Voilà près de trois-quatre mois que la petit Ola a récolté du « pudding à mama » : le pudding aux graines de chia et d'amande que fait si bien Tia, sa mère, ressemble à s'y méprendre à des œufs de grenouille ! Iel était revenu avec un seau tout plein, dont il s'est occupé tout l'été à l'abri des feuillages du patio : ces derniers jours, des grenouilles sont de sortie. On les entend coasser, Ola les accompagne de sa voix.

L'année dernière a écrit:

— Ola, Ximeno ! lui lance le concierge alors qu'il est en train d'apprendre à tenir l'équilibre sur son premier vélo.

— Je m'appelle XIMENO ! TOUT COURT ! Ximeno O-TRA-VEZ ! lui rétorque l'enfant depuis sa biyclette.

— Ahaha ! le portrait craché de Tia ! remarque le Monsieur. Tu es bien sûr d'être un petit garçon ?

— Mama m'a dit que je sais pas ! Pourquoi ? demande le petit bout d'être en fronçant les sourcils.

Il pète des lèvres, le concierge, en haussant les épaules. Il lui flatte le casque, blond, que forment ses cheveux :

— Ola, c'est plus joli que Xixi... non ?

— C'est vrai ça ! JE SUIS PAS DU PIPI !

Le lendemain, Ximeno vient trouver le concierge pour lui faire faire une étiquette à coller sur son polo, à gauche : « Ola Ximeno ».

Depuis ce jour, plus personne dans l'Immeuble — sinon pour l'embêter — ne l'appelle « Xixi » comme il était d'usage jusqu'ici. Il pensait, d'abord, que le xixi c'était l'agave du patio dont Jaime faisait une boisson d'adulte — la raicilla ; mais Joao lui a dit que c'était du pipi en berzili. Et tout le monde continuait quand même de l'appeler ainsi, malgré son air sévère et ses sourcils méchants ! Les adultes trouvaient ça amusant.

---

Personne, parait-il, ne connaît l'identité du père de Ximeno ; pas même sa mère selon les dires (à qui il ressemble trait pour trait). Il n'est pas rare de le croiser à tous étages et tous couloirs de tout l'Immeuble : mais la plupart du temps, il traîne dans le patio — et quand il n'y est pas, le bruit court qu'il prépare une bêtise !

Ola rentre en (c)riant de sa visite à la doña :

Citation :

— Mamaaaaaa ! Maña, la vella veut te boire !

— La bella veut me voir ? reprend Tia, fronçant de peu ses drus sourcils avant de laisser voir ses longues dents de lagomorphe et ses canines encore plus longues. Elle sourit lorsqu'elle ajoute : Je t'ai déjà dit quoi avec ça ?

— C'est très drôle, Tia... avoue ! tempère une jeune artiste toute amusée par le petit bout d'être,( qui gère la serre avec la mère d'Ola).

— Hmf. Je veux que mon petit miracle ne se rit pas des différences ! Puis, mer-.. credi!, c'est quand même moi qui l'éduque comme je l'entends, non ? relance Tia en croisant ses deux bras, masquant dans le même temps le sourire arraché malgré elle. Elle reprend : Ola, c'est porque ?

— Ehm... réflechit-iel en plissant ses paupières : iel a déjà oublié.

— Le tricot ?

— Ita, ita ! le tricot !

Puis Ola file consulter la médiathèque où mama a classé ses cassettes et ses disques — compacts ou non — selon les préférences de son enfant. Iel n'éprouve aucun mal à retrouver ce qu'iel venait chercher : un enregistrement K7 du groupe de math-rock préféré de mama, lorsqu'elles passaient à la radio de l'Arbaudio. Voilà l'enfant parti·e pour une session d'air drumming de folie ! (Le volume est au max, on est en fin d'après-midi : le squat dispose d'un sound system d'enfer).

---

---

Puis, quand s'en vient l'heure de la fée du sommeil, Ola se demande jusqu'à s'endormir : « Pourquoi je ne vais jamais chez la doña pour boire le thé avec maman ? Sinjoro gardisto a-t-il bien lu ma lettre ? La vebella peut-elle voir mon papa ? ». Il ne sait pas encore que Ximeno Otravez ça veut dire : « EL|LE (m')a encore entendu(e) », mais la doña le sait bien.

Les dernières semaines ont été compliquées pour le Squat, des dissensions et des querelles ont sourdu du sein de sa communauté, constituée en grande majorité de nouvelles gens. Les économies du groupuscule se sont réduites comme peau de chagrin, notamment, pour certains, à cause de l'aveuglement maternel de Tia : son enfant, Ola, a sourdu cholérique après avoir accompagné sa mère en visite à la Vides Muertas, quelques jours avant que le foyer épidémique ne se déclare.

Aujourd'hui, après avoir quitté la ville plusieurs jours pour un hôpital périphérique privé et moderne, sur les économies du Squat — dont elle est néanmoins la principale génératrice —, Tia et Ximeno reviennent dans l'Immeuble : Ola a les traits fatigués, et semble avoir survécu à la Shoah, des couleurs viennent réanimer son visage à mesure que le temps passe. Un groupe de jeunes hommes lui refusent l'accès du 402 : ils ne la connaissent pas, et les siennes sont absentes — celles qui ont, dont elle a, ^s·la confiance.