Merci à tou‧te‧s pour ces réflexions très intéressantes.
1. Comparaison avec les autres artsJe suis bien consciente que les comparaisons ont leurs limites, mais je pense quand même que l'écriture est traitée de manière différente de bien d'autres pratiques artistiques par les gens qui s'y adonnent et c'est ce que je voulais souligner ici.
Je pense qu'
Azaby met le doigt sur quelque chose d'intéressant en comparant l'investissement en temps et l'investissement émotionnel sur un premier roman versus un premier dessin.
Mais justement, un artiste-peintre professionnel sait pertinemment que c'est pas avec un dessin qu'il va faire carrière. [Bon, je rentre pas dans le détail avec les illustrateurs qui travaillent à la commission, qui seraient plutôt comparables à des contrats de commande dans l'édition, je me concentre ici sur l'idée de l'Artiste avec un grand A, qui peint au gré de son inspiration divine et essaie d'en tirer un revenu en exposant, plus semblable à l'idée romantique de l'Auteur avec un grand A, porté par les muses, et qui attend la reconnaissance des éditeurs germanopratins.]
Donc cet Artiste ne travaille pas juste sur une toile, en général, mais sur toute une série, liée par un thème, une question, quelque chose qu'il a envie d'explorer, et quand il expose, ce n'est pas un tableau unique mais toute une collection qui lui aura aussi facilement pris un an ou plus de création.
Et ce que l'artiste expose, ce ne sont pas ses premiers croquis ratés, qui ne sont que des exercices pour apprendre, mais des œuvres réfléchies et achevées.
En musique, à peu près personne ne se met en tête de composer une symphonie comme ça, un beau matin.
En général, vous commencez par apprendre le solfège et un instrument, puis un deuxième pour bien comprendre la différence entre cuivres et cordes, vous allez régulièrement à des concerts, vous étudiez l'histoire de la musique et la théorie musicale, et vous composez des petites pièces courtes et simples, puis de plus en plus complexes. Vous pouvez décider d'aller au conservatoire ou apprendre par vous-même, mais dans tous les cas, ça va prendre du temps et des efforts.
Si vous gardez votre passion pour la musique, un jour, vous serez peut-être capable d'écrire une symphonie ou une BO de film et de gagner votre vie avec ça. Mais vous ne commencez pas par ça.
En peinture, pareil, vous ne commencez pas par une huile sur toile monumentale. Vous faites d'abord des dessins au crayon, vous essayez plusieurs mediums, vous allez au musée et dans des galeries, vous apprenez la théorie des couleurs, la perspective, vous passez des heures juste à tracer des droites et des cercles à main levée ou à faire des hachures régulières.
L'écriture est encore une fois la seule pratique artistique où on pense normal de commencer, bim, par un roman voire une saga de fantasy en 9 tomes. Et sans doute, la facilité d'accès explique en partie cela. Un instrument de musique, ça coûte cher ; les pigments, les pinceaux et les toiles aussi. Avant d'investir, vous allez sans doute vous tourner vers une institution qui dispense des cours, pour essayer, voir si ça vous plaît sur du matériel d'emprunt avant d'acheter le vôtre.
Par contre, de nos jours, presque tout le monde possède un ordinateur avec un traitement de texte, ou à un défaut une tablette, un smartphone. Sinon le bon vieux papier-stylo. Bref, écrire ne requiert pas d'investissement financier préalable.
Mais, si on veut traiter ça sérieusement dans une optique de professionnalisation, il faut sans doute accepter qu'il y aura nécessairement un investissement en temps et un investissement émotionnel.
Et peut-être commencer par des gammes d'écriture comme on ferait des gammes de musique pour voir si ça nous plaît, avant de mettre énormément de temps et d'émotion dans un roman dont on ne sera peut-être jamais satisfait (si on conditionne sa satisfaction à la publication).
Écrire des petites descriptions, juste pour le fun, sans enjeu.
Imaginer un dialogue entre la pomme et le couteau dans votre tête, pendant que vous prenez votre petit-déjeuner.
Participer à des ateliers d'écriture, essayer des exercices de style.
