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 La Vanité

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Je ne sais pas trop ce que signifie le terme "dogmatisme" et j'ai tendance à croire qu'il n'est que le résultat d'une perspective. Tout est dogme et rien ne l'est. Est-ce qu'il est possible d'avoir véritablement des pensées originales ? Est-ce que l'originalité d'une opinion, le fait qu'elle soit absolument indépendante de toute influence augmente sa validité ou sa pertinence ? Je me méfie un peu de cette peur absolue de l'influence, comme si penser avec c'était forcément se soumettre totalement, comme si, d'ailleurs, on pouvait faire autrement. Je préfère accepter le fait que ce que je pense est le fruit de mes lectures, de mon éducation, de ma position sociale, etc. que d'imaginer que je peux, à un moment donner, formuler quelque chose qui soit indépendant de tout ça.

Bref, est-ce qu'il me faut être certain que mon sentiment de l'absurde soit "pur" de toute influence pour qu'il soit plus valide, plus acceptable, plus souhaitable ? Je ne pense pas que ça change quelque chose et je ne crois même pas à une hypothétique nature vierge de l'esprit, des idées ou de quoique ce soit. Tout est tâché par les autres et on peut bien regretter ça (parce qu'on construit la fiction d'une pensée absolument libre), ça ne change rien je crois.

Quoi qu'il en soit, je lisais l'autre jour un roman, Le Cap des tempêtes, de Nina Berberova, un écrivaine russe morte à 32 ans et qui a vécu cette drôle de période allant de 1901 à 1933, et ce qu'il y a de fascinant dans ce roman c'est qu'il dépeint avec justesse le sentiment de l'absurde tel qu'il pouvait se penser dans cet entre-deux, dans ce laps d'Histoire entre la mort de Dieu de Nietzsche et Dostoïevski et l'émergence d'un totalitarisme à la fois créateur et destructeur d'universaux. Tout ça pour dire que si le sentiment de l'absurde est un problème creux et sans fond (sans forme aussi sans doute) d'un point de vue existentiel, si on ne peut essentiellement rien en dire, il nous dit quelque chose, lui, sur la gestation des pensées au XXe siècle et peut-être sur la préparation d'une angoisse propre à notre propre siècle.

Forcément, on rentre encore là dans le jeu des perspectives historiques et des fictions du temps présent, mais il n'empêche que lorsque je vois certaines manières de vivre, de voir le monde, lorsque je lis de la littérature contemporaine ou des penseurs d'aujourd'hui (Harmut Rosa, Giorgio Agamben, Georges Didi-Huberman), lorsque je regarde ce vers quoi tend obsessionnellement l'art maintenant, je me dis que cette angoisse absurde, cette vanité à tout les niveaux, n'est pas simplement une petite boule de peur dans le creux du sujet, mais aussi un prisme fascinant pour appercevoir (avant même de comprendre) ce qui peut se jouer pour nous maintenant ici.

Et en sautant quelques années après Berberova et l'angoisse "très russe" de ces personnages, je relis le célèbre éditorial de Camus dans Combat juste après l'explosion de la bombe atomique au japon et j'ai l'impression que "tout" est dit :

Citation :
[...] Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. [...]
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Pianitza
   
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Pianitza  /  Effleure du mal


Tu vises juste Aomphalos même si j'ai parfois un peu du mal à suivre tes raisonnements. Mais sur le tas je suis d'accord avec toi.
Pour conclure de mon côté, je dirais qu'il vaut mieux demeurer tout de même dans l'absurde, le ridicule, plutôt que dans le nihilisme.

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DC
   
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DC  /  Gueule d'ange et diable au corps


Oh, j'ai juste 3 idées pour pas que tu te sentes perdu dans la vanité des choses...

- Le mythe de Sisyphe d'Albert Camus... Lis le et deviens un héros absurde. Le héros absurde fait face à l'absurdité de la vie. Il va même jusqu'à l'apprécier, recherchant toujours la même flamme, la même passion qui l'anime, comme le fait Don Juan en recherchant toujours cette première passion de femme en femme.

_ Après tu médites sur cette phrase de Gandhi: "Tout ce que vous faites est insignifiant mais il est très important que vous le fassiez quand même."

