Nombre de messages : 5732 Âge : 35 Localisation : Oxfordshire Pensée du jour : Oui, je connais cette théorie. Date d'inscription : 23/12/2007
Tim/ Morceau de musique survitaminé Mer 24 Mar 2021 - 17:52
Aomphalos a écrit:
Il est incroyable !
Tu parlais de Babbitt ?
J'ai aussi lu "Habiter en oiseaux" l'année dernière et c'était vraiment intéressant, à deux doigts de commander la totalité de la bibliographie de Vinciane Desprets dans la foulée.
Invité/ Invité Ven 26 Mar 2021 - 12:43
Race, de Sarah Mazouz, chercheuse au CNRS. Excellent travail, clair, précis, documenté. À mettre entre les mains de celles et ceux qui ne comprennent rien à notre époque victimaire égocentrique
Nombre de messages : 576 Âge : 25 Date d'inscription : 18/03/2021
Camusso/ Gloire de son pair Ven 26 Mar 2021 - 15:17
J'ai fini, il y a quelques temps, Shutter Island de Dennis Lehane, et là, je viens d'entamer Ténèbres prenez-moi la main du même auteur (je voulais lire Mystic River mais il n'était pas disponible à ma librairie).
Nombre de messages : 1875 Âge : 39 Localisation : Esbly (77) Pensée du jour : Collectionneur de Red Flags Date d'inscription : 09/11/2018
Paulemile/ Journal du posteur Sam 27 Mar 2021 - 17:22
J'ai commencé Tu seras un homme féministe, mon fils, d'Aurélia Blanc.
C'est assez édifiant, même si ça me conforte surtout dans des idées que j'avais déjà.
Dommage, parce que je pense que c'est le genre d'ouvrage qui ne sera lu que par des gens déjà acquis à la cause. J'espère me tromper.
Invité/ Invité Dim 4 Avr 2021 - 10:42
Moïra a écrit:
J'attaque Petit éloge de l'errance d'Akira Mizubayashi. Pour l'instant on part d'un souvenir d'enfance fondateur d'une sorte d'exil parmi les autres, très hâte de poursuivre ma lecture.
Je reviens sur ce livre : c'est un petit pêle-mêle d'anecdotes personnelles, de références, de points historiques par un auteur japonais francophile, qui puise dans ces deux cultures, avec pour fil directeur l'errance comme fait de s'écarter de son groupe originel. Il y aborde pas mal la question du conformisme politique ou national, surtout dans la société japonaise, au vu de certains évènements tels que Fukushima. Bref, ça se lit vite et c'est sympa, on apprend quelques trucs.
(A vrai dire je ne m'attendais pas du tout à ça en choisissant ce livre, ne connaissant pas l'auteur, pas même de nom; je croyais plutôt à un livre assez poétique, au final c'est pas le cas mais je n'en suis pas du tout déçue.)
Nombre de messages : 576 Âge : 25 Date d'inscription : 18/03/2021
Camusso/ Gloire de son pair Dim 4 Avr 2021 - 11:27
Moïra a écrit:
Moïra a écrit:
J'attaque Petit éloge de l'errance d'Akira Mizubayashi. Pour l'instant on part d'un souvenir d'enfance fondateur d'une sorte d'exil parmi les autres, très hâte de poursuivre ma lecture.
Je reviens sur ce livre : c'est un petit pêle-mêle d'anecdotes personnelles, de références, de points historiques par un auteur japonais francophile, qui puise dans ces deux cultures, avec pour fil directeur l'errance comme fait de s'écarter de son groupe originel. Il y aborde pas mal la question du conformisme politique ou national, surtout dans la société japonaise, au vu de certains évènements tels que Fukushima. Bref, ça se lit vite et c'est sympa, on apprend quelques trucs.
(A vrai dire je ne m'attendais pas du tout à ça en choisissant ce livre, ne connaissant pas l'auteur, pas même de nom; je croyais plutôt à un livre assez poétique, au final c'est pas le cas mais je n'en suis pas du tout déçue.)
Il me tente beaucoup, je vais le rajouter à ma PAL (vu que j'adore la culture japonaise).
Nombre de messages : 5732 Âge : 35 Localisation : Oxfordshire Pensée du jour : Oui, je connais cette théorie. Date d'inscription : 23/12/2007
Tim/ Morceau de musique survitaminé Dim 4 Avr 2021 - 17:50
"Une langue venue d'ailleurs" de Mizubayashi est très chouette aussi, ça parle de son rapport au français et au japonais.
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
L'Éveil, Kate Chopin, trad. Michelle Herpe-Voslinsky, 1990 [1899].
Spoiler:
Dans la montée de mon immeuble, réside un bouquiniste des quais de Seine ; quelquefois, il laisse des livres posés en haut des boîtes aux lettres. Les invendables ? je ne sais pas. Au milieu de précis de vocabulaire d'analyse cinématographique, je pioche l'Éveil, et je me dis : chouette ! une autrice américaine du tournant du XXe – toute bien disposée par mon adoration pour Wharton – et d'ailleurs, la préface récite quelques noms – Wharton, James... et Flaubert. Parce qu'Edna, l'héroïne licencieuse du roman, serait une Mme Bovary créole – de la bonne société francophone de La Nouvelle Orléans, simplement. Alors, oui, sans doute, si l'on suit le canevas... Edna est mariée, mère de famille, endormie ; elle se découvre libre et désirante auprès d'un amour de vacances ; elle rêve de secouer le joug – qui, il faut bien l'avouer, est un joug mineur – le genre de joug vécu en compagnie d'une petite armée de domestiques noir·es, traités comme du bétail (j'ai été gênée aux entournures par l'inconscient raciste du bouquin, et ai pensé aux analyses que fait Toni Morrison de textes classiques de la littérature américaine, où les personnages noirs n'ont pas de nom, mais sont "le nègre" / ou ici, "la quarteronne"), avec un mari riche et accommodant, des enfants sages et aimés... certes, qui suis-je pour juger Edna – non pour son érotisme et son absence de scrupules, qui choquèrent le lectorat d'époque, mais pour une conception finalement bien masculine, blanche et dominante de la liberté, comme absence de lien aux autres. M'enfin, je n'en suis pas venue à l'essentiel : elle est bien faible et naïve, cette écriture... on ne croit à rien ni personne. On n'a transposé du roman flaubertien que son ossature, et le plaisir d'un univers social étranger – cette bourgeoisie créole qui s'amuse sur les plages de la fin du XIXe... J'aurais aimé aimer cette lectrice de Maupassant, mais c'est définitivement trop pauvre.
