II. Vocabulaire et notions de base
Impossible de commencer à parler de couverture ou ne serait-ce que de page de titre sans devoir recourir à un certain nombre de termes et de notions de base. Cette partie évitera d’entrer dans les détails, pour s’en tenir au minimum sans lequel on ne saurait comprendre ou entreprendre quoi que ce soit.
Ce minimum pourra sembler encore beaucoup. J’ai bien conscience que cela fait bien des connaissances à assimiler d’un coup.
Comme si cela ne suffisait pas, certains termes sont hélas polysémiques, tels
alinéa,
blanc,
caractère,
corps ou même
page ; à l’inverse, il existe parfois des termes différents pour désigner la même chose, et les définitions varient parfois d’un manuel à l’autre… Voilà qui évidemment n’aidera pas le débutant à s’y retrouver.
Plutôt que d’essayer de tout retenir d’emblée, je suggère de parcourir cette partie pour une première approche et d’y revenir par la suite en fonction des besoins associés aux sujets que je traiterai prochainement.
1. Unités de mesure
Malgré l’avènement du système métrique, on continue en typographie française d’utiliser en outre certaines unités traditionnelles. La principale est le
point (il en existe plusieurs, mais nous verrons cela plus tard). L’autre essentielle à connaître est le
cadratin, qui est une unité relative à la force de corps, en points, du caractère employé (par exemple, pour une fonte de 12 points, 1 cadratin vaut 12 points, 2 cadratins 24 points, 1 huitième de cadratin 1,5 point, etc.).
2. Format
Il s’agit tout simplement des dimensions de la page (et, partant, du livre, dans le cas des ouvrages brochés, à la couverture souple), exprimées en France le plus souvent en centimètres ou en millimètres. Le format n’a rien d’anecdotique, dans la mesure où les dimensions de la page (notamment le rapport entre hauteur et largeur) vont déterminer la forme du texte et son positionnement sur la page, voire la taille des caractères utilisés.
Pour un livre plus haut que large, on parle de format à la française ; pour un livre plus long que haut, de format à l’italienne. Nous nous occuperons seulement du format à la française, le plus courant.
Si le format carré existe, il est d’un emploi rarissime en littérature, car associé à une impression de statisme.
L’accroissement du rapport hauteur∕largeur se traduit à l’inverse par un plus grand dynamisme.En matière de proportions, il n’existe pas de bon ou de mauvais format en soi. Si vous pouvez choisir, je recommande toutefois dans le cas d’un roman ou d’un essai d’
opter pour un rapport hauteur∕largeur approchant le nombre d’or, associé à « une impression de repos, de sécurité, de constance dans un rythme indéfiniment continué » (R. Bouveresse, cité dans
Maquette et mise en page, éditions de l’Usine, 1982). Le nombre d’or est égal à (1 + √5) ∕ 2 ≃ 1,618.
Exemples de formats correspondant à peu près au nombre d’or. — 110 mm × 178 mm (J’ai lu, Le Livre de poche…) ; 140 mm × 226 mm ; 155 mm × 250 mm…
Exemple de format utilisant le nombre d’or
3. Page
À l’origine, le mot
page désignait la colonne de texte. On distinguait donc autrefois le côté de la feuille (ou plus exactement du feuillet) de la page. Par métonymie, le mot
page désigne donc le plus souvent aujourd’hui le côté d’un feuillet (recto ou verso), et la colonne d’écriture accueillant le texte courant est appelée bloc ou rectangle de composition.
On appelle
belle page ou
recto la page de droite ;
fausse page ou
verso, la page de gauche.
N. B. — Lorsqu’elles sont numérotées, les belles pages portent obligatoirement un numéro de page ou
folio impair ; les fausses pages, un folio pair.
Une page est dite
pleine quand le bloc de composition ne comporte plus de lignes disponibles.
Exemple de page pleine (belle page ou recto — folio impair)
Une
page creuse est une page dont la dernière ligne n’atteint pas le bas du bloc de composition.
Exemple de page creuse
4. Empagement
L’empagement est le résultat du choix des marges après celui du format. Dans l’immense majorité des livres publiés, la mise en page du texte courant est dite symétrique, et l’unité visuelle est en fait non la page, mais la double page (un verso suivi d’un recto), avec une répercussion essentielle sur les marges que nous verrons bientôt.
