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 [L'Immeuble - Ancienne loge du Concierge] Coronel Rasgado

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Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Devant la loge du Concierge, Luz attent, patient, que le vieil homme lui ouvre la porte. Au bout d'un temps bien trop long, et alors que Luz n'a même pas cherché à frapper à la porte, Umberto l'ouvre.

_ Ah ! Ben je t'attendais petit, qu'est-ce que tu faisais là, frappe donc quand tu arrives (comme pour le lui montrer, Umberto frappe lui-même sa porte). J'ai des devoirs pour toi, rentre.

A l'intérieur, sur son bureau, Umberto Carballar a disposé des livres de géographie et de poésies aguacopiennes.

_ Bon, tu ne diras pas à doña que je te fais faire des exercices, sinon elle va encore me reprocher de fourrer mon nez dans ce qui ne me regarde pas... quand on sait ce qu'elle fait elle hein, c'est drôle...

Le petit Luz reste silencieux, observant attentivement l'intérieur de la loge du Concierge.

_ Tu as ce livre là, ça s'appelle Anthologie de la poésie aguacopienne, pour ce qu'il en reste de la poésie... ! bref, moi je n'y connais pas grand chose, mais ma fille elle était forte en poésie, alors tu vas lire des poèmes et puis tu vas en écrire un ou deux pour moi, inspiré de l'un ou l'une des autrices de ce bouquin, ok ?

Le petit Luz ne dit rien. Il ouvre l'Anthologie et la referme aussitôt.

_ Et ça là c'est l'Atlas Général d'Aguacope. Il y a la carte de la ville, des régions de la Principauté et puis de la Principauté. Tu vas regarder tout ça et ensuite tu vas me dessiner une des cartes que tu veux, de mémoire, et on regardera si tu as bien fait.

Le petit Luz, sans mot dire, s'assoit au bureau et ouvre, attentif, l'Atlas.
 
Luz
   
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Luz  /  Petit chose


(Luz gribouille quelque chose dans l'Atlas
puis ouvre l'anthologie à une page au hasard et commence à dessiner)

[L'Immeuble - Ancienne loge du Concierge] Coronel Rasgado - Page 2 Atlas_10

[L'Immeuble - Ancienne loge du Concierge] Coronel Rasgado - Page 2 Luna_l10
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


En récupérant les devoirs laissés par Luz dans la petite boîte à chaussures où le vieil homme conservait les dessins de l'enfant, Umberto Carballar éprouva soudain une grande fatigue et une grande tristesse. Peut-être même aurait-il pleuré si toute sa vie n'avait pas consisté à désapprendre l'art difficile et douloureux du chagrin. A la place, il éteignit une à une les lumières de sa loge qui plongea dans cette semi-obscurité maladive qui baigne toutes les villes d'Amérique du Sud quand elles sont surprises par le crépuscule et l'orage. Seul resta la lumière vacillante

Les yeux posés sur l'atlas gribouillé par Luz, Umberto plissa les yeux. Il n'y voyait pas grand chose dans cette nuit tombante, mais il ne voulait surtout pas rallumer une lumière.

Le petit avait massacré l'un des seuls poèmes publiés de Luna dans l'un des seuls exemplaires de ce livre d'anthologie poétique aguacopienne qui les avait tous rendus si fier. Umberto rit une seconde, puis cessa de rire et lu, à voix basse, la poésie de sa fille. A la fin de sa lecture, il éprouva une sorte de ressentiment bizarre. Il n'en pouvait plus des prophéties et le destin, puisqu'il l'appelait ainsi en son for intérieur, l'épuisait. Le destin, d'ailleurs, il n'y avait jamais cru et c'était pourquoi son insistance, sa volonté opiniâtre de se manifester, d'éclater à sa figure, comme avec le petit Luz qui comme par hasard avait choisi cette page en particulier à couvrir de dessin, le rendait en colère.

La nuit tomba tout à fait sur la figure rabougrie du Concierge. Dans l'Immeuble, un inquiétant silence régnait. A un moment, ses pensées errèrent jusqu'à Maya, sa femme, à laquelle il n'osait jamais penser mais qui surgissait, parfois, comme un fantôme ou une apparition, au milieu de sa mémoire, comme apparaissent quelque fois, au cœur de la nuit, les idées les plus terrifiantes et les plus obsédantes. En ces instants d'éclaircies funestes, Maya, le visage de Maya, lui semblait extrêmement proche et s'était presque comme s'il pouvait se faire croire à lui-même que rien n'avait changé, qu'ils étaient encore là-bas, dans la jungle, comme ils l'avaient été autrefois, avant que la détestable peur d'Umberto Carballar, son haïssable et indécrottable prudence, l'avait définitivement séparé d'elles.

