DAME FLORALLA

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Quelques images d'ambiance (Floralla – un arbre seul – des dragons de Pern – Nelva – une montre ensevelie – une éclosion de dragonne dorée)

AERITH

La dragonne de Floralla, par Camille Wright

NUIT 1

Quand elle arrêta de courir, à une distance raisonnable des vagues, elle était haletante. Les doigts serrés sur son chapeau, à tel point que la paille lui picotait les phalanges, elle admira le spectacle offert par la Mer Azur. Ses collines éphémères… Ses creux mouvants… Ses éclaboussures mousseuses… Ses poissons, qu’elle imaginait sans peine sous la surface brillante de l’eau… Elle se demanda si son oncle Aëllerian était en train de naviguer près de l’Isle-Rose, à des centaines de lieues du Fort de Baie-Éternité. Elle se demanda si son grand-père Orallis était en train de regarder la mer, tout comme elle.

Elle se demanda comment allait son père.

Elle enfonça davantage ses pieds dans le sable, pour sentir les minuscules grains couler entre ses orteils. Elle savait que son père l’avait envoyée à Baie-Eternité pour qu’elle ne voie pas à quel point il était triste ; elle avait essayé de lui expliquer qu’elle n’était pas dupe, qu’elle sentait bien à quel point il avait du chagrin, mais il n’avait rien voulu entendre et l’avait tout de même fait monter sur la charrette de Mamie Doline et de Papi Rorkal.

— Bon anniversaire, Maman, murmura Floralla.

Elle n’avait aucune idée de l’âge que sa mère aurait eu ce jour-là, si elle avait toujours été parmi eux, mais ça n’avait pas grande importance. Si Maman Fleur ne les avait pas abandonnés deux révolutions plus tôt, ils lui auraient organisé une petite fête, ils lui auraient cuisiné un gâteau, ils se seraient amusés tous ensemble.

COURBE

JOUR 1

Le quinzième jour du cinquième mois, elle s’isola près du point d’eau avec d’autant plus de plaisir qu’il faisait très chaud. Un Rukbat ardent dardait tous ses rayons sur le volcan éteint. Beaucoup de dragons s’étaient étendus sur les Crêtes de Feu ou sur leurs corniches, tandis que les travailleurs avaient remis les corvées pénibles à plus tard. Floralla avait sorti son chapeau de sa malle et s’était tartiné les bras de crème pour éviter une brûlure ; comme Rukbat avait transformé le lac en un miroir brillant, elle gardait les yeux fermés, tout en battant doucement des pieds dans l’eau tiède. Zag se trouvait sur son épaule, dans l’ombre de son chapeau et de ses boucles rousses, aussi somnolent qu’elle.

Quand elle sentit plusieurs gouttes d’eau s’écraser sur son autre épaule, elle ne put donc réprimer un cri de surprise : Zag ne l’avait pas prévenue qu’ils n’étaient plus seuls et elle n’avait pas entendu l’intrus approcher. Elle attrapa aussitôt son chapeau et se retourna à demi, en fouettant l’air avec son couvre-chef, pour éloigner… pour éloigner qui, ou quoi, elle ne savait pas, mais qui que ce soit, quoi que ce soit, elle l’attaqua avec tant de conviction qu’elle atteignit sa cible.

En l’occurrence, une camarade de son âge, aussi rousse qu’elle, qui sauta en arrière pour éviter un autre coup.

— Hey ! protesta-t-elle. Je ne suis pas un moustique !
— En effet, parce que les moustiques, on les entend venir ! Tu m’as fait peur !
— Pardon, pardon… Je voulais juste qu’on fasse connaissance. Tu es Floralla, c’est bien ça ? On peut reprendre à zéro ?

L’intruse tendit sa main avec un sourire lumineux.

— Je suis Féarielle.

COURBE

RÉCOMPENSE

JOUR 2

— Calme-toi, tout va s’arranger… Tu vas trouver celle que tu cherches, je te le jure… Je t’en prie, calme…

Elle s’interrompit. La dorée venait de bouger sous ses doigts : elle se redressa en ouvrant à demi les ailes, ce qui la fit tanguer ; pour retrouver son équilibre, elle rejeta sa tête en arrière, et alors…

Et alors, ses yeux rencontrèrent ceux de Floralla. Le jaune se dissipa et se changea en azur. Le désespoir laissa place à une joie qui pétilla dans le cœur et dans la tête de la candidate talloise. Elle se sentit instantanément acceptée, comprise, aimée, accueillie dans l’esprit de cette reine qui la choisissait pour avancer à ses côtés.

