29 octobre : Samouraï

Citation :

Dix petits samouraïs de porcelaine somnolent sur une étagère. Une souris grise, qui passe par là, d’un coup de museau malicieux, pousse le premier par terre. Bing ! Crââc ! Bang !

Le bruit réveille le vieil Alphonse, qui ne dort que d’une oreille. D’un bond, il saute sur l’étagère. La souris disparaît. Mais un coup de queue malheureux balance le second samouraï. Bing ! Crââc ! Bang !

Lysabel, du haut de ses douze ans, se fâche. D’un coup de balai, elle menace le chat et flanque les débris dans un sac poubelle. Bing ! Crââc ! Bang ! Le bout du manche renverse le troisième samouraï.Thomas se moque de sa grande sœur et entame une danse macabre, avec force gestes désarticulés.

— Papa et maman vont te gronder ! Na na na na nère !
— Arrête! Tom-Tom! Arrête.

Bing ! Crââc ! Bang ! Le quatrième samouraï est en miettes par terre. Penaud, l’enfant aide sa sœur aînée à ramasser les morceaux cassés. Un calme relatif s’installe. Lysabel observe la poussière accumulée sur l’étagère. Un coup de plumeau s’impose, pense-t-elle, et les parents seront contents. Avec douceur, les plumes multicolores caressent chacun des bibelots. Et pourtant ! Bing ! Crââc ! Bang ! Le cinquième samouraï s’effondre à son tour.

— Malheur de malheur ! s’écrie la fillette. On ne touche plus à cette étagère.

Trop tard. Thomas, d’un penalty dans l’encadrement de sa porte de chambre, décapite le sixième samouraï. Bing ! Crââc ! Bang !

— Ly-Ly, j’ai pas fait exprès !

Les deux enfants s’installent devant la télévision et la pizza. Les émissions du samedi soir les font bailler. Quel ennui !

— Quand est-ce qu’ils rentrent, papa et maman ?

Mais Lysabel n’en sait rien. Elle a trop chaud. Les radiateurs à fond rétrécissent l’atmosphère. Elle ouvre en grand les fenêtres.

— T’es folle ! crie son petit frère.

Bing ! Crââc ! Bang ! Le septième samouraï est mort d’un courant d’air. Alphonse se met à miauler. Sans bruit, le huitième samouraï s’est éclaté sur le carrelage.

— Que se passe-t-il ? se demande Lysabel.

Bing ! Crââc ! Bang ! Le neuvième samouraï saute à son tour dans le vide, très mystérieusement. Thomas ne comprend plus. Les enfants ont le dos tourné. Et hop, le dixième samouraï, par chagrin sans doute, s’écrase. Bing ! Crââc ! Bang ! Les douze coups de minuit sonnent. Lysabel frissonne.

— Allez ! Viens, Tom-Tom, on va jeter les samouraïs à la poubelle, et au lit !

***

— Franchement, chérie, s’énerve le père, jamais je ne remettrai les pieds dans un restaurant japonais. Jamais !
— Mais pourquoi tu dis ça, renchérit la mère, c’était ton idée, après tout ! et puis, calme-toi, tu vas réveiller le chat et les enfants !

J'ai trouvé les dialogues des enfants un peu "faux", ils font très désuets, même si j'ai trouvé l'histoire plutôt intéressante, et rigolote. Surtout la fin, avec la chute des derniers samouraïs sans aucune explication logique.
Toutefois, je n'ai absolument pas compris l'intervention du père et de la mère.

...

