Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mar 10 Nov 2020 - 9:13
Depuis la dernière fois (faut que je poste plus souvent, sinon ça fait pavé !) :
Les Présents, Antonin Crenn
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Théo est un marcheur citadin ; il marche dans Paris, tous les jours, beaucoup. Il vit en couple avec son amoureux. Il connaît le nom de tous les éléments architecturaux qui l'entourent. Et, un jour, il rencontre un garçon qui va marcher avec lui, et auprès de qui le passé remontera par bribes ; le père, mort prématurément, mais aussi les ancêtres bretons. J'y ai consacré un petit fil sur twitter, avec quelques extraits.
En beauté, Kim Hoon
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Je connais mal la littérature coréenne contemporaine, c'était l'occasion de faire un saut par là-bas. Et c'était... déroutant. Tout est corps dans ce livre. Chair. Chair de l'épouse qui se meurt d'une maladie qui l'abîme ; chair de la jeune collègue flairée par l'homme, qui ne lui dira jamais rien de cette fascination. Chair des femmes, puisque l'homme travaille dans une compagnie de produits de beauté pour laquelle il doit penser des opérations de marketing. Ce parallèle entre la chair de l'épouse aimée, et la chair de la jeune collègue ; entre la chair de l'homme proprement dit, qui n'arrive pas à pisser et qui doit aller se faire pomper l'urine (scène surréaliste de pompage d'urine juste après l'annonce du décès de son épouse), et la chair des femmes coréennes... tout ça est troublant, je crois.
Histoire des treize, Honoré de Balzac (composé de Ferragus, chef des dévorants, La Duchesse de Langeais, La Fille aux yeux d'or)
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Cette trilogie de courts romans balzaciens, unis par quelques personnages, n'est pas du très grand Balzac. Moi qui me réjouissais de retrouver ce petit monde-là de la Comédie humaine, j'ai un peu vite déchanté. Les trois romans commencent par du Balzac-qui-se-prend-pour-un-sociologue et qui en fait des tartines (allez, que je te produise une grande théorie sur le peuple de Paris, sur ses rues, etc), puis vont vers des intrigues amoureuses mal ficelées, expédiées (très loin des raffinements de romans plus tardifs). Mention spéciale pour le personnage de Ferragus, sorte de truand caméléon capable de tout, même de sentiments paternels.
L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero
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Critique vidéo:
Et thread, composé de quelques pages du livre.
Un jour avant Pâques, Zoyâ Pirzâd
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J'ai appris, dans ce court roman d'une autrice iranienne, qu'il existait en Iran une grande communauté arménienne, émigrée là au moment du génocide de leur peuple (l'autrice est moitié arménienne, moitié iranienne). Sinon... l'écriture en est un peu terne et palichonne. C'est un récit de vie en trois parties : enfance, âge adulte, maturité. Quelques effets d'écho ; l'école, puis devenu directeur d'école ; les relations entre les femmes, conservatrices des traditions arméniennes ou bien émancipées et tristes dans leur vie de couple. La difficulté des communautés chrétienne et musulmane à se rencontrer vraiment.
La fille de mon meilleur ami, Yves Ravey
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Il y a des textes dont on ne comprend pas la nécessité. On ne comprend pas pourquoi leur auteurice les a écrits, pas pourquoi leur éditeurice les a imprimés ; on va jusqu'à plaindre le diffuseur et le/a libraire qui ont dû les prendre en charge puis les défendre. D'accord, ce n'est pas mal écrit ; certain sens du rythme et du détail. Mais on a beau tourner la chose dans tous les sens, on ne lui trouve pas le plus petit début de nécessité. La langue n'a rien pour elle que d'être correcte ; la construction est linéaire ; l'histoire contée, insipide. Les vues sur le monde ? vaguement houellebecquienne, sorte de lassitude. Je n'aime pas Houellebecq mais sans doute a-t-il réussi à capter quelque chose de l'air du temps, ce regard des mâles blancs quinquagénaires lassés de tout qui n'est pas le mien. Mais ça... ça. Bon.
