Sara a protesté tandis que j’urinais devant elle.
« Vous attendez quoi pour me détacher ? »
Je me suis réajusté, ai ramassé ma kalachnikov, abandonnée contre un mur, sans lui répondre.
« Eh oh, je vous cause ! »
Elle m’énervait…
« J’aime pas me faire mordre ou cracher dessus ! Pissez dans votre froc, je m’en fiche ! »
Elle m’a insulté.
Tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables, en hébreu, en arabe.
Chien, macaque, porc, enculé, fils de pute, pédé, petite bite… Je n’avais jamais entendu une femme tenir de tels propos, dans un condensé aussi fourni qu’imagé. Lorsqu’elle est passé au français, j’ai réagi une seconde. Juste une seconde et puis j’ai oublié, une fureur noire au fond du crane. En deux enjambées, j’étais à nouveau sur elle.
Une claque encore.
Je n’avais jamais frappé de femme. Je n’avais jamais levé la main sur Nawal et ne l’aurais permis d’aucun homme. Mais à cet instant précis, j’ai oublié toute mon éducation, tous mes principes. J’avais une ennemie devant moi, une ennemie qui m’insultait et qui appartenait à cette armée qui avait tué celle que j’aimais.
« La ferme, connasse ! »
Elle était ligotée, elle était une femme, mais je l’ai frappée à plusieurs reprises, l’ai tirée par les cheveux, jusqu’à ce qu’elle se taise, se recroqueville sous moi. Mais je l’ai encore obligée à me faire face et lui ai pointé le canon de mon arme sous la gorge.
« Tu me manques encore une fois de respect et je te bute ! Je te le jure ! »
Elle ne m’a pas répondu, l’air un peu hagard, s’est contenté d’hocher la tête en reniflant le sang qui pissait de son nez blessé. Mes coups lui avaient aussi fendu la lèvre supérieure. Et je me suis redressé, hébété par cet accès de violence dont je n’étais pas coutumier. Pas avec un adversaire qui n’avait aucun moyen de se défendre en tout cas. J’ai vaguement remarqué la tache humide sur le devant de son pantalon et me suis éloigné, soudain honteux.
Je me suis laissé tomber sur la banquette et m’y suis recroquevillé.
Je crois que je suis resté prostré là plus d’une heure, sans bouger, sans parler, sans plus me souvenir même que j’avais une prisonnière sous ma responsabilité. Je ne me souviens d’ailleurs pas à quoi j’ai pensé durant ce temps. Peut-être à rien.

Citation :

hébété par cet accès de violence