Ça me démangeait de lire son journal intime. Je l'avais trouvé dans sa pile de livres, entre le nouveau thriller de Fred Vargas et un livre au titre à rallonge venu sûrement de la bibliothèque universitaire.
Il était là, innocent, avec l'apparence d'un simple cahier de brouillon. On aurait pu y lire des exercices d’écriture d’une enfant, des comptes, peut-être même des fleurs ou feuilles d’arbres en train de sécher. mais non. Il y avait à l’intérieur une grande partie de l’intimité de ma femme.
Assis sur le  lit, devant ma précieuse découverte, j’étais tiraillé entre la curiosité et le respect de son jardin secret. Que pouvait-elle bien écrire de si important et de si terrible à la fois ? Devrais-je être outré qu’elle ait tant à me cacher ? Ou au contraire heureux d’avoir une femme un brin créative ? J’avais toujours considéré cette activité uniquement réservée aux enfants, qui plus est aux gamines. Les filles, surtout à un certain âge, ça réfléchit beaucoup trop ! C’est normal que si elles ne se mettent pas à sortir ce qu’elles ont dans le crâne, elles finissent par exploser !
Finalement, j’ai remis le petit cahier bleu à sa place et je suis reparti dans le salon. Il y avait sûrement beaucoup de choses intéressantes à l’intérieur, sur notre couple, sa famille et peut-être d’autres sujets croustillants. Mais il s’y trouvait également ses doutes, faiblesses, peurs les plus enfouies et qu’elle préférerait probablement garder cachées aux yeux de ceux qu’elle aime.
Elle a toujours été ainsi, taire ses maux pour bien d’autrui. Mon rôle n’était pas de fouiller dans son esprit, mais de l'accompagner et la soutenir. Je souris à cette pensée et décida de l'emmener dîner dans notre restaurant préféré ce soir-là.

Conduire

sortie de la blonde
lagune
où les canards
bleus

vivent font siffler ton
brouillard
radent s'ils disent du bon
hasard

prochaine rocade au golfe
d'ombre
radio rugissante d'où ronfle
le monde

impulse imprègne du sang
à tes mains
recule nie ce qui arrivera
son refrain

bretelle de nuit sans
limitation
refais une voix lactée
d'éructation

le pied dansant frissonne
de joie
au petit matin rougit rosit
d'effroi

la fin de la traque-rêve est
ici donnée
les chiens respirent des feuilles
désarçonnées

C’était le moment le plus agréable de la journée. Avant que le soleil ne se lève, les phares allumés, Elsa roulait à vive allure sur l’autoroute A79 en direction de Digoin. Elle avait déjà fait plus d’une heure de route, soit un bon tiers du trajet. Le chauffage était à fond et le dernier album de Black Pink résonnait dans l’habitacle. Elsa affichait un grand sourire que les automobilistes en face auraient du mal à ne pas voir. Il était encore très tôt. Son GPS lui indiquait que la route serait sans embûche jusqu’à destination. Les problèmes commenceraient à ce moment-là…
La veille, sa mère lui avait envoyé un sms : “Mamie dcd cette nuit… descends dès que tu peux… bisous.”
Elle savait bien que ce n’était pas uniquement pour le décès et l'enterrement de sa grand-mère qu’elle avait reçu ce texto. En tout cas, elle savait lire entre les lignes. Son père était sûrement inconsolable. Proche de sa mère, fils unique chéri et adoré, il avait tout fait pour rendre les dernières années de sa maman les plus heureuses possibles, malgré la vieillesse et la maladie. Malheureusement on ne peut empêcher l’inéluctable.
Alors Elsa conduisait dans une ambiance déchaînée pour évacuer toute sa nervosité. En chantant la voix cassée, des larmes se mêlaient aux souvenirs fusant dans son esprit. Rien ne serait plus jamais pareil. A partir du moment où elle garera sa voiture devant la maison et tomberait dans les bras de son père, quelque chose aura changé, pour toujours. Et c’est ce qui lui faisait le plus peur.