Nevermore, Cécile Wajsbrot, 2021.
Spoiler:
Cécile Wajsbrot est traductrice de Virginia Woolf – elle a donné Les Vagues, notamment, pour les éditions du Bruit du temps. Depuis un petit moment, mon libraire me conseillait Nevermore, discrètement. Nevermore est un roman de traductrice ; d'une traductrice-narratrice (à ne pas confondre avec l'autrice ?) qui se demande, après la mort de son amie romancière, quelle est la différence entre traduire et écrire, et comment faire le deuil. Ici, la narratrice du roman bénéficie d'une bourse pour traduire, dans la ville de Dresde qui fut ravagée par les bombes, "Times passes", la partie centrale de To the Lighthouse – de Woolf, donc. Et cette maison délabrée, abandonnée quasi, pendant la guerre - la première - de toute présence humaine ; cette maison devenue, avec ses objets croulants et les plantes qui l'envahissent, seul sujet quand les humains s'entretuent dehors – devient le pont entre Dresde, ravagée par les bombes, Pripiat, abandonnée en toute hâte après l'accident nucléaire, et de manière générale, tous ces lieux de deuil. On le comprend vite, c'est un tombeau littéraire – où les présences humaines sont d'abord des fantômes, des souvenirs du passé qui se mêlent à des marches solitaires. Mais c'est aussi, en creux, le plus bel essai de traductologie que j'aie jamais lu, et une manière extraordinaire de tomber dans l'écriture de Woolf – de l'épouser, dans les multiples hésitations de la traduction – car la traductrice hésite, compare les versions du texte de Woolf, compare ses versions à elle, explique, travaille la langue en profondeur, et nous invite avec elle dans ce travail – de traduction, de deuil. Après avoir lu ce texte, j'ai envie de découvrir Woolf à travers les traductions de Wajsbrot – de relire Les Vagues, donc ; et d'écouter de la musique – pages très belles sur les concerts, sur les cloches qui tintent dans la ville de Dresde.
Seins et œufs, Mieko Kawakami, trad. Patrick Honnoré, 2012 [2007].
Spoiler:
C'est dans l'article d'un quotidien allemand que j'ai entendu parler de Seins et œufs ; en effet, l'article étudiait la réception allemande d'Annie Ernaux par une jeune génération d'écrivain·es – ayant vécu, comme elle, une ascension sociale, issu·es de régions désindustrialisées d'Allemagne. Et à la fin, on citait quelques auteur·ices étrangèr·es qui pouvaient relever du même type d'itinéraire, et donc de littérature. Voilà. Bon, j'ai été un peu déçue : peut-être est-il toujours délicat de faire passer à la traduction une langue orale ou "jeune", et ici, quelquefois, ça rippe. Dans ce très court roman, une jeune femme accueille sa sœur et sa nièce deux jours dans son minuscule appartement de Tokyo ; sa sœur rêve d'une augmentation mammaire, elle amène avec elle force prospectus de clinique... évidemment, le sujet du roman est tout autre : on parle d'une relation mère (monoparentale)-fille compliquée ; d'une fille qui depuis plusieurs semaines a cessé de parler ; de la grande précarité matérielle de ces trois femmes, et du métier de serveuse de la mère ; des corps féminins qui entrent dans la puberté ou qui vieillissent. La petite de onze ans écrit son journal, et écrit à propos d'ovules, de règles, de sang et de serviettes hygiéniques. D'une part ce sont des sujets importants, à faire rentrer en littérature, de l'autre on est tenté·e de n'y pas croire. Est-ce profondément subjectif ? je n'ai jamais été obsédée, à l'âge de la jeune fille, par les transformations de mon corps ; je serais tentée d'y voir un regard d'adulte, exagérant des perturbations qui sont finalement moins conscientisées que ne le laisse croire le journal de la fille. Toujours délicat, écrire "à la place de", mais ici étrangement raté. Très belle scène à la fin, entre la mère et la fille qui trouvent comment se parler, dans une forme de chorégraphie étrange dont je vous laisse la surprise.
Mars, Fritz Zorn, trad. Gilberte Lambrichs, 1982 [1975].
Spoiler:
Peut-on s'ennuyer face à un récit intense ? Reformulons : peut-on, face à une personne déchirée qui rejoue pour nous sa psychanalyse, avoir la tentation de passer les pages plus vite ; et se rendre vite compte que, comme chez Thomas Bernhard, ce qui fait spirale se dénoue difficilement... Fritz Zorn (c'est un pseudonyme) livre ici un témoignage, envoyé à l'éditeur quelques mois avant sa mort, jeune, d'une maladie en phase terminale. Ce témoignage / journal / récit de psychanalyse est aussi une analyse poussée loin du milieu dont il est originaire, la très grande bourgeoisie de la rive droite, dite rive dorée, de Zurich. Ses parents, dit-il, lui ont appris à faire les choses qui se faisaient, à aimer les choses qu'on doit aimer : ils lui ont, dès le plus jeune âge, enfoncé si fort une série de normes rigides dans le corps qu'il lui aura fallu, mourant, entamer une psychanalyse, pour comprendre que cet ensemble rigide de normes l'a empêché d'aimer les choses, les gens, et de prendre la petite dose de risque qui est nécessaire pour les approcher (les choses et les gens). Zorn saute d'un pied sur l'autre : ce n'est pas le procès de ses parents en tant qu'individus, qu'il dresse, mais celui d'une société – la haute bourgeoisie suisse – pourrissante, qui mène à la mort les plus sensibles de ses specimen – pour autant, ses parents ne sont pas innocentés. Zorn sombre jeune dans la dépression, ne connaît ni l'amour ni la sexualité (qu'en bon disciple freudien, il assimile l'un à l'autre), et dissèque la situation. Fait-il de la socio ? de la littérature ? de la psychologie appliquée ? lui-même ne le sait pas bien, mais ce qu'il explique, c'est qu'il espère que son texte, publié, sera lu et agira. Si ça n'est pas politique, ça ! Je doute aujourd'hui que la grande bourgeoisie zurichoise ait constitué le lectorat privilégié de la prose de Zorn, ni qu'elle s'y soit reconnue – les récits intenses, hein, sont faciles à écarter...