Je veux devenir moine Zen !, Kiyohiro Miura
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Ce roman, écrit dans la fin des années 90, c'est le point du vue d'un père dont le fils décrète, très jeune, vouloir devenir moine zen. Hors, au Japon, il est plutôt rare qu'un enfant d'une famille laïque devienne spontanément moine bouddhique – profession en déshérence, à tel point que les moines dirigeant des temples cherchent des jeunes dans les familles pauvres, en leur proposant de payer leur scolarité, d'assumer leur formation, et de leur assurer un salaire ensuite. En fait, ce qui est chouette dans ce roman, c'est qu'on a le point de vue – assez rare –, du parent sur cette situation universelle : quid du hiatus entre les espoirs placés par les parents dans leur enfant, et le rêve d'avenir de l'enfant ? qu'est-ce que ça provoque ? comment peut-on parler de libre choix ? a-t-on trop fait pression, provoqué une vocation malgré soi ? là, c'est le père qui au départ se bat la coulpe car il se sent coupable du choix d'une profession si étrange, parce qu'il emmenait son fils petit au cours de zen tous les dimanches ; puis ensuite, une fois qu'il accepte le choix de ce jeune fils, doit faire face à sa crise d'ado et à son revirement ; puis ensuite, une fois que le jeune homme est engagé dans son noviciat, aux doutes de son épouse qui vit comme un arrachement cette rupture soudaine d'avec son fils, et qui se demande dans quelle mesure le père n'a pas trop insisté.
Et en ce moment je lis La Sorcière, de Marie Ndiaye, l'histoire d'une mère qui transmet son don de divination à ses deux petites filles ; elle vit dans un lotissement sans charme, auprès d'un mari grognon. Comme dans Trois femmes puissantes que j'avais lu il y a quelques années, la phrase s'étire, la syntaxe est heurtée, comme essoufflée. C'est surprenant. Assez puissant female gaze d'ailleurs.
Dernière édition par Pasiphae le Jeu 3 Déc 2020 - 10:54, édité 1 fois
Nombre de messages : 448 Âge : 32 Date d'inscription : 28/11/2017
Doliprane/ Pour qui sonne Lestat Mar 10 Nov 2020 - 11:17
ciao amici, queste giorne ho leggendo un libro molto interessante di poesia, perché me piace tantissimo la poesia ché è un arte molto delicate e agreabile. ci sentiamo presto amici, ciao
Nombre de messages : 100 Âge : 27 Localisation : Dans un bateau volant Date d'inscription : 22/07/2020
Koola/ Barge de Radetzky Sam 14 Nov 2020 - 9:31
Outre les bouquins pour mes cours, je lis Terre des hommes de St. Exupéry et Le monde d'hier de Zweig dont les échos font parfois un peu flipper, haha. Pour la suite, c'est Citadelle de St. Ex et Circé de Madeleine Miller.
Invité/ Invité Dim 15 Nov 2020 - 11:52
Bah c'est pas si mal, Assassin Royal. Moi qui suis lent habituellement en lecture j'avance assez vite ! C'est assez rare pour être relevé.
Nombre de messages : 751 Âge : 24 Localisation : France Date d'inscription : 06/07/2016
Trôme/ Le Chevalier sans épines Lun 16 Nov 2020 - 16:26
Noces de Camus, ce livre est un petit bijou.
Nombre de messages : 313 Âge : 36 Localisation : Brisbane Date d'inscription : 06/06/2019
Elyon64/ Tapage au bout de la nuit Lun 16 Nov 2020 - 17:31
J'ai lu Circé de Madeline Miller, réécriture du mythe de cette nymphe. Très très sympa. Les personnages sont vraiment bien travaillés et attachants, les éléments de mythologie bien intégrés pour rendre plus "réalistes". Du coup j’enchaîne sur Le chant d'Achille de la même autrice, c'est plus orienté romance ce qui est un peu moins ma came, mais ça se lit bien quand même !
