|
|
| | Nombre de messages : 3108 Âge : 36 Localisation : High Fem Bitch Pensée du jour : Show me the monster inside of you Date d'inscription : 28/07/2012 | DC / Gueule d'ange et diable au corps Sam 2 Jan 2021 - 9:11 | |
| Oh fan ca fait longtemps...
Je ne me rappelerai pas de tout ce que j'ai lu depuis Aout, mais je vais en dire le plus.
Sur format papier: *Bernardine Evaristo - Fille, femme, autre (Très touchant et bien écrit) * Serge Joncour - Nature humaine (Il mérite son prix; top 10 2020) * Dominique Fortier - Les villes de papier * Camille Laurens - Fille (Dans mon top 10 de 2020) * Fatima Daas - La petite dernière (Pareil) * Faiza Guène - La discretion (Pareil) * Hadrien Bels - Cinq dans tes yeux (Il est bien et touchant, sauf quand le narrateur se la joue Beigbeder cynique qui se bourre la gueule) * Jean-Marc Graziani - De nos ombres (Top 10 2020) * Luke Healy - Americana - Rick Bass - La rivière en hiver
Et comme chaque hiver, j'ai lu Rick Bass - Winter
Maintenant je lis Zoe Whittal - Des gens irréprochables
Sur la tablette: * Maylis Adhémar - Bénie soit Sixtine (plutôt pas mal) * Tiffany McDaniel - Betty (pas aimé du tout) * Paolo Rumiz - On dirait que l'aube n'arrivera jamais
Et maintenant je lis: Hilary Holladay - The power of Adrienne Rich: A biography
Pour 2021, j'ai d'ores et déjà prévu de lire Agathe Saint-Maur - De sel et de fumée (c'est une connaissance) ainsi que de me mettre enfin à Emily Dickinson. |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Jeu 7 Jan 2021 - 17:11 | |
| C'est fait pour, Jasmin Du coup, lus entre le 18/12/20 et le 7/01/21... (les annotations sont prises sur le vif, puis recopiées telles quelles depuis senscritique) Icebergs, Tanguy Viel - Spoiler:
Tellement aimé ce livre que je l'ai offert à un ami, en écho à de nombreuses conversations sur l'écriture. Mais comme tout ce qui est diaphane, comme tout ce qui s'apparente à l'écriture d'un flux de conscience complexe et nourri d'abondantes références, cela échappe. Confessions de Nat Turner, Nat Turner - Spoiler:
Témoignage précieux d'un esclave, qui mena la dernière grande révolte d'esclaves aux États-Unis avant la guerre de Sécession – et qui inspirera, plus d'un siècle plus tard, William Styron. L'édition est très bien établie : préface d'époque, écrite par le prête-plume de Turner, documents du procès, liste des esclaves révolté·es et de leurs destins – souvent, la mort. Ce qui frappe, dans ce témoignage, c'est le sentiment d'élection divine éprouvé par Turner – qui, littéralement, se sentait l'élu de Dieu depuis l'enfance, et entendit des voix qui lui commandèrent de tuer les Blanc·hes. Tout est étonnant ensuite : les causes profondes de la révolte – l'injustice du sort fait aux esclaves, la douleur de leur condition – ne sont jamais clairement évoquées, comme si le détour par la caution divine était la seule pirouette admissible. De plus, le préfacier d'époque, un Blanc, condamne toute la révolte comme le fait de monstres, de barbares – sans jamais examiner ce qui peut mener plusieurs dizaines de personnes, presque d'un claquement de doigts, à se mettre à assassiner méthodiquement celleux que la veille encore iels servaient. 14, Jean Echenoz - Spoiler:
J'ai terminé ce livre il y a une semaine. Que m'en reste-t-il ? rien ou presque. Seul effet de surprise : si l'on fait abstraction du titre, l'on met bien quelques pages à comprendre que l'action ne nous est pas contemporaine. Illusion donnée par la modernité de la langue ? je n'en sais rien. La pipe d'Oppen, Paul Auster - Spoiler:
Recueil de courts essais d'Auster sur la littérature – sorte d'autobiographie d'écrivain par la bibliothèque. On remarquera sans peine la prédilection d'Auster pour l'anecdote – cette fameuse "pipe", qui donne son titre au livre, est bien celle du grand poète américain Oppen, déposée dans un casier. En réalité, mises à part quelques belles pages sur Hawthorne, je n'ai pas été vraiment bouleversée par ces essais bavards et souvent anecdotiques. L'Américain, Henry James - Spoiler:
James, ce fabuleux Balzac américain, moins les lourdeurs de notre romancier national – qui ne peut s'empêcher de produire des théories sociales au détour des intrigues romanesques. Dans L'Américain, un Américain, véritable self made man ayant fait fortune, vient en Europe chercher ce surplus d'existence que l'édification de sa fortune n'a pas su lui apporter. Il décide de se marier, jette son dévolu sur une belle jeune femme de la noblesse désargentée – et très, très fière de ses titres – et c'est là que James commence à se régaler. Comment met-on en présence deux systèmes de représentation du monde que tout oppose ? d'une part, l'Américain démocratique, pour qui une vie oisive semble dénuée de sens ; pour qui la valeur d'un être se mesure à ses actes ; d'autre part, la vieille noblesse française qui place sa dignité dans son arbre généalogique, le groupe familial devant l'individu, et l'honneur devant la réussite. Ces deux conceptions se rencontrent, se heurtent l'une à l'autre, se savent réciproquement imparfaitement communicables – et provoquent bien des souffrances. L'énigme Tolstoïevski, Pierre Bayard - Spoiler:
J'étais curieuse depuis longtemps de découvrir un essai de Bayard, connu pour les détours fictionnels qu'il fait emprunter à la critique littéraire.
Ici, il mêle deux écrivains russes en une personne – une biographie, une œuvre, et déchiffre les lignes de force de cette œuvre "réunie", à l'aide de la théorie des personnalités multiples – il existerait plusieurs personnes distinctes en nous, variations autour de la vieille psychanalyse freudienne. Devant des thèmes récurrents de son œuvre – rapport à la foi, suicide, amours simultanés multiples – Bayard "teste" la théorie freudienne, puis celle des personnalités multiples (qu'il préfère dans tous les cas).
Au-delà de l'aspect ludique, déjà contenu en entier dans la quatrième de couverture, on apprécie le tour d'horizon dans les œuvres des deux écrivains – rapides révisions d'émotions de lecture, fortes – et la révision des théories freudiennes, mais en fait de procédé de critique littéraire, ça m'a paru assez pauvre. Mets et merveilles, Maryse Condé - Spoiler:
Maryse Condé, l'autrice indépendantiste guadeloupéenne, souvent pressentie pour le Nobel de littérature, lie ici ses deux talents : la cuisine et l'écriture. Et cela donne Mets et merveilles, une autobiographie par les stations culinaires, les voyages (dans l'espace / vers d'autres cuisines), les rencontres (et les adaptations sacrilèges de spécialités locales). On pense un peu au Gourmet solitaire de Taniguchi ; c'est une jolie manière de raconter sa vie, qui fait bien souvent saliver. Ethos de grande bourgeoise et quelquefois, une gêne devant deux ou trois préjugés assénés sans finesse, mais bon. Le Dernier Loup, Laszlo Krasznahorkai - Spoiler:
Taillé d'une seule phrase : il faut, pour lire ce texte, prévoir du temps libre, que personne ne viendra rompre. Vous vous asseyez et vous vous lancez, dans ce souffle, que vous embrassez, à la poursuite d'un homme – avatar de monsieur Teste, ou avatar du narrateur de Toussaint, dans sa baignoire – qui a tout pensé, qui est allé au-delà de la pensée, et qui souffre et restreint la pensée à son minimum vital. Écrivain déchu donc, oublié dans son bistrot, qui un jour reçoit une invitation, pour en Espagne visiter et écrire sur une région marginale – tout comme lui l'est, relégué et marginal – où il ira au bout d'une enquête absurde, qui a tué le dernier loup de la région – enquête qui lui sera tombée sur le pied sans qu'il l'ait choisie, dévidée, comme cette longue phrase, ce dernier loup, cette pensée acculée, traquée. Je ne savais pas, à la fin, ce que je pensais de ce texte ; je pensais aux films de Béla Tarr qui, souvent, sont des adaptations de textes de Krasznahorkai, et je pensais aux films noirs, lents, haletants, trop denses de Tarr, je me demandais si je serais un jour capable de mettre des mots sur ma répulsion instinctive pour ce texte et pour ces films, que pourtant j'aime. Yann Andréa Steiner, Marguerite Duras - Spoiler:
À ce jour, le texte le plus disparate et le plus incompréhensible que j'aie lu de Duras – on dirait une sorte de patchwork de plein de textes, des petits morceaux de tel scénario de film, un personnage, celui de Théodora Katz, qui hante, un homme plus jeune, puis d'un coup l'on se trouve déporté sur une plage, en compagnie d'un enfant aux yeux gris et d'une jeune fille, juifs tous les deux et survivants. Je ne sais pas ce qu'a voulu pleurer Duras dans ce texte, les enfants juifs ? elle le dit elle-même, rien ne viendra jamais combler cette douleur, et elle s'en sent garante ; et personne jamais n'oubliera l'enfant aux yeux gris, et elle s'en sent garante. Il y a de belles et curieuses pages où la jeune fille, sur la plage, raconte une histoire merveilleuse à l'enfant (un requin, un petit David, une Source sur une île et des animaux qui parlent) – et on retrouve ce don que sont les histoires qu'on raconte aux enfants, pour les aider à grandir, pour les consoler. Je crois que désormais, lorsque je raconterait une histoire à un·e enfant, j'aurai à l'intérieur de moi cette jeune fille-là, et cette histoire-là, et cet enfant-là, réunis par le plaisir de la fiction. Donc, des passages un peu too-much, comme cela peut arriver avec Duras, et d'autres d'une beauté et d'une justesse absolues. Pour moi, c'était étonnant, tant j'avais pris l'habitude de considérer que Duras marchait toujours sur une corde raide entre le trop et le parfait – car c'est là peut-être l'un des dangers des plus belles écritures expérimentales –, et qu'elle tombait d'un côté ou de l'autre d'un texte à l'autre. Et dans ce texte, elle oscille un peu toujours...
