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| Le jeu de rôles est-il devenu un genre littéraire ? | |
| | Nombre de messages : 1782 Âge : 30 Date d'inscription : 30/03/2023 | Docal / Fiancée roide Mar 6 Aoû 2024 - 16:27 | |
| "Donc puisque ça rentrerait dans tes critères de genre littéraire, ce n'est plus de la littérature, alors qu'il s'agit d'un livre écrit, avec une narration prévue et découpée ? On fait comment ? ça me parait un peu bancal, là. " Mal exprimé : les LDVEH sont un genre littéraire et un genre de JDR. En tant que genre de JDR il nous renseigne sur sa forme (solo et se joue avec un livre). En tant que genre littéraire, il nous renseigne sur la forme du livre (découpé en chapitres et avec une histoire non linéaire).
"L'Oulipo revendique ses jeux poétiques, voire mathématiques, et font partie du genre poétique. Donc encore une fois, comment qu'on fait ? " Qu'on puisse faire des jeux littéraires ne fait pas du jeu un genre littéraire. Comme qu'on puisse faire des jeux aquatiques ne fait pas du jeu une pratique aquatique.
"Il en va de même pour certaines mises en scène de théâtre, de mémoire certaines scènes d'Antigone. Mais on me répondra que ça dépend des lubies de la mise en scène, et c'est exact. Mais je doute qu'on sorte la pièce du genre théâtral pour ça, cependant ? " La représentation sans dialogues n'est pas un objet littéraire. Mais c'est un genre de représentation théâtrale. Le script dictant les mouvements des acteurs et décrivant leur rôles en sera un objet littéraire du genre du théatre. Comme le manuel de jeu est un genre littéraire mais que le jeu lui même n'en est pas un.
Vouloir faire de tout du littéraire c'est une bonne manière d'en occulter les parties parfois élémentaires. Certaines pratiques gagnent à être vu sous un prisme propre et le jeu (une partie de belote muette étant tout sauf un objet littéraire) en fait partie.
Vouloir faire du JDR un genre littéraire, c'est vouloir en occulter les parties qui ne le sont pas. C'est désarticuler cet objet culturel par recherche de légitimité, pour le rapprocher de quelque chose de plus socialement acceptable.
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| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mar 6 Aoû 2024 - 16:32 | |
| Aconitum, faire de la structure figée du roman un critère pour exclure le jeu de rôle du champ littéraire ne me paraît pas vraiment convenir, il y a des tas de romans à narrations multiples qui se développent depuis au moins un siècle. Chamanii - Citation :
- Après pour les "genres littéraires", le champ littéraire est tellement vaste et nuancé que personnellement je trouve absurde de le découper en cases.
Pas vraiment d'accord avec ça. D'abord, ça a un intérêt historique : comprendre l'histoire des genres c'est, grosso modo, être en mesure d'écrire une histoire littéraire, parce qu'on s'intéresse aux invariants. Si on refuse de les voir, on se trouve face à une multitude d'objets littéraires, et incapable de les organiser, donc de leur donner sens, d'écrire l'histoire. Ça ne veut pas dire que les genres fonctionnent comme des catégories étanches et / ou prescriptives, mais qu'écrire leur histoire permet de nommer le réel, de le décrire. Aussi, si les traditions expérimentales nous ont appris à "briser les genres", les codes, etc., le genre littéraire a longtemps eu une fonction normative forte. Les écrivains voulaient rivaliser d'adresse pour écrire un sonnet, mais rivaliser d'adresse, ça ne voulait pas dire être le plus original possible, plutôt respecter les règles en virtuose ! |
| | Nombre de messages : 322 Âge : 29 Pensée du jour : Gnothi seauton Date d'inscription : 13/04/2023 | Aconitum / Tapage au bout de la nuit Mar 6 Aoû 2024 - 16:37 | |
| - Le Trader a écrit:
- Aconitum : pas forcément ok avec tes distinctions, mais je suppose que ça tient des différences de vécus. Certain.es prennent les jdr plus au sérieux que leurs boulots et autres. Ce n'est pas spécialement un exemple ni un argument, mais une réalité chez des gens. Et tu peux te prendre les remarques directement en jeu, j'ai passé de mauvaises soirées ou de terribles afters à cause de ça. Pas gravissime au demeurant, j'en conviens.
