Voici la section commentaires.

J'accepte les interactions même sans spoilers c'est comme vous voulez.

Je n'arrive plus à écrire, je n'arrive plus à organiser mes mots depuis que j'ai croisé l'orpheul et son magazine italien sur le patio. Besoin de me changer les idées. Je jette un regard noir au placard, au bureau. Je réalise soudainement qu'il me manque un lit, une table, une assiette et un jeu de couverts. Un fauteuil aussi. Quant à internet, je préfère ne pas y penser ; je deviens assez taré comme ça. C'est vrai quoi ! Ils ont tous des bibines, de la fumette, des médocs pour ronfler avec leurs monstres nocturnes. J'ai jamais rien pris, comme un abruti je vais devoir écouter passer les heures la tête dans les genoux, les remords, avec l'envie lancinante de planter une seule balle dans le chargeur et de rejoindre le club très fermé de Kurt Cobain ; celui  des chanteurs nasillards insupportables.

Je rigole tout haut. Je viens de réaliser que je voulais des couverts, mais j'ai rien mangé depuis...enfin comment tu veux manger avec tout ce que tu as vu, putain de connard ? Fou de rage, je claque ma porte. Merde ça me soulage pas. Je vais aller claquer celle d'en face, peut-être que l'autre machin de Juan-Pedrito, avec sa gueule de porte-monnaie, va trouver quelque chose pour me soulager. Peut-être me dire un truc gentil, ou me prendre dans ses bras. J'ai l'impression que ça fait deux siècles que personne ne m'a pas pris dans les bras. J'ai l'impression que c'est une double négation qui dit que...que donc...allez disons qu'on s'en tape.

Je toque fermement, avec un peu d'allure je vais le faire flipper et même culpabiliser de faire du bruit, de chanter sous la douche, d'être heureux, en clair : d'exister.

- Oui vous êtes là monsieur...euh monsieur comment déjà ? Oh tant pis, vous êtes là ?

Je viens de réaliser tout à fait tout de suite que je ne sais pas ce que je vais devoir lui dire pour justifier le dérangement. Lui demander du dentifrice peut-être...il va s'en rendre compte avec du bol. Gencives sensibles si possible. Oui voilà.

Tiens le voisin veut quelque chose !

Je laisse tout de même la chaîne bloquer la porte.


- Oui... bonjour Voisin !
Vous voulez quelque chose ?
J'ai fait du bruit ?

Ha merde, le mec vit dans son appartement !
Je le regarde, j'essaie de m'approcher de l'entrebaillement de la porte. L'idée, c'est qu'elle doit venir de lui. Le dentifrice, la générosité incarnée. Pour les gencives sensibles. Si possible. Je prends l'air contrit du type qui se rend compte qu'il n'a plus de tartine pour son dentifrice. Je souris de toutes mes dents, ça met toujours en confiance.

- Oui désolé du dérangement euh...Oui non j'ai entendu du bruit, c'est que je m'inquiètais. Votre oncle va bien, tout le monde va bien vous êtes sûr ? C'est qu'on est jamais assez prudent. Un dégât des eaux par exemple, ça peut arriver sans qu'on fasse att...

Je ne sais pas ce que je raconte, mais je comprends pourquoi Wendy hurle quand Jack Nicholson défonce la porte à la hache.

- oui tout va bien ! Il me semblait que je ne faisais pas de bruit, ce n'est pas si cossu ici en fin de compte, ils ont mal insonorisé les appartements... Oui les dégâts des eaux je n'arrête pi pas d'y penser, mais dites moi tant que nous y sommes, vous connaissez peut-être le secteur depuis plus longtemps que moi, une femme de chambre plutôt sérieuse, vous en connaîtriez une ?


Ah vrai dire il m'inquiète un peu, mais peu importe je ne dois pas lui dire de partir, il a peu être besoin de quelque chose.

- Si ce n’est pas vous, ce doit être ce type louche du premier, il doit venir de l’étranger, si vous voyez ce que je veux dire.

Clin d'oeil. Je dis ça en baissant la voix. Les murs ont sans doute des oreilles, déjà qu’ils ont des trous pour certains. Au moins c’est plus pratique pour se dire bonjour, hein.

- Je pense que l’insonorisation des appartements, dans la liste des choses à refaire totalement dans cet immeuble, ça doit occuper la 76ème place, juste derrière les marches cassées de l’escalier et l’état des lieux du cinquième étage...si vous voyez ce que je veux dire.