Nombre de messages : 7093 Âge : 43 Pensée du jour : Zut Date d'inscription : 27/05/2012
Après avoir fini les Mémoires d’Hadrien et L’Œuvre au noir (Yourcenar), je poursuis mon trip historique avec Sinouhé l’Egyptien de Mika Waltari. Le style tombe parfois dans le désuet (donner l’impression d’une plume antique tout en l’adaptant au public de ses contemporains est un exercice périlleux). Mais l’intrigue est passionnante et on est vraiment plongé dans le règne d’Akhenaton.
Nombre de messages : 3844 Âge : 31 Localisation : JE depuis 2007 Date d'inscription : 20/08/2009
Rask'/ ChériJE® de Mitsu Mar 17 Nov 2020 - 3:51
Deux mètres dix, Jean Hatzfeld
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Jeu 3 Déc 2020 - 10:51
Lectures du 12 au 30 novembre (oui j'ai une fringale de lectures en ce moment zizi pissou !!! )
L'Annulaire, Yoko Ogawa
Spoiler:
C'était le deuxième texte d'Ogawa que je lisais, après Les abeilles. Et je me suis dit : avec Ogawa, toujours, toujours, quelque chose d'inquiétant et de vaguement organique pourrit dans un coin. On la lit dans le malaise, et l'admiration. Parce qu'en termes d'effets de réels (on dit des réalia ?), elle est atrocement douée. Ce petit bout de doigt tombé dans la limonade, la limonade rougie par le sang, on y croit, on y est presque.
Il paraît que l'autrice japonaise est fan de Haruki Murakami ; et c'est vrai qu'on sent quelque chose de l'atmosphère tour à tour onirique et cruelle de son contemporain. Mais je dirais que là où peut subsister un peu d'inconsistance et de douce niaiserie chez Murakami, on trouve quelque chose de dense, un sol solide, chez Ogawa.
L'autre fille, Annie Ernaux
Spoiler:
L'autre fille fait partie de ces textes dont on dirait qu'ils appartiennent aux marges de l'œuvre : pas une bonne entrée en matière, mais une bouchée gourmande pour les amateur·ices déjà convaincu·es.
Il s'agit d'un texte de commande : il appartient à une collection dont le principe, intéressant, est qu'un·e auteur·ice reconnu·e écrive la lettre qu'il n'a jamais écrite.
Ici, Ernaux s'adresse à sa sœur aînée, décédée avant sa propre naissance, et dont ses parents ne lui avaient jamais parlé. Elle en a appris l'existence par accident, puis a recollé les pièces de l'énigme.
En réalité, il s'agit d'un beau texte parce qu'il amène à penser (Ernaux le fait explicitement) ce que fabrique l'adresse, le "tu" d'une lettre dont le destinataire est absent. Ce "tu" qui crée un lien, ce "tu" qui invente, mais qui triche, mais qui ment. Qui donne de l'importance à quelque chose à quoi on pense si peu, qui invente une relation qui, hors de l'espace imaginaire, n'existe pas.
J'ai pensé à toutes les lettres que j'avais écrites, jamais envoyées ; à des personnes mortes, ou à des personnes disparues de ma vie, et j'ai écrit, moi aussi (merci Annie) : http://lesmiettes.over-blog.com/2020/11/journal-sentimental-14.html
L'Art de revenir à la vie, Martin Page
Spoiler:
Martin Page, comme toujours, et comme le fait aussi sa compagne Coline Pierré (dans Éloge des fins heureuses, par exemple), m'amène à réfléchir à mon propre snobisme littéraire. M'amène à interroger ce que je cherche lisant. Très tôt, j'ai pensé chercher dans la littérature quelque chose de sublime ; et hors de ce sublime, point de quartier. Et c'est en grandissant, c'est en étudiant les lettres, en saupoudrant d'une pincée de sociologie et d'histoire mon appréhension du domaine littéraire, que je me suis rendu compte que j'avais tout à fait le droit d'avoir des usages différenciés de la lecture de littérature. Chercher le beau style. Mais aussi, chercher à apprendre des trucs sur des cultures qui ne sont pas la mienne ; sur des groupes sociaux, des individus qui ne me ressemblent pas. Consoler des émotions. Démêler des émotions. Me donner des baffes (ça c'est le rôle de Bolaño). Bref, j'avais le droit de tout ça, de snobisme et de tendresse. L'art de revenir à la vie n'est sans soute pas un chef-d'œuvre – quoique la dimension méta, avec cet écrivain monté à Paris pour travailler pour un studio de cinéma, capable de le rémunérer beaucoup, mais capable de lui ôter sa frêle liberté artistique, soit intéressante – mais c'est un livre qui construit un pont entre les aspirations enfantines et le devenir des adultes, d'une manière belle et touchante. Martin adulte qui rencontre et discute avec son homologue enfant, c'étaient mes scènes préférées ! et surtout, surtout, cette réflexion sur la pureté de nos aspirations enfantines qui souvent se dissolvent grandissant... ça, ça me touche, parce que j'ai quelquefois l'impression, restant fidèle à mes valeurs d'enfant, d'être un peu rigide. Mais si Martin m'y autorise !