Sur les notes, pas d'accord. Tu as de tout. J'ai un lore qui doit faire 300 pages, un ami écrivait 70 pages de lore à chaque nouvelle région, d'autres arrivent avec une partie de 8h sur une serviette de restau, j'ai déjà joué sans aucun scénario...l'amplitude est plus souple avec le jdr, mais je pense que ça peut rivaliser avec des romans ou même des bibles de jeux vidéos. Je pense que distinguer par l'effort littéraire et le travail stylistique n'est pas du tout pertinent, de fait.
Tu peux également travailler ton arc narratif pour qu'il fonctionne comme dans un roman, et tu peux même le faire sans que ce soit prévu et travaillé, faire en sorte que ce soit un travail collaboratif né du jeu de toutes les personnes présentes. Ce qui permet, peut-être, d'aller plus loin que dans un roman écrit en solitaire.
On s'éloigne un peu du sujet, loin de moi l'idée d'opposer les écritures ou les genres. - Chamani a écrit:
- Aconitum, faire de la structure figée du roman un critère pour exclure le jeu de rôle du champ littéraire ne me paraît pas vraiment convenir, il y a des tas de romans à narrations multiples qui se développent depuis au moins un siècle.
Oui, j'entends ce que tu dis Trader, et je ne peux pas dire que je suis entièrement en désaccord. Et c'est clair que pour moi le JDR c'est beaucoup plus de l'impro avec des petites pages de notes dans un carnet que pour mon pote qui a même dessiné une carte astrale exprès pour son univers Et bon argument, Chamani, tu as raison. On en revient à ce qu'est vraiment la littérature, finalement... Dans tous les cas c'est un art créatif que je respecte et aime beaucoup. Après genre littéraire... Il faut que j'y réfléchisse davantage, que je cherche ce qu'on en dit par ailleurs. Pour le moment je reste plutôt sur mon avis. |
| | Nombre de messages : 888 Âge : 46 Date d'inscription : 02/06/2016 | Le Trader / Double assassiné dans la rue Morgue Mar 6 Aoû 2024 - 16:41 | |
| Docal : c'est un petit peu compliqué à suivre, vu que tu sépares genre littéraire et genre de jdr, alors que je réunis l'objet livre et la littérature avec le jeu de rôles - un exemple parmi d'autres. Même chose pour l'Oulipo, tu peux tout à fait considérer qu'un poème oulipien relève du genre poétique tout en étant un jeu...puisque c'est précisément parce que c'est du genre poétique que l'Oulipo décide d'en jouer et de s'amuser autour de ça ! Le jeu devient une pratique aquatique, comme le jeu poétique relève d'une pratique donc d'un genre. Distinguer les deux nous fait revenir en arrière, comme s'il n'y avait eu aucune étude sur les jeux. Ce que je dis devient plus flagrant sur le théâtre, car ta distinction se transforme en contresens. La représentation théâtrale fait partie du genre théâtral, sinon comment faire ? Si tu distingues tous les jeux présents dans les genres littéraires, il va y avoir du travail...comment, par exemple, comprends-tu Songe d'une Nuit d'été de Shakespeare, le texte autant que sa représentation, pièce qui est entièrement un jeu, une parodie et une satire des mauvaises pièces de théâtre ? Une partie de belote dans un roman ou dans une pièce est un objet littéraire. A la fois dans le jeu de base, la belote, autant que celui des acteurices qui jouent à la belote à chaque représentation. Ce n'est pas faire du tout-littéraire, ce n'est pas l'objectif. Par exemple les LDVEH, pour ma part, ne sont pas très littéraires et je ne les classerai pas dans la littérature...mais ça ne tient qu'à moi ! - Citation :
- Vouloir faire du JDR un genre littéraire, c'est vouloir en occulter les parties qui ne le sont pas. C'est désarticuler cet objet culturel par recherche de légitimité, pour le rapprocher de quelque chose de plus socialement acceptable.
