Bouclé Oreiller d'herbes, art poétique déguisé en roman à la fois très moderne — méta, refus de la profondeur et de la psychologie, primauté de l'objet sur le signe — et gentiment daté, ne serait-ce que par sa construction gigogne ou la posture a priori réactionnaire du narrateur. Pas très sensible — à tout le moins pas en pratique — à ce miniaturisme un peu rigide, fuligineux, limite fantomatique, qui se développe par notes impressionnistes en marge et au travers du texte. Je remercie quand même Sōseki pour l'épisode maniaque de son protagoniste qui, après cent cinquante pages de cerisiers en fleurs et de méditations sur les tableaux de Millais, décide que les grandes villes abritent des contingents de détectives qui veulent « compter ses pets » pour deviner « la forme de son trou du cul ». Je reproduis tel quel. Meilleure critique du germanopratisme au monde ?
Enchaîné, au hasard, sur Eugène Oniéguine. Je pense que c'est du fait de la traductrice, mais une grande part des vers — des tétramètres iambiques : bonne chance pour en faire quelque chose en se passant d'accents toniques — achoppent un peu partout, même en usant de synérèses, diérèses, apocopes et béquilles de toute sorte pour faire entrer l'original dans une métrique française. Reste l'épure narrative de Pouchkine et ce pathos tout simple et sans affectation qui le caractérise. Portrait d'un « homme de trop » presque mieux réussi — moins terne, plus virtuose, plus solidement construit ; ce qui, tout bien considéré, l'éloigne sans doute aussi de son sujet — que celui de Tourgueniev.
Lu les Écrits de Rigaut. Pas passionné par la majorité de ses aphorismes, sauf quelques-uns qui se signalent par leur sécheresse et par leur méchanceté — « Je vous écris pour vos cheveux frisés qui rendent bien improbable le rendez-vous à la place de la Concorde » : très bonne idée râteau. Idem pour ses dialogues, des petites bricoles un peu grossières, trop affectées, bêtement cyniques, qui tournent en rond dès leur première itération. Plus emballé, une fois les contes ouverts, par son usage du topos du miroir pour proposer des modèles narratifs où les individus se désagrègent à petit feu. Les deux derniers segments, composés de lettres et de témoignages de personnalités du début du XXe, sont de chouettes lecture aussi, en excluant celle de Breton — toujours à chier, comme d'habitude — et en se concentrant sur les cinq ou six pages pleines d'amertume et de brolove écrites par Drieu la Rochelle.
Dans Agonie d'agapè. Pas transporté, mais très bon titre — ou, en tout cas, malin.
Dernière édition par Hobbes le Mer 16 Mar 2016 - 1:41, édité 1 fois