Lire beaucoup, dans pleins de genre.
Lire sur la théorie, comprendre ce qu'est un point de vue, une narration externe/interne/omnisciente, travailler ses conjugaisons (notamment la concordance des temps). Etc, etc, etc.
2. Gérer ses attentes(Ça sonne mieux en anglais :
managing expectations.)
Alors,
@now@n, je tiens à préciser que je n'ai jamais pensé ni dit que je trouvais ça "sale" de vouloir avoir son nom sur une couverture et que je réprouvais le recours à un prestataire de services/auto-édition pour ça.
Mais je pense que pour s'éviter des déceptions voire de grands tourments existentiels, à un moment, c'est intéressant de se demander :
- Pourquoi on écrit ?
- Qu'est-ce qu'on désire en retirer ?
-Est-ce que la pratique de l'écriture, par et pour elle-même, vous fait plaisir et est-ce que ce plaisir ce suffit à lui-même ? C'est tout à fait valide de répondre oui. Peut-être que vous kiffez d'écrire des sonnets avec rimes internes et lipogrammes, juste pour le casse-tête, comme vous feriez des sudokus et que vous ne voyez pas du tout l'intérêt de les faire lire à quiconque. (Personne ne parade avec ses sudokus résolus en essayant de les faire lire à des gens.)
-Est-ce que pour vous écrire est indissociable d'être lu et que comme Azaby vous pensez qu'un texte qui n'est pas lu a été écrit "pour rien" ? C'est aussi tout à fait valide de répondre oui. ^^
(Cela dit, si vous traitez les textes non lus comme des gammes d'écriture, ça sera peut-être moins frustrant.)
Questions à se poser : -Est-ce qu'être lu vous suffit ou est-ce que vous avez besoin de voir votre nom sur une couverture, de tenir entre vos mains l'objet-livre ?
-Est-ce que vous voulez être lu par vos proches et/ou des inconnus ?
-Est-ce qu'être lu par une personne est suffisant ou est-ce que vous avez un nombre arbitraire en tête ? 10 ? 100 ? 1000 ? (Ayez bien conscience que quand vous aurez atteint les 100 lecteurs, vous regarderez vos collègues qui vendent à 1000 exemplaires et que vous vous sentirez peut-être insatisfait, quand bien même à une époque, avoir 100 lecteurs vous semblait le rêve absolu.)
-Est-ce que vous avez besoin que votre écriture soit validée par une entité professionnelle extérieure ?
-Est-ce que vous écrivez pour gagner de l'argent ? Si oui, combien ? N'importe quelle somme, même ultra symbolique ? L'équivalent d'un SMIC horaire ? Assez pour en vivre ?
-Est-ce que vous écrivez parce que vous rêvez d'être riche et célèbre et que ça vous semble le moyen le plus facile ?À part la dernière, c'est tout à fait valide de répondre oui à n'importe laquelle de ces questions.
Et vous les poser vous permet ensuite de déterminer quoi faire de votre texte : le garder pour vous, le publier en ligne, le faire lire mais juste à vos proches en ayant imprimé 5 copies chez Lulu, auto-éditer avec une visée pro, ou tenter de le faire publier chez un grand, moyen, petit éditeur. Examinez à quel point l'éditeur vous permet d'atteindre vos buts avant de soumettre le manuscrit. Pas la peine d'envoyer un texte à un éditeur qui ne fait que du numérique si pour vous, seule la publication papier a de la valeur.
Dans tous les cas, pitié, pitié, ne cédez pas aux sirènes des comptes d'auteur qui vous promettent le succès et la fortune. Ça a a peu près zéro chance de répondre à vos attentes, ou si ça le fait, ça sera toujours plus cher et moins bien fait qu'en auto-édition ou avec un prestataire de services qui annonce clairement la couleur.
Pour bien illustrer que
l'édition, même à compte d'éditeur, même dans des conditions financières correctes, n'est pas forcément la panacée puisque votre satisfaction dépend avant tout de vos attentes et motivations profondes, je me permets un petit racontage de life.