Je ne suis pas du tout certain qu'on veuille faire, je pense plutôt qu'on n'a pas le choix, ici. Je ne suis pas non plus certain que sur JE, par exemple, on occulte ce qui n'est pas littéraire, au contraire. Enfin, je ne pense pas qu'on soit en recherche de légitimité ou d'acceptation, quand il suffit de jouer...et de (se) faire plaisir en écrivant différemment, ou mieux, ou pour jouer et rien d'autre. Pasiphaé : j'ai lu récemment que la poésie était toujours à l'avant-garde des autres genres, surtout le roman. Les expérimentations poétiques ouvrant la voie aux autres genres, plus prudents ou fragiles. Est-ce que ça te parle ? |
| | Nombre de messages : 1526 Âge : 41 Pensée du jour : lo esencial es invisible a los ojos Date d'inscription : 27/07/2020 | Chamanii / Déesse de l'Amor (hein ?) Mar 6 Aoû 2024 - 17:04 | |
| @ Pasi :
Alors je suis pas historien, mais peut-être que justement on pourrait écrire une histoire littéraire sans catégoriser n'importe comment ou à la pelle, un peu plus subtile. Est-ce qu'il n'y a pas justement aussi des effets pervers à étiqueter ? Ou plutôt à ne pas assez étiqueter ? Pour prendre un exemple grossier : les périodes historiques (antiquité, moyen-âge, renaissance, etc...) que tout le monde étudie, leur étiquette symbolisent certaines choses dans l'inconscient collectif et qui elles véhiculent souvent des images erronées des réalités. Tu vois ce que je veux dire. Après je comprends bien qu'il faut pouvoir parler des livres dans un futur lointain, mais à placer trop de choses au même endroit, ça devient des gros pâtés informes. Du coup, il faut augmenter la résolution et diminuer la taille des pixels. Avoir plus de nuances. Enfin du coup je te rejoins sur le fait d'organiser les choses pour l'histoire, mais pour nos cerveaux de petit.es humain.es artistes, c'est bien je pense d'avoir une vision spectrale des choses plutôt que grillagée.
(je m'éloigne un peu du débat sorry about this)
Edit : Je pense à un autre exemple là : le nombre de personne qui vont dire "j'aime pas le métal" ou "j'aime pas le hiphop" alors que les choses qui y sont proposées sont quand même hyper variées. Je crois qu'il y a un effet psychologique, sale, à ranger tout dans dans des grosses malles et qui empêche de s'ouvrir (de découvrir) à des nuances qui pourraient nous donner les clés d'un univers plus large)
Dernière édition par Chamanii le Mar 6 Aoû 2024 - 17:19, édité 2 fois
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| | Nombre de messages : 5448 Âge : 57 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017 | Jdoo / Maîtrise en tropes Mar 6 Aoû 2024 - 17:11 | |
| J'aurais tendance à dire que oui, ne serait -ce que pour écrire un scénario, les dialogues, les intrigues, c'est déjà pas tout à fait de la tarte. C'est même peut être à cheval entre la littérature et le théâtre. On peut imaginer privilégier le style au détriment du côté ludique. Par exemple faire un scénario de JDR qui ne soit pas destiné au jeu, mais pour le plaisir de le lire. Peut être qu'on pourrait ouvrir un topic scénar de JDR? |
| | Nombre de messages : 1782 Âge : 30 Date d'inscription : 30/03/2023 | Docal / Fiancée roide Mar 6 Aoû 2024 - 17:13 | |
| " Le jeu devient une pratique aquatique, comme le jeu poétique relève d'une pratique donc d'un genre. " Pour autant, peut on dire "le jeu est aquatique" ?
C'est tout le problème. Qu'une pratique puisse déborder sur une une autre n'en fait pas une sous catégorie de cette dernière.
Pas d'accord que la représentation fasse partie du genre théâtral (littéraire). Comme pousser un couteau sur un oignon ne fait pas partie du genre littéraire de la recette de cuisine (même si une recette de cuisine peut nous dire de le faire) En revanche, ça fait partie de la pratique du théâtre (activité), qui s'appuie souvent, mais pas toujours, sur des textes.
"comment, par exemple, comprends-tu Songe d'une Nuit d'été de Shakespeare, le texte autant que sa représentation, pièce qui est entièrement un jeu, une parodie et une satire des mauvaises pièces de théâtre ? " Je ne connais pas, mais ça m'a bien l'air d'être une parodie et une pièce de théâtre, deux genres identifiables, qu'y a-t-il d'ambigu là dedans ?
"Une partie de belote dans un roman ou dans une pièce est un objet littéraire. " Moi je parlais de la partie de belote jouée avant hier au bistrot. Tu me présente là le récit d'une partie de belote, pas le jeu. Il s'agit de deux objets culturels différents. Jouer à la belote ne produit rien de littéraire. La pratique de la belote n'est pas littéraire. C'est un jeu. Faire le récit d'une partie n'est pas un jeu, c'est une pratique littéraire (qui selon la situation, peut appartenir à des genres différents).