Numéro d'écrou 362573, Arno Bertina et Anissa Michalon, 2013.
Spoiler:
D'abord, ce que c'est ; un texte fictionnel, et des photos. Les photos d'Anissa Michalon, qui depuis 2004 mène un travail de photographe sur la communauté malienne de Montreuil ; elle intègre dans le livre les photos d'Idriss, d'abord en France, puis au Mali, au sein du village qu'il a quitté – Idriss s'est suicidé en prison. Arno Bertina, l'écrivain, arrive et écrit l'histoire d'Idriss, un jeune homme malien, sans papiers, depuis 10 ans en France, qui se prend d'amitié pour Ahmed – qui, lui, ira en prison et s'y suicidera. Ce retravail fictionnel de la série photographique est déroutant – d'une part c'est bien Idriss tel qu'on se l'imagine, d'autre part la mort est déportée, comme aplanie, sur un personnage de fiction. Plusieurs petites choses ; d'abord une sensation de malaise, qui me prend toujours quand je vois un·e écrivain·e prendre la parole pour qui ne le peut pas ; la démarche est louable, mais peut-on exprimer, sans les avoir vécues, les expériences de peur d'une vie sans-papier ? de fatigue et de douleur face aux travaux imposés ? de disjonction entre les valeurs maliennes et les valeurs françaises, qui tiraillent l'individu pris entre deux ? c'est convaincant, pour la lectrice que je suis ; je peux même dire, chapeau Bertina, tu as su faire un vrai travail d'empathie. Mais n'étant pas dans la fabrique du texte, j'ignore si l'auteur a ventriloqué la communauté malienne de Montreuil, ou s'il est allé à sa rencontre. Sinon ; j'aime l'écriture de Bertina, elle est étrange, un peu tordue, terrible à sa manière ; elle ne me semble pas emprunter ce tort des écritures qui condescendent, qui donnent l'impression de s'abaisser pour recueillir un langage extra-littéraire, et minoré. Ambivalente, donc.
Les Argonautes, Maggie Nelson, trad. Jean-Michel Théroux, 2018 [2015].
Spoiler:
Depuis Bleuets, je m'étais fait une promesse des Argonautes, dont m'avait parlé V., une fois, pendant une longue marche ; et avant Les Argonautes, j'avais préparé le terrain à l'aide d'une constellation de textes – je veux dire, ce n'est pas difficile, ces textes fonctionnent en constellations, s'entre-citent et s'entre-tissent –, donc, j'étais plus que prête ! Le vaisseau Argo, remodelé au fil du temps, conserve pourtant son nom ; qu'est-ce qui est permanent dans l'identité, au moment des interrogations queer et féministes, des transformations corporelles – mastectomie ou grossesse –, au moment des redéfinitions de soi dans l'écriture ou dans le couple, au moment où l'on flirte avec la norme – faire famille queer, est-ce imiter ou remodeler ? –, au moment du vote de la proposition 8 en Californie, 2008, qui interdit le mariage aux couples de même sexe. Bon, comme dans Bleuets, Nelson déploie une suite de fragments interreliés, sans véritable centralité (ce dont elle se justifie d'ailleurs, en revendiquant l'influence d'Ann Carson), et diaristiques – si on devait jouer au petit jeu de "c'est l'histoire de...", eh bien, ce serait l'histoire de Maggie qui tombe amoureuse de Harry, une personne non-binaire (butch prenant de la T), qui s'occupe de son beau-fils, désire tomber enceinte, fait appel à des dons de sperme, galère, tombe enceinte, accouche de leur fils Iggy – et dans l'intervalle, le décès de la mère de Harry et de brusques trouées vers l'enfance et l'histoire des idées queer. Ce que j'ai trouvé fabuleux c'est, argo, cette construction de soi dynamique (donc, fondamentalement queer ! chez Butler, les identités ne sont jamais fixées), en lien avec textes, discussions, réflexions, étapes de vie et de corps ; profondément problématique – et cette question lancinante de "s'occuper de", "prendre soin de" (j'aime les interrogations éthiques). Au fond, je sors toujours bousculée, émue, et désireuse d'écrire d'un bouquin de Nelson, et je crois que c'est tout ce qui compte (non, j'oublie une frustration : le nombre d'auteurices / de textes cité·es, en littérature contemporaine, sans qu'il en existe de traduction !)
Permafrost, Eva Baltasar, trad. Annie Bats, 2020 [2018].