*Je suis Aerith. Vous êtes ma dame. Vous me trouvez belle ?*

Elle se blottit contre la jeune fille, quémandant plus de caresses. Choquée, envahie par une joie si grande qu’elle se sentait à deux doigts de pleurer, Floralla ne bougea pas dans un premier temps, jusqu’à ce que la dragonne rabatte ses ailes contre son épine dorsale.

*J’ai faim* lâcha-t-elle, comme surprise par son propre estomac.

Floralla retrouva enfin contact avec le monde réel. Tremblante d’émotion, elle passa son bras droit autour du cou sinueux d’Aerith et caressa son museau avec sa gauche, délicatement.

— Tu es magnifique. Et ne t’inquiète pas… Je vais te donner à manger.

Tout irait bien.
Elles étaient ensemble.
Rien d’autre ne comptait.

COURBE

JOUR 3

Floralla avait promis de s’occuper de l’accueil des blessés à l’Infirmerie, mais elle avait aussi et surtout promis à Aerith qu’elle serait toujours sa priorité. En conséquence, à peine descendue de sa monture, elle se rua vers son âme-sœur, si vite que Zag tomba de son épaule. La jeune reine avait vu Aeth descendre près de l’Infirmerie et s’était précipitée à leur rencontre.

*Vous êtes là ! Enfin !* s’exclama-t-elle, en avançant aussi vite qu’elle le pouvait, mi-volant, mi-sautant.
— Je suis là !

L’aspirante se jeta au cou de sa dragonne et pressa son nez contre son cuir chaud, tout en la serrant dans ses bras.

*Vous sentez la pierre de feu* déclara Aerith.
*Et toi, tu sens le bonheur d’être à la maison.*

COURBE

JOUR 4

Les jours où ses camarades s’entraînaient, Floralla restait à l’écart, le cœur lourd. Elle n’était même pas conviée pour les accompagner de loin, comme les autres aspirants, car Aerith tendait à attirer les dragons autour d’elle : par instinct, les dragons et les lézards volaient toujours à proximité des dorées, pour les protéger des dangers environnants.

Elle essayait de garder le sourire, consciente que ce n’était pas dirigé contre elle, mais cette situation lui rappelait à quel point son statut était particulier… et cette perspective ne la réjouissait pas. Elle n’avait jamais désiré être spéciale. Elle ne voulait pas d’un traitement de faveur et, certains jours, elle culpabilisait que son nom ait été retiré du tableau des corvées, malgré son énorme charge de travail en tant qu’aspirante-dorée.

*Vous êtes là où vous devez l’être* lui déclara Aerith, calmement, un jour où elle regardait ses camarades voler, pleine de regrets. *Je vous ai choisie car je savais que vous seriez à la bonne place, à mes côtés.*

Floralla ne répondit pas par des mots, se contentant de s’allonger contre la dorée, pressée contre elle, comme si elle essayait de se fondre dans son cuir doré. Oui, elles étaient ensemble et c’était tout ce qui comptait…

COURBE

JOUR 5

— Et donc, avec l’aide de mon père, j’ai pu m’arranger pour sauter six mois du cursus et m’entraîner avec la couvée qui avait déjà une révolution et demie. Je suis douée, tu ne l’as pas oublié, n’est-ce pas ?
— Non, je n’ai pas oublié.

Dans la bouche d’une autre, cette déclaration aurait semblé très prétentieuse, mais Féarielle la disait avec un tel enthousiasme, une telle joie de vivre, que Floralla la pardonnait volontiers ; il n’y avait pas de place pour la condescendance et le mépris dans une voix remplie d’une telle chaleur, dans des yeux si brillants, dans un sourire si sincère. La Nelvienne continua sa petite histoire :

— Et je me suis donc donnée à deux cents pour cent pour être au même niveau que les autres, et même meilleure que les autres. Ensuite, j’ai fait un pari avec le maître des aspirants : je lui ai dit que non seulement, je serai capable de passer les examens pour devenir dame, mais qu’en plus, je serai dans la tête du classement… et devine ce que j’ai parié ?
— Eh bien… devenir dame-dragon avant tout le monde, non ?
— Mais non : revenir à Nelva !