Mais puisque tu semble tenir à classer "le JDR" dans les genres littéraires. Je te poserai la question suivante : Quelle information sur un objet littéraire le genre "JDR" qui lui est accolé nous apporterait qui lui soit spécifique ? |
| | Nombre de messages : 5448 Âge : 57 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017 | Jdoo / Maîtrise en tropes Mar 6 Aoû 2024 - 17:52 | |
| Moi je dirais que pour le caractériser que c'est un mixte entre scénario, théâtre et art graphique. Ce qui me paraît bien spécifique. |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mar 6 Aoû 2024 - 18:23 | |
| Trader : oui, ça me parle, je l'ai lu aussi ! et ça se vérifie sur les forums d'écriture. La voie expérimentale est souvent tracée côté poésie, avant que ses acquis "ruissellent" sur les autres genres. Par contre je ne sais plus où je l'ai lu... je cherchais ça tout à l'heure, je n'ai pas trop su quels mots clef utiliser sur les moteurs de recherche académiques.
Cham : je pense qu'un bon historien de la littérature se donne plutôt pour mission, justement, de montrer qu'il existe de grandes tendances mais qu'elles sont poreuses, et que ce qu'on a coutume d'appeler "les grandes œuvres" fait toujours bouger le cadre. Je pense aussi à Genette, un peu "le roi" des poéticiens / narratologues, qui dit toujours, après avoir produit un énième tableau à double entrée pour classer / trier les phénomènes littéraires, que le réel est plus fluctuant que ses tableaux, et que c'est très bien comme ça. En ce moment j'essaie de produire une typologie de l'hétéronymat sur forum, mais j'ai tout à fait conscience que le réel dépassera rapidement ma typologie, c'est le jeu.
Docal, essayons-nous à l'exercice ! le JDR par forum est un genre littéraire dont les caractéristiques seraient les suivantes : pluri-auctorial, il distribue l'énonciation des entités-personnages à autant de scripteurs. Un méta-auteur-narrateur, le MDJ (ou admin du forum), s'occupe de compartimenter la diégèse narrative, notamment par le biais d'une arborescence logocentrique, d'un cadre temporel / historique et par une éventuelle description d'objets autochtones à l'univers de fiction, ainsi que des rapports sociaux unissant les personnages. Il s'occupe également de l'énonciation de la règle du jeu mais peut également jouer en incarnant une entité-personnage. Pluri-située, la forme de sa narration possède plusieurs foyers, répartis en topics eux-mêmes répartis en sections qui symbolisent des lieux. Sa narration n'est donc pas linéaire, mais elle est éclatée en plusieurs moments contemporains. L'œuvre est donc durative, processuelle : elle programme un public acteur, et produit à mesure sa propre archive. Thématiquement, le JDR littéraire se situe régulièrement dans des univers de fiction préexistants, sur le modèle transfictionnel qui innerve également la fanfiction, genre littéraire voisin. Médiatiquement, il s'agit d'un genre littéraire nativement numérique reposant sur l'architexte du forum et l'utilisant pour produire à la fois les entités-personnages et l'organisation de la diégèse spatio-temporelle (les topics, leur répartition dans l'arborescence, mais aussi la linéarité chronologique qu'ils organisent d'un message à l'autre). L'écriture peut être plurimédiatique, intégrer des images, des audios, des contenus à valeur illustrative prélevés en-dehors de la diégèse. Le JDR par forum propose une narration plurielle, endossée par autant de narrateurs intradiégétiques qu'il y a de personnages. Un compte endossé par l'admin / le MDJ peut éventuellement proposer une méta-narration en focalisation externe. |
| | Nombre de messages : 888 Âge : 46 Date d'inscription : 02/06/2016 | Le Trader / Double assassiné dans la rue Morgue Mar 6 Aoû 2024 - 18:31 | |
| - Docal a écrit:
- Pas d'accord que la représentation fasse partie du genre théâtral (littéraire). Comme pousser un couteau sur un oignon ne fait pas partie du genre littéraire de la recette de cuisine (même si une recette de cuisine peut nous dire de le faire) En revanche, ça fait partie de la pratique du théâtre (activité), qui s'appuie souvent, mais pas toujours, sur des textes.