Spoiler:
V. m'a offert ce livre comme un contrepoint à Bleuets, il y a quelques mois ; un livre de femme et de dépression mais, selon lui, qui offrait des métaphores plus concrètes ; ancrées dans la chair. Si je suis très sensible au côté vif et intello de Maggie Nelson – dont je sais qu'il peut agacer –, j'ai aussi beaucoup aimé, d'une autre manière, la langue de cette autrice catalane. Tout y est étrange et mouvant : dès l'incipit, avec ces histoires de murs de verre, d'oiseaux, de dimensions corporelles, on ne sait pas très bien si l'on navigue à vue dans la métaphore, ou dans un univers matériel qui prendra corps peu à peu (j'ai pensé à l'incipit de Quelques rides de Fabien Clouette, qui avait produit sur moi cette même impression de perte dans des lieux informes). La narratrice de ce roman est une jeune femme profondément dépressive – lecture éprouvante, hein – dont le "permafrost" permanent est de loin en loin ébranlé. Ici, ce qui semble faire problème, c'est deux choses : la vie matérielle (études en histoire de l'art, puis errance d'un lieu d'abri provisoire à l'autre, sans fixation possible : tout est précaire) et les autres (femmes, car la narratrice est une lesbienne qui tombe rarement amoureuse ; j'ai été frappée du manque total d'intériorité des amantes successives présentées ; galerie de personnages qui auraient bien comblé les vides d'un théâtre occasionnel) (famille : relations compliquées, beaucoup de façade). Si chez Nelson, jusque dans la dépression, la question du soin des autres continuait de se poser, chez Baltasar elle se dissout : on est d'abord séparée. Étrangement, c'est une jeune nièce qui rompt le pergélisol, et je veux dire, ça n'est même pas mièvre. L'écriture est dense, complexe, lourde comme la dépression ; très matérielle (on sent le corps suant) et souvent étonnante (usage, comme me l'assurait mon ami, permanent et réussi de métaphores).
Le Faon, Magda Szabó, trad. Suzanne Canard, 2008 [1959].
Spoiler:
C'est le troisième des romans de Szabó que je découvre (après La Porte, La Ballade d'Iza) ; peut-être également celui que j'ai le moins aimé... je me suis demandé si c'était dû, en partie, au procédé de construction narrative – un présent de narration qui est aussi celui des premiers instants du deuil, troué de brusques retours vers le passé de l'enfance, et le passé de l'amour, deux temps qui finissent par se toucher –, pas inintéressant mais manquant ici de naturel. Eszter, une comédienne hongroise reconnue, raconte son histoire d'amour et de jalousie – non tant une forme de jalousie amoureuse envers Angela, l'épouse légitime, fragile et bonne de son amant, qu'une forme de jalousie plus profonde, parce que sociale. Les deux fillettes ont grandi dans la même ville, l'une dans une riche demeure, l'autre boursière de l'école, rejeton de la noblesse désargentée et obligée de travailler / d'accomplir toutes les taches domestiques chez elle. La colère d'Eszter, c'est d'abord la colère de la fillette qui comprend tôt que les riches ne comprennent rien, sous leur pitié, à la vie des pauvres ; et qui comprend que cette pitié déshonore. C'est une colère sociale complexe, dans un monde où les acteur·ices, tous les ans, doivent réécrire leur CV, et où une actrice issue d'une souche noble est obligée de faire acte de contrition, et de s'inventer une enfance choyée et indécemment riche. Cette colère, l'amant ne la comprend pas, naturellement, et la montée des malentendus mène peu à peu le couple à l'impossibilité de communication – thème cher pour Eszter, le mensonge et le silence. Cela reste un très joli roman (le faon cristallise les colères et jalousies sociales), avec, comme à l'ordinaire chez Szabó, des personnages féminins denses et complexes – mention spéciale pour ce personnage d'actrice pingre et dénué d'empathie, endurci par les nécessités d'une enfance ravagée par la pauvreté. Les valeurs morales seraient-elles un luxe de riche ?
Je suis un monstre qui vous parle, Paul B. Preciado, 2020.
Spoiler:
Il s'agit d'une conférence que Paul B. Preciado a donnée / devait donner devant 3400 psychanalystes réuni·es à l'occasion de journées qui tournaient autour du thème "femmes et psychanalyse". A donné, parce qu'il a commencé à parler, devait donner, parce qu'il n'a pas pu finir, à force de gens pas contents qui huaient et criaient "Hitler !" dans le public. Bon, il faut dire qu'il commence d'une manière un peu provocante : en leur demandant qui parmi elleux est non-binaire, trans ou homosexuel·le. Personne, semble-il – chose problématique quand on parle d'une discipline dont la clinique est vouée, quelquefois, à s'adresser à des personnes LGBT, et dont les écrits théoriques canoniques sont particulièrement violents à l'égard des minorités de genre (et raciales, car Preciado rappelle que les modèles psychanalytiques, loin d'être des universaux, s'appliquent à une certaine société occidentale du tournant du siècle, localisée dans le temps et dans l'espace). Ce que Preciado essaie de démontrer, c'est deux choses : d'abord, il explique ce qu'il est, lui, Preciado, en regard de la psychanalyse ; dans quelle catégorie on le rangerait (celle du monstre, qui a dépassé la simple névrose), quelles thérapies il a suivies, quelles sont ses connaissances théoriques (vastes) ; ensuite, qu'il faut, pour que survive la psychanalyse comme discipline, qu'elle prenne acte collectivement de l'immense révolution épistémique qui a lieu en ce moment à l'égard des identités de genre. C'est un beau texte, introductif j'imagine de la pensée de Preciado, polémiste – on ne peut s'empêcher de s'imaginer le visage stupéfait des psychanalystes présents à Paris ce jour de 2019... et on espère que les débats qui ont suivi iront dans le bon sens !
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mer 21 Avr 2021 - 12:47
Depuis le 5/04...
Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, Philip K. Dick, trad. Serge Quadruppani, 1976 [1968].