|
| | | Invité / Invité Ven 15 Jan 2021 - 23:27 | |
| Le détail du monde, sous-titré : L'art perdu de la description de la nature, de Romain Bertrand
"Ce n’est pas que l’homme comptait peu : c’est que tout comptait infiniment."
Ce livre retrace l'évolution des manières de dire le monde vivant. Il part du début du XIXe siècle, à une époque où l'écriture de l'histoire naturelle, menée par Goethe et Humboldt, ne distinguait pas les êtres, quels qu'ils soient. Il pointe ensuite le paradoxe que leurs successeurs, pourtant des naturalistes passionnés (Wallace, Darwin, Albert Ier) fondaient leur science sur des « monceaux de cadavres » (collection d'insectes épinglés, trophées de chasse...). L'auteur résume cela par une image : "l'entaille du monde", qui aurait abîmé notre façon de décrire celui-ci, et il prône un nécessaire retour à la surface des choses. Il passe ensuite par Ponge, Camus et Sartre, confrontant leurs rapports respectifs aux choses de la nature et au sens à y donner. L'auteur fait un bon gros tacle à Sartre, en citant un passage de La Nausée dans lequel celui-ci décrit un monde sans forme en dehors de l'humain, et démontant cette posture. Plein de choses encore, comme l'évocation des premiers sociologues et de leur passé de naturalistes. Si on peut considérer que le livre n'est pas forcément exhaustif (plein d'auteur·ices auraient pu y trouver leur place !), j'ai vraiment trouvé l'approche très originale et le livre bien écrit. |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Sam 16 Jan 2021 - 1:45 | |
| Ça a l'air très intéressant ! Depuis la dernière fois : Roman policier, Imre Kertész, trad. du hongrois Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba - Spoiler:
Kertész s'explique dès la préface : Roman policier est un texte écrit dans l'urgence, l'urgence éditoriale, en deux semaines – il lui fallait compléter un texte plus ambitieux, jugé trop court pour être publié en volume par son éditeur. Et c'est une chose à quoi il n'est pas habitué, lui le ruminant, écrire dans l'urgence. Je ne sais pas ce qui m'a menée, cette année, à tant lire Kertész. Pourquoi je m'obstine contre les parois d'une œuvre qui me résiste. Ce que je sens, dans cette écriture dense, spéculaire – voilà, je mets des mots, je ne sais déjà plus s'ils sont adaptés – et qui m'échappe, j'ai tout de même envie, un jour, de parvenir à m'y accrocher. Roman policier, c'est la transposition en Amérique du Sud – censure oblige – d'un témoignage de policier – la police du pouvoir dans les dictatures, celle dont les missions n'ont rien de très glorieux, celle aussi qu'on exécute dès lors que le vent ou l'opinion tourne –, naïf – il se qualifie sans cesse lui-même de "Bleu" –, pris dans une affaire qui graduellement lui échappe, et dont il tente de reconstituer la logique dans la cellule qui l'enferme avant son propre procès, sa propre condamnation à mort. S'intercalent, curieux écho, les pages du journal intime du jeune homme qu'il a contribué à faire mourir, un jeune révolté, incapable de compromission. On retrouve les thèmes chers à Kertész : vivre n'est valable, pour certaines âmes, qu'à condition de regarder droit son destin. Et c'est cette chose qui m'échappe, le plus souvent, chez cet auteur : c'est quoi, le destin ? pourquoi cela ne m'est-il pas palpable ? parce que je n'ai pas vécu en dictature ? parce que je n'ai pas été soumise à des lois contraires à l'humanité ? je ne sais pas. Je ne peux pas dire que je n'aime pas l'écriture de Kertész – mais quelque chose continue de m'échapper. Les Sept fous, Roberto Arlt, trad. de l'espagnol (Argentine) Isabelle et Charles Berman - Spoiler:
Moi, je connaissais surtout Arlt, écrivain argentin mort jeune, parce qu'il a beaucoup inspiré Bolaño. Et c'est rigolo, parce que lui-même puise dans l'écriture de Dostoïevski – verrait-on le pont entre Dostoïevski et Bolaño ? –, à tel point que Les Sept Fous semble un remake de Crime et Châtiment... mais autrement. D'abord amoindri. Le meurtre, qui plonge Erdosain dans l'errance, la folie et l'angoisse, n'est pas encore perpétré – l'est-il seulement un jour ? on plonge sans cesse dans la conscience altérée du héros, angoissée, visqueuse et noire ; tourbillonnante. La ville, qu'il parcourt, est gluante sous ses pas. Les personnages sont tous laids : ils ont des têtes de poissons, ou de grenouilles. Les tables collent. Les gens se mentent, ou ont des visions divines. Un homme plus étrange encore qu'Erdosain fomente un projet de société révolutionnaire et dictatoriale – partout grondent les fascismes du XXe siècle, avant l'heure – projet auquel on ne croit jamais vraiment. Il y a un deuxième tome, que je dois aller acheter ! La Petite dernière, Fatima Daas - Spoiler:
Il est très difficile de noter ce texte avec honnêteté ; si j'écoutais mon petit cœur, la note serait supérieure (j'ai mis 6/10 sur senscritique) ! Mais cela reste un premier texte publié, pour une jeune autrice ; le procédé formel s'épuise vite – répétitions des différentes parties de l'identité assignée, comme un mantra, au début de tous les chapitres ; sorte de prose vers-libriste, découpée et aérée. Fatima Daas compose entre sa foi, sa religion musulmane, les attentes de sa famille et la découverte puis la gestion de son lesbianisme. Il y a de très belles scènes, et notamment, je crois, l'écriture du silence – la jeune femme garde tout en elle, on a de multiples scènes où l'interlocutrice lui demande d'en dire plus, de s'ouvrir. Aussi une jolie manière de nous donner à entendre la langue de ses parents : dans leur bouche, puis par les prières, scandées dans le texte. J'ai bien aimé aussi qu'on n'ait pas affaire à un texte manichéen ; l'identité est vécue comme problématique, on cherche à se tourner vers toutes sortes d'autorités – la psy, les femmes plus âgées et musulmanes, l'imam enfin, et les textes religieux. On ne cherche pas nécessairement à choisir entre religion et orientation sexuelle : les deux sont en tension, le demeurent. J'ai beaucoup pleuré. Le lesbianisme, le silence, l'idée d'être, depuis l'intérieur de soi, déchue ; l'écriture pour en sortir aussi. Tout ça me touche. Il y a une très belle page sur la manière dont, lorsqu'on pratique une écriture autobiographique, on gère le rapport à "écrire sur d'autres" : leur demander leur autorisation ? leur faire lire le texte ? Ernaux est citée. Je ne sais pas, moi non plus, que faire de l'accord des autres, capturé·es, dans mon écriture. Un monsieur, sur twitter, se demandait si Fatima Daas deviendrait une écrivaine, ou si elle resterait dans le témoignage. Je ne sais plus si ces questions sont pertinentes. Je ne sais plus qu'en penser. Je ne sais même pas que dire d'un 6 quand c'est un livre qui nous a touchée en plein cœur, avec tous ses défauts, sa fabrique jeune et ses coutures visibles.
|
| | Nombre de messages : 142 Âge : 43 Date d'inscription : 06/01/2021 | Mickael13 / Barge de Radetzky Dim 17 Jan 2021 - 10:29 | |
| Je ne suis pas sûr de poster dans le bon sujet, mais la navigation sur le forum par tel, j'y arrive moins bien.