Plutôt partisan de dire que la découpe participe de la recette. J'ai l'impression que tu distingues l'acte du genre, encore une fois, donc on ne sera pas d'accord là-dessus. - Docal a écrit:
- "comment, par exemple, comprends-tu Songe d'une Nuit d'été de Shakespeare, le texte autant que sa représentation, pièce qui est entièrement un jeu, une parodie et une satire des mauvaises pièces de théâtre ? "
Je ne connais pas, mais ça m'a bien l'air d'être une parodie et une pièce de théâtre, deux genres identifiables, qu'y a-t-il d'ambigu là dedans ? La parodie n'est pas un genre, le théâtre si. Le fait que tu présentes autant de genres pour des éléments qui n'en sont pas, ou que tu en refuses pour ce qui peut en être, m'étonne. Pas de jugement là-dedans, je suis surpris de ta classification (pour reprendre le terme de Chamanii). - Docal a écrit:
- "Une partie de belote dans un roman ou dans une pièce est un objet littéraire. "
Moi je parlais de la partie de belote jouée avant hier au bistrot. Tu me présente là le récit d'une partie de belote, pas le jeu. Il s'agit de deux objets culturels différents. Jouer à la belote ne produit rien de littéraire. La pratique de la belote n'est pas littéraire. C'est un jeu. Faire le récit d'une partie n'est pas un jeu, c'est une pratique littéraire (qui selon la situation, peut appartenir à des genres différents). Pour moi tu confonds les contextes avec les objets littéraires. Faire une aventure ferroviaire avec des amis à l'école primaire, dans la cour, ne sera pas du jdr littéraire. Le faire sur JE avec des gens qui savent un minimum écrire peut prétendre à un genre littéraire. De même, une belote au bistrot du coin ne sera pas littéraire, mais le concept/la séquence peut devenir un objet littéraire par des personnes sachant le faire. Pas d'accord cependant sur ta distinction entre la partie et le jeu. La partie jouée au théâtre est tout de même jouée, idem dans un roman, ou dans un film. Et s'il est évident que la partie en elle-même ne produit rien de littéraire, n'importe quel.le autrice peut en faire un objet de littérature. C'est un peu ce qu'on dit sur le jdr depuis le début ? je crois. Tu peux également jouer sur le récit d'une partie, et jouer littérairement...je pense à Stefan Zweig en disant cela. Les couches de lecture sont multiples, peut-être qu'on ne peut pas toutes les voir. - Docal a écrit:
- Mais puisque tu semble tenir à classer "le JDR" dans les genres littéraires. Je te poserai la question suivante : Quelle information sur un objet littéraire le genre "JDR" qui lui est accolé nous apporterait qui lui soit spécifique ?
Je ne vois pas le genre jdr, je classerai le jdr en temps que genre littéraire protéiforme, voire polytechnicien. Ce qui est une spécificité, peut-être de moins en moins d'ailleurs. Plus largement, l'écriture de scénarios + mises en scènes + exploration des mythes, de la fiction + évolution des personnages + partage et avancée collaborative + intercréativité + disponibilité ou ouverture de l'intercréativité à l'ensemble du groupe choisi + choix de costumes, maquillages, doublures voix + choix d'avoir ou non un MJ + choix de collaborer ou de s'antagoniser + performance + multiplicités des supports pour exprimer et faire évoluer le jeu ou l'histoire + littérature mathématique ou logique en symbiose avec le jeu + capacité d'adaptation de quasi toute création humaine... (le tout selon le choix de chacun.e) J'en oublie, mais ce paquetage forme une spécificité, qui rend le jeu de rôles plutôt unique et difficile, sinon impossible, à classer. D'où le sens de ma question, car c'est un fait plutôt "nouveau" (renouvelé ?), pas que ça existe sous différentes formes (ça vous l'avez dit, et on l'a compris je pense) mais que toutes ces formes peuvent coexister en totale cohérence dans une diégèse unique, un seul et même jdr. Peut-être que ce sera 1 sur 100, mais celui-là méritera qu'on se penche dessus. edit. Je rejoins la description de Pasiphaé, en étirant à l'irl Pasi : j'ai retrouvé mon processus arrivant au poème comme genre d'avant-garde : je faisais des recherches sur la poésie médiévale pour un chapitre de la Léproserie, sous toutes ses formes, et les chercheurs, euses affirment que la poésie est le premier (voire l'unique) genre. Il me semble être tombé dans la foulée sur Christelle Reggiani : ici qui parle de roman en poème dès le Moyen-Age. En développant, le roman est l'héritier direct (et un peu ingrat) du poème. Son article peut s'inscrire dans notre discussion, Docal, notamment avec cette citation que je trouve à-propos : - Citation :
- De même qu’Alain parlait, un peu plus tard, d’un « système des beaux-arts » (1926), on posera donc l’existence, autour de 1900, d’un « système des genres » (cf. Todorov) mobile, autorisant croisements, renouvellements mais aussi, le cas échéant, coups de force terminologiques
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| | Nombre de messages : 1782 Âge : 30 Date d'inscription : 30/03/2023 | Docal / Fiancée roide Mar 6 Aoû 2024 - 19:57 | |
| @Pasiphae :
J'aurais tendance à être d'accord, mais c'est restreindre énormément le propos à une sous catégorie spécifique. Oui, le JDR par forum, cette sous-catégorie qui s'articule expressément autour du format écrit peut être considérée comme littéraire. Mais cela ne s'étend pas au JDR en général. De la même manière que le waterpolo est en effet un sport aquatique et de balle mais qu'on ne peut pas dire que le sport est une activité aquatique ou une activité de balle.