Spoiler:
Deuxième Dick que je lis (à la suite d'un bouquin d'Asimov, et d'un de Barjavel) : je suis assez fascinée par la faculté qu'avaient ces hommes à imaginer la manière dont les évolutions techniques modifieraient les habitats, les manières de vivre et les structures sociales, sans jamais, jamais se demander si le modèle de genre qui était le leur – couple hétérosexuel marié, femme au foyer ou secrétaire à la rigueur – serait également touché par ces évolutions techniques. Ces livres ont pris la poussière, même pas parce qu'on n'y avait pas prévu les usages micro-informatiques qui changeraient le rapport à d'administratif et à l'organisation du travail, mais parce que madame reste à la maison et... s'ennuie (ça c'est Dick), ou trompe son mari (ça c'est Barjavel). Ai-je joué de malchance ? dans les trois cas, les épouses des héros – forcément des hommes – étaient épouses au foyer, sans réel rôle social (les tâches de procréation étant déléguées ou absentes de la narration / les travaux ménagers très légers, compte tenu de la mécanisation de ceux-ci)... Pour moi, c'est difficile, du coup, d'entrer tout à fait dans ces romans. Bien sûr que je vois où Dick nous titille ici – une intelligence artificielle est-elle sensible, consciente et pourvue d'empathie – les androïdes massacrent les animaux pour jouer, mais comment peuvent-ils s'amuser de quelque chose s'ils n'ont pas d'émotions ? on est dans un univers post-apocalyptique, une guerre nucléaire a ravagé la planète, celles et ceux qui y sont resté·es vivre vivotent et s'achètent des animaux mécaniques pour remplacer les animaux réels, qui ont presque tous disparu, et les "blade runners" sont des fonctionnaires chargés de tuer les androïdes ayant échappé au contrôle des humain·es. Des choses très drôles en revanche : Dick esquisse un trafic, sur les planètes colonisées de "livres précoloniaux"... de la bonne vieille SF des années 70, qui s'échange sous le manteau et vaut de l'or ! on a aussi ces gens qui élèvent des animaux sur le toit de leurs immeubles, au vu et au su des voisin·es, et qui tentent de faire croire qu'ils sont vivants – c'est plus prestigieux... où se niche le prestige social dans un monde post-apocalyptique ? dans des moutons électriques !
Le Regard féminin. Une révolution à l'écran, Iris Brey, 2020.
Spoiler:
J'étais conquise avant d'ouvrir le livre. Son titre, puis les échos qui m'en étaient parvenus, m'avaient déjà aidée à mieux voir les films, et à mieux lire les livres. Et puis quoi ? ce n'était pas le livre que j'attendais. C'était un assemblage composite, hors-cadre : à mi-chemin entre ce qui me semblait du verbiage ultra-théorique (Derrida/Deleuze/phéno team) et le langage médiatique du féminisme pop le plus édulcoré – femmes déchaînées, feu qui brûle (vous l'avez remarqué, ce paysage sémantique du feu qui entoure le féminisme contemporain ? de mon côté, je crois que je n'en peux plus, de ces titres d'essais avec des trucs qui brûlent dedans, ou des flammes – ma colère est froide). Difficile de mon point de vue de jeune chercheuse de comprendre ce qu'avaient à faire ensemble ces deux régimes de discours, peut-être. J'ai aussi été hérissée par les analyses de mauvaise foi – je déteste la mauvaise foi, le manque de subtilité dans l'analyse d'un exemple lorsqu'il vient servir un propos militant – nous, militant·es, devons être honnêtes, il y a déjà largement de quoi faire avec le réel. Et en même temps... à côté de toutes ses imperfections (et un certain embrouillamini définitionnel, au fond, je ne suis pas certaine d'avoir bien compris ce qu'Iris Brey entend par "female gaze", sinon qu'il désignait plutôt la mise en scène que le thème, ce qui me semble le B.A.B.A. des analyses de style, en tout cas en littérature), c'est un texte qui nous accompagne sur le chemin de la réflexion : il nous donne un corpus, il nous dit que regarder dans les mises en scène de cinéma, il nous guide à travers plusieurs thèmes (traitement cinématographique du viol notamment), il cite de nombreuses théoriciennes... bref, il nous donne plein d'outils pour penser, et finalement, si le tout n'est pas très bien pré-pensé pour nous, il nous offre les outils pour le faire, alors je suis tout de même très heureuse d'avoir lu cet essai.
La Honte, Annie Ernaux, 1997.
Spoiler:
C'est drôle, j'étais persuadée en amont de ma lecture que la honte dont il serait question, c'était une histoire d'odeur de javel sur les mains, mais non, pas ici. Ernaux amorce dans La Honte l'idée qu'il est des livres qu'on doit écrire, qui nous font mal, dont le geste de publication est politique – idée reprise et affinée ensuite avec Mémoire de fille, une vingtaine d'années plus tard. C'est du bon Ernaux, mais quand on commence à l'avoir lue beaucoup, c'est aussi un mix d'autres choses ; la description de photos, les énumérations d'objets qui viennent signifier une époque, les aller-retours entre souvenir et discours méta-littéraire, le hiatus entre l'école et l'univers familial, la nécessité, pour comprendre un sentiment (ici, la honte), de d'abord recréer un paysage de discours, de valeurs et d'objets... enfin, ce n'est pas parce que je n'ai pas découvert une nouvelle facette d'Ernaux que je n'ai pas été conquise. Je l'ai été, comme on retrouve une voix désormais chère et connue. Ernaux me bouleverse lorsqu'elle parle d'écriture, d'abord parce qu'elle aborde l'écriture autosociobiographique sous le prisme éthique – de qui a-t-on le droit de parler, et comment. La honte, ici (ne lisez pas la suite si vous ne voulez pas le savoir : mais c'est plié dès la première page, aucun suspense dans ce texte), c'est le père qui tente d'assassiner la mère, un soir de colère ; et la conviction qu'a désormais la fillette qu'il se passe chez elle des choses qui devront, pour toujours, rester secrètes et tues – et ce n'est pas un hasard si le livre ne peut s'écrire qu'après la mort des parents – et ce n'est pas un hasard qu'elle les représente taiseux, ces parents. Ce secret familial, c'est aussi le hiatus profond qui commence à se creuser entre l'école privée bourgeoise et sa famille ; entre la chemise de nuit tachée de sa mère, un soir, et le regard interloqué des bonnes sœurs qui déposent Annie chez elle. Très beau livre !