31 octobre : Serpents noirs

Citation :

Je ne connaissais pas Edouard Levé. Quand j'avais 7 ans, j'ai annoncé à mes parents que j'écrivais mon premier roman. Je préfère la solitude. Je n'ai voté que deux fois dans ma vie en 1984 et en 1988. Je me trouve très beau sur la photo de mon permis de conduire. J'ai fait mon service militaire à Berlin un an avant la chute du mur. Pendant la canicule de 1976 je me rassurais en lisant les évangiles face aux angoisses de ma mère. J'ai eu les cheveux blancs très jeune. J'aimais aider ma grand-mère à préparer des confitures avec les quetsches de son jardin. J'ai pris l'avion la première fois pour aller en Guadeloupe avec C. Je suis davantage un rêveur qu'un entrepreneur. Je suis devenu communiste en lisant Les Cloches de Bâle. J'avais cinquante-cinq ans quand mon frère m'a appris qu'il était homosexuel, à la mort de notre père. J'ai souvent du mal à trouver mes mots. Enfant, j'ai toujours pensé que j'étais adopté. J'ai horreur de téléphoner. J'avais souvent peur de mourir en cours de récréation. Des fois, j'ai cru en Dieu, en revanche, je n'ai jamais vraiment cru en l'humanité. Je suis écrivain avec un travail alimentaire. J'ai davantage de personnages dans la tête que de personnes que je connais en vrai. Le jour du Vendredi Saint, ma mère achetait de la viande, puis, devant l'air médusé de mon père, lui sortait du frigo un bout de poisson pour lui tout seul. Je lisais L'Équipe en cachette. Je me demandais souvent si je préférais mon père et ses principes d'un autre âge ou ma mère et ses colères nerveuses. Un jour, j'ai vu mon père pleurer. Je suis allé voir un psychiatre mais je ne lui racontais pas tout. C. voulait un deuxième enfant, pas moi et c'est dommage. J'ai souvent l'impression de vivre au jour le jour. Quand ma mère est morte, cela faisait sept ans que je ne l'avais pas vue. J'ai déjeuné avec mon frère le jour de la libération d'Ingrid Betancourt. Je ne sais pas conduire. Mon père est mort et pourtant je lui ressemble de plus en plus. Le jour du bac de physique, je suis parti sans payer le sandwich au jambon que j'avais mangé dans le restaurant en face du lycée. À la naissance de ma petite sœur, ma mère m'écrivait une lettre par jour de la clinique. Avec le temps, j'oublie les raisons de mon passage ici. Une lectrice m'a écrit "Je crois que ce que vous écrivez est le fruit d'une vie, de Votre vie" et cela m'a touché.

Complicité est vraiment chouette mais... je ne crois pas du tout qu'elle aille voir son mari. Ou alors il n'est que de façade.
Le reste est superbe, maîtrisé, poétique, nostalgique. Vraiment un très joli texte, avec l'amertume en fin d'extrait.

Serpents noirs : je n'ai pas compris le rapport au titre, mais je trouve ça beau, toutes ces évocations dans un paragraphe où elles ne font que s'accumuler. On bascule d'une émotion à l'autre, d'un fait à l'autre et c'est grisant. Ces méandres racontent effectivement bien une vie.

Merci beaucoup Le Rosier pour avoir fait vivre ce topic quasiment tout seul au long de ces 31 jours d'octobre. J'espère que l'expérience t'a plu, et je suis ravie d'avoir pu découvrir ta plume et ton univers.

Je te retourne les remerciements,  Léa.  J'ai vraiment ete honoré chaque jour de tes retours de lecture,  toujours justes et éclairés. J'ai adoré cette expérience,  vraiment enrichissante. Et je suis aussi ravi de finir sur deux belles notes. Deux textes qui me tiennent à cœur.   Complicités est un extrait d'un roman prêt à sortir, auquel je tiens énormément. Quant aux Serpents Noirs,  un texte issu d'un atelier d'écriture avec Clarisse Gorokhoff.  Je l'ai associé aux serpents noirs, car j'ai trouvé que nous avons tou.te.s des serpents noirs dans nos parcours.

J'ai beaucoup aimé serpents noirs, même si je n'ai pas compris ce qu'il pouvait y avoir de sombre là dedans. Ce listing aurait pu finir par être rébarbatif mais pas du tout, tu as su le rendre agréable à lire et plaisant à découvrir jusqu'au bout.
Tu es arrivé au bout du scriptober, bravo!