@Trader : "J'ai l'impression que tu distingues l'acte du genre, encore une fois, donc on ne sera pas d'accord là-dessus. " Ce n'est pas le genre et l'acte que je distingue mais la pratique et le genre qui l'informe. On peut pratiquer sans lien avec le genre. On peut cuisiner ou faire du JDR sans le support d'un texte comme on peut faire un texte qui informe une pratique mais n'est pas destiné à être réalisé. Les deux, s'ils peuvent être combinés, sont deux pratiques culturelles séparées l'une de l'autre (bien qu'adjacentes).
" Le faire sur JE avec des gens qui savent un minimum écrire peut prétendre à un genre littéraire." Et je n'ai rien contre cette idée, mais ça ne fait pas du JDR un genre littéraire. Cela fait d'une sous pratique du JDR qui a des ambitions littéraires, une pratique littéraire. De la même manière que le fait qu'on puisse faire de l'ERP ne fait pas du JDR dans son ensemble une pratique sexuelle. A la question "le JDR est il devenu un genre sexuel" je répondrait non de la même façon. Je ne nie pas que des sous pratiques avec des ambitions particulières puissent mêler JDR et autre chose. Mais cela ne change pour moi pas la nature du JDR qui est celle d'un jeu, pas d'une pratique littéraire. Car le JDR est dissociable de son coté littéraire mais pas de son coté ludique.
Pour moi, le concept de "genre littéraire" doit informer sur les caractéristiques de l'objet littéraire. Et le jeu de rôle, dans sa pratique, n'a pas d'invariant littéraire. Dire "ce texte est du genre du JDR" n'apporte pas d'information pertinente sur la forme ou le contenu du texte. Au mieux, cela informe sur son process de création.
Quand à le classer : le JDR est pour moi très classable dans les objets ludiques : C'est un jeu dans lequel au moins un joueur incarne au moins un personnage et qui a lui même ses sous genres. C'est pour moi le seul invariant du JDR. Et c'est un invariant qui, s'il est utile pour catégoriser un jeu, n'apporte pas d'information sur un objet littéraire, à moins d'en faire un terme tellement large qu'il en devienne inutile.
Tout ce qui vient par dessus, MJ ou non, intercréation, nombre de joueurs... tiens de l'accessoire et définit déjà des sous catégories (avec leurs traditions, ludistes, narrativistes, OSR, JDR par Forum, Theatre of the mind, ERP...) |
| | Nombre de messages : 10122 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mar 6 Aoû 2024 - 20:06 | |
| J'ajouterai un truc tout simple qui vient de me revenir en tête : la tradition avant-gardiste littéraire est dominée par des groupes de poètes (quand bien même, quelquefois, ils s'essaient à d'autres genres) : les surréalistes, le grand jeu, les lettristes, OuLiPo, futuristes, électriques, dada, la poésie sonore / visuelle, etc., c'est systématiquement du champ poétique que ça émane. Une explication bourdieusienne, ce serait de dire que le genre poétique étant un genre très peu commercial(isé) depuis le 19e siècle, les poètes ne vivent pas de leur plume (quand les romanciers en ont l'opportunité), ce qui leur permet d'expérimenter puisqu'avant de s'adresser à un public de potentiels acheteurs, ils s'adressent à un public de pairs. Sphère dominante symboliquement / dominée économiquement, et vice et versa, dans Les Règles de l'art. Bourdieu explique que moins la production littéraire se vend, plus elle est élitiste, adressée davantage aux autres membres du champ littéraire qu'à un potentiel lectorat élargi.