J’essaie de le mettre dans la confidence. On vit dans un immeuble de trafiquants, de squatteurs, de pro-gouvernement ; peut-être même la pire espèce des artistes New Age jamais vue de mémoire d’aguacopien. Les profiteurs, les parasites, les mous-de-tout, ceusses qui voyent 150 mille macchabées passer sur des camions, des brouettes, sur les épaules des survivants ; les mêmes zigues qui vont peindre et geindre parce que leur rose bonbon manque de fuchsia piquant. Ouais désolé de vous emmerder, mais on n’a plus de quoi becqueter ; donc ta fiente d’artiste on verra plus tard, quand tous les noyés seront identifiés par exemple, non mais pardon juste. On n’est pas sorti de la boue avec des Juan-Pedrito pareils ; il faudra sortir l’artillerie lourde pour se dégager de ces gluants névrosés. Et je sais de quoi je parle, je le suis moi-même, avec une paranoïa délicate et touchante, saupoudrée de quelques munitions à verser dans le bol avant le lait froid des larmes. Et allez, ça chiale encore...

Hé ho, vous savez ce que disait Philip K. Dick ? « Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas parano que la CIA ne vous surveille pas ». Il était surveillé par la CIA. Clin d'oeil.

- Une femme de chambre ? Ecoutez cher voisin, moi je ne sais même plus comment je m’appelle. Mais vous devriez demander au Concierge, il doit connaître du monde dans le quartier. C’est le genre à avoir été traîné au tribunal par une partie de la ville, trouvez pas ? Sinon vous avez besoin d’aide ? On peut s’entraider, au nom de votre oncle Manuel !

Je fais tellement le mec sympa et serviable que j’ai envie de me serrer la pogne et de me proposer un mezcal-citron-sel. On appelait ça l’Appel du Cactus avec les autres déjectistes. Bon c’est décidé, si ce Juan-Pedrito m’en tape cinq, je vais chercher de quoi vidanger les tuyaux.

-C'est Angel, mais bon, vous parlez certainement du vôtre.
Bon, je m'excuse mais j'ai du ménage à faire, ah je ne supporte pas le désordre et puis je vais devoir contrôler la tuyauterie aussi.

Y retourner, oui c'est ça qui me fatigue, j'arrive pas à y penser et j'y pense tout le temps.

-Oui, vous faites bien de chuchoter, et il n'y a pas que vous qui chuchotez, c'est à s'en perdre le latin je vous l'accorde.
N'hésitez pas à me demander quoique ce soit Angel va pas revenir de si tôt et il m'a donné carte blanche !
Bonne journée à vous. Il va faire beau ça va sécher un peu, profitez d'une balade, les belles sont de sortie, j'ai vu ça hier.

Si j'avais le temps, je l'aurais certainement fait entrer, il m'a bien plu, mais non j'ai besoin de concentration.

Qu'est-ce qu'il me fait Juan-Pedrito del palier ? Je rêve où il me met un stop, pleine tronche en plus, sans pincettes ni paprika. Moi aussi j'ai du ménage à faire, mais est-ce que c'est vraiment important ? Plus important qu'une belle rencontre entre deux mecs sans doute un peu paumés qui ne diraient pas non à un petit câlin si réconfortant ? Non, vraiment ? Mais qu'est cette ville devenue, mon pauvre Teófano, que d'insensibles, que d'individus louches, angoissants, et encore plus louches une fois que c'est dit.

Le type là, avec sa gueule de porte-monnaie, il me parle comme si on était dans un dimanche après-midi grand soleil allons au parc pique-niquer avec un malbec un peu vert et du chorizo sur du pain huile d'olive...mais mon grand, t'étais où ces derniers jours quand l'eau a emporté la moitié de la ville ? Tu dormais ou t'étais déjà en train de récurer ta cuisine sans rien savoir du grand bordel là-dehors ? C'est quoi cet immeuble de gros casaniers ; enfin là on n'est pas sur du casanier, on est sur du psychopathe autocentré. Sa plaque de cuisson c'est son nombril, son balai ses cheveux, et quant à sa tuyauterie, je vous en parle même pas !

Je tourne les talons face à ma porte ; je n'ai pas été autant choqué depuis...ouais, le taré qui transportait les noyés en transpalette je pense.

- Quelle indignité...on est foutu, je vous le dis les enfants. Et il vit sans doute avec nos impôts celui-là encore...

Je ne sais même plus s'il a fermé sa porte ou pas. Des camisolés pareils, j'en veux pas dans mes hectares, c'est pas Dieu possible. On dit que tout arrive pour une raison, le con qui a dit ça ne s'est jamais pointé dans l'immeuble.

