Le glas sonne pour Crin de chimère.
Cela me fend le cœur de devoir prendre une telle décision, mais je crains de ne plus avoir le choix. Quand on vous met un couteau sous la gorge, il faut se décider et agir rapidement.
Ces trois années de vie ont été très difficiles pour la maison d’édition qui, malgré tous mes efforts, ne décolle pas. Un commerce est censé pouvoir se suffire à peu près à lui-même après ce premier délai, ce qui n’est absolument pas notre cas. Car au-delà de tous les problèmes inhérents à un commerce, l’édition ajoute encore un cran de difficulté, eu égard au système aberrant de la chaîne du livre, qui inclue entre autres le droit de retour des libraires. J’en ai déjà bien assez parlé, j’ai essayé de nous en sortir, j’ai cherché des solutions, malgré ce que ça allait impliquer pour mes auteurs, à savoir une absence de diffusion, un service que tous espèrent (et exigent !) d’une structure éditoriale. Mais nous ne sommes pas un mastodonte, nous ne pouvons pas nous permettre de placer des centaines de milliers de romans pour en voir la moitié revenir, sans compter qu’il est évident qu’entre un ouvrage d’un éditeur inconnu et un autre d’un mastodonte, le libraire fera vite le choix duquel retourner en priorité… voilà sûrement l’explication de ces œuvres qui n’ont même pas eu deux semaines de vie en rayon.
J’ai toujours vu CdC comme un petit navire qui tente de partir à l’aventure. Il y a eu des difficultés avant même le départ, sur le quai, quand nous avons dû changer de nom à cause d’un conflit d’intérêts ; quand j’ai subi du cyberharcèlement parce que je suis une « autrice ratée qui crée sa ME » etc. ; ou quand les prestaires de la chaîne du livre m’insultaient, s’ils prenaient la peine de me répondre. Mais j’ai tenu.
Puis il y a eu les manifestations des gilets jaunes qui ont privé des évènements de public, le COVID et ses confinements, la guerre qui a engendré — et engendre toujours — des pénuries, l’inflation… Bref, je ne vous apprends rien. Tout cela sans compter nos problèmes internes : tout cet argent (souvent mes économies) jeté au feu pour imprimer des centaines de livres pour la librairie, qui finalement ont fini/finiront à la poubelle, les restrictions budgétaires qui en découlent, d’où un manque de corrections sur certains ouvrages, ce qui a mené au mécontentement… Mais j’ai tenu.
J’ai tenu aussi sur les réseaux sociaux, où on a subi des élans de haine gratuite, où des gens malintentionnés nous ont démolis, ma ME, mes auteurs, moi. Je me suis maintes fois remise en question, en me demandant si, finalement, cette activité était vraiment faite pour moi. Mais je me suis accrochée, et j’ai tenu.
Jusqu’au point de rupture. Ce moment, cette fraction de seconde de trop où la coque du navire ne peut plus supporter un énième assaut. J’ai compris à cet instant que je ne devais plus sacrifier mon argent et ma santé pour rien. À quoi ça sert de sélectionner des romans, de travailler dessus (gratuitement pour ma part, je n’ai jamais pu me verser de salaire, je n’ai jamais été riche sur le dos de mes auteurs comme certains imaginaient) et de les publier pour faire, pour un « bestseller », moins d’une centaine de précommandes suivies, avec de la chance, d’une vente par mois sur notre boutique ? Je ne mentionne même pas la librairie, puisque nous n’avons plus vu une pièce depuis plus d’un an et demi, et que demander des explications au distributeur est « malhonnête » d’après lui. Celui-là même qui, après nous avoir coulé, m’a dit de « trouver une autre activité ».
Les nouveautés ne s’auto-rentabilisent plus — si tant est que ça a été le cas un jour. Les salons ne nous permettent que tout juste de rentrer dans nos frais, et cela même pas grâce aux livres.
Continuer est stérile, et je refuse d’imposer à mes auteurs l’incertitude du lendemain.
Je préfère me retirer du paysage éditorial, si diversifié qu’il n’y a que les gros qui survivent, et prendre un peu soin de celle qui n’a plus eu une pensée pour elle depuis 3 ans : moi.
Crin de chimère a été une aventure difficile, et néanmoins enrichissante sur de nombreux points de vue.
Mais toute chose, bonne, mauvaise ou mitigée, a une fin. Et pour moi, pour CdC, elle est ici.
Encore merci à tous et à toutes pour vos gentils messages, pour votre soutien.
C’était Hélène, désormais ex-éditrice, à vous les studios.