Le restaurant de l'amour retrouvé, Ito Ogawa
Spoiler:
Bon, j'ai pleuré quatre ou cinq fois. Roman pour les gourmets – on y parle beaucoup de cuisine, et même, de cuisine consolatrice / réparatrice –, roman pour les tendres (une touche spanbauerienne, n'est-ce pas)...
Une autre Ogawa que cette Ito (ne confondons pas avec Yoko), mais une autrice japonaise vivante aussi ; et, si elle brasse un autre registre que sa quasi-homologue, celui des émotions et de la nostalgie, on trouve aussi ce truc d'effets de réel puissants. Les Japonaises semblent douées à ce petit jeu. Je pense notamment à une scène incroyable où la narratrice saigne puis découpe avec tendresse une truie, qu'elle a élevée et nourrie pendant quelques mois. Elle découpe le crâne, la langue, toute cette tête de truie, en lui parlant de leurs mémoires communes. Je veux dire, cette scène, c'est du grand quelque chose.
J'ai aussi été surprise par la manière dont l'autrice taisait certaines choses. Cette gestion du silence : la narratrice rentre un jour chez elle, et l'appartement est vide. Son amoureux est vraisemblablement parti, sans prévenir, sans même laisser un petit mot, et en s'emparant de tous leurs objets communs. Et là, l'héroïne perd l'usage de la parole. Mais jamais un mot d'accusation, de colère ou de tristesse n'est prononcé. Elle rentre simplement dans le village où elle a grandi, et ne parle plus (et ouvre un restaurant). C'est assez puissant.
Les lectures des otages, Yoko Ogawa
Spoiler:
J'ai été un peu agacée, parce que j'ai eu l'impression que ce livre trichait : en gros, il y a un récit-cadre original, des otages qui, avant d'être tous·tes tué·es dans l'opération militaire qui visait à les libérer, se sont lu des textes qu'iels ont écrits (et qui forment pour chacun d'entre eux un souvenir important de leur vie) ; mais sinon, les récits encadrés, ce sont des nouvelles, qui ont pu aussi bien être écrites "pas exprès" pour le texte final. Donc, on a un recueil de nouvelles – s'il y a unité, points de convergence, c'est parce qu'on retrouve l'univers très particulier de l'autrice, cet univers où quelque chose pourrit quelque part, où des gens se cachent pour exister –, un récit cadre, et nulle justification supplémentaire. J'ai été un peu déçue, parce que je pensais lire un roman, et pas des nouvelles. Malgré tout, évidemment, ça reste du Yoko Ogawa, avec plein de choses belles et intéressantes, notamment cette espèce de MJC où des gens anonymes se réunissent pour plein de motifs étranges : parler des langues qui disparaissent, broder un point unique...
Toutes les choses de notre vie, Sok-Yong Hwang
Spoiler:
Malgré le titre un peu bidon (on dirait un titre de Marc Levy ça), c'est un texte assez fort, bien que l'écriture en soit quelquefois un peu molle. Cela se passe sur L'Île aux fleurs, au-dessus de Séoul : une décharge où des êtres humains vivent et travaillent, habitant des baraques de tôle, se nourrissant des restes trouvés dans les déchets, et étant mal payé·es, évidemment. Aujourd'hui cela n'existe plus – plus d'êtres humains sur les piles de déchets à fouiller pour trouver des choses recyclables, revendables. Mais cela a duré (sans parler du danger : le méthane accumulé dans les déchets organiques pouvait prendre feu / exploser).
