L'appartement de Monsieur Jacquetot.

Les remarques ici.

Il n’y a pas de bonne charcuterie ici. Jamais eu de bonne charcuterie. J’ai essayé toutes les charcuteries du coin et celles des quartiers voisins. Rien qui n’égale celle de mon enfance. Du saucisson qui ressemble a du bois flotté. Écoeurant. Depuis l’inondation, c’est encore pire. La seule qui m’évoquait un peu la charcuterie de Mr. Flandin, pour sa décoration seulement, pas du tout pour son savoir-faire mais pour sa décoration presque identique, elle aussi a disparu.

La vieille doña m’emmerde. Elle ne me laisse aucun répit. Passe son temps à m’humilier publiquement. Suffit qu’elle me croise dans les couloirs pour qu’elle m’interpelle.

la vieille doña joue bien son rôle
franchement
vingt ans qu’elle se coiffe et s’habille sans que personne
ne la regarde
vingt ans qu’elle se parfume et sent toujours le jambon
son fils
je ne parlerai pas de « son fils »
je ne dirai rien au sujet du fils

Je n’aimais ni mon père ni ma mère.

Je n’ai jamais pu me nourrir de cette viande-là.
peut-être aurai-je dû saisir ce qui d’eux pouvait être sauver.
j'ai appris qu’on ne peut rien sauver des autres

sans que cela ne devienne

immédiatement à sauver chez soi.

pour cela je faisais quatre fugues par semaine. parfois cinq.
et si j’étais malade je n’en faisais qu’une.

Je creusais dans la terre et quand la nuit tombait
profondément

je rentrais.

chaque lendemain j’espérais regagner le trou que j’avais creusé la veille
je ne le retrouvais pas
Il fallait sans cesse que je recommence.
à la fin, le champs était plein d’orifices inutiles.

La chose dont je me souviens le mieux, c’est évidement le regard de M. Flandin, le charcutier où j’étais apprenti, quand il découpait sa viande et ses abats. C’était un homme appliqué. Parfois, je rêvais m’accrocher à ses jambes et le regarder longtemps. Au fond, j’aurais aimé que nous dormions tous les deux, l’un contre l’autre, dans la chambre froide. Chaque soir, alors que je faisais mes trois heures de vélo journalières pour regagner Dole, où vivaient mes affreux parents et qui, de fait, sont bel et bien morts aujourd’hui, je regrettais que M. Flandin ne veuille pas m’adopter.

Personne n'est venu se présenter. Quand on arrive quelque part, on doit se présenter.

C'est la coutume.

Pour les accueillir, j'avais pourtant préparé une planche de charcuterie. En vérité, ces tranches étaient pour la plupart stockées à la cave. Un duvet de poussière commençait à les recouvrir et c'était donc un moyen pour moi de m'en débarrasser (avant que le concierge ne me démasque).

Des miaulements désespérés viennent du dehors... Henri volera t'il au secours de son chat?

Je me débat pour essayer d'échapper à l'homme étrange mais les fumées m'ont trop affaiblie.

Je miaule désespérément pour indiquer à l'homme étrange qu'il faut sauver l'homme grenouille mais il se contente de me sourire. Il lui manque des dents. J'ai peur.

En passant devant le 102 je miaule de plus belle mais la porte reste close. Finalement l'homme étrange m'emmène dans son antre. Le 104.

J’ai entendu du bruit. Une explosion. Tout de suite, j’ai pensé qu’un drame était arrivé. Moi, j’ai enfilé mes pantoufles et je me suis précipité dehors. Mon chat miaulait fort, il avait besoin d’aide. Besoin d’être sauvé. J’ai toujours aimé sauver les chats. Par ailleurs, les chats m’ont toujours adoré. Devant le « cadavre » de « mon » voisin, j’ai oublié ce qu’il fallait faire. J’ai pris peur. Couru pour me réfugier dans la chambre en serrant mon chat.

Après, j’ai pleuré.

On dit que j’ai perdu la mémoire. Ma mémoire est saine pourtant, propre, dépoussiérée. On m’imagine un peu fou, sénile. Attention, je dis, attention. Je sais bien d’où je viens. Je sais bien qui je vois, qui je regarde, avec qui je m’entretiens. Depuis mon appartement toujours ouvert, j’écoute. Je sais me montrer patient. Depuis l’évènement, personne ne cherche à me comprendre. Plus de visites. Il semblerait que je sois seul maintenant.