Sinon ça peut être intéressant de voir que depuis l'ouverture de ce topic, l'écriture inclusive a essaimé sur le forum, notamment en section poésie. Je le copie-colle ici : (depuis, ça a pu s'enrichir de nouvelles choses bien sûr !)
Petite analyse au débotté, non pas pour examiner théoriquement si la rédaction inclusive est compatible avec la littérature, mais comment elle l'a été de fait ces derniers mois en section poésie (et ce n'est pas exhaustif bien sûr !) :
Aquae, le 21 juillet, poste un poème où elle écrit :
- Citation :
- Lorsque les arbres
toutes leurs caresses
lorsqu'ils partiront les arbres
faute de tendresse
amas de bois mort – lézardes
lorsque
nous ne nous aimerons plus – hagard‧es
les arbres encore
tous fissurés les arbres morts
pleureront leur souche ancienne
On peut se demander comment on prononce, et s'appuyer sur le reste de la strophe : on identifie des rimes, dont le schéma au début semble assez rigide (ABAB, rimes embrassées), mais commence à gagner en ambiguïté à partir de l'usage de l'inclusive. Si les rimes étaient restées rigoureuses, on aurait su qu'il faut prononcer "hagardes" pour rimer avec "lézardes", mais compte tenu du fait que "lorsque" ensuite est isolé et ne forme qu'une presque rime avec "encore" (qui pour le coup rime avec sa suivie "morts"), et isole "ancienne", l'équivoque demeure (c'est peut-être tout le charme de l'usage de l'inclusive en fin de vers dans un poème même partiellement rimé).
Le 4 juin 2018, Aquae utilisait une inclusive plus discrète et moins ambiguë ici :
- Citation :
- Si dans le jour à venir
se heurtent en silence les insectes
de nos souvenirs et de nos espoirs vaniteux
– ne desserrons pas encore les poings, et
chuchotons aux oreilles oublieuses de nos aîné-es
qu’avant nous iels ont rêvé
Pour le coup, on sait comment prononcer, seul le "iel" s'entend à l'oral pour signaler l'inclusive (donc "aîné-es" est purement un marqueur graphique) ; la sonorité de "iel" rappelle, au vers précédent"oubl
ieuses", ou comment faire un très joli rappel musical tout en naturalisant, aplanissant, l'usage d'un pronom nouveau pour l'oreille.
Moïra, dans un poème du 30 mai, utilise elle aussi une tournure ambiguë :
- Citation :
- ô vent — gisant entre les mort·e·s
et les sources endormies
Le poème étant non rimé, sans reprises sonores, une lecture oralisée serait à l'avenant du / de la lecteur·ice. Mais après tout, n'est-ce pas déjà le cas avec toute la tradition de la poésie non ponctuée / non majusculée, qui laisse une semblable liberté ? on peut imager prononcer "morts", "mortes", ou bien mort - tes", en marquant une petite pause (comme c'est souvent fait lors des lectures oralisées de textes rédigés en écriture inclusive dans des contextes militants).
Dans son journal d'août 2019, la même Moïra écrit ceci :
- Citation :
- et alors tu — l'écoutes, dans cette même nuit qu'iel rencontre
derrière sa lointaine fenêtre éclairée, au dessus d'un lampadaire et d'une rue silencieuse
Ici, dans le vague de l'adresse, le genre de la personne évoquée n'est pas spécifié (ou peut être un genre non-binaire). Cela renforce la stratégie de l'évocation lyrique, peu fixée, mystérieuse.
C'est un procédé qu'on trouve souvent utilisé sous FINAMOR, puisqu'il sert à renforcer le brouillage de l'adresse dans une perspective mystérieuse et ludique (à qui s'adresse FINAMOR ? on anonymise d'autant plus quand iel s'adresse à un·e interlocuteur·ice au genre non spécifié), comme ici le 1/02 :
- Citation :
- Je sais bien qu'ils ont mille ans d'âge, et qu'ils t'ont connu·e. Tu passais sous le vent, l'itinéraire fourchu des oiseaux, puis ils t'ont connu·e. Pendant longtemps, les oiseaux t'ont brisé·e, volé le brin de paille et la misère de ton chapeau.
mais qui sert aussi à faire de FINAMOR une source d'énonciation non genrée, donc ouverte (puisque FINAMOR est tantôt incarné par des hommes, tantôt par des femmes, tantôt par des non-binaires), voir dans ce poème du 30 octobre 2018 :
- Citation :
- Je suis seul.e, et seul.e avec ces autres êtres qui peuplent ma tête, je ne peux non plus ne pas être touché.e, ni réconforté.e. Je ne peux pas ne pas être aimé.e.
Et parfois FINAMOR utilise des tournures inclusives beaucoup moins voyantes, mais épicènes, comme ici le 21/01 :
- Citation :
- souvent tard dans la nuit je lis à haute voix
leurs poèmes — parce
qu’il me semble que ce sont des prières d’enfant
et qu’il faut au moins cette justesse-là pour t’espérer
Scezelivo présente aussi un cas intéressant, car il fait un usage très joueur, mutin et très voyant de l'inclusive dans son écriture, à grand renfort de points médians et tournures non-épicènes. Malheureusement, il a supprimé la plupart des textes postés sous Shahzhou Lila et il faudra se contenter du souvenir de ceux-ci.
De mon côté, j’aime un peu m’amuser avec elle. Par exemple, comme il est habituel pour mes lecteur·ices de me lire en inclusive, iels savent que je n’emploie jamais « hommes » pour parler de l’humanité, ou « ils » d’un groupe mixte (ici, effet de connivence).
Exemple de ce poème d’août 2018 :
- Citation :
- Il existe des choses sérieuses.
Le vin, par exemple, que boivent les hommes.
Dans ce poème de septembre 2019
- Citation :
- Visqueux, ils dégoulinent sur les passant·es. Tant et si bien
Que les passant·es lèvent le nez vers les fenêtres, tant et si bien
J’ai créé une rime non programmée : la syllabe de fin du premier vers se voit rappelée au vers suivant, mais sans que ce son ne soit déterminé à l’avance par autre chose que le choix du / de la lecteur·ice.
Je pense aussi à ce poème d’octobre 2018, « Ils ou bien » :
- Citation :
- Bien qu'ils/elles soient fulgurants
Et que la lune les touche
Et qu'on en vienne aux mains
Ça pourrait être un souffle.
Quoiqu'on dise de leur destin
Ils ou bien elles vous touchent
Et ce n'est pas ma bouche.
Ou ça peut être une bouche.
Malgré la force du venin
Je crois qu'en vous je viens
Ça pourrait n'être que pire
Et qu'on ne sache que dire.
Il joue sur l’oscillation générique (de quel groupe parle-t-on ?), résolue dans la dernière strophe par le « vous » qui les inclut toutes ensemble sans être genré, sorte de chute par les choix grammaticaux.