Donc on a un texte qui a surtout une vertu documentaire – dire ce que ce fut de grandir enfant à l'Île aux fleurs –, mais pas seulement. On a aussi, dans un roman très réaliste, si on utilisait nos cadres de perceptions français, présence des âmes des morts, de leurs fantômes, d'une spiritualité mêlée à la vie la plus contemporaine, difficile à imaginer depuis la France, et partant, très intéressante.
Ajax, Sophocle
Spoiler:
Donc, la semaine dernière, j'ai eu des palpitations cardiaques étranges ; une ambulance est venue, et j'ai passé la nuit aux urgences. Dans la précipitation du départ, je n'ai rien pris avec moi – mon amoureux, plus prévoyant, a mis dans un sac "du théâtre, ça se lit bien". A cause du coronavirus, il n'a pas pu rester avec moi pendant ces 7 longues d'heures d'attentes, prises de sang, radios, cathéters (glurps), et m'a donc posé entre les mains le théâtre complet de Sophocle, dont je n'avais lu que l'Antigone, il y a longtemps. Ajax, donc. C'est celui qui m'a le moins plu. On a une histoire de vengeance, un guerrier grec qui veut massacrer tout le monde parce que sa fierté est blessée, une déesse qui l'égare, son suicide parce qu'il est honteux, les débats sur sa dignité à être enterré ou non. J'avoue que ces histoires d'honneur viril me laissent un peu de marbre. Finalement, ça me paraît très puéril de perdre la vie parce qu'on a honte – et de laisser une compagne-esclave et un fils seuls au monde (la gestion des femmes, humain·es de seconde zone, chez Sophocle, c'est quand même quelque chose).
Œdipe Roi, Sophocle
Spoiler:
Il faisait froid, aux urgences, j'étais enveloppée dans mon châle, et j'ai ensuite, après une première batterie d'examens, entamé Œdipe Roi sans conviction – mais il fallait bien le faire passer, le temps, au milieu des gens qui erraient autour de moi. C'était déjà mieux.
Il ne se passe pas grand-chose dans Œdipe Roi. En réalité, on pourrait résumer la pièce ainsi : Œdipe doit réaliser que la terrible prophétie s'est bien accomplie (il a tué son père, épousé sa mère, eu des enfants qui étaient aussi ses demi-frères et sœurs), et il ne veut pas le réaliser, c'est trop dur, et l'évidence, peu à peu, s'impose, avec l'horreur.
Et c'est tout. Juste, un être humain qui ne veut pas voir la vérité, qui se débat contre elle, qui accuse tour à tour celleux qui l'entourent de lui mentir, puis les faits d'être trompeurs, et qui, une fois convaincu, vit l'horreur. C'est très beau.
Œdipe à Colone, Sophocle
Spoiler:
Et le meilleur pour la fin ! Pourquoi le meilleur ? parce qu'Antigone et Ismène sont presque, une fois n'est pas coutume, considérées comme des humaines ? parce que je m'étais habituée à l'horrible pression du cathéter ? allez savoir. Parce que l'action, somme toute primordiale dans une tragédie antique, est bien difficile à résumer. Œdipe mendiant, aveugle, âgé, arrive près d'un sanctuaire avec sa fille Antigone qui le guide. Il pressent que c'est ici qu'il mourra, et qu'une autre prédiction s'accomplira : il protégera la cité des ennemis, et cette cité, excusez du peu, c'est Athènes. Or ses fils bientôt fratricides essaient de faire revenir leur vieux père à Thèbes à cause d'une vieille prophétie qui dit que lui seul pourra protéger la cité, tout ça provoque bien des conflits, mais au bout du bout, Antigone et Ismène sont prises en charge par le souverain d'Athènes, qui promet de les protéger, et tout va bien qui finit bien. C'est bizarre, on connaît moins cette pièce, et elle m'a plu davantage. Plus de personnages, plus d'interactions, de débats, d'intérêts en jeu, la tragédie prenait ici de larges dimensions.
