Sur l'école et l'apprentissage de l'écriture créativeAlors, oui, on apprend normalement à l'école en France (si on est dans de bonnes conditions, et tout et tout) : les bases de la langue française, à construire et rédiger des textes argumentatifs et à
analyser des textes littéraires.
Mais on n'y apprend pas à
construire et rédiger des textes littéraires, notamment de fiction. Par ailleurs, les textes littéraires qu'on analyse sont quand même quasi que des classiques, et ce n'est pas vraiment en pastichant Molière ou Stendhal qu'on aura les meilleures chances de se faire publier. ^^
Ce n'est pas du tout un reproche, juste un fait : enseigner cela n'est pas le but de l'école.
On pourrait toutefois, comme il y a (il y avait, en tout cas, je ne suis plus très au courant d'à quoi ça ressemble avec toutes les réformes successives) des options arts plastiques ou théâtre au bac, avoir une option écriture créative. Ce n'est à ma connaissance pas le cas.
Ensuite de quoi, oui, il y a de grosses disparités.
Mon compagnon et moi on a tous les deux fait un bac L dans les années 2000, dans le public. Moi dans un lycée d'une petite ville de province, pas riche mais paisible, lui en banlieue parisienne.
J'ai eu : un enseignement solide des méthodes de la dissertation tant en français, qu'histoire et philo ; un prof de français qui nous emmenait en sortie scolaire dans des musées et gérait un club théâtre ; un prof de philo bien têtu qui avait décidé de continuer à nous faire 8h de cours par semaine quand bien même on était passé à 7h dans les programmes cette année-là ; une option cinéma audio-visuelle absolument géniale avec plein de matos, des sorties au ciné régulières (et gratuites pour les élèves), et des intervenants réalisateurs et scénaristes invités en cours par mes profs.
Mon compagnon a eu : des profs en début de carrière catapultés dans un établissement dont personne ne voulait ; des classes où une bonne partie des élèves n'avait pas le français en première langue à la maison ; aucune préparation à la dissertation, dans aucune matière, avec des profs qui leur ont dit cash "on préparera que le commentaire de textes/documents, c'est la seule façon dont vous pourrez vous en sortir au bac" ; un prof de philo qui est parti au bout d'un mois et n'a jamais été remplacé, ou juste par des contractuels qui restaient une journée avant de s'enfuir.
On a tous les deux eu notre bac, mais clairement, on n'était pas équipés pareil pour écrire en sortant de là.
Sur les compétences à acquérir pour devenir écrivain Quand je dis qu'il y des cursus à l'étranger d'apprentissage de l'écriture créative, c'est pour souligner qu'en France on a cette conception très romantique de l'auteur inspiré et génial qui saurait produire un roman de façon innée, alors qu'en vrai, c'est quand même très largement quelque chose qui nécessite des compétences qu'on acquiert petit à petit.
Ça ne veut pas du tout dire qu'il faut faire des formations payantes sinon on ne peut pas écrire. Pas du tout, vraiment, j'ai plutôt tendance à rejoindre l'analyse "système pyramidal" qu'on avait sur l'autre topic pour certaines de ces formations.
Bien sûr, j'imagine que dans tout domaine, on pourra toujours citer quelques personnes au parcours fulgurant et atypique qui vont révolutionner un genre, super jeunes et sans apprentissage ou expérience. Mais bon, c'est clairement des exceptions. Pour le commun des mortels, maîtriser un domaine, artistique ou non, ça demande de l'apprentissage, du travail, de la répétition, de la critique et de la remise en question.
Heureusement, à mon sens, pas du tout besoin d'une formation payante pour apprendre à écrire (un roman, ou de la littérature, j'entends).
Mais par contre, il faut être prêt à travailler. Et c'est peut-être un autre de ces biais qui font que les auteurs ont plus de mal à évaluer leur œuvre que dans d'autres domaines artistiques : comme écrire un texte qui fait entre 50 et 100 000 mots, c'est long, ça demande du temps et de la concentration, il est assez facile de considérer qu'on a produit tout le travail nécessaire "juste" en écrivant. Sauf qu'en réalité, c'est rarement suffisant pour produire un "bon roman" - j'entends par là un texte qui sera au goût du lectorat d'aujourd'hui et donc susceptible d'être publié.
En plus de "juste écrire", il faut en effet maîtriser le rythme, la structure de l'intrigue, la construction des personnages, la cohérence de l'univers, le style, etc.
Certains auteurs y arrivent sans avoir eu l'impression d'avoir à apprendre. En général, c'est parce qu'ils lisent beaucoup et qu'ils sont capables d'analyser inconsciemment comment les récits qu'ils apprécient sont construits et d'en tirer une méthode instinctive pour écrire les leurs.
Pour les autres, il y a plein de façons de se perfectionner sans avoir à passer par une formation payante dispensée par un auteur dont on n'a jamais entendu parler hors de ladite formation.
Déjà, parce que ce qui sera abordé dans ces formations ne sera jamais révolutionnaire : ce sont des conseils et techniques que vous trouverez aussi gratuitement sur les blogs, sites, podcasts, chaîne YouTube... consacrés au sujet. Juste, ça vous demandera peut-être de fouiller un peu plus au lieu qu'on vous fournisse un curriculum pré-mâché. Si Internet ne suffit pas, il y a aussi plein de bouquins sur le sujet, dont certains signés par des auteurs à succès qui dévoilent leurs coulisses créatives.
