regardait.
C’était l’interdit. Déjà, de le côtoyer, c’était fou. Si le père avait su… mais le père ne savait rien de moi. Il connaissait tant de choses ; mais de moi… Oui, c’était une petite vengeance, dans mon coin. J’imaginais le père qui découvre, un jour, que je fréquentais l’ennemi. J’aurai pu lui montrer à quel point sa fille était un esprit libre, comme il le souhaitait ; tant et si bien qu’il ne savait jamais où j’étais ; ou, à l’inverse, que je ne savais pas ce qu’il faisait.
En vérité, Stefano Cortes me faisait un peu pitié. Il n’était ni méchant, ni drôle ; il émanait de lui seulement la mélancolie d’un gosse dépassé par tout. Sa vie ne devait pas être facile. Nous étions tous les deux délaissés, mais j’avais un cadre, un foyer, plus qu’enviable ; des tas de gens allaient et venaient, de toutes sortes, de l’intellectuel au trafiquant d’armes, de l’artiste au politicien véreux ; tous respectaient mon père et ma famille. J’étais capricieuse et je m’en rendais compte. Je trainais Stefano au cinéma – voir des films intelligents – et puis, un jour, je l’ai emmené à la rivière. J’en ai eu marre de la fiction ; le barrage à cédé.
 
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Un rêve de Lupe a écrit:
 
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Conversation fantomatique a écrit:
 
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[Imanuel Davis Ferreira]

Imanuel s’approche du petit miroir sale et poussiéreux. Tout comme lui, ses coins sont ébréchés et une fêlure le sépare au milieu. Un instant, il aperçoit le visage de Teófano. Il se souvient de ses mots : Tu n'es pas fou. Il y a en nous, à l'extérieur, au fond de la Terre, au bout du ciel, des portes, partout. Il n'appartient qu'à toi, qu'à nous les pauvres échoués d'Aguacope d'aller les ouvrir. Tout est possible, non seulement les fantômes, les poétesses, mais aussi des musiques qui leur parlent, des poèmes pour chaque goutte d'eau, des vers pour toutes les vies prises par le courant. Peut-être que son salut ne viendra, non pas d’une porte, mais d’une fenêtre ; et que quelqu’un – Zapata ? – l’ouvrira pour lui. Imanuel louche sur le grain de sa peau, les poils de sa barbe embroussaillée, ses lèvres humides d’alcool ; découvre ses dents jaunies et tordues. « Je vais appeler Zapata. C’est mon seul espoir. » Consciencieusement, il se rase ; puis il passe une chemise rose, sa veste noire et une cravate à motifs ; noue-boutonne le tout. Sur la table basse, il place un verre, le remplit, le boit ; le pose, le remplit, le boit.
Il imagine le désert. Il imagine la route dans ce désert. Il imagine qu’un chemin croise cette route. A l’intersection, il y a un panneau de signalisation de chaque côté : l’un figure le diable et l’autre un héros masqué. Imanuel se place au centre et de son étui, il sort sa trompette.

L’appel à Zapata :
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Luz a écrit:
(un grappin a été déposé sur le balcon pendant la nuit.)
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Cesarea & Lupe Madero
   