La Femme à part, Vivian Gornick
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Ah Vivian, marcher dans les rues de New-York, avec toi, et méditer sur ce qu'est l'amitié, avec toi... Ce qui est beau, dans les livres de Gornick, c'est le mouvement du texte. Une déambulation sans fin dans les rues de la ville, un texte de marcheuse citadine ; et entremêlées, fragmentaires, des bribes, des épisodes de vie, des réflexions mêlées à celles d'autres auteur·ices, parfois antiques... dans le premier que j'aie lue, Attachement féroce, la polarisation allait à la mère, à l'enfance ; ici, c'est à l'amitié. Cette amitié avec Leonard, un homme gay, fragment de miroir retourné, qu'elle voit régulièrement mais pas trop, parce que, critiques en tout, iels se tirent vers le bas... et puis ces autres amitiés, ce rapport contrarié à l'amour... bref, c'est trop beau, trop bien, merci madame Gornick. J'ai aussi beaucoup aimé cette manière dont elle nous parle, spontanément, d'écrivain·es oublié·es ou mineur·es, qu'elle a aimé·es pourtant, et qui furent d'autres ami·es – et qui l'aidèrent dans son propre rapport à la ville, à la marche. Elle ressuscite pour nos beaux yeux ces textes qui ne furent pas des chef-d'œuvres mais qui captèrent des fragments de leur temps. C'est beau, cette manière de lutter contre l'oubli, de nouer amitié avec des fantômes.
Les Solidarités mystérieuses, Pascal Quignard
Spoiler:
Quel texte mystérieux. La première partie est étrange : Quignard s'y fait ascétique. On dirait qu'il évite, comme exprès, la langue littéraire. Il prend au mot les expressions toutes faites, casse son rythme, multiplie les redondances. Et pourtant, dans cette langue d'écolier parfois un brin sentencieuse, on sent que c'est Quignard et qu'il peut écrire mieux, mais qu'il s'en empêche.
Et dans la seconde partie, boum ! ça y est. Explosions lyriques, beautés, pages sublimes. Claire marche sur la lande, elle marche pendant des années, sa peau blanchit et s'amenuise, elle a de cette côte bretonne une connaissance intime et se mêle au paysage.
Bien sûr le titre fait signe vers les liens curieux qui nous unissent, en dépit de l'amour – et même dans l'amour – sans qu'on les explique. Cette complicité entre le frère et la sœur qui pourtant ne se comprennent pas bien ; cet amour souvent rompu, mais incassable, entre le frère et un prêtre ; ce lien d'une fille qui n'a pas été élevée par sa mère, et qui la découvre tard, à sa mère ; ce lien maternel entre une professeure de piano mourante et son ancienne élève (etc etc). Et bien sûr ce n'est pas ce qui d'abord retient l'attention dans ce texte, qui est le texte des côtes bretonnes, des tempêtes, des noisetiers plantés qui sèchent, des tours de barque, des grottes.
Thread de mes impressions
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CorentinL/ Tycho l'homoncule Sam 5 Déc 2020 - 4:47
Lectures du mois passé : Les deux premiers textes sont des publications des Moutons Électriques (un de mes éditeurs préférés) dans le cadre de leur campagne participative de l'an passé. Les deux derniers, on est sur du classique contemporain.
La sorcière du lac, Oscar David
Avis rapide:
Roman unique d'Oscar David, natif de Savoie. L'intrigue est éventée dès le premier tiers, la narration datée. Le texte vaut surtout pour ses descriptions poétiques du lac d'Annecy au fil des saisons, la vie paysanne du début du 19ème. L'atmosphère créée est très réussie, mais je ne me suis jamais senti concerné par l'histoire.