Maintenant, son passé, torve et stupide, s’emmêlait avec le présent d'une manière impossible et il lui était difficile, parfois, et de plus en plus, de s'y retrouver dans le labyrinthe qui semblait devoir se former devant lui à chaque instant. A qui parler et que faire ? Les habitant.es de l'Immeuble étaient tantôt pathétiques et idiots, tantôt sensibles et profonds, mais, dans tous les cas, incapables et complétement ignorants quant à ce qui se passait vraiment dans cette ville. Lui, Umberto Carballar, le savait ou plutôt pressentait des choses, parce qu'il avait lui, Umberto Carballar, un esprit redoutable pour pressentir les menaces et plus encore pour les préparer, longtemps en avance, afin qu'elles ne frappent sa vie qu'avec une intensité diminuée, comme un homme attentif est capable, dans les vagues, de ne pas être entièrement ballotés par la houle, mais d'y entrer vigoureusement, par en-dessous, et d'en sortir indemne. Plus encore, lui, Umberto Carballar, était le père de celle qui avait précipité le devenir d'Aguacope et qui avait, entre ses mains, sinon son avenir et sa destination.

Lourdement, le vieil homme se leva de son fauteuil défoncé. Plus lourdement encore, il marcha jusqu'au petit bureau et alluma l'unique loupiotte verdâtre qui trônait à droite des papiers éparpillés, attrapa une feuille blanche qui traînait au milieu des autres, pris entre ses doigts ridés le stylo-plume qui l'accompagnait depuis trente ans et, sans savoir comment, commença à écrire la lettre la plus importante de sa vie :


"Luna,

[...]
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Dans l'un des tiroirs du bureau d'Umberto Carballar, un DVD : error y tormentade Maya Murillo. Une recherche rapide de la bande-annonce de ce documentaire sur youtube donne ceci :

 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Avant l'arrivée du Coronel Rasgado, Umberto Carballar a pris soin de cacher tout ce qui, dans sa loge, pouvait le compromettre. Les brouillons de lettres, pliées et cachetées dans des enveloppes, dissimulées dans la doublure d'une vieille valise en cuir qu'il emporte avec lui, au deuxième étage, dans une petite dépendance oubliée, minuscule et crasseuse.
 
Coronel Rasgado
   
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Coronel Rasgado  /  Homme invisible


En s'installant, ce soir-là, dans la loge du vieux concierge, le Coronel Rasgado grimaça de dégoût devant le désordre des placards, la crasse accumulée aux coins des murs et l'odeur de vieillesse qui embaumait la pièce. Il n'éprouvait aucune sympathie pour Umberto Carballar, bien que celui-ci avait, autrefois, était assez proche de Juan Sebastián Feijoo et que le souvenir de cette proximité avait, d'une certaine manière, contaminé l'esprit sec, froid et fermé du Coronel Rasgado. A vrai dire, c'était même une certaine antipathie qu'il ressentait à l'égard du vieil homme. Il ne croyait pas en cette sorte de dignité qui habille pompeuse le visage des vieillards et il abhorrait absolument la droiture feinte d'un homme qui avait trahi sa famille - que cette trahison eut été malheureusement ou le fruit de circonstances qu'Umberto Carballar n'avaient pas prévus ne changeait rien et même empirait le point de vue de Rasgado sur son compte.

Avant de dormir, et pensant au lendemain matin où il allait devoir affronter la populace immonde qui logeait dans l'Immeuble, il lava la plaie peu profonde qui lui barrait le front. Rouge et douloureuse, elle boursouflait curieusement et faisait craindre à Rasgado que ce chat, cet affreux chat, ait été contaminé par on-ne-sait-quelle maladie qui traîne dans basfonds d'Aguacope depuis la nuit des temps.
 
Coronel Rasgado
   
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Coronel Rasgado  /  Homme invisible


 
Coronel Rasgado
   
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Coronel Rasgado  /  Homme invisible


Jeudi 16 octobre 2023. 22:04

Les perturbations inhérentes à cet Important Travail, à ce Travail Nécessaire, ont été, je dois le dire, parfaitement circonscrite et maîtrisée. Nos sous-officiers fournissent un travail de terrain formidable et parfaitement coordonnée ; ce travail, dirigé avec force et décision par J.S. Feijoo empli mon cœur d’espérance et de force.