J'ai envie de lire un roman d'amour moderne : écrit dans les 18 à 24 derniers mois, qui se déroule à notre époque. Je n'ai apriori pas de préférence pour un auteur français ou étranger. Par contre j'exclue d'avance le trio Levy / Musso / Bussy. Je veux quelque chose de plus sérieux.
Merci d'avance pour vos conseils ! |
| | | Invité / Invité Mar 23 Fév 2021 - 12:00 | |
| Finalement à l'occasion d'une nuit d'insomnie je me suis plongé dans le Jeu des Perles de Verre d'Herman Hesse, et je le trouve pas mal. Il m'évoque certaines lectures bien fucked upées et rudes comme W ou le souvenir d'enfance ( ). En fait ce qui fait que le roman de Hesse est perçu comme difficile d'accès dans plein de commentaires c'est certainement parce qu'il parle tout le long du jeu de perles de verre sans jamais le définir... Donc forcément si on lit le bouquin intrigué en voulant absolument savoir ce que c'est on pète un câble au bout de 40 pages. Mais comme je m'étais renseigné sur ce livre avant de le commencer et que je savais que le jeu n'est jamais défini j'ai pu dégager mon horizon d'attente de cette question et profiter un peu mieux du récit que quelqu'un qui n'aurait pas été mis au jus ! C'est vraiment le genre de livre pour lesquels il faut se documenter avant sinon c'est le calvaire je pense. Édit : effectivement Mickael13 ici les gens viennent plutôt partager des retours de leurs lectures et ne cherchent pas nécessairement à répondre aux précédents même si des bouts de conversations apparaissent... Par contre il y a quelque mois il me semble avoir créé un topic "Avez vous déjà lu ?" où on peut effectivement inverser les choses comme tu le fais : demander directement si les gens ont déjà lu un livre en particulier ou si ils connaissent une référence qui se rapproche d'un souhait particulier. Cherche dans les topics que j'ai ouverts sur mon profil. |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mar 23 Fév 2021 - 18:42 | |
| Depuis la dernière fois (mi-janvier, donc, j'ai un peu tardé, désolée pour l'effet masse) : Un hamster à l'école, Nathalie Quintane, 2021. - Spoiler:
Nathalie Quintane, tu sais que son dernier livre sort, et c'est comme un plaisir coupable ; tu files à la librairie, en douce, tu l'achètes et le lis aussitôt. Depuis la mort de son éditeur, P.O.L., elle se frotte à la Fabrique, maison d'édition de la gauche essayiste, et écrit des textes un peu moins finis, qui sentent souvent la hâte, l'absence de cadrage... Mais Un hamster à l'école, pour une ex-prof, c'est savoureux – et très drôle ! ce sont de très courts chapitres qui chacun immobilisent un moment, un état : moment de classe, moment de conseil de classe, moment de masques en classe, moment de réunion syndicale, moment d'oral de concours... Quintane a toujours été dans l'EN, élève, puis étudiante, puis prof ; sur des petits rails et en "hamster" : la visiteuse un brin désabusée, qui contourne les mondanités de salle des profs, politisée mais pas trop non plus. Étant très sensible à son humour, j'ai souri tout le temps ; et puis il faut avouer qu'il y a de très beaux moments d'écriture, comme cette scène de nage / inspiration d'écriture (le titre qui vous vient entre deux brasses). A 55:25, voir la lecture très intéressante qu'en fait Tanneur Quarante-Cinq dans cette vidéo : ici Analyse de la structure versifiée, rythmique ; de la construction en chants et de la référence à l'Odyssée (je pressens toujours combien l'écriture de Quintane est rythmée, mais j'ai souvent du mal à l'expliquer : là, c'est parfaitement fait !) Le musée des redditions sans condition, Dubravka Ugrešić, trad. Mireille Robin, 2004. - Spoiler:
Pour lire quelques pages, ici. J'ai un peu pensé à La vie mode d'emploi en lisant ce livre ; il est, comme chez Perec, construit en puzzle où les pièces se réorganisent peu à peu (j'ai dû en rater pas mal). Il y a ces fils à tirer : la mémoire, constituée de détails, et qu'on arrange en récit, pour ne pas oublier – on est une sorte de musée ambulant, rappelle un personnage. L'Europe disloquée, et réarrangée au fil des guerres, et des paix – et les peuples venus de pays qui n'existent plus. L'expérience de l'exil, la nostalgie, les langues et l'identité. Peut-être des thèmes relativement courants, je ne sais pas ; Ugrešić, autrice croate, tisse ses réflexions d'autres voix : Sontag la photographe l'aide à développer sa poétique de l'album de famille (réflexions passionnantes sur les pratiques artistiques amateures, et ce qu'elles touchent en nous de profond) ; Brosky l'accompagne sur les routes de la mémoire. Ce livre m'a éblouie ; j'ai été étonnée que la réception d'Ugrešić en France soit si... modeste ? ce livre a été traduit il y a plus de 15 ans. Je soupçonne toujours la double influence "identité de genre" + "aire linguistique mineure" de jouer son mauvais rôle de halo déformant ; sinon comment comprendre que ce chef-d'œuvre n'ait pas encore acquis son statut de classique mondial... je ne sais pas. Je serai en tout cas longtemps poursuivie, je crois, par ces questions de mémoire. Les Vacances de Camille, Henry Murger, 1857. - Spoiler:
Dans tout roman de la bohème, tu trouveras une scène de duel, celui-là n'échappe pas à la règle ! Sinon, j'ai trouvé une édition de 1859 de ce roman de 1857, chez Boulinier pour 3€, et ma bibliophilie en était toute contente – ça n'a pas joué qu'à moitié dans le plaisir de lecture. Murger, je le connaissais comme auteur des Scènes de la vie de bohème, dernier de ses romans à être pris en charge par l'édition contemporaine, et qui contribua à cristalliser l'image de la bohème artiste du XIXe siècle. Murger était pote avec tout ce qui comptait de gratin de l'époque – Champfleury, à qui est dédié le texte, les frères Goncourt, Nadar... issu des sphères réalistes – d'ailleurs, ces Vacances appartiennent à son cycle des Scènes de la vie réelle – il maquille à peine, dans ses romans, le quotidien de jeunes artistes désargentés, précaires, aux amours libres – la fameuse compagnie des lorettes, et c'est rigolo pour moi qui vit juste à côté de l'église qui leur donna leur nom – et vivant à des hauteurs insoupçonnées. On a des intrigues amoureuses : Camille est, c'est suffisamment rare pour faire tout le sel du roman, une maîtresse vertueuse, pas coquette pour un sou, et très jolie. Quand son amant, lâche et aristo, doit la quitter après 4 ans de bonheur quasi-conjugal pour se marier à une autre aristocrate, Camille se trouve mêlée à tout un tas de consolateurs sans arrière-pensée et... vivra qui verra. Théodore, jeune "rapin", peintre sous-payé et de talent, voisin de Camille, croisera sa route, et vivra qui verra. L'intrigue est légère, un peu vaudevillesque, ça se lit d'une traite et finalement, la couche réaliste n'est pas déplaisante. Un peu trop de goût pour les formules et les bons mots, et le trait moraliste facile, mais bon. Le Travail de la viande, Liliane Giraudon, 2019. - Spoiler:
Liliane Giraudon explique, en 4e de couverture, que Le travail de la viande – de la poésie ou autre chose ? – est un recueil de textes qui, tous, dialoguent avec d'autres écrivains, d'autres textes. On a, en ouverture, ce très beau dialogue scénique avec le conte populaire de la jeune fille aux mains coupées – ou cette lettre à Reverdy, à qui elle doit tant – ou encore, ces pages sur la découverte de la littérature via Maeterlinck, Nerval et Rimbaud – ou encore, cette splendide lettre à Meyerhold sous la forme d'un vers libre très découpé – ou encore, cette méditation sur la vieillesse et le lieu commun, avec seulement des bouts de phrase pris à Bessette. J'entends parler de cette poétesse depuis un petit moment, et surtout, lors du festival Extra! 2020, j'ai eu l'occasion de l'entendre lire sa propre "lettre à une jeune poétesse", qui m'avait, parmi les 9 autres lettres lues par des poétesses, bouleversée, cueillie au cœur. Alors j'étais contente de pouvoir lire ce "travail de la viande" – la poésie, comme découpe des mains ? ou les charognes qui se promènent, les corps découpés, faisant entre les textes un liant diaphane ? Chose drôle : j'ai saisi le recueil sur l'étagère, et ai été comme happée. Je l'ai lu dans la journée, presque d'un trait Une armée d'amants, Juliana Spahr et David Buuck, trad. Philippe Aigrain, 2013. - Spoiler:
J'avais commandé ce bouquin juste après avoir lu, dans le numéro de Nioques consacré à la jeune poésie américaine (paru en 2020), un long poème de David Buuck sur les rapports entre poésie et politique ; j'avais trouvé sa position originale, un peu vivifiante. Une armée d'amants est un livre co-écrit, qui met en scène, justement, deux "poètes médiocres", Panda Dément et Koki, qui tentent de trouver une idée de projet poétique mutuel à partir d'une parcelle de territoire, celle qui sépare leurs deux villes. Bon, spoiler, ces poètes sont médiocres et échouent à trouver une idée, mais c'est le texte qui finit par se renverser et à devenir poésie : la parcelle, le dernier jour de l'été, se renverse et bascule dans le fantastique, devient habitée. Ensuite, de nombreux fragments, comme autant de nouvelles qui toutes mettent en scène ces jeunes poètes, dans la réalité matérielle qui est la leur aux USA : souvent embringués dans l'université, donnant des cours d'écriture créative, se promenant de lecture publique en lecture publique, se rencontrant pour fantasmer leur apport à la politique dans une société où les inégalités se creusent... vraiment pas mal ! L'Année de la pensée magique, Joan Didion, trad. Pierre Demarty, 2007. - Spoiler:
Joan Didion écrit ce "journal de deuil" après la mort brusque de son mari, John Gregory Dunne, lui aussi écrivain. Elle écrit ces moments de "pensée magique", où le mode de pensée rationnelle cède face à la montée d'espoirs de retour, de réversibilité. C'est une très belle écriture du deuil – mais qui aurait mérité un retravail éditorial plus poussé : on s'en fiche un peu, des récits de mondanités, de la profusion de détails autobiographiques qui ne peuvent pas vraiment intéresser la personne qui lit... à moins qu'ils ne signalent qu'en temps de "pensée magique", ces mêmes détails dérisoires sont autant de petites prises à saisir pour ne pas complètement dériver ? Il y a de très belles pages sur le soi "friable" de l'endeuillé·e ; sur le dialogue permanent interrompu ; sur l'impossibilité de donner sens aux jours. Tout ce que je dis là semble très banal, mais justement, ce n'est pas une écriture banale. Désirer comme un homme, Florian Vörös, 2020. - Spoiler:
Issu des recherches doctorales de Florian Vörös, ce livre se veut une exploration sociologique des rapports qu'entretiennent des hommes (blancs, classe moyenne, certains hétéros et d'autres homos, comme l'auteur) avec la pornographie numérique : quelle consommation, dans quel cadre, quelles discussions et avec qui (en ligne, avec des ami·es ? rarement avec la conjointe), quel rapport aux aspects de domination problématiques, quels discours (racistes, sexistes, homophobes)... Vörös tient à rappeler, à rebours du discours médiatique, qu'il n'y a pas de lien de causalité direct entre les représentations pornographiques et les pratiques sexuelles à plusieurs des hommes interrogés (sexe à plusieurs à opposer à "l'autosexualité" ici interrogée) ; mais aussi à rappeler que la fabrique des fantasmes n'a rien de naturel, qu'elle est embourbée dans des rapports de domination plus globaux (le fantasme, pour les gays, de l'arabe viril ou du noir bien membré ; le fantasme, pour les hétéros, des filles de l'Est soumises et insatiables). J'ai beaucoup aimé la démarche sociologique : s'inclure comme sujet dans la démarche (assumer sa propre position, de jeune homme blanc cadre homo, et ce qu'elle provoque chez ses interrogés ; assumer aussi, quelquefois, ses affects face à la violence de certains propos tenus, et la difficulté à tenir une position d'écoute bienveillante). J'ai été un peu plus déprimée par ce constat que les hommes, en position dominante, choisissent le plus souvent de ne pas affronter les ressorts de leurs fantasmes ou leur position de genre ; et même, puisque ces interrogés ont fait des études longues, qu'ils tendent à teinter de scientisme (donc d'une justification rationnelle quoiqu'erronée) la justification de leurs préjugés ; déprimée parce que, homosocialité oblige, je ne fréquente pas tellement ces gens-là, mais davantage des hommes artistes / intellectuels qui sont davantage acquis aux discours et réflexions féministes / décoloniales. On n'est pas sorti·es des ronces, malgré la conclusion optimiste du jeune chercheur. Sinon, bouquin très, très accessible, qui donne plein d'idées de lectures plus théoriques (la bibliographie est impressionnante). Ce que je ne veux pas savoir, Deborah Levy, trad. Céline Leroy, 2014. + Le Coût de la vie, idem, 2018. - Spoiler:
Dans son entreprise autobiographique – donc ce commentaire vaudra également pour le deuxième tome, ci-dessous –, Deborah Levy prend des journées, zoome dessus, et agrandit le tout. La journée du bonhomme de neige ; la journée du retour du père ; la journée des abeilles et du pub anglais (etc). Et chacune de ces journées constitue une petite bombe mémorielle et signifiante, prête à exploser. Des images du quotidien (la Deborah ado qui nettoie la machine à laver, où les abeilles se sont réfugiées ; qui écrit sur des serviettes en papier, dans un pub miteux ; etc), mais d'un quotidien qui bruisse, puisqu'il est aussi tissé à d'autres voix – celles d'autres autrices, comme Duras, par exemple. Je commence à remarquer, petit à petit, une constante dans les écritures diaristiques féminines des dernières décennies : cette habitude d'écrire, non pas seule sujet, mais centre d'une vaste constellations de penseurs et de penseuses, d'écrivaines, non pas sur le mode de la vénération (donc de la hiérarchie), mais sur celui, horizontal, du compagnonnage. J'ai vu ça chez Maggie Nelson, chez Nancy Huston, chez Siri Hustdvet, chez Joan Didion, chez Dubravka Ugresic... j'ai toujours l'image des conseillères d'Obama, qui se relayaient la parole dans les réunions où les hommes avaient tendance à la leur couper. Je trouve profondément belle cette manière d'aller contre les logiques d'invisibilisation, qui demeurent violentes aujourd'hui : faire bruisser son texte de voix amies, compagnes et estimées. Se montrer non comme centre du monde, mais comme redevable d'autres mondes, qu'ils nous précèdent ou nous voisinent. Alors Deborah Levy n'est sans doute pas une grande styliste – pas comme Maggie Nelson ou Dubravka Ugrešić, par exemple – mais elle possède une intelligence des situations et du tissage... son enfance en Afrique du Sud, enfance politique malgré soi, puis son adolescence d'exilée en Grande-Bretagne, sont deux moments d'une vie qui m'ont aussi donné envie d'écrire ; et j'ai trouvé précieux ce passage de relai. Journal de la création, Nancy Huston, 1990. - Spoiler:
Très beau principe de texte : Journal de la création mêle deux fils ; le journal de grossesse, dûment daté, de l'autrice (qui s'adresse régulièrement à l'enfant qu'elle porte et crée) et une exploration de couples d'artistes, et du rôle tenu par la femme dans chacun de ces couples (couple Beauvoir -Sartre, couple Fitzgerald, couple Bataille-Peignot, couple Hugues-Plath...). Elle prend au mot la métaphore qui fait de l'engendrement d'une œuvre littéraire, l'engendrement d'un être, et montre comment ces deux dimensions de la création, loin d'être exclusives comme le proclame une certaine mythologie littéraire, se nourrissent réciproquement. Les couples qu'elle traverse, avec qui elles naviguent, montrent, le plus souvent, une femme mutilée aux prises avec un compagnon pour qui la création reste un rôle masculin, l'entretien ménager du couple, féminin. C'était un peu déprimant, en ce sens, mais aussi consolateur, du fait de la troisième voie explorée par le couple Huston-Todorov. Encyclopédie de la domination masculine, Andréa-Fatima Touam, 2020. - Spoiler:
En vers libre, Andréa-Fatima Touam explore ; elle explore les sommaires de revue, les directeurs de théâtres et d'opéras, elle explore un à un tous ces secteurs de la vie culturelle où, en 2020 encore, les hommes dominent. Elle fait des listes et utilise un procédé typographique ; en gras les noms de femmes, et d'une encre estompée les noms d'hommes ; et dans cette petite navigation par chapitres, elle fait part du désarroi qui est le sien. C'est drôle, parce que je me prête, comme elle, plus qu'à mon tour à ce petit exercice, et pourtant, fait par une autre, ça a encore réussi à me donner des frissons de tristesse. On n'arrête donc jamais d'être surprise La Femme qui tremble, Siri Hustvedt, trad., Christine Le Bœuf, 2013. - Spoiler:
Siri Hustvedt écrit ici un essai, formidablement documenté, à partir d'une expérience personnelle : peu après la mort de son père, lorsqu'elle doit prendre la parole en public pour lui rendre hommage, tout son corps est pris de violente convulsions. Comment s'approprier, devenir cette femme qui tremble (et tremblera à intervalles réguliers) ? D'abord, mettre en tension les diverses sciences du cerveau : psychanalyse, psychiatrie et neurologie. Ensuite, se promener dans leur histoire longue – quid de Freud, de l'hystérie et de ses résurgences contemporaines ? ; enfin, montrer combien incertaines peuvent être les sciences quand elles touchent à des phénomènes qui existent à la frontière entre corps et esprit (frontière interrogée, évidemment, ici, sans être tout à fait effacée). Hustvedt travaille avec des patients atteints de maladies psychiatriques, les fait écrire : la narration, c'est prendre le contrôle, qu'il soit ou non réflexif, sur sa mémoire et sa vie. Et c'est bien ce qu'elle fait ici. J'ai trouvé formidable cette manière de nous montrer une pensée, non déjà toute faite, mais à l'œuvre, dans sa temporalité ; ancrée profondément dans la vie quotidienne (chose qu'on trouve déjà chez Woolf) ; hésitante, et sans jugement définitif. Vraiment, c'est un exemple inspirant. Moi, l'interdite, Ananda Devi, 2000. - Spoiler:
Ananda Devi est une autrice mauricienne d'expression française. Au premier abord, et alors même que Tanneur Quarante-Cinq parle si souvent d'Ananda Devi sur sa chaîne, je n'ai pas été convaincue par son écriture ; trop... trop lyrique, trop pleine de tournures de phrases faciles... et puis en fait, parfois, il ne faut pas s'arrêter à la micro-textualité, parce que dans ce texte, il se passe autre chose : on a l'histoire d'une jeune mauricienne née avec un bec de lièvre, conçue comme monstre et porteuse de malheur, que sa famille rejette – et qui pourtant rêve d'amour... et c'est cette conscience bloquée dans un corps violenté qui se débat, trop sensible, avec la pourriture humaine – et trouve dans un chien le meilleur des compagnons. Surtout, ce qui m'a frappée, c'est l'immense violence reçue par le corps, retournée en violence immense, haine du monde des êtres humains. Forme d'antispécisme, ou en tout cas d'invitation à décaler le regard. Intrigant, du coup j'ai acheté Manger l'autre, paru chez Zulma cette année. Professeurs de désespoir, Nancy Huston, 2005. - Spoiler:
Nancy Huston explore dans cet essai très libre dans sa forme, les "professeurs de désespoir" – ou les écrivains, penseurs nihilistes de l'Europe du XXe siècle. On croise Bernhard, Beckett, Cioran, Jelinek, Kundera, Houellebecq ou Linda Lê. Elle leur oppose son regard de femme toujours liée, de par son corps, aux autres êtres humains – et Déesse Suzy, une curieuse adjuvante avec qui elle entre en dialogue, et qu'elle emprunte (pour la resignifier !) à Thomas Bernhard, qui affirme (puisque, comme tous les professeurs de désespoir, il est puissamment misogyne) qu'on n'irait pas dans une église vénérer une déesse Suzy. Les professeurs de désespoir ont beaucoup de points communs : ils vénèrent Schopenhauer, ont la vie en haine (et donc la génération, et donc les mères, et donc les femmes), pensent que tout est dénué de sens et... ont tous eu une enfance très contrariée (ahah, la psychanalyse). J'ai aimé la manière dont Huston rend justice, malgré les charges retenues, à ces œuvres, en les citant largement et en déclarant en aimer certaines ; la manière dont elle se promène, grâce au fil narratif, en leur sein ; j'ai moins aimé l'essentialisme qui sous-tend son propos, et que j'avais déjà remarqué dans Journal de la création. On peut tenir les mêmes propos qu'elles, sans supposer que les rôles sociaux décrits tiendraient aux conformations physiques des êtres, mâles et femelles... parce qu'en restant dans son propos, on a du mal à concevoir la sexualité non-reproductive, l'homosexualité ou un père qui nourrirait son tout petit. Vous pourrez, dans ce très chouette fil de Cronopioos, lire des extraits.
|
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 8 Mar 2021 - 11:47 | |
| Je continue... donc depuis le 23 février. La Lectrice est mortelle, Judith Schlanger, 2013. - Spoiler:
Judith Schlanger est universitaire ; son travail, c'est l'étude de la littérature. Ici, pas de côté : elle parlera d'expériences de lecture singulières ; la lectrice – c'est elle – est quelquefois traversée, au cours de sa vie, par des rencontres qui sont d'abord des textes. Elle part de la bibliothèque universitaire, où des années durant, déambulant, elle croise le chemin de livres marqués de la même étiquette, qui signale qu'ils sont du legs d'un couple de riches Juifs américains. Elle se plaît à imaginer ce couple, ce qui façonna leurs goûts ; les modes de l'époque, mais aussi des intérêts divers, répartis ; elle imagine les sections de la bibliothèque qu'elle ne parcourt jamais et qui peut-être, contiennent d'autres part d'intérêt d'elle ignorées. Et elle déambule, de chapitre en chapitre, la lectrice. Elle parcourt des œuvres qui ne que mineures, mais qui brillent en elle (elle m'a fait découvrir Dorothy Richardson, inventrice du flux de conscience !) ; elle parcourt les monstres créés par la mémoire – ce faux souvenir de lecture, adolescente, elle transformant un long et périlleux poème en quelque chose qu'il n'est pas ; et le passage du temps, sur toutes les lectures qui nous ont forgé·es... mais surtout, elle dit – et c'est une parole trop rare parce que peut-être trop extrême – combien les lectures nous forment, nous changent et bouleversent. J'ai découvert ce merveilleux texte, qui longtemps me hantera (car tout est histoire de fantômes avec Judith Schlanger) grâce à une vidéo de graindelettres (je crois que c'est celle-ci) Les Quatrains de l'all inclusive, Rim Battal, 2021 - Spoiler:
Cadeau de mon libraire ! je me suis beaucoup posé de questions, en lisant ces quatrains. Ils sont écrits vite : la poétesse le dit, elle les a tapotés sur son téléphone, sur un transat, devant la piscine de la résidence bas de gamme "all inclusive" d'Espagne tandis que ses deux filles barbotaient dans l'eau. C'est une mère, elle n'a ni argent, ni temps, mais elle a un corps qui se délasse et une ironie mordante qui l'empêche de se délasser au tout premier degré. Donc elle écrit vite, elle tapote, des quatrains, sur ce corps de mère, sur les délices kitsch des vacances all inclusive, sur les normes sociales et la manière dont quelquefois l'on coule avec délices dans ces normes. Sur le plan strictement formel, ce sont des quatrains car poèmes de quatre strophes (elles-mêmes de longueur variable, vers libre) ; ce n'est pas l'écriture la plus aboutie – oh, loin de là – du champ poétique, mais c'est une écriture honnête et qui déclare ce qu'elle est : de l'all inclusive, mais avec distance critique. J'ai lu le recueil en une demie-heure, dans le rayon de soleil qui me tombait sur les genoux ; j'ai aimé cette demie-heure, je me suis également demandé, non sans cruauté, s'il valait la peine d'imprimer un recueil qui avait si vite été tapoté, qui peut-être aurait mieux trouvé place sur le web, lieu d'élection, avant de revenir en arrière et me dire : non, c'est ça précisément l'insolence, c'est de ne pas laisser les formalistes les rentiers ceux qui n'ont pas besoin de barboter dans l'eau chlorée des piscines pour écrire des poèmes, c'est de ne pas les laisser donc, truster les livres avec toute leur noblesse et tout le travail de refonte qu'ils supposent. J'ai aimé cette pensée. Toilettes pour femmes, Marilyn French, 1977, trad. Philippe Guilhon - Spoiler:
Ah, ce livre... encore une découverte faite via la chaîne youtube de graindelettres : ici. Il s'agit, le saviez-vous ? du second livre, après le Deuxième sexe, le plus traduit / lu / vendu dans le monde. Et je ne le savais pas, et vous non plus. Sommes-nous, nous les femmes, si maudites que nos plus grands classiques s'oublient en 2 ou 3 décennies ? l'invisibilisation, c'est ça, aussi. Ce livre est important pour le témoignage qu'il apporte de la condition des Américaines blanches de classe moyenne des années 50 à 70 ; mais il est important également sur le plan formel, et puisque nos critiques et nos universitaires semblent estimer que seule la forme importe, pourquoi ?... J'avoue que recevant le colis (livre d'occasion, plus édité depuis longtemps : on commence à avoir l'habitude !) j'ai grimacé, tant l'édition promet le roman de gare, mais non ! On a une étrange distribution de la parole, d'abord : "je", et Mira, la jeune femme puis femme dont on suivra la vie – et que "je" jugera, quelquefois, sans complaisance – évidemment, "je" et Mira étant les 2 faces d'une même pièce – donc, Mira, enfant américaine qui reçoit toutes les fausses promesses qu'on fait aux filles de son époque (qu'on fait encore aux filles de la mienne), c'est-à-dire qu'on leur prodigue la même éducation qu'à leurs pairs mâles, sous couvert d'universel, oui on vous estime, vous êtes bien humaines – et peu à peu, l'étau se resserre, à l'adolescence soudain l'espace public se dérobe, toute liberté est risque de viol, ou de ragots, et l'entrée dans l'âge adulte, le mariage vite consommé, l'arrêt des études parce qu'il faut bien l'assumer, ce ventre rebondi, et ce foyer qu'on astiquera, nous la femme trop éduquée, pendant des années... avant reprise des études à 40 ans, fraîchement divorcée, et doctorat, et poste dans une université minable, et vie de femme célibataire des années 70 – vieille folle. Mais surtout, et graindelettres le dit mieux que moi, ce qui est beau, c'est que ce n'est pas la vie de Mira : c'est la vie de Val, d'Isolde, de tant d'autres. Comme chez Wittig ou presque, le personnage est un collectif, "elles". Chœur de femmes qui toutes à des degrés divers sont rétamées par le même millénaire processus, celui du patriarcat : rétamées sur le plan économique, qu'elles se marient ou divorcent ; rétamées sur le plan sexuel, qu'on les viole ou leur refuse le plaisir ; rétamées sur le plan symbolique, par leurs profs... Le grand cahier, Agota Kristof, 1986. - Spoiler:
Agota Kristof appartient à la lignée, comme Beckett, de ceux qui écrivent en français qui n'est pour eux qu'une langue seconde – elle est d'origine hongroise, puis naturalisée suisse. Et elle trouve ici, avec le grand cahier, un subterfuge pour expliquer sa langue – une langue peu souple, hyper-correcte, ce genre de langue apprise à même les livres et qui ne rend pas le son fluide d'une langue pratiquée à l'oral auprès de natifs, bref, une langue extraite de son milieu et réduite à sa grammaire. Ceux qui écrivent ce texte, ce sont des jumeaux ; ils écrivent dans un grand cahier, depuis la langue qu'ils apprennent dans le dictionnaire, et se corrigent mutuellement. Ils n'ont pas le droit, eux qui vivent dans un monde de guerre, d'abandon et de misère, d'utiliser des tournures affectives ou modalisantes : rien que les faits. On ne dit pas ce qu'on pense des choses, on dit les choses. Ils racontent leur quotidien d'enfants précoces, occupés à pratiquer des exercices de dé-sensibilisation, dans le village où leur mère les a laissés à une grand-mère maltraitante croyant les soustraire aux dangers de la ville, en temps de guerre. Les enfants travaillent la terre, ils ramassent du bois, ils se fouettent l'un l'autre pour apprendre à supporter la douleur, ils aident autrui pourtant, et travaillent avec le dictionnaire. Cette écriture qu'on pourrait dire – alors qu'elle ne semble, à première vue, qu'assez classique – objectiviste est glaçante – ça, je pense que c'est presque un truisme de réception. On est glacé parce que tout est terrible mais que la langue, dans son dénuement, demeure factuelle. J'ai rarement vu si belle utilisation d'une contrainte – ici, le manque de souplesse de la langue utilisé pour produire des effets proprement littéraires. Le Livre des morts, Muriel Rukeyser, 1938, trad. Emmanuelle Pingault - Spoiler:
Je ne sais plus du tout dans quelle lecture précédente j'ai lu quelques vers splendides du Livre des morts. Rukeyser, poétesse juive américaine, militante pour les droits sociaux et féministes, applique ici la méthode objectiviste – avant l'heure ! – à un drame de son époque : les ouvriers noirs qu'on a envoyé creuser un tunnel sans protections, par appât du gain, et qui tous meurent, tombent comme des mouches, de la silicose. Elle se rend, avec une amie photographe (à l'origine le projet était de faire un livre poèmes-photo, mais ça n'a pas vu le jour : la belle édition française nous donne a voir quelques clichés de Nancy Naumburg), sur les lieux du drame. On entre dans le poème comme les colons entrèrent dans cette région de montagnes, de lacets abrupts et de sapins... puis la poétesse nous donne à entendre les voix, retravaillées par la versification. Voix des veuves, voix des militants impliqués dans le procès, voix des survivants qui se meurent – comment le capitalisme, ici raciste, tue des milliers d'hommes – comment l'entreprise assassine réalise son plus beau chiffre d'affaires cette année-là – et comment on n'y peut rien. Et ces voix sont mêlées d'extraits du Livre des morts égyptien ; où la lamentation, la plus antique, fait vibrer l'indignation de ceux qu'on a broyés dans les tunnels. C'est une langue poétique vraiment forte, complexe, mêlée de strates temporelles (les premiers poèmes, d'arrivée dans la montagne, qui juxtaposent le point de vue des premiers colons, celui de ceux qu'ils massacrèrent, celui des deux femmes... ça pète !). On pourra lire des extraits ici. Toits pointus, Dorothy Richardson, 1915, trad. Marcelle Sibon - Spoiler:
La chanson est toujours la même : si vous êtes une autrice, on ne vous éditera en traduction qu'une fois, puis on vous oubliera, si vous ne faîtes pas partie des 4 ou 5 autrices maximum du pays concerné qu'on daignera classiciser. C'est le sort de la merveilleuse Richardson, dont la série en 13 tomes Pilgrimage (Pèlerinage en traduction) n'a été traduite-éditée qu'une fois, et encore, seulement pour les 7 premiers tomes. Richardson invente pourtant le flux de conscience, qu'on attribuera ensuite à Woolf et Joyce. Et cette manière de faire tenir les personnages dans un flux de soleil, d'ombres et de lumières, permanent – cette hypersensibilité à l'environnement sensoriel, aussitôt retraduit en émotions, et cette dispersion anarchique de la pensée, sautant, se cabrant, allant son cours. Dans l'œuvre de Richardson, dont je n'ai donc lu pour l'instant que le premier tome (j'ai commandé les 3 suivants d'occasion, uniques exemplaires disponibles sur le web...), on suivra Miriam, alter-ego de l'autrice. À croire que la plupart des écrivaines anglaises de talent suivent le même cours : issue d'une famille de la haute, mais désargentée, la jeune Miriam reçoit une éducation humaniste solide, puis doit subvenir à ses besoins. Elle opte – c'est-à-dire que pour une jeune fille de la haute qui n'a pas les moyens du mariage, le choix est restreint – pour l'enseignement, et la voilà transportée dans une école de jeunes filles en Allemagne, où elle suit ses 4 élèves allemandes (il y a quelques anglaises aussi dans le pensionnat), cause avec elles dans sa langue, joue de la musique, raccommode, boit du chocolat et se promène dans la campagne environnante. Ce n'est pas un métier rigoureux ; on apprend les langues en causant, et finalement, Miriam peut poursuivre son éducation, notamment musicale. Ce qui m'a bouleversée ? on est ici dans un pensionnat de jeunes filles; il n'y a que des personnages féminins et, regard féminin oblige, tout est digne d'intérêt de la vie qui se mène là, et tout est grand, jusqu'aux différences nationales dans le choix des robes. On n'a pas besoin d'hommes pour jouer de la musique, lire de la poésie, pour exister avec toute la densité du jeune âge. Aussi, de très belles pages sur la souffrance engendrée par le mépris des hommes pour nos intelligences et nos âmes, quand Miriam constate que les profs allemands ne les considèrent pas, les méprisent, au contraire des profs anglais qui les avaient considérées en égales. Extraits ici
J'ai commencé Les Lances-flammes, deuxième tome des Sept fous de Roberto Arlt, et en parallèle je lis les œuvres complètes de Jack Spicer dans la traduction d'Éric Suchère, Élégies imaginaires, et c'est merveilleux |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Dim 21 Mar 2021 - 14:08 | |
| Suis-je la seule à poster ici ? quelle tristesse ! mais donc, depuis le 10/03. Passion simple, Annie Ernaux, 1992. - Spoiler:
Je pensais avoir déjà découvert quatre "manières" différentes d'Annie Ernaux – écriture plate, écriture proustienne / méta, écriture post-surréaliste-célinienne (merci Rhoda), écriture conceptuelle/objectiviste –, et comme toujours, on se laisse surprendre parce qu'il en existe d'autres encore. Ici, c'est la passion – la sienne, mais dans ce qu'elle a de commun – on pense à Barthes, on pense aux fragments de discours amoureux. Ernaux explore, de manière décousue – car la passion, c'est un présent constant troué de brusques joies, et de périodes d'attente, qui sont toutes les mêmes – ces deux années ; et les pensées de la passion – cette manière d'être dépossédé·e de soi, extrait·e du monde –, et les gestes, matériels, de la passion – préparer les rendez-vous, acheter une tenue, acheter des alcools, faire l'amour – et le souvenir de la passion – puisqu'elle explore l'écriture dans un après qui commence deux mois après le départ de l'homme aimé, et la prolonge longtemps. Ce que je retrouve et que j'aimais déjà : l'extraordinaire précision de l'écriture, dont la limpidité effraie et touche juste ; les réflexions, nombreuses, sur l'éthique de l'écriture de soi, et sur les temporalités qu'elle suppose – celle du vécu, celle de l'écriture, et la relative liberté dont on dispose pour organiser ce temps de l'écriture. Il y a de très belles pages sur le retour à l'écriture, alors que le manuscrit reposait depuis longtemps, parce qu'il est revenu, une fois unique, et que cela fait partie de la passion, et donc qu'on doit l'écrire ; sur ce qu'on a ou non le droit d'écrire quand l'écriture implique une autre personne, et un secret (l'homme est marié, adultérin). J'ai aussi pensé à L'Année de la pensée magique, de Joan Didion ; Ernaux s'attarde longuement sur les pensées jalouses, superstitieuses, obsessionnelles et finalement, irrationnelles, qui se développent dans l'espace de la passion. Ma vie avec Virginia, Leonard Woolf, trad. Micha Venaille, 2016. - Spoiler:
Leonard Woolf, à la fin de sa vie et longtemps après la mort de son épouse, entreprend de rédiger son autobiographie ; le montage éditoriale, ici, sélectionne les passages de cette autobiographie qui mentionnent la rencontre avec Virginia, la vie avec elle, puis son décès. Leonard sait écrire ; il m'a émue parce que pour un homme de cette époque, engagé en politique, il s'occupe énormément de son épouse et de sa maladie ; il ne l'envisage jamais comme une charge, mais comme un génie à qui l'on doit permettre, par des soins constants, d'écrire. À l'époque, la bipolarité était mal connue, mais Leonard lisait beaucoup de psychiatrie et avait mieux diagnostiqué son épouse que les quatre spécialistes renommé·es chez qui il l'emmenait. On voit Virginia au travail, dans les aspects les plus matériels de ce que cela implique : quelle table, à quelle heure et combien de temps, quels rituels d'accompagnement – les longues marches. Et quel lien entre maladie psychiatrique et créativité, aussi – ces oiseaux qui chantent grec lors d'une hallucination, repris dans Les Vagues. J'ai trouvé passionnants les passages consacrés à la Hogarth Press, leur imprimerie / maison d'édition, parce qu'on y voit à l'œuvre les dimensions matérielles du monde du livre, mais surtout l'importance de ce centre pour permettre l'émergence d'une constellation de textes dont la cohérence intellectuelle impressionne – les textes de Woolf, mais aussi la traduction des œuvres complètes de Freud, la poésie de T.S. Eliot... Culture geek, David Peyron, 2013. - Spoiler:
David Peyron m'a permis de comprendre plus finement ce que recouvrait le terme de "culture geek" (à distinguer de la culture numérique, et de la culture web), moi qui butais depuis longtemps sur la qualification d'un type de rapport aux objets culturels qui se mettait en place sur le forum d'écriture que j'étudie. J'en retiens plusieurs choses : une étymologie (le geek, c'est l'enfant sauvage qui déchire le cou du poulet avec les dents dans les foires de monstres du 19e siècle : monstre, mais monstre de seconde zone, et vorace) ; une généalogie (des pulps et serials américains, à la création des super-héros comme êtres marginaux et faillibles double-face, aux comics, JV et JDR des années 70-80, émergents en parallèle de la micro-informatique et des utopies de créations de mondes numériques) ; le concept de convergence, développé par Henry Jenkins (convergence médiatique – un même univers fictionnel déployé sur plusieurs médias – et convergence entre les objets culturels, les créateurs et un public d'élus). Bref, le geek, c'est ce garçon (c'est en effet une identité très marquée par l'exclusion de genre, et aux USA, de race) marginal à l'école, peu sportif, développant un rapport obsessionnel à une série d'objets culturels – allant jusqu'à une forme d'encyclopédisme comme esthétique –, une appétence pour les outils technologiques, et se reconnaissant geek une fois adulte au sein de communautés plus larges, et développant une forme de fierté de cette identité sub-culturelle. Sur Anna Akhmatova, Nadejda Mandelstam, trad. Sophie Benech, 2013 [1966]. - Spoiler:
J'ai eu l'impression de faire coup double après les souvenirs de Leonard Woolf : deux écrivaines vues depuis leur entourage, dans la dimension matérielle de leur existence et de leur rapport à la création. D'ailleurs c'est drôle, ces deux livres m'ont été offerts par deux ami·es proches, comme une forme de convergence. Ici, on voit émerger, dans un texte très peu hiérarchisé, semblant écrit au fil de la plume, ce groupe de poètes et poétesses – Mandelstam, Akhmatova, Tsvetaeva, Pasternak – persécutés par le pouvoir soviétique ; tantôt en relégation, tantôt censurés, et parfois, comme le vécut Akhmatova, privés d'un fils détenu comme otage comme gage qu'elle n'écrirait plus sa maudite poésie contre-révolutionnaire. Iels ont développé un beau rapport à la poésie : chacun·e apprend par cœur les poèmes d'autrui, pour sauvegarder une matière vive qui devient dangereuse lorsqu'on la transporte sur le papier. Et on voit ce rapport très mémoriel à la poésie émerger à intervalles réguliers sous la plume de Nadejda, qui pour toute situation connaît son lot de vers adaptés... j'ai été, en revanche, très troublée par la place ambiguë prise par cette dernière : elle avait conscience, dans le trio amical qui réunissait son mari et la poétesse, d'être le maillon le plus faible ; et tantôt se met en retrait, tantôt rappelle l'importance de son rôle. Elle prend un plaisir doucereux à évoquer les conquêtes féminines de son mari, qui m'ont comme lectrice mise extrêmement mal à l'aise ; de même lorsqu'elle se qualifie d'ombre, lorsqu'elle évoque son rôle de muse modelée par le poète, douce et sans jalousie... on a du mal à croire à la totale sincérité de l'autrice de ce texte, dont elle tente de s'éclipser tout en se montrant surplombante. L'Étoile Vesper, Colette, 1946. - Spoiler:
J'avais commencé la lecture de l'Etoile Vesper plus tôt dans l'année ; l'avais abandonnée, puis reprise. Pourquoi ? la densité de l'écriture de Colette m'avait à nouveau explosé en plein visage – c'était presque trop. Il me fallait attendre le bon moment pour dénouer cette écriture mutine et serrée, sensorielle et grave quelquefois. Dans l'Etoile Vesper – quasiment plus édité depuis... – Colette est une écrivaine âgée ; elle vit sous l'Occupation, et se retrouve confinée chez elle par une jambe qui ne répond plus. Qu'à cela ne tienne ! dans l'encadrement de sa fenêtre, au faîte de sa vie, elle laisse affluer les souvenirs et les mélange, tambouille magique, à cette Occupation de Paris vue depuis chez elle. C'est le moment d'évoquer les romancières, les poétesses qui la visitent – et qui sont toutes, depuis, oubliées, comme c'est étrange – mais aussi son pays natal, la manière dont l'écriture l'a accompagnée pendant toute une vie et comme, une fois vieille, elle lâche un peu de lest car ces souvenirs, pour la première fois, elle n'est pas certaine d'envisager de les publier. Pour qui aime Colette, ces évocations nombreuses de la matérialité de l'écriture sont passionnantes – comment, plus jeune, pour un mot "murmure" qui dérape, elle dessinait une chenille – comment les graphies des lettres qu'elle reçoit, d'artistes ou d'hommes politiques, contiennent chacune le visage émouvant des qualités de la personne. Colette le dit : elle se refuse aux Mémoires, à l'Autobiographie que partout on lui réclame ; c'est ce texte anarchique, décousu et parcellaire, fourré de bribes de sensations et de souvenirs, qui lui en tiendra lieu – et toc !