Il fait vraiment peur celui là.
Mais il a pas la tête d'un conquistador, les morts ont dû lui monter à la tête, mais il a dit qu'il était prêt à aider : aider moi, aider son voisin, pour son oncle ou le mien qu'il ne connait pas. Toute cette histoire me fait vraiment songer à quelqu'un d'autre. Il faut vraiment que je me concentre, c'était il y a cinq ans.

Toque à la porte en criant :

_ Est-ce que vous êtes là ? Je n'ai pas beaucoup de temps et je voudrais parler avec vous du mot que vous m'avez laissé hier !

-Ah cher concierge ! Je ne vous attendez plus !
Teofano s'est endormi je crois...
Le mescal est un peu dur ces derniers temps.
Allez entrez, j'ai un peu de champagne.

Le concierge il l'apprécie pas trop non plus à Sacha j'ai l'impression, peut être qu'on voit que je porte un gilet pare-balles aussi, peut-être que ça tranche avec les mocassins en daim orange, j'adore ces mocassins !!

-Entrez concierge, dis-je avec le sourire.

Umberto entre, lunatique.

_ Dites-moi, vous vouliez me dire quelque chose ?

- Vous voulez gouter le champagne ?
Oui, déjà, pauvre Tonton Angel nous a quitté, grand tata était fatiguée et elle a attrapé cette peste qui rôde, puis Tonton aussi et voilà c'est fini... 
Et que j'y pense, le voisin aussi c'est fini mais lui il est toujours dans son lit il me semble et si on laisse ça comme ça, ça risque de se sentir. Je ne dis pas ça parce que c'est mon voisin, c'est pour tout le monde. J'ai de quoi payer, je ne veux pas que ce soit un secret, s'il y a un souci je veux bien payer.
Vous aussi, on voit bien que la situation ne va pas aller en s'arrangeant, j'avais déjà donné un sac de pièces à tout le monde. Je dois m'absenter quelques jours, je vais vous laisser un sac, j'ai peur qu'il se passe à nouveau quelque chose. Je surveille tous les soirs que rien n'approche, il y a beaucoup de personnes âgées ici, elles ne pourront pas se défendre.
L'immeuble n'a pas l'air riche, mais il a l'air plus riche que, que les bidonvilles, attention je ne dis pas que c'est de la mauvais graine là bas, non mais peut être faudrait-il faire attention.
J'avais eu l'idée de prendre un autre chat, l'autre s'ennuie un peu non ? 
Je lui ai mis le chien que la vieille zinzin a mis dans mes pattes mais les chiens c'est pas vraiment comme les chat, les chats c'est bien pour les rats et va y en avoir.
Vous voulez gouter les huîtres ?! J'oubliais ! Vous préférez les chips  peut être, ah il reste peut être un enfant au fond de vous !?
La zinzin vous a parlé de trous aussi ? Passer par le petit trou avec le reste de tous mes morts ? Non franchement, je ne me souviens plus trop... Je voulais juste savoir à quoi ressemblait la personne que je suis et comment renvoyer une image plus positive de moi, j'ai toujours eu l'impression d'être Sacha l'immonde, Sacha l'égoïste, Sacha rien, Sacha dans la la lune, dans sa tête et Sacha pas avec moi, pas avec moi, vous quoi, les autres, vous vous êtes là, vous êtes entré !! Vous êtes mon hôte, mon invité... Et vous m'écoutez !

Umberto écouta la longue tirade de Sacha Sopi sans réagir. A l'intérieur, il bouillonnait et étais très las en même temps : fallait-il qu'il souffre continuellement de cette atroce destinée qui conduit le seul arbre droit d'une forêt torve à subir tous les assauts du vent ?


_ Sopi, je ne pige pas bien ce que vous voulez me dire, même si je sens bien que vous exprimez quelque chose qui non seulement est profond mais, même, peut-être, important. Je suis un concierge moi, vous savez, je suis aussi un peu plus qu'un concierge, comme vous vous en doutez depuis le temps n'est-ce pas, car vous n'êtes pas bête, cela c'est aussi une condition nécessaire pour habiter ici (disant ces mots, Umberto regarde autour de lui, presque fébrilement). Je ne veux rien manger et vos huitres doivent être aussi fraiches que la charcuterie que ce pauvre Henri, qui a perdu la boule si vous voulez mon avis, et cela depuis longtemps, peut-être même depuis toujours, distribue à tout le monde. Je suis votre invité, si vous le voulez, mais pour peu de temps car moi aussi j'ai à faire et le monde continue de tourner. Racontez-moi votre histoire de trou, je n'y comprends rien !