En typographie, on parle d’ailleurs plutôt de
blancs tournants. La définition de leurs valeurs n’est rien moins que libre s’agissant du texte courant, car les blancs tournants obéissent en réalité non à la fantaisie du maquettiste, mais à des rapports mathématiques, quelle que soit la méthode d’empagement choisi.
Les blancs tournants sont bien sûr au nombre de quatre :
— le
blanc de petit fond ou tout simplement
petit fond, également appelé
blanc de couture (marge interne, à droite s’agissant de la fausse page, à gauche s’agissant de la belle page) ;
— le
blanc de grand fond ou tout simplement
grand fond (marge externe, à gauche s’agissant de la fausse page, à droite s’agissant de la belle page) ;
— le
blanc de tête (marge supérieure, en haut) ;
— le
blanc de pied (marge inférieure, en bas).
Ces marges sont appelées
blancs tournants, parce que, selon la méthode d’empagement longtemps la plus courante en France (« le canon des ateliers »), on détermine ces blancs en faisant le tour de la page dans l’ordre suivant et en leur attribuant des dimensions croissantes calculées par rapport à la largeur (l) de la colonne de texte (appelée bloc ou rectangle de composition) : petit fond (l × 4∕10) < blanc de tête (l × 5∕10) < grand fond (l × 6∕10) < blanc de pied (l × 7∕10).
Outre le bloc de composition peuvent figurer sur la page un
en-tête et un
pied de page, accueillant des éléments comme titre ou numéro de partie, de chapitre, numéro de page (folio)… L’ensemble forme le
rectangle d’empagement.
N. B. — Dans les mises en page modernes,
en-tête et pied de page peuvent présenter une longueur supérieure à celle du bloc de composition. C’est la raison pour laquelle les inclure dans le « rectangle » d’empagement n’est pas forcément pertinent : certains logiciels de PAO les excluent donc systématiquement des dimensions du rectangle d’empagement (alors réduit au bloc de composition), d’autres non — un point auquel prêter attention si vous réalisez vous-mêmes la mise en page de votre livre.
Lorsqu’on opte pour le canon des ateliers, on commence donc par définir la largeur du rectangle d’empagement. Le calcul des blancs en découle, qui va donc déterminer quant à lui à la fois la hauteur du rectangle d’empagement et son positionnement sur la page.
Cette largeur du rectangle d’empagement n’est pas non plus laissée au hasard, même si dans le canon des ateliers y entre
une part d’arbitraire à laquelle on peut envisager de se soustraire dans une certaine mesure. On distingue classiquement deux types d’imprimés : l’imprimé de luxe et l’imprimé courant.
Plus un livre est luxueux, plus le rectangle d’empagement sera petit et les blancs tournants importants, formant comme un écrin pour la surface imprimée. Ainsi la largeur du rectangle d’empagement (l) est-elle arbitrairement fixée, pour un imprimé de luxe, aux deux tiers de la largeur du feuillet ; pour un imprimé courant, aux trois quarts. Rien n’empêche toutefois de définir ses propres rapports, par exemple, cinq huitièmes de la largeur pour un imprimé encore plus luxueux, ou huit dixièmes pour un poche cherchant à tirer sur les marges (c’est le cas de le dire). À retenir toutefois :
les proportions du rectangle d’empagement correspondent normalement peu ou prou à celles du format du livre (dans d’autres méthodes d’empagement que nous verrons par la suite, elles sont même rigoureusement égales). Le canon des ateliers présente un double avantage : la simplicité de sa mise en œuvre et un empagement familier qui ne dérangera pas les habitudes du lecteur francophone.
N. B. — Quelle que soit la méthode d’empagement, deux constantes :
le blanc de pied est plus important que le blanc de tête ; le petit fond est plus petit que le grand fond. La mode récente aussi laide qu’absurde d’inverser le rapport entre blanc de pied et blanc de tête ne peut s’expliquer que par l’incompétence ou par le sadisme des maquettistes qui la suivent. Laide, cette mode l’est parce qu’elle crée une sensation de pesanteur, avec un bloc de composition tombant vers le