Elire domicile dans ce Haut-Lieu de la Lutte Anti-Populaire me permet d’être parfaitement connecté et clairvoyant sur les éléments séditieux et les mouvements récalcitrants dans notre population. Je me félicite de l’appui, dans cette Décision Décisive de J.S. Feijoo qui a, je le crois, très clairement saisi les enjeux d’une telle étude de terrain.

Concernant les OPM à la nouvelle frontière entre San Paolo et le reste de San Joado, elles se déroulent à merveille et les sapeurs spécialisés ont découvert plusieurs réseaux souterrains prometteurs pour l’envahissement des territoires ennemis par les anciennes voies dédiées au métro.
 
Coronel Rasgado
   
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Coronel Rasgado  /  Homme invisible


La disparition de Coronel Rasgado n'avait pas troublé outre mesure les habitant.es de l'Immeuble qui semblaient tous, les un.es après les autres, s'enfoncer dans cette torpeur définitive et muette qui caractérise si bien les condamnés à une catastrophe inéluctable. Après avoir ordonné, menacé, préparé les stratégies nécessaires à la réduction d'Aguacope au silence, c'était lui, Rasgado, qui avait été comme réduit à rien par l'attaque imbécile et inutile d'un chat. Alors qu'il se rendait chez Esperanza Reyes pour mettre à exécution ses menaces, il avait été attaqué par le félin, noir de jais, qui lui avait sauté dessus toute griffes dehors et l'avait profondément balafré. Bien sûr, Rasgado n'avait pas perdu le combat et avait tué l'animal avant d'être trop sévèrement abîmé, mais, comme une malédiction, les blessures profondes que lui avaient infligés la bête avaient rapidement suppurées et s'étaient révélées immédiatement si douloureuses qu'il n'avait même pas été possible pour le coronel d'aller frapper à la porte de la jeune femme du 602.

De retour dans l'ancienne loge du Concierge, Rasgado avait pansé ses blessures et s'était enfoncé dans un sommeil lourd de maladie.

Le lendemain, tout avait été différent. C'était comme si les coups de griffe du chat avait non seulement blessé la chair vive du coronel mais aussi son destin. Les rumeurs que Rasgado n'avait pas voulus entendre depuis plusieurs jours avaient grossies dans les rangs de la Milice jusqu'à devenir un brouahaha impossible à ignorer : Juan Sebastián Feijoo n'était plus à Aguacope. De fait, les ordres devenaient, depuis déjà deux ou trois jours, de plus en plus sporadiques, brefs et comme inutiles. Le piétinement de la Milice aux portes du quartier San Joado apparaissait à tous incompréhensible et, malgré tout, il ne se passait rien.

Or, ce matin-là, Rasgado, prit d'un doute et d'une inquiétude nouvelle, envoya à l'un de ses proches lieutenants restés au contact de l'état-major de Pepegua un message : "Qu'en est-il de Feijoo ?". Le message resta sans réponse toute la matinée mais, vers midi, une réponse qui fit frémir Rasgado d'effroi : "Feijoo parti. État-major en déroute".


[bientôt la suite]
 
Coronel Rasgado
   
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Coronel Rasgado  /  Homme invisible


En vérité, Feijoo avait fui, comme d'autres, la poussée épidémique qui couvait, depuis déjà des semaines, dans la cité aguacopienne. Les luttes intestines et la guerre civile s'évaporèrent bien vite devant le risque réel, concret, d'une mort absurde par maladie. L’état-major de San Pepegua, considérant sans doute que la ville n'avait, pour eux, plus un intérêt suffisant pour la lutte et la guerre qu'ils menaient contre les forces de Luna Carballar-Murillo, disparu sans laisser pratiquement aucune trace et, alors que Rasgado faisait encore régner la terreur dans l'Immeuble, déjà à moitié abandonné, la cause même pour laquelle il se battait et intimidait avec pour ainsi dire disparu. Aguacope s'enfonçait dans une forme nouvelle d'obscurité.


Le matin du 6 décembre, après avoir longtemps tergiversé, Rasgado quitta l'Immeuble, emportant avec lui les quelques troupes fidèles qui n'avaient pas désertés et on ne le revit plus dans le quartier.
 

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