Crête

Une journée hors
Sol à désosser des 
Lignes de crête 
Refaire relief recon
Struire un terril en 
Soi posé sur un tapis 

Suivre le lignage des
Plis torrentiels irrévé
Rencieux de l'âme plis
Sures d'enfance jeux in
Terdits pores d'écoute en
Cuisine jusqu'au grenier 

Une heure une nuit au
Sommet sans âges 
Porté par une lecture sav
Ante mené embarqué 
Courant ascensionnel cour
Ant chutes descentes

Point à la ligne tracée 
Entre nous ce vide s'eff
Ace ce vide s'avance ce 
Vide s'effondre et renon
Ce vide qui tient la ligne 
Tracée de crête pointue 
A la pointe de l'oreiller 

“Puisque je vous dis que j’ai vu un dragon !”
Les habitants de village continuaient de se moquer de lui qui gesticulait dans tous les sens. Encore en liquette de nuit, les cheveux en bataille, le vieil homme faisait de grands signes avec ses bras, les yeux exorbités.
“Je me suis levée pisser dehors, il fait bon encore ! Et là, à la lumière de la lune, parce qu’elle éclairait bien hier vous avez vu ? Je l’ai vu !”
“Mais qu’as-tu vu mon pauvre vieux ? Vous n’y voyez pas à 2 mètres !” ricana un fermier passant avec sa vache attelée.
Tout le monde rit à cette remarque. L’intéressé ne broncha pas.
“Il était immense ! Je l’ai vu par rapport aux arbres, il les dépassait d’au moins 10 mètres -nouvel éclat de rire à cette taille surréaliste- et il regardait vers nous, je vous jure qu’il regardait vers le village !”
“Il regardait vers toi qui pissait, c’est normal qu’il était curieux ! Et à mon avis tu lui auras peur !”
La jeune femme qui préparait son étal partit en fou rire, bientôt accompagné des autres. Les enfants mimèrent grossièrement le vieil homme en train d’uriner.
L'homme s’enfuit dans sa maison et se barricada. Personne ne le croyait. Pourtant il était sûr d’avoir vu la bête mystique cette nuit-là, sur la crête. Il se jura d’y aller la nuit prochaine. Au-delà de son aspect grandiose, il avait surtout ressenti comme un appel. Le monstre l’appelait.

Le temps était idéal pour lancer l’expédition. Dès l’aube, les explorateurs firent leur paquetage et prirent la route vers l’Ouest. En tête et en queue de file les plus costauds en cas de mauvaises surprises. Au milieu, les scientifiques qui avaient le nez plongé dans leur parchemins ou les yeux rivés sur le moindre caillou étonnant. L’un d’eux, Razza, relisait pour la énième fois une carte qu’il dessinait au fur et mesure de leur avancée. Il était chargé de dessiner chaque élément du terrain qu’il voyait. A présent que la brume s’était levée, après des dizaines de jours d’attente, il pouvait enfin se mettre à l'œuvre.
Cette partie du continent était restée inexplorée durant des décennies. Les vieux livres d’histoire racontent qu’une guerre terrible entre Hommes et Démons a eu lieu dans ces contrées glacées. Depuis, une brume éternelle s’était installée, une brume telle qu’aucun téméraire n’avait pu s’aventurer et revenir vivant. C’était enfin possible de le faire, à présent que la brume avait brusquement disparu.
Ce phénomène avait d’ailleurs fortement inquiété Hektor, un autre scientifique de l’expédition. Pourquoi cette brume s’était évaporée si brutalement ? Et pourquoi maintenant ? Il craignait que quelque chose (ou quelqu’un) les attende sur ces nouvelles terres. Il avait ordonné au guerrier qui fermait la marche de peindre en blanc des rochers afin qu’ils puissent, si nécessaire, rapidement trouver leur chemin. Surtout si la brume se décidait à retomber brutalement, scellant le destin des malheureux…

Inexploré

Des yeux ouverts
Des yeux fermés 
Papillonnent 
Trombent en eaux 
Relâchées 

L'œil ouvert 
L'œil fermé 
Cascade le temps
Filé tressé laissé
Au dernier 
Cadran

Mains levées 
Mains baissées 
Cherchent l'or 
Du ciel et de soi 
L'or digeste l'or 
Reste à déterrer 

Mains levées 
Mains baissées 
Sandales ou siantags
Font éperons d'anges 
Inconnus au plus loin
D'horizons défrichés