Folles années folles, Roland C. Wagner
Avis rapide:
Comme le signale le pré-texte ajouté par l'éditeur, un projet de roman jamais publié par Wagner, oeuvre de jeunesse un peu préoccupée par la chose. Les immeubles sont phalliques, les personnages féminins dignes d'un James Bond. C'est vraiment de la SF Pulp décomplexée. Le héro réussit tout. Mais on prend plaisir à suivre ses tribulations, même si l'intrigue est assez prévisible. Particularité, le livre propose deux fins alternatives, l'auteur n'ayant jamais choisi. Préférence pour la version 1. Lecture pas prise de tête, mais vraiment plus #metoo compatible.
L'angoisse du roi Salomon, Emile Ajar
Avis rapide:
J'adore le ton, la voix que Romain arrive à créer pour Jean, avec son phrasé, ses manies dicophiles. Le fond est plus anxieux, plus introspectif. Émouvant, souvent. Drôle aussi. Et un très bon traitement autour du temps qui passe, de la mort qui s'approche, des regards qui changent sur les personnes en fonction de leur âge. L'intrigue est à peine présente, le livre regorge de personnages, de situation et se suffit ainsi.
Les cerfs-volants, Romain Gary
Avis rapide:
Mon coup de cœur de la session. Autour de la deuxième guerre mondiale, Romain plante des personnages toujours aussi attachants, plein d'esprits. Un roman feel-good très qualitatif, avec quelques belles réflexions sur la vie, sur la difficulté de composer entre convictions et réalité en période trouble. Bon, j'ai un faible pour les romans sur la période, et un faible pour le ton de Gary. Je ne sais pas si je suis très impartial dans mon jugement.
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Isÿlin Delaune/ Petit chose Lun 7 Déc 2020 - 9:13
Je viens de terminer Dracula de Bram Stoker J’ai adoré ! Et j’ai commencé Rituels de Philippe Charlier mais c’est pas un roman !
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Ven 18 Déc 2020 - 6:17
Lectures du 30/11 au 17/12
Un si bel amour et autres nouvelles, Ludmila Oulitskaïa
Spoiler:
Des nouvelles... heureusement, on retrouve quelques personnages d'une nouvelle à l'autre – des petites filles, l'espace des trois premières nouvelles. Puis des motifs : la vieille dame démente qui fut adulée dans sa jeunesse, les mendiant·es à qui on apporte la nourriture encore chaude, des petites touches ça et là. En réalité je ne sais trop que dire ; le court roman Sonietchka m'avait ravie, mais ici, on trouve à peine retravaillés quelques clichés sexistes (la "mémère", cette femme qui en est à peine une de ne pas correspondre aux canons de beauté) et homophobes. Bon... c'est toujours riche dans la trouvaille, cruel juste ce qu'il faut, mais décidément, les nouvelles, ce n'est pas pour moi.
In utero, Julien Blanc-Gras
Spoiler:
Le journal de grossesse d'un futur père, par ailleurs journaliste, donc habitué à entrer en reportage. Mais... tellement de sexisme / racisme intégrés, sans parler de la grossophobie et de la psychophobie. Plus habituée à lire ce genre de choses. L'humour est un peu rance, quoi.
L'origine des autres, Toni Morrison
Spoiler:
Série de conférences données à Harvard en 2016 (très peu de temps avant sa mort), L'origine des autres est un ensemble de réflexions passionnantes sur la construction de l'altérité (et donc, du racisme et du sexisme). Ce qui est passionnant, c'est la manière dont Toni Morrison utilise à la fois des sources sociologiques / philosophiques ET son expertise de lectrice de textes littéraires. Elle montre notamment comment le colorisme informe la représentation des personnages (et des relations entre personnages) dans des textes de Faulkner et d'Hemingway. C'est quelque chose qui me touche beaucoup, forcément, parce que ce sont des questions que je me pose beaucoup à propos du sexisme en littérature : comment construit-on un sujet, un public virtuel (de quel genre supposé), et des personnages ; que raconte-t-on de sa propre expérience du monde sous couvert d'universalité. J'aime énormément cette manière, corrosive, de pratiquer la critique littéraire : il ne s'agit même pas tant de dire que tel personnage est sexiste / raciste (degré zéro du truc !), mais que le système de représentation dénote une pensée sexiste / raciste du monde.