Pour autant il y a de formidables expérimentateur·ices qui viennent d'autres genres (qu'on pense à Volodine, pour ne citer que lui, dans le champ contemporain), mais les mouvements expérimentaux (il ne me vient pas de contre-exemple en tête) sont issus du champ de la poésie. Peut-être aussi parce que depuis la seconde moitié du 19e siècle, on considère que la poésie est le lieu d'une dés-adhérence entre signifiant et signifié, le lieu du langage troublé, inquiet, etc, et que tout ça mène à tester toutes sortes de formes.
Docal : sans doute ! je restreignais à cette catégorie-là dès mon premier message parce que je connais trop mal les enjeux théoriques et historiques qui entourent les formes orales de littérature (et trop mal le JDR sur table) |
| | Nombre de messages : 888 Âge : 46 Date d'inscription : 02/06/2016 | Le Trader / Double assassiné dans la rue Morgue Mar 6 Aoû 2024 - 20:14 | |
| Je vais me répéter une dernière fois, on risque de tourner en rond et de coincer le débat pour les lecteurices, c'est pas le but ! - Citation :
- Ce n'est pas le genre et l'acte que je distingue mais la pratique et le genre qui l'informe
Pratique étant synonyme d'activité, il y a une contradiction dans tes propos. A moins que tu ne distingues l'activité de la pratique...mais pour moi c'est synonyme et c'est précisément sur ce point que je ne vois pas comment tu peux faire la distinction. Au demeurant j'aimerais un exemple de comment on pratique un genre, comme la poésie, sans en faire...vraiment, ça m'intéresserait beaucoup ! Même un début de poème relève du genre poétique, même...la prose poétique sur JE (incroyable). Pour la pratique sans support, j'ai déjà répondu plus haut : contextes. - Citation :
- Cela fait d'une sous pratique du JDR qui a des ambitions littéraires, une pratique littéraire
J'ai beaucoup de mal avec le terme "sous-pratique", ça fait pratique à tiroirs. Je vois plutôt un genre à facettes, qui sont des choix ou des manières d'appréhender, comme ça se fait dans d'autres genres. Puisque tu distingues pratique et genre, j'y vois un contresens de taille qui ne nous réconciliera pas Parlant de l'ERP (erotic role play pour les non-initié.es), pour moi c'est un faux argument. Faire du rp cul ne résume pas le jdr, Verlaine a écrit des paquets de poèmes érotiques qui ne font pas la poésie française également...ça reste du genre poétique...et une pratique (ou des pratiques). - Citation :
- Mais cela ne change pour moi pas la nature du JDR qui est celle d'un jeu, pas d'une pratique littéraire
D'où mon exemple avec l'Oulipo. J'ai l'impression que tu as une vision restreinte de ce qu'est le jeu. La pratique littéraire du jeu poétique est immensément, et dans le cas de l'Oulipo intensément, sérieuse. Le jeu n'implique pas forcément ni un sérieux de l'esprit, ni une austérité obligatoire. C'est un jeu, on en fait ce qu'on souhaite (la créativité était la fondation du ludisme). On peut s'amuser tout en écrivant sérieusement, il suffit d'aller voir quelques GN pour comprendre... - Citation :
- Car le JDR est dissociable de son coté littéraire mais pas de son coté ludique.
On dit que tout est politique, je dis que tout est ludique, même la politique. Et on se trompe, dans un cas comme dans l'autre. Le ludisme n'intervient que selon les réceptions qu'en font les joueurs et les joueuses. C'est simple à comprendre : nous n'aimons pas toustes les mêmes jeux. Qui sont tous ludiques. J'ai connu des joueurs (surtout des hommes) qui ne voyaient aucun ludisme dans le jdr. Est-il dissociable ou pas ? En discutant avec plein de gens, oui, complètement. - Citation :
- Pour moi, le concept de "genre littéraire" doit informer sur les caractéristiques de l'objet littéraire. Et le jeu de rôle, dans sa pratique, n'a pas d'invariant littéraire.
Je ne sais pas si tu es sincère ou si c'est de la mauvaise foi, après le pavé de Pasiphaé et mon rajout sur les spécificités du jdr, écrit ou oral...donc je ne sais pas quoi ajouter, là. A part souligner le principe d'intercréativité littéraire (ou autres, musicales, théâtrales...). - Citation :
- C'est un jeu dans lequel au moins un joueur incarne au moins un personnage et qui a lui même ses sous genres.