- Et tu finis par Bertolt Brecht http://www.fabriquedesens.net/Nos-defaites-ne-prouvent-rien et Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.

Je suis assez Bensaïdien quand j'y pense... Très radicalité joyeusement mélancolique... ou tiens ces quelques phrases:
« Je n'ai pas le sens religieux de la souffrance rédemptrice. Je n'ai jamais conçu mes engagements comme une ascèse ou une réparation. Je n'ai jamais prononcé des vœux de pauvreté ou de chasteté intellectuelle. Jeune communiste, j'ai aussitôt pris en aversion la bigoterie bureaucratique des prêtres staliniens et sa réplique maoïste. Les jeunes gardes rouges à la française, psalmodiant la pensée du Grand Timonier, m'étaient odieux. Insupportables, ces moinillons faisant don de leur personne à la Cause (du peuple ou du prolétariat). La Cause ? Il ne m'est jamais venu à l'idée de sacrifier à ces idoles ventriloques. Militer est le contraire d'une passion triste. Une expérience joyeuse, malgré ses mauvais moments. »
« La raison se mêle toujours à une part de rêve et de passion, de messianisme »
« Bien sûr, nous avons eu davantage de soirées défaites que de matins triomphants... Et, à force de patience, nous avons gagné le droit précieux de recommencer. »
 
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Érème  /  /quit


Merci Domini-Coll pour la référence à Camus. En fait je suis une espèce de dingue de Camus et j'ai plus ou moins tout lu de lui (à part quelques chroniques, lettres et articles sans doute). J'avais été profondément touché par Le Mythe de Sisyphe et L'Homme révolté il y a quelques années et je les ai relus et feuilletés souvent depuis.

Merci pour les autres citations / références. Je trouve ces manières d'appréhender les choses intéressantes, même si elles me semblent parfois un peu manquer leur cible. Elles me font souvent l'effet des phrases que l'on peut dire maladroitement à quelqu'un qui va mal du genre "Mais si, tu vois, la vie est belle", etc. Le problème n'est pas de valoriser son existence, juste d'en rendre compte. Pour le coup je trouve Camus à la fois plus juste et plus fin dans sa manière d'appréhender les choses. La Révolte échappe au risque de la méthode Coué et, à défaut de donner des armes pour justifier notre existence, lance une piste pour en faire quelque chose "à défaut de". L'approche de Camus là-dessus me semble d'autant plus forte qu'elle est soutenue par sa vie.

Quoi qu'il en soit, je relis encore et encore Dagerman et je ne résiste pas à l'envie de citer ici la fin de son texte Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, où il parvient à écrire et décrire à la fois la vanité et son dépassement :

Citation :
Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n’accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait – mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable.


Je peux même m’affranchir du pouvoir de la mort. Il est vrai que je ne peux me libérer de l’idée que la mort marche sur mes talons et encore moins nier sa réalité. Mais je peux réduire à néant la menace qu’elle constitue en me dispensant d’accrocher ma vie à des points d’appui aussi précaires que le temps et la gloire.


Par contre, il n’est pas en mon pouvoir de rester perpétuellement tourné vers la mer et de comparer sa liberté avec la mienne. Le moment arrivera où je devrai me retourner vers la terre et faire face aux organisateurs de l’oppression dont je suis victime. Ce que je serai alors contraint de reconnaître, c’est que l’homme a donné à sa vie des formes qui, au moins en apparence, sont plus fortes que lui. Même avec ma liberté toute récente je ne puis les briser, je ne puis que soupirer sous leur poids. Par contre, parmi les exigences qui pèsent sur l’homme, je peux voir lesquelles sont absurdes et lesquelles sont inéluctables. Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. C’est la liberté qui vient de la capacité de posséder son propre élément. Le poisson possède le sien, de même que l’oiseau et que l’animal terrestre. Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ?


Je suis obligé de répondre : nulle part. Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que le silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant.


Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c’est-à-dire une raison de vivre.
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Shub
   
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Shub  /  Roberto Bel-Agneau


Ô a écrit:
c'est absurde d'écrire, mais c'est au moins aussi absurde de ne pas écrire

On dirait une phrase tout droit issue de Camus.
Pas mal en vérité!
 

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