Rhinocéros

La couverture du livre 
brillait dans la nuit 

On avait fait des pages 
de morceaux de lune 

des comètes ont donné 
l'alphabet aux enfants 

Il en sortait des mots 
jamais dits d'une bouche 

les enfants ? Ils savaient 
sans tricher ni copier 

Cette couverture à corne
brillait d'un point de lune 

comme pour indiquer au 
ciel son étoile sa grammaire 

“C’est une corne de rhinocéros je vous dis”
La jeune femme ne broncha pas. Penchée sur l’objet, elle examinait chaque millimètre carré, craignant la contrefaçon.
“Madame, vous m’avez fait confiance durant ces derniers mois, pensez-vous vraiment que je risquerai de tout perdre en vous vendant de la camelote ?”
“Ce serait un gros risque pour vous en effet.” murmura-t-elle, toujours absorbée par son analyse.
Le vendeur, un homme corpulent à la limite de l'obésité, transpirait comme s’il venait de monter des escaliers à vive allure. Ses énormes lunettes lui glissaient sur le nez. Il se tortillait les doigts, dansait d’un pied sur l’autre. Bien au contraire, la demoiselle était richement vêtue d’un tailleur noir et d’une paire de grandes bottes de marque. Elle tenait une loupe dans sa main droite gantée et tournait lentement autour de la corne. Après deux minutes de silence, elle se redressa.
“Monsieur Kurk, j’ai assez affaire avec les autorités de mon pays pour me permettre de faire ce que je souhaite. Le passage en France n’est pas un problème pour moi. Votre prix, en revanche, me laisse dubitative.”
“C’est une corne d’un rhinocéros blanc madame. Une espèce rare et protégée, vous n’en trouverez pas une autre comme celle-là.”
“J’ai mon acheteur potentiel. Seulement, il est plus risqué pour moi de perdre cet acheteur en lui vendant du toc que vous donner la somme que vous me demandez”.
“Bien sûr madame, bien sûr. Mais faites-moi confiance encore une fois, vous ne serez pas déçue.”
Elle réfléchit encore longuement avant de claquer des doigts pour appeler son homme de main.
“Enzo, sors l’argent et paye-le…”
Il s’exécuta, le gros monsieur commença à se détendre.
“...Mais retiens bien également son visage. Il sera ta cible prioritaire si je rencontre le moindre problème.”
L’homme de main sourit, le vendeur se décomposa.

Les cors d’alarme nous ont réveillé bien avant le levé du jour. Pris dans la cohue, je me suis habillé, armé et j’ai rejoins mon commandement sur les remparts Sud du camp fortifié. Là, nombre de mes camarades étaient déjà positionnés ainsi que notre supérieur. Je pris position, arc posé, carquois rempli. Un homme se dépêcha de passer dans nos rangs pour allumer des brasero au cas où nous devrions tirer des flèches enflammées.
Au loin, nous distinguions des lueurs sur le fleuve. Au début qu’une dizaine, mais des centaines finirent par apparaître. Ce n’était donc pas un exercice, ce n’était pas non plus une rumeur.
Nous étions bien attaqués.
Etant le seul camp fortifié avancé du pays, nous étions le premier bouclier de notre peuple. Cela signifiait un grand honneur, mais également un immense sacrifice. Nous allions encaisser la première attaque, le plus violente.
Au centre du village, on entendait les chevaux hennir, les boucliers s'entrechoquer. Un cavalier était déjà parti au triple galop vers le Nord, porteur de la terrible nouvelle. Je murmurai une prière pour qu’il arrive à bon port.
“Archers, dit d’une voix forte notre capitaine, encochez. Attendez mon signalement.”
Comme un seul homme, toute mon unité prépara sa première flèche. Nous étions galvanisés par cet inégalable entraînement et nous nous faisions une confiance aveugle. D’ici quelques heures, cette confiance pourrait bien faire la différence. Les bâteaux face à nous commencèrent à vomir les premiers guerriers ennemis. Nous ne les distinguions pas encore tout à fait. Mais le brouhaha arrivait à nos oreilles. La peur naissait dans mon ventre. Il ne fallait ni penser à la victoire, ni à la défaite. Uniquement le combat. Chaque flèche ajustée sauverait l’un des nôtres.