La Vie extérieure, Annie Ernaux
Spoiler:
Ce livre, j'en avais d'abord une connaissance théorique ; j'avais lu, dans le cadre de ma thèse, l'excellente thèse de Marie-Jeanne Zenetti, Factographies, consacrée à cette constellation de textes, depuis le milieu du XXe siècle, qui constituent l'exploration méthodique de faits objectifs ; textes documentaires, notations quotidiennes, procédés d'écriture mathématiques. Ici, Ernaux, de 93 à 99 "note" des choses vues, aperçues. Beaucoup d'épisodes de mendicité ; des couples qui s'enlacent, des enfants qui dérangent, des centres commerciaux. Sa ville de Cergy, les trajets vers Paris. Alors, moi, ce que j'adore chez Ernaux, c'est, d'habitude, cette sensibilité au temps et aux choses qui changent ; ici forcément, même s'il y a quelques belles pages, le procédé appauvrit la narration. Mais le côté "instantané d'années citadines" fonctionne à plein.
Le regard de l'Inde, Vidiadhar Surajprasad Naipaul
Spoiler:
Est-ce une biographie de Gandhi ? pas vraiment. Un essai sur le mode de préservation de la langue / de la culture en émigration ? pas vraiment non plus. Une réflexion poétique sur la manière dont les Indien·nes entretiennent leur rapport à la mémoire et au passé ? pas plus. C'est un mélange de tout cela. J'aime de mieux en mieux ces écritures essayistiques qui se situent au carrefour de plusieurs fils de pensée, et où le "je" prédomine.
Bleuets, Maggie Nelson
Spoiler:
Ce livre m'a été conseillé à trois reprises, par trois ami·es. Et oui, la magie opère. D'abord, le procédé de composition : ce sont des fragments, 240 me semble-t-il ; le lien entre chacun de ses fragments est un petit rapport d'analogie ou de continuité ; elle fond, dans son travail, la couleur bleue, le deuil amoureux, et de multiples voix extérieures : les travaux de Goethe et de Wittgenstein sur la couleur, une peintre expérimentale qui travaille avec le bleu... c'est très inspirant, cette écriture de soi qui se confronte et exhibe les multiples sources auxquelles le "je" s'accroche pour penser. Il y a des passages d'une très grande tenue sur le deuil amoureux. Je suis sensible, également, à sa sensibilité (bon, c'est un peu bête dit comme ça, et sans doute très subjectif, mais c'est le cas). Inspirant pour les écritures morcelées, hétérogènes et disparates.
Peter Camenzind, Hermann Hesse
Spoiler:
C'est le premier roman de Hermann Hesse. J'ai lambiné pour le lire ; ce qu'il peut être ennuyé ! on sent bien la jeune âme frottée au Romantisme, désireux d'aller vers le roman initiatique (et jusqu'à l'extrême pointe de la maturité du personnage, Peter), alors même que, sans doute, lui n'en est pas à ce point. La référence à Saint François d'Assise est jolie cependant. Mais les descriptions de paysages ! oui, moi aussi j'aime les montagnes, le foehn, la neige et les pâturages ; mais sans cet insupportable vernis romantique mal digéré. Je me suis posé cette question ; j'ai tant aimé Siddharta, plus jeune ; et un peu moins mais beaucoup Gertrude, par la suite ; est-ce que ma propre maturité me ferait trouver Hesse de plus en plus chiant ? ou ai-je juste été confrontée à un roman de jeunesse certes virtuose, mais un peu vert ?
Invité/ Invité Mar 22 Déc 2020 - 15:02
Je suis toujours dans l'Assassin Royal. Je suis étonné par le vocabulaire de ce roman : quasiment toutes les quatre pages je dois regarder la définition d'un mot que je connais mal ou pas du tout. Souvent, dans la définition même du mot il est écrit 'désuet'. D'habitude les romans grand publics sont un peu dépoussiéré de ce genre de mot.
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Pangolin/ Très premier degré Ven 25 Déc 2020 - 14:10