En plus de la théorie, internet donne aussi gratuitement de nombreuses occasions de s'améliorer par la pratique. Ce forum, notamment, propose plein de choses entre les différents endroits où poster ses textes, les ateliers de correction et les discussions où on confronte nos différentes pratiques.
Pour moi, l'écriture sérielle sur internet (ça peut-être le jeu de rôle à l'écrit, la fanfiction, ou le fait d'écrire et poster son roman chapitre par chapitre) est vraiment une excellente "école". Ça permet effectivement de grandement raccourcir la boucle écriture>retours>ajustement>écriture puisqu'au lieu de devoir attendre d'avoir écrit un roman complet pour avoir ses premiers retours (qui seront plus douloureux à accepter après tout le temps et efforts investis) on peut les avoir au bout de quelques centaines voire milliers de mots. Si on n'est pas à l'aise avec l'idée de balancer ses écrits sur Internet, on peut essayer de se trouver un groupe d'alphas-lecteurs, en ligne ou IRL, à qui on fait lire ce qu'on produit au fur et à mesure.
Enfin, lire et commenter les autres est une excellente façon d'apprendre à repérer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas pour ensuite pouvoir l'appliquer à ses propres textes.
Sur le mythe du manuscrit génial que tous les éditeurs refusentJe ne dis pas que ça ne peut absolument jamais exister, mais je pense que c'est beaucoup, beaucoup plus rare que le fantasme que beaucoup d'auteurs en ont - et qui peut les pousser à accepter du compte d'auteur.
On brandit souvent Rowling en exemple de "même elle n'a dû sa publication qu'à un coup de chance absolu, c'est bien la preuve que".
Mais en fait, la réalité des choses, c'est qu'elle a eu une dizaine de refus pour une acceptation, ce qui est absolument la norme, en fait, et pas du tout la preuve que publier est impossible.
Si vous cherchez un job, que vous envoyez 10 candidatures et que vous êtes pris à la 11ème, vous n'allez pas en tirer comme conclusion que travailler est miraculeux.
Sans doute que les éditeurs qui l'ont refusée s'en sont un peu mordu les doigts rétrospectivement, mais ce n'est pas pour autant qu'ils ont mal fait leur travail : ils ont pris leur décision en fonction de plein de critères : leur calendrier, leur ligne éditoriale, leur connaissance du marché, leurs goûts... (Peut-être aussi qu'ils ont jugé que le manuscrit était trop proche des
Books of Magic de Neil Gaiman ou de
L'île du crâne d'Anthony Horowitz.)
Et puis un succès pareil, ce n'est jamais juste la qualité du bouquin, mais aussi une question de timing, de marketing, de rencontre qui se fait ou pas. Bref, Rowling acceptée par un autre des éditeurs auxquels elle s'est adressée, qui aurait sorti Harry Potter à une autre date et avec une autre couverture, aurait très bien pu rester une autrice jeunesse pas trop connue parmi plein d'autres.
Plus proche de nous : ma première expérience côté éditeur de la barrière, c'était en tant que bénévole pour le comité de lecture d'Argemmios. Après avoir lu pas mal de manuscrits pas terribles, je tombe enfin sur un truc chouette. Problème : c'est de la bit-lit, et Argemmios ne fait que de la fantasy pure et dure. Je fais mon rapport à l'éditrice qui me dit "ne t'inquiète pas, si le texte est bon, il trouvera preneur."
J'étais pas du tout convaincue, j'avais en tête justement cette idée que c'était tellement dur de se faire publier et tout et tout, et je trouvais dommage qu'elle ne veuille pas faire une exception à sa ligne éditoriale pour sortir ce texte.
Résultat, il est sorti l'année suivante chez Bragelonne, l'autrice a d'ailleurs fait paraître toute une série chez eux, et elle s'en est sûrement beaucoup mieux portée que si elle avait signé chez un petit éditeur spécialisé en fantasy uniquement.
Parmi les manuscrits qu'on reçoit chez HPF : il y en a effectivement plein (peut-être pas 50% mais quand même beaucoup) qui sont vraiment à côté de la plaque. Écrits en phonétique ou qui ne respectent pas les critères très objectifs de la ligne éditoriale : romans (on reçoit des essais et de la poésie), de 50000 mots minimum (on nous envoie des novellas qui font même pas la moitié), adultes (on reçoit du jeunesse), d'imaginaire (on reçoit plein d'autres genres).
Une fois qu'on a éliminé ceux-là, il y en a effectivement pas mal où toutes les choses que j'énumère avant (rythme, structure, personnages, cohérence...) ne sont pas maîtrisées.
Et puis il y a en a aussi un certain nombre qui sont corrects mais pas des coups de coeur, et que donc on ne retient pas car on a un tout petit rythme de publication. Ben ceux-là trouvent généralement preneur ailleurs dans les 18 mois qui suivent.
J'ai eu une fois un coup de coeur qu'on a choisi de pas publier (on trouvait qu'il tirait trop vers le young adult pour rentrer dans notre ligne édito). Ben il est sorti chez Critic et a l'air de rencontrer un certain succès.
Pour finir,
Mika, je suis pas sûre d'être d'accord avec l'idée qu'il vaudrait mieux s'orienter vers la blanche pour publier en France, mais je vais plutôt essayer de réfléchir à ça sur le topic "voies de professionnalisation".