Lettre au recours chimique, Christophe Esnault, 2021.
Spoiler:
Lettre au recours chimique est un long poème, semi-narratif, semi-réflexif, en vers libre ; le travail de la forme y est secondaire, si ce n'est cette manière de tourner, retourner, avancer pour mieux revenir, bref, ce rythme du long poème ininterrompu – on lirait bien tout d'une traite, on est emportée. Christophe Esnault vit en "Neurolepsie", consomme depuis pas mal d'années un médicament duquel il est dépendant, et qu'il refuse de nommer. Il se joue une lutte sourde, dans ce long texte colérique, contre l'assignation : on refuse de nommer la maladie, le médicament, le psychiatre, parce qu'on refuse la violence normative du DSM-5, des catégories psychiatriques, du modèle de guérison proposé – par le travail et le couple marié. C'est la colère qui prévaut, et une forme, aussi, de fierté tirée de la fréquentation de la littérature – c'est tout bête mais, en nos heures bourdieusiennes, cette joie un rien fière et affirmée de la fréquentation d'œuvres qui résistent et nourrissent, ça n'est pas si facile à dire, et ça fonctionne plutôt bien. Je n'aurais sans doute qu'une réserve. Je suis de moins en moins sensibles aux voix qui, pour s'affirmer, ont besoin de disqualifier autrui, c'est mon côté bisounours. Mais j'ai accepté d'être emportée par cette colère, parce que je la comprends trop bien – et ce discours au fond ambivalent – fréquente-t-on le médicament, le psychiatre (par défaut masculin et pourvu d'une épouse dans le texte, hem) par nécessité, quand on affirme précisément que tout ça est bien mauvais ? dernier point ; ce texte raconte trop bien l'état de la psychiatrie en France, la morgue des psychiatres, la relation qu'iels développent à leurs patients – tout sauf du soin, tout sauf de l'écoute – on a ce personnage revenant, dans le poème, de l'ordonnancier – brrrr – seule réponse de l'institution à la complexité des vécus de personnes psychiatrisées. À offrir à vos ami·es psychiatres encore soucieux·ses du soin, donc.
La Porte étroite, André Gide, 1905.
Spoiler:
J'avais besoin d'une lecture-doudou, c'est-à-dire d'une langue quasi-scolaire, épurée, et de problèmes moraux tirant vers le sublime – en somme, j'avais besoin de Bernanos mais en moins intense, et c'est donc vers un bon vieux Gide, pas encore lu, que je me suis tournée, puisqu'il était dans la bibliothèque d'enfance de mon amoureux (le doudou, c'est aussi la dimension matérielle du livre : ses pages jaunies, sentant le vieux, sa couverture un peu défaite). Je ne sais pas trop quoi dire de La Porte étroite – est-ce que c'est encore facile, à ce moment de ma vie, de considérer que le choix opéré par les deux protagonistes a un sens ? Jérôme aime Alissa qui aime Jérôme – et pourtant, ils se refusent au bonheur, c'est-à-dire au mariage, parce que l'amour décroît dans le quotidien (c'est à voir) et que Dieu, semblerait-il, récompense mieux celles et ceux qui l'attendent jusqu'au bout – et qui en meurent, sublime oblige. Même si la structure romanesque semble très simple, il y a ce joli effet de contrepoint offert par le journal d'Alissa, que nous découvrons avec Jérôme après la mort de cette dernière (alors que nous n'avions accès, depuis le début, qu'au point de vue un peu étonné du niais héros) ; et oui, bien sûr que j'aime les filles éprises de Dieu, et que ce journal produit son petit effet sur moi ! zut alors ! et oui, toujours intéressant même si réduit ici à son intensité minimale, la découverte du récit depuis un nouveau point de vue, qui lui donne profondeur, sens et ambiguïté – quoiqu'on pourrait reprocher à ce journal / introduction du point de vue d'Alissa, justement, de n'offrir aucune surprise ; Alissa est bien telle qu'on l'imagine, ou alors le point de vue de Jérôme, véritable amoureux, pressentait déjà trop tout ce qui se confirme. En somme, une bonne lecture doudou, un peu compassée, toute élégante, et nocturne pour la couleur !
L'Idée de littérature. De l'art pour l'art aux écritures d'intervention, Alexandre Gefen, 2021.
Spoiler:
Gefen, dans cet essai lu pour ma thèse, tente une de ces grandes synthèses littéraires qu'on sait un peu risquées – ici, il se penche sur l'idée de littérature, depuis sa définition restreinte au seul pôle esthétique depuis la modernité romantique, jusqu'à ses réconciliations récentes avec les pôles éthique et philosophique (on part de la triade aristotélicienne : le Beau, le Bon, le Vrai, qui se confondent longtemps avant qu'on n'expulse morale et vérité du domaine de l'art au 19e siècle). C'est intéressant ; à l'heure où l'on entend trop souvent, encore et encore, ces chers lettrés conspuer les exigences éthiques qui dénatureraient la belle et sainte littérature, de voir qu'en réalité la passage moderne est presque un hapax dans l'histoire longue de l'écriture, des belles-lettres et de la fiction – j'utilise à dessein cette triade, puisque "la littérature" comme champ unifiant, exclusif d'autres pratiques d'écriture, naît entre le 18 et le 19e siècle. Ensuite, Gefen brasse large : il explore à la fois les tentatives d'élargissement du canon entreprises par les études féministes et postcoloniales (ne plus penser le canon littéraire comme un objet national, mâle et blanc, en gros – et s'intéresser aux pratiques de littérature / lecture populaires, car n'étudier que Baudelaire au détriment de Zévaco, qui fut massivement lus, c'est dommage pour la compréhension d'une époque), les écritures de terrain, hors du livres, ou mâtinées de méthodes prises aux sciences sociales ; il explore les écritures amateures, massives sur le web ; les écopoétiques, etc. Bref, un peu tout, et bien sûr, quand on n'est pas spécialiste de tout, on fait des confusions, des erreurs un peu rigolotes (ce cher "Antonio" Bolaño !), des raccourcis et... là pour moi c'était le gros point noir... à quoi bon consacrer toute une partie aux élargissements du canon, pour ne consacrer ensuite, dans les exemples fourrés dans les autres parties, qu'une définition à nouveau nationale, mâle et blanche de la littérature ? on adore la page consacrée aux écrits engagés depuis Sartre, qui ne cite que des noms d'hommes, quand on sait qu'un empan non négligeable de la littérature engagée de la seconde moitié du 20e siècle, c'est la littérature féministe des années 70 ! bref. Convaincant pour la thèse générale, bien utile de ce point de vue pour ma thèse – ne serait-ce que pour légitimer, loin des rêves d'art-pour-l'art, des écritures férues de questions éthiques, et voilà.