J'ai commencé par écrire des trucs d'ados bien auto-centrés absolument imbuvables et impubliables, même si à l'époque, comme toute ado auto-centrée qui se respecte, j'étais convaincue de mon génie.
Ensuite, j'ai découvert la fanfiction. J'ai commencé par écrire des trucs nuls, mais qui trouvaient un public friand du genre, et puis petit à petit, avec la pratique, la lecture avide d'autres textes tant classiques que contemporains que fanfictionnels, et les retours constructifs, je me suis franchement améliorée.
Je suis arrivée à un stade où j'avais un vrai succès dans ce milieu, succès bien sûr uniquement d'estime et pas financier puisque la fanfiction est, par nature, invendable. Mais : j'avais pour chacun de mes chapitres, des centaines de lecture dans les 24h, et des dizaines de commentaires dithyrambiques. Je gagnais fréquemment des concours, recevais des "awards" et mes histoires caracolaient en tête des top 10 des sites spécialisés.
La suite logique dans notre société ultra productiviste, c'était que puisque j'avais l'air douée pour écrire, il fallait nécessairement que "j'en fasse quelque chose". C'était ce qu'on me disait et ce que je me disais aussi.
If you're good at something, never do it for free, bla bla bla.
J'avais toujours continué à écrire des "textes originaux" (dans le jargon fanfictionnel, des textes sortis de ma tête, sans emprunt à une autre œuvre) en parallèle, que je publiais aussi sur des sites gratuits et donc, j'ai tout naturellement commencé à lorgner du côté de l'édition.
Le souci, c'est que sans la stimulation constante des lecteurs qui réclamaient la suite à grands cris, écrire un roman d'un bout à l'autre s'est révélé très très difficile pour moi. J'en ai commencé plein, abandonné tout autant, et ceux que j'ai finis, j'ai ultra la flemme de replonger dans le premier jet pour corriger.
Qu'à cela ne tienne, j'ai écrit des nouvelles, soumis à des appels à textes, et été publiée par plusieurs éditeurs à compte d'éditeur.
Certains, assez confidentiels, m'ont à peine rapporté quelques euros par nouvelle. J'avais débloqué la case "être payée symboliquement pour écrire". Cool sur le moment, mais j'ai vite senti que ça n'allait pas me suffire.
J'ai publié aussi chez un éditeur beaucoup moins confidentiel, avec un gros tirage, une présence en librairie, et un paiement de 80€ pour une nouvelle de 15 000 signes. Si on se dit que je suis capable (hors procrastination) d'écrire 5000 signes à l'heure + 1h de brainstorming et correction, on est à 80 - 20 (cotisations Agessa), 60€ pour 4h de travail, 15€ de l'heure, un taux plutôt décent.
Est-ce que débloquer cette nouvelle case, être payée l'équivalent d'un SMIC horaire, m'a satisfaite ? Ben... non plus.
Oui, c'était une reconnaissance de mon travail, que j'étais assez "bonne" pour être payée correctement par un professionnel du domaine. Cheers. Mais est-ce que j'y prenais autant de plaisir qu'à partager mes fanfictions en ligne ? Absolument pas.
Parce que même si j'avais des lecteurs (gros éditeur, bien diffusé, titres qui se vendent), je n'avais pas de
retours de lecteur. (Au mieux des critiques sur des sites marchands, mais ça s'adressait aux autres lecteurs, pas à moi, ce n'était pas un échange.)
Et c'est là que j'ai compris que je préférais autant faire un boulot alimentaire payé un peu mieux qu'un SMIC plutôt que d'être (mal) payée pour écrire, et publier gratuitement dans mon temps libre, et me faire plaisir en écrivant ce que je voulais et surtout en ayant ce
dialogue avec les lecteurs qui, je l'ai compris à ce moment-là, était au coeur de
ma pratique d'écriture à moi.
Mais je n'étais pas au bout de mes déconvenues.