C'est une particularité du théâtre voire de l'épistolaire, on parle aussi de jeux dedans, et ils restent des genres et des pratiques. Choderlos de Laclos l'a prouvé avec brio, quant au théâtre, l'évidence est là. De plus sur cette question des invariants que tu soulèves, il y a Olivier Caïra qui a bossé dessus et a sorti...deux, trois bouquins d'études sociologiques sur le sujet. Il montre très clairement les invariants particuliers du jdr...et ce n'est plus le seul chercheur qui travaille dessus, donc je ne vois pas très bien quoi ajouter. Je te conseille cet ouvrage si jamais : https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/jeux-de-role/ (et il est facilement joignable par mail). - Citation :
- Tout ce qui vient par dessus, MJ ou non, intercréation, nombre de joueurs... tiens de l'accessoire et définit déjà des sous catégories (avec leurs traditions, ludistes, narrativistes, OSR, JDR par Forum, Theatre of the mind, ERP...)
Ce n'est pas accessoire, c'est le squelette du jdr. Ce que tu mets entre parenthèses revient dans d'autres genres à parler des multiples manières de présenter le genre littéraire au public. Mais ça reste un genre littéraire, codifié et compris comme tel. Ce qui est recevable pour le jdr, à moins que je devienne fou ! Je propose de répondre une fois puis de laisser d'autres répondre et prendre possession du sujet, je reviendrai un peu plus tard. Merci à toustes pour la réactivité, les arguments, les discussions, au plaisir de lire la suite de vos messages et d'autres intervenant.es ! |
| | Nombre de messages : 1782 Âge : 30 Date d'inscription : 30/03/2023 | Docal / Fiancée roide Mar 6 Aoû 2024 - 20:32 | |
| Pour ne pas revenir sur le reste vu qu'il semble y avoir un désaccord de fond :
"Parlant de l'ERP (erotic role play pour les non-initié.es), pour moi c'est un faux argument. Faire du rp cul ne résume pas le jdr" c'est tout mon propos justement, faire du RP littéraire ne résume pas le JDR non plus, c'est une possibilité, pas une obligation
"Ce n'est pas accessoire, c'est le squelette du jdr." Pour moi non, il existe des JDR solo (et donc sans inter-créativité), des JDR sans règles, des JDR sans décision narrative des joueurs, des JDR sans setting ou personnages définis, sans composantes orales ou écrites... Si je m'invente, là, un jeu auquel jouer seul et son personnage qui va avec, il n'y aura rien de tout ça et je pratiquerai quand même le JDR. Le seul invariant, le squelette, c'est qu'il s’agit d'un jeu ou au moins un rôle est incarné par au moins un joueur. Et oui, en effet, c'est commun avec certaines pratiques littéraires (un paquet même) et ne suffit pas à définir un genre. |
| | Nombre de messages : 1149 Âge : 41 Date d'inscription : 14/11/2023 | Seb / Effleure du mal Mer 7 Aoû 2024 - 8:38 | |
| Je retiens de vos échanges que je ne sais toujours pas ce qu'est la littérature. Pour moi le jeu de rôle pourrait aussi bien en être ou non. Il y a différentes façons d'articuler tout ça et plusieurs me semblent correctes, avec parfois des résultats opposés. Je distingue l’échafaudage théorique qui soutiendrait une thèse et les différentes implications de cette dernière. Est-ce que je préfère privilégier une approche intégrative ou comparative ? Si le jeu de rôle est de la littérature, qu'est-ce que ça dit du jeu de rôle ? Qu'est-ce que ça dit de la littérature ? Qu'est-ce que ce statut apporte au jeu de rôle et inversement ? Si le jeu de rôle n'est pas de la littérature, que faire de ses qualités littéraires ? Comment les articuler avec d'autres catégories de l'activité humaine comme le jeu ou le théâtre ? A quoi rattacher le jeu de rôle et pourquoi ? Qu'est-ce que cela peut changer dans la pratique ? La réception ? Sa perception ? Son rattachement à l'analyse critique ? Et qu'est-ce que cela peut signifier pour moi que le jeu de rôle soit rattaché à telle ou telle catégorie ? A quoi cela me renvoie ? Si je me reconnaissais dans une thèse différente de la mienne, qu'est-ce que cela pourrait changer dans le regard que je porte sur le jeu de rôle et la littérature ? |
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