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Cesarea & Lupe a écrit:
— Mon préféré, c’est Socrates ! Tout le monde l’aimait n’est-ce pas ? Papa-papa et toi aussi, tu l’aimais.
— Tout le monde n’aimait pas Socrates Soria, petit poisson. La plupart ne se souciaient guère de lui ; il ne faisait d’ombre à personne, excepté en matière de poésie – et encore… Tous savaient pourquoi il était admiré de papa : ses talents d’écrivain ; personne ne contestait cela. Socrates n’était pas aimé, mais il ne dérangeait pas. Moi, j’étais amoureuse. Je ne l’aimais pas comme on désire un homme, mais plutôt avec cette tendresse, puissante, que l’on a pour un père, ou, peut-être, plus qu’un père : un grand-père ou un grand-frère – je ne sais pas ; peut-être, comme la figure idéale d’un père. C’est qu’il m’apaisait. J’étais quelqu’un de féroce et passionnée. Lui, c’était le calme, un stoïque ; pas celui que l’on veut secouer des deux mains, mais plutôt qu’on ne veut pas déranger, dont on envie et respecte la sérénité. Je me souviens que, lors de mes premières amours, je m’étais emballée pour un garçon et cela me rendait triste, Socrates Soria m’avait alors tenu un discours ; et ce discours, s’il m’a influencée par la suite, m’a aussi fait comprendre des choses sur Socrates lui-même. Sa voix – c’était presqu’un chuchotement – était douce, mais aussi déterminée ; avec cet accent du nord-Brésil. Sur l’amour, il me disait : « On ne peut pas connaitre l’essence des autres, c’est impossible. Notre esprit ne peut pas saisir l’immensité d’un être et de son cheminement ; et tout le monde est détestable. Si tu penses connaitre quelqu’un, tu te trompes ; de la même manière que si tu crois te connaître toi-même. Si tu définis une personne de manière optimiste, tu seras déçue un jour ; et si tu es pessimiste, alors ta vie sera aigre et tu seras triste car tu ne pourras pas aimer. Alors garde-toi de définir les gens, ou de penser que tu aimes une personne pour ce qu’elle est ; il n’y a que les circonstances qui font que l’on s’aime parfois ; les conditions de l’un et de l’autre qui se correspondent. » Je ne l’ai jamais vu avec une femme – ni avec un homme – et cela m’aurait rendue terriblement jalouse. Je n’ai jamais pu en être certaine, mais je crois que, de temps à autres, il allait voir une prostituée ; et je crois qu’il l’aimait beaucoup, plusieurs de ses poèmes parlent de cette dame : Cora Cœur.
— Une dame comme maman ?
— Non. Ta mère était quelqu’un d’horrible, Socrates Soria ne se serait jamais épris d’une personne comme elle.
 
Cesarea & Lupe Madero
   
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Sotsia, sotsia. Maïmo Teneneforiaaaa, hihi.
— Tu chantes cette chanson, petit poisson ?
— Oui. Je l’aime bien.
— Je crois que c’est plutôt « Fotsia, fotsia ».
— Je l’ai revu.
— Qui ? Tcheheyo ?
— Oui. Quand tu n’étais pas là, mais ce n’était pas un rêve.
Fotsia, fotsia. Maïmo Teneneforiaaaa… J’ai repensé à lui, le musicien triste. Ce n’est pas surprenant qu’il réapparaisse, le cimetière n’est plus sous l’eau. Tout le monde ressurgit du passé, ces temps-ci. Luna… Je pense que c’est lui qu’elle entendait.
— Luna ?
— Oui, tu ne te souviens pas d’elle ? Tu l’aimais bien pourtant. Perds-tu la mémoire, petit poisson ?
— Ce sont les rêves : ils prennent la place de mes souvenirs.
 