|
| | Nombre de messages : 200 Âge : 28 Localisation : Paris Date d'inscription : 19/11/2020 | Noise in 1953 / Autostoppeur galactique Dim 21 Mar 2021 - 16:47 | |
| Il faut que j'essaye de me rappeler de ce que j'ai lu ce dernier mois... dans le désordre : Parker, dessin de Darwin Cooke d'après les livres de Richard Stark - Spoiler:
Un très bel intégrale BD, adaptation des romans noirs de Stark par Cooke (pilier du comics américains). Chaque tome est un bichrome (trois différents bleus et un orange). On y retrouve les codes du grand roman noir : tout est taillé au couteau, aussi bien les intrigues, les visages, les dialogues... Le dessin est magnifique par ailleurs. J'ai pris un grand plaisir. Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie - Spoiler:
Cela faisait un temps qu'il reposait sur mon étagère... et je n'ai pas accroché. Le récit est (très) intéressant, mais la forme (je l'ai lu en version traduite) m'a rebuté, non le style, mais la narration choisie, qui m'a un peu rappelée John Irving ou Richard Russo, grande épopée américaine des années 2000, quelque chose d'assez distant pourtant qui n'hésite pas à chavirer dans un certain "pathos", pour toujours mieux en ressortir. C'est un livre à lire, bien sûr, et je vois toutes ses qualités, mais d'un point de vue personnel c'est le genre de livre qui me laisse assez froid, je trouve que tout est un peu trop bien construit, enrobé, les évènements sont trop bien enchainés, toutes les strates de la société montrées... bref, je ne saurais pas mettre des mots dessus, c'est simplement le genre de récit que je n'aime pas... Les Clochards Célestes, de Jack Kerouac - Spoiler:
Avec Kerouac, j'ai souvent tendance à détester ou adorer, parfois au sein d'un même livre (j'avais adoré la première partie de Sur la Route, exécré la seconde, adoré les Anges Vagabonds). J'ai vraiment retrouvé tout ce qui m'avait plu dans Les Anges Vagabonds et Big Sur ; à nouveau je trouve que ce n'est pas son plus réussi, dès que Kerouac est écrasé par les figures qu'il admire (Japhy, ici, et Neal dans Sur la Route), on se retrouve loin, distant, le récit se perd et les sensations qui font sa grandeur (l'alcoolisme, les paysages, ou ne serait-ce que la fatigue, le froid, la peur, l’aliénation) disparaissent... quelques passages donc où j'ai eu un peu de mou, mais la fin est vraiment très belle en tout cas... Bolt from the Blue, Jeremy Cooper - Spoiler:
Quel plaisir de retrouver Jeremy Cooper ! Après Ash Before Oak (sublime !), ici un autre récit, étalé de nouveau sur de brèves entrées au fil de plus de vingt ans, entre une mère et une fille qui ne se voient plus, se contentent de s'écrire, parfois. Des cartes se sont perdues, beaucoup n'ont plus de dates, et il faut reconstruire les trous de cette relation filiale complexe et conflictuelle (la mère, serveuse de pub, a enchainé les maris ; la fille, devenue artiste, ne supporte aucune figure de père, de mère, d'enfant) où pourtant le mot "Love" est constamment écrit, à chaque page... Toutes les deux ont des avis "extrêmes", tranchés, des moments cruels qui succèdent à la tendresse, des vagues... Il faut un peu de temps pour y rentrer puis... c'est sublime. Ce n'est pas tant les idées des personnages (une vision extrémiste de l'art, des paroles atroces envers une mère, une fille) mais simplement les noeuds qui se nouent et se dénouent — le temps, qui file... J'avais encore plus aimé Ash Before Oak, qui me semble plus abouti (et que toute personne souhaitant découvrir Jeremy Cooper devrait lire), mais j'ai dévoré le livre d'une traite, avec un grand plaisir. Ciné-ville, Ramon Gomez De La Serna - Spoiler:
Très difficile d'en parler. Un livre concept, habité par les poitrines des actrices (pas étonnant qu'il ait écrit Seins), par le faux (une sublime idée : une ville de cinéma, que l'on a construite pour être brûlée dans une scène) et l'incapacité de retrouver la vie, une fois que l'on a donné la sienne à l'écran (les vieux acteurs, d'ailleurs, ont les yeux brûlés par les projecteurs). L'histoire importe peu, c'est plutôt cet étalage qui intéresse, celui de couches qui s'accumulent, et forment Ciné-ville, des strates qui, bien sûr, ne peuvent que s'effondrer une fois le film terminé... Un peu de Vian dans les métaphores (d'ailleurs, un chapitre sur les cocktails de cinéma)... Intrigant en tout cas, j'ai retrouvé toute la poésie de Seins, même si je ne pense pas qu'il faille lire cela comme un roman, plutôt un ensemble de miscellanées qui se recoupent.
|
| | Nombre de messages : 5732 Âge : 35 Localisation : Oxfordshire Pensée du jour : Oui, je connais cette théorie. Date d'inscription : 23/12/2007 | Tim / Morceau de musique survitaminé Lun 22 Mar 2021 - 18:34 | |
| J'ai lu "Gagner la guerre", de Jaworski, et c'était drôlement bien. C'est marrant de se demander aussi longtemps pourquoi le roman est classé en fantasy (il y a un gros tiers voire plus qui sonne beaucoup plus roman d'aventure, avec le contexte historique d'un Assassin's Creed II ) et tout à coup la magie n'est pas qu'ésotérisme.
J'attaque "Babbitt" de Sinclair Lewis et son amérique des années 20, cadeau de mon papa. |
| | Nombre de messages : 5132 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Lun 22 Mar 2021 - 19:33 | |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 22 Mar 2021 - 20:34 | |
| (moi, quand le topic est actif à nouveau : j'ai envie de tout lire !) |
| | | Invité / Invité Lun 22 Mar 2021 - 22:06 | |
| Le monde du bout du monde de Luis Sepulveda. Il y a beaucoup de choses que j'aime dans ce court roman : des paysages, des bateaux, une lutte contre les derniers baleiniers, et un style simple et beau. Si vous ne l'avez pas déjà fait filez vite le lire ! Habiter en oiseau de Vinciane Desprets, offert par Santa Pasifaea . Deuxième livre que je lis de la collection Mondes Alliances chez Actes Sud, après Le Retour de Moby Dick de François Sarano. Habiter en oiseau est un vaste ouvrage qui commence par interroger la notion de territoire -- et les conceptions "propriétaires" qu'on a souvent cherché à leur apposer. Il évoque par exemple le rôle du chant dans la définition du territoire d'un oiseau, celui-ci devenant matière à expression. L'autrice traite ensuite de l'agression, thème phare des éthologues, et discute, entre autres, le fait que celle-ci n'est peut-être pas tant une affaire de guerre territoriale que de mise en scène. J'aime ce livre parce qu'il aborde des points de vue auxquels nous ne sommes pas habitués. Il nous offre d'autres façons de voir le monde. Tandis que dans Le Retour de Moby Dick, l'auteur cherchait davantage à comprendre le monde, l' Umwelt, des cachalots, ici l'autrice se place en retrait et observe surtout les ornithologues et leurs relations avec les oiseaux -- comme les régimes d'attention qu'on retrouve chez certains ornithologues contemporains : "C'est une pratique qui s'attache aux différences. Et en s'attachant à ces différences, aux choses qui comptent, le chercheur est touché par celles qui importent pour les oiseaux." Je recommande très vivement ! J'attaque Petit éloge de l'errance d'Akira Mizubayashi. Pour l'instant on part d'un souvenir d'enfance fondateur d'une sorte d'exil parmi les autres, très hâte de poursuivre ma lecture. |
| | | Invité / Invité Mar 23 Mar 2021 - 20:32 | |
| Avant de rendre Alice au pays des merveilles à la médiathèque j'ai lu les analyses à la fin du bouquin. Je les ai trouvées très pertinentes : le fait qu'elle n'arrête pas de grandeir et rapetisser est une allégorie de l'enface partagée entre envie de grandir et volonté de rester dans le confort et l'insouciance. Et le fait qu'elle grandisse tout le temps pour s'adapter à son environnement est le début de sa maturité. L'absurdité générale des comportement est une critique de l'éducation des enfants telle qu'on la conçoit à l'époque de Lewis Caroll : basée uniquement sur l'autorité. Ainsi la Reine des cartes qui veut couper la tête de tout le monde est l'allégorie de cette autorité vaine (puisqu'aucune tête n'est jamais coupée finalement). Un autre personnage qui ne figure pas dans le Disney : la Duchesse qui cherche des moralités dans le moindre micro événement est aussi une parodie du moralisme exacerbé de l'éducation d'alors. |
| | |
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
|
|
|