Un sourire amusé ourla les lèvres de Floralla.

— Et pourtant, tu as des nœuds de dame-dragon.
— Oui, parce que j’ai passé les examens avec succès, que j’ai été autorisée à monter un dossier pour retourner à Nelva, que je suis retournée à Nelva et que… tu sais que K’tar est très sympa ?
— Oui. Je te l’ai toujours dit. Et tu m’as toujours répondu que c’était une face de gueyt.
— J’ai changé d’avis. Il est très sympa.

COURBE

JOUR 6

Le lendemain, au réveil, Floralla bascula sur le côté, comme tous les matins, pour poser sa main sur le cuir tiède de sa reine. La dragonne était si grande, dorénavant, qu’elle dormait collée au lit de sa maîtresse et qu’elle se dressait comme un mur doré devant la lumière du jour.

*Nous devons nous choisir un weyr, aujourd’hui*, rappela Aerith.

Floralla soupira.

*Je croyais que les dragons avaient une très mauvaise mémoire*, attaqua-t-elle, mi-figue mi-raisin.
*Je ne suis pas un stupide gueyt. Voulez-vous que je demande à Naelith si sa maîtresse est disponible ?*

COURBE

JOUR 7

Il n’était pas impossible que ce weyr ait été réquisitionné par un bronze pendant l’Intervalle, mais cette occupation devait remonter à plusieurs révolutions, vu l’état des lieux. L’aspirante toucha le paravent du bout des doigts, à peu près sûr qu’il allait se désagréger, mais l’objet, constitué de toiles tendues sur du métal, tint étrangement bon. Le tissu aurait néanmoins bien mérité d’être remplacé ou raccommodé.

*Est-ce que vous l’aimez ?* s’enquit Aerith.
*Je n’irais pas jusque-là, mais je vois son potentiel.*

L’aspirante ne se sentait pas chez elle dans ces grottes, mais elle pouvait les aménager à son goût. Elle n’oserait pas aller réquisitionner des meubles et des tapisseries dans les Forts, mais l’Intendante Erynn accepterait certainement qu’elle se serve dans les réserves pour rendre l’endroit un peu plus confortable. Elle n’avait pas besoin de grand-chose. Un tapis, deux ou trois rideaux, quelques caisses pour ranger ses affaires, peut-être une bibliothèque et un siège supplémentaire… Rien d’extravagant, d’élégant ou de cher. Juste le minimum pour que la quatrième dame dorée de Nelva ne vive pas comme une Sans-Fort.

*Ça veut dire que nous pouvons nous installer là, alors* déclara la dorée.

Floralla la sentit s’étendre de tout son long sur la roche noire.

*Tu ne veux pas visiter le deuxième ?*
*Non, pourquoi ? Celui-ci est très bien.*

COURBE

JOUR 8

— Très bon travail. Maintenant, remontez tous sur vos dragons pour faire un dernier tour d’inspection. Si, vous ne voyez pas d’autres zones d’enfouissement, vous pourrez rentrer au Weyr. M’shu, Floralla, vous prenez le commandement.

Les deux intéressés acceptèrent cette responsabilité d’un signe de tête et remontèrent sur leurs dragons. Floralla était à peu près sûre qu’il n’y avait pas d’autres cercles suspects dans les champs, car ils les auraient vus pendant leur première tour d’observation. Ça voulait dire que bientôt, très bientôt, elle pourrait rentrer à Nelva, se débarrasser du coureur mort qui pesait sur ses épaules, puis…

Elle exhala un soupir.

Puis elle devrait se rendre disponible pour les guérisseurs et les soigneurs de dragons, prendre des nouvelles de Stirwen, s’assurer que Nikaï allait bien, baigner sa dorée dont le cuir semblait plus gris que doré sous les cendres…  

Elle payait cher ses premiers pas dans la cour des grandes : sa journée était loin d’être terminée.

COURBE