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Cesarea a écrit:
Qu’es-tu en train de faire, mon amie ? Qui es-tu, aujourd’hui ? Te souviens-tu de moi ? Y aurait-il un sens à rappeler à Lupe qui était Luna ; nôtre Luna ? Je me souviens que tu étais douce et forte à la fois, avenante et volontaire, tandis que je te regardais du haut des escaliers ; moi, hautaine et méfiante, protégeant ma petite sœur de quelqu’un qui, peut-être, me ressemblerait trop. Ton père, Umberto, avait dit, d’un air sévère et en te commandant presque, de t’occuper de nous ; car nous vivions des instants difficiles, « les pauvres petites ». Tandis que ma fierté me glaçait le corps, et mon visage restait fermé à ton sourire, tu n’as pas rechigné à ta mission, au contraire, tu t’en es emparée comme d’une cause de justice. Tu nous as apporté le peu de chaleur que j’acceptais de recevoir, jour après jour, chargée de petites attentions, simples, mais aussi, par moment, surprenantes, comme lorsque tu as laissé, devant notre porte, cette cassette enregistrée par tes soins. Sur la bande, il y avait un peu de tout, des vieux classiques ou des tubes récents de hiphop nord-américains ; mais il y avait surtout, entre chaque chanson, les messages, brefs, que tu nous adressais ; de l’humour le plus souvent, mais aussi, parfois, une tendresse ; tu avais parlé de mes yeux noirs ; tu avais dit vouloir être à la place de Lupe, pour avoir une grande sœur qui la protège comme je le faisais. Je crois que je te plaisais. J’en ai profité, au début ; tu le savais, mais tu me laissais faire. Je crois que cette année, passée ensemble, a été très importante pour toi. C’est cette année durant laquelle nous devions réellement devenir des femmes, n’est-ce pas ? Je n’ai pas pu t’accompagner par la suite, mais, toi, c’est à ce moment-là que tu as tout assumé – tout ce qui se bousculait en toi – que tu as découvert le monde et ce que tu voulais y faire, ce que tu voulais protéger, ce que tu voulais donner. Notre amitié a été un torrent. Rien ne nous résistait. Le pauvre Umberto… on lui aura fait tourner la tête ; il se mettait dans des colères noires, mais je pense, qu’au fond, il a aimé nous voir ainsi : conquérantes de la vie, de notre jeunesse. Nous préparions l’avenir, comme des guerrières ; nous allions changer, non pas seulement Aguacope, mais le monde, « des racines jusqu’aux feuilles, de la source à la mer, du cœur à l’espace », t’en souviens-tu ? « Les flèches amazones ». Rien n’échappait à notre vigilance ; nous explorions les moindres recoins de la ville, comme un état des lieux. Nous sommes allées constater les massacres, au sein de la jungle ; avons pris notes, dans les carnets de notre colère. Douces furies, assoiffées de savoir. Nous avons parcouru les bas-fonds ; à s’en faire peur. Nous avons creusé les murs de la bibliothèque. Nous avons rencontré les tenorios, qui nous ont transformées. Moi, je voulais le fleuve ; être « l’épouse du fleuve » ; et cela ne me ressemblait pas. Toi, tu voulais la terre ; tu entendais « le chant des martyrs » ; et cela ne te ressemblait pas. Pourtant, de ces frivolités lyrico-mystiques, était né un traité avec l’avenir ; nous avions mis sur l’autel, et le plus sérieusement du monde, notre sang et la marque de nos doigts.
 
Chamanii
   
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Chamanii  /  Déesse de l'Amor (hein ?)


Le Concierge a écrit:
Alors qu'Umberto Carballar balaie le pallier, comme à son habitude, il s'interrompt soudain devant la porte du 601. Une ombre, fugace, passe sur son visage. Ses lèvres se plissent presque imperceptiblement. Après une seconde d'hésitation, il frappe à la porte.

[Imanuel Davis Ferreira]

Se fait entendre, derrière la porte, une dégringolade d’objets sur le plancher, dont, peut-être, une trompette. On bouscule une chaise, on chute, on se relève et on trébuche.
— Sedoso ! Mon ami ! Tu ne me laisseras donc pas m’évader, hein ! Les sauveurs comme toi qui me visitent au moment opport…
La porte s’est ouverte et apparait ce long type courbé sur lui-même ; et dont la cravate lâche autour de son cou valdingue au-dessus d’une chemise à moitié déboutonnée et trempée de sueur. Il semble d’abord surpris, puis se rappelle l’évidence :
— Pardon ! Pardon, monsieur Carballar ! Ne vous en faites pas, j’arrête la trompette, vous ne l’entendrez plus jamais. Croyez-moi, vous ne l’entendrez plus jamais… Pardon. Monsieur Carballar. Vous savez… Zapata n’est jamais venu.


Dernière édition par Chamanii le Mer 1 Nov 2023 - 17:55, édité 1 fois
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Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Umberto, sans répondre, entre et observe l'intérieur brouillon de l'appartement d'Imanuel Davis Ferreira. Son regard glisse sur le mobilier épars, les bibelots, les affaires répandus sur le sol, comme si Imanuel était en train de continuellement préparer sa valise pour un très long voyage. La vitre sale jette sur l'ensemble une lumière bizarre, irréelle. Le vieil homme trouve un tabouret et s'y assoit lourdement, fatigué.

— Par pitié, taisez-vous, laissez-moi réfléchir.

Le concierge ferme les yeux. Comme s'il pouvait dormir d'un coup. S'allonger-là et dormir. Son visage n'a plus la forme amère et tendue connue d'Imanuel depuis son emménagement dans l'Immeuble.

— Monsieur Ferreira, dites-moi, vous faites des cauchemars ?


Dernière édition par Le Concierge le Mer 1 Nov 2023 - 22:47, édité 1 fois
 

 [L'Immeuble - appartement 601] - Imanuel Davis Ferreira

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