Blanche et Lucie, Régine Deforge, 1976.
TW pédophilie:
De Deforges, je ne connaissais que La Bicyclette bleue – l'une de mes grandes indignations d'enfance : à moi, la grande fan d'Autant en emporte le vent, on ne le faisait pas, ce vulgaire plagiat aux temps de l'Occupation allemande... J'ai trouvé ce livre chez ma grand-mère, et justement, ce premier texte publié de Deforge est un portrait croisé de ses deux grand-mères – Lucie, la rousse et vive paysanne, Blanche, la mélancolique et croyante bourgeoise – et du rôle qu'elles jouèrent dans sa prime enfance. C'est souvent joli, cet hommage – Deforges n'est pas une immense styliste, hein, mais le thème et les souvenirs d'enfance peuvent toucher ; mention spéciale aux scènes de lecture dans les cabanes de bric et de broc, dans les greniers quand il pleut, les livres chipés à Lucie, les livres sentimentaux achetés pour quelques francs aux petites libraires de province. La dimension matérielle de la lecture m'a émue – éditions pas chères qu'on emporte pour aller garder les vaches, passages générationnels, et en creux, naissance d'une vocation d'écrivaine. La petite Régine se portraiture en gamine insupportable, mais surtout en fille peu douée pour l'obéissance qu'on leur prêche tant, aux fillettes de son époque – embryon de réflexion sur le genre, et le destin social, car ce n'est assurément pas aux filles qu'on promet des destins d'écrivaines – si les grand-mères ont bien le droit de lire des romances et romans d'aventure et de fantômes à deux sous, elles n'en seraient certainement pas les autrices. Par contre, très gênée par la dimension érotique du texte : qu'on dise que les fillettes possèdent un érotisme, une auto-sexualité, et que le bon Dieu, pendant la messe, provoque en elles des orgasmes, c'est une chose plutôt positive compte tenu de la rareté des représentations du désir des petites filles. Mais l'apologie de la pédophilie "consentie", avec l'exhibitionniste des toilettes publiques ou les jeunes paysans, dans la grange, c'était nettement plus dérangeant – Deforges consacre une page à plaider pour que les hommes fassent l'amour aux fillettes qui se sentent prêtes pour ça. Et le regard porté sur ces scènes de sexe n'est, assurément pas, celui de l'enfant : c'est celle de l'adulte, qui surdétermine le sens de la scène en bonne pornographe, voire un bon vieux male gaze. Ce texte est paru dans les années 70 : quelle part de stratégie, pour être reconnue par la côterie en place ? quelle part de provoc ? quelle, de sincérité ?
Dernière édition par Pasiphae le Mer 21 Avr 2021 - 16:37, édité 1 fois
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Fedora/ Pour qui sonne Lestat Mer 21 Avr 2021 - 15:54
J'avais vu Le Manque (Christophe Esnault) en concert dans un petit bar il y a pas loin de dix ans, c'était drôle mais sinon bof bof. "Je suis de moins en moins sensibles aux voix qui, pour s'affirmer, ont besoin de disqualifier autrui, c'est mon côté bisounours. " ne m'étonne donc pas. par contre le sujet de celui-ci semble intéressant
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une ligne/ Barge de Radetzky Mer 21 Avr 2021 - 16:12
lala tu me donnes envie avec les argonautes de Nelson !
Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mer 21 Avr 2021 - 16:41
Fedora : alors, si c'est une constante ! oui il y a le côté "vous êtes toustes nul·les les "normaux"", qui m'a un peu agacée. je veux bien qu'on propose des modèles de vie originaux, minoritaires, mais si c'est pour insulter les choix d'autrui qui ne font de mal à personne, bof bof comme tu dis... mais oui, il y a dans celui-ci un regard vraiment important porté sur l'institution psychiatrique, et de ce point de vue, témoignage de grande valeur !
une ligne : il est géniaaaaaaaaaal
Nombre de messages : 5449 Âge : 57 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017
Jdoo/ Maîtrise en tropes Jeu 22 Avr 2021 - 19:39
Ce que j'ai lui depuis le début de cette année:
Loterie Solaire de Dick: je l'avais lu adolescent et comme je m'en souvenais plus je l'ai relu. Alors c'est pas la loterie de Babylone de Borges mais l'idée de fond est similaire (enfin quoique). Tous les postes importants de la société sont distribués suivant le résultat d'une grande loterie. Et il est possible de tuer la personne qui a accédé au poste pour prendre sa fonction. Bon comme ça déjà était dit ça a méchamment vieillis et en plus l'intrigue est terriblement mal fichu. On est de ce que je crois me souvenir à des années lumière d'Ubik.
De loterie en loterie donc : La loterie de Babylone de Borges : pas la peine de vous fatiguer à le lire vous pouvez l'écouter ici, ça vous changera de la bibliothèque de Babel (c'est du reste dans le même recueil : Fiction)
Que serait une société où votre destin serait tiré au sort ? Du reste et est-ce que la confrérie de la loterie de Babylone, ne serait pas toujours en activité ?