Je suis revenue à la fanfiction, sauf que le fandom avait évolué, il y avait beaucoup moins de lecteurs, et parmi les lecteurs, un nettement moins gros pourcentage qui prenait le temps de commenter. Quand vous passez de milliers de lecteurs et dizaines de commentaires pour un chapitre de Texte A à 80 lectures et un commentaire pour Texte B alors que vous êtes absolument convaincue que Texte B est bien meilleur que Texte A, même si vous rationnalisez ça le plus possible, difficile de ne pas ressentir de la déconvenue. Pourtant, j'étais bien consciente qu'il y a des tas d'auteurs qui publient dans des petites structures ou à compte d'auteur qui seraient ultra heureux d'avoir 80 lecteurs et un commentaire positif.
C'en est suivi une panne d'écriture qui a duré des années.
J'ai fait une grosse introspection, j'ai essayé de déterminer au mieux pourquoi j'écrivais, si c'était un plaisir, un besoin, les deux, et ce que je voulais en retirer.
Et j'ai réussi à me remettre à écrire, là je suis sur les derniers chapitres d'un roman et je pense bien que je vais le boucler, et en être satisfaite. (Croisons les doigts.)
Et puis le mois dernier, j'ai binge-watché une série, et ça m'a inspiré un texte de 800 mots écrit en 1h, juste pour moi, pour coucher sur le papier des mots qui méritaient d'exister, juste en soi, sans prétention d'en faire quoi que ce soit.
Mais comme on ne se refait pas, j'ai publié ça en ligne. Le fandom est minuscule, 200 textes en tout, 3 sur les personnages qui m'intéressaient, et personne ne me connaissait dans ce coin d'internet. Je ne m'attendais à rien du tout.
J'ai trouvé une poignée de lecteurs, dont 1 pour commenter mon texte. J'ai écrit un deuxième chapitre, plus long, parce que ça valait le coup, juste pour moi et cette personne qui me commentait, je n'avais pas de hautes attentes alors je n'avais pas besoin de plus. Depuis, j'ai 3 lecteurs fidèles qui attendent mes chapitres, j'ai écrit 10 000 mots en un mois (à côté de mon boulot pro et de mon projet de roman que je continue à avancer malgré tout), sans grosses attente, sans pression, et je m'éclate à écrire comme ça ne m'était pas arrivé depuis 15 ans.
Parce qu'au final, ce qui compte, ce n'est pas où ni comment vous publiez, combien d'argent ou pas vous touchez, combien de lecteurs vous avez.
Ce qui compte, c'est si ce que vous rencontrez correspond à vos attentes.
C'est pour ça que je suis aussi véhémente envers le compte d'auteur : parce que, en plus d'être un système exploitatif, dans l'immense majorité des cas, les gens qui se tournent vers cette solution sont déçus. Ce qu'ils récoltent ne correspond pas à leurs attentes et ils en ressortent avec l'impression amère de s'être fait rouler dans la farine, d'avoir perdu leur temps et leur argent, et peut-être encore pire, d'avoir perdu le plaisir que leur manuscrit leur faisait éprouver.
Et
Oxymorel, je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais il y a assez peu de chances que l'édition à compte d'auteur te rapporte des "retours positifs de lecteur".
Même si tu vends en salon, ça ne veut pas dire que le livre sera lu. (Je repars toujours avec une pile de livres quand je vais à un salon parce que je sais pas dire non aux auteurs qui me sortent leur argumentaire de vente avec une petite bouille pleine d'espoir. J'ai rarement le temps de les lire. Et si je lis 2 chapitres et que ça ne me plaît pas, je ne finis pas le bouquin. On n'est pas là pour souffrir, hein.)
Même si tu vends en salon et que le livre est lu, ça ne veut pas dire que tu auras des retours, et encore moins positifs. Si tu regardes sur Amazon, tu as environ 100 lectures pour 1 commentaire. Donc statistiquement, pour avoir ne serait-ce qu'un retour de lecteur, il faut déjà vendre beaucoup - a priori plus que ce que ton éditeur te promet.
Je suis sincèrement persuadée que si ce que tu cherchais, plus qu'avoir ton nom sur une couverture à tout prix, c'était des retours de lecteur, tu aurais eu beaucoup plus de chances d'en avoir en publiant sur une plateforme d'écriture gratuite en ligne, à condition de jouer un minimum le jeu (aller lire et commenter les autres).