Grammaire Philosophique de Wittgenstein : un peu de philosophie analytique avant de se coucher ? Il est question de réflexion sur la logique, sur ce que l'on sait ou que l'on croit savoir. Il y a beaucoup de paragraphe qui s’interroge sur la signification des quantificateurs existentiel et universel de la logique des prédicats et du concept de généralisation (tous les chiens dans la cour et tous les points de la table, "tout" a-t-il dans ces deux phrases, la même signification ?) . Des petits tacles ici ou là à son maitre Russel, à Frege , à l’intuitionnisme et au projet d'Hilbert. Voilà comme dirait Wittgenstein : sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.
Tractatus de Wittgenstein : que j'ai lu, suite à la grammaire philosophique, car finallement c'est le premier essais qu'il a écrit. Donc le Tractatus postule que tout ce qui est réel peut être décrit en logique et que chaque élément logique doit correspondre à un élément de la réalité. S'il y a des ambiguïtés dans cette bijection, c'est que c'est de la faute à un manque de rigueur de notre part et que de ce manque de rigueur nait toutes les discussions oiseuses philosophiques. Comprendre que tout ce qui ne peut pas être décrit par la logique et bien il n'y a rien à en dire. ça c'était dans le début de réflexion de Wittgenstein, qui a inspiré le cercle de Viennes (néo positiviste). Plus tard, il changera de point de vue radicalement en disant que son œuvre la plus importante était celle qu'il n'avait pas écrite (entendre l'éthique et tout ce qui n'est pas réductible à une équation logique).
Endymion - Dan Simmons : la suite de Hyperion et la chute d'Hyperion, les deux premiers tomes que j'avais lu il y a longtemps. Je me suis promis de lire la suite. Du space opera avec comme ligne inspiratrice le poète Keats. Alors c'est long, mais long, qu'est ce que ça délaye... Sûrement payé au kilo...
Introduction à Wittgenstein - Rola Younes : comme Wittgenstein c'est un peu compliqué, il faut un bon mode d'emploi sur sa pensée. Petite livre court et qui m'a permis d'y voir un peu plus clair sur le sujet, sur le bonhomme, ses influences etc..
Les promesse de l'aube de Romain Gary : récupéré dans les affaires de mon père. J'ai vraiment aimé ce livre, où nous est raconté la vie de l'auteur sous la protection totalement étouffante de sa maman. Une troisième partie qui se déroule durant la débâcle Française de la seconde guerre, où le héros et brinquebalé de France en Afrique en ayant l'impression de ne servir strictement à rien. en tout cas le style désabusé et drôle m'a clairement emballé.
La naissance de la tragédie de Nietzsche : Mais qui a tué la tragédie ? enquête. Donc cela part d'une constatation riche en azote, qui est que dans l'art il y a une part d’Apollon (rigueur, beauté, etc) et Dionysos (Folie, créativité, que sais-je encore). Très bien. Et que à un moment de l'histoire grec le coté Apollon a pris le dessus sur le Dionysos et que c'est de la faute à Socrate qui le vilain a cherché à tout rationaliser et que c'est pour ça que depuis 2000 ans on est dans la merde. En tout cas Nietzsche connaissait bien son sujet, quand aux conclusions... je vous laisse vous faire une idée.
Le Banquet-Phèdre-Apologie de Socrate de Platon: voilà un livre qui traine dans ma bibliothèque depuis je sais pas quand, vue la couche de poussière accumulée dessus. Et comme je venais de finir la naissance de la tragédie, ça m'a donné envie de le lire. On y parle, rhétorique, arguments fallacieux, sophisme, de l'amour (c'est dans le banquet que l'on trouve la théorie des êtres coupés en deux qui cherchent leur moitié pour se rassembler, mais c'est une théorie débile réfuté par Socrate). ça parle d'amour, d'amitié entre les hommes, ça ne parle pas de femme, ou alors pas en bien. La dernière partie est consacrée au procès de Socrate. Mais il en avait rien à foutre de mourir tellement il était au dessus de tout ça.
Le K de Dino Buzzati: recueil de nouvelles. Lui, au moins il a souvent des bonnes chutes. Me reste plus qu'à en prendre la graine.
A rebours de Huysmans : le roman qui ne raconte rien, que des impressions d'un homme qui se réfugie dans sa tour d’ivoire, car tous les gens sont des cons, saufs lui, et qui est fasciné par l'artifice. Du symbolisme en réaction au naturalisme de Zola. Il y a énormément de référence à des écrivains, artistes du XIX eme , ce qui procure une bonne immersion dans l'époque.
Le roman de Molière de Boulgakov: roman pas très long sur la vie de Molière vue par un Russe, très agréable à lire. Cela participe au mythe de Molière. Au faite ? Armande Béjar son épouse, était-elle la fille de Molière ? Vous le saurez... peut être ou pas...
Nombre de messages : 5732 Âge : 35 Localisation : Oxfordshire Pensée du jour : Oui, je connais cette théorie. Date d'inscription : 23/12/2007
Tim/ Morceau de musique survitaminé Ven 23 Avr 2021 - 18:33
jdoo a écrit:
Ce que j'ai lui depuis le début de cette année:
Loterie Solaire de Dick: je l'avais lu adolescent et comme je m'en souvenais plus je l'ai relu. Alors c'est pas la loterie de Babylone de Borges mais l'idée de fond est similaire (enfin quoique). Tous les postes importants de la société sont distribués suivant le résultat d'une grande loterie. Et il est possible de tuer la personne qui a accédé au poste pour prendre sa fonction. Bon comme ça déjà était dit ça a méchamment vieillis et en plus l'intrigue est terriblement mal fichu. On est de ce que je crois me souvenir à des années lumière d'Ubik.
C'est un de ses premiers (si ce n'est le premier), non ? Je me souviens de conclure de ma lecture "on sent déjà que certains thèmes sont là mais la structure n'est pas encore au point."
Nombre de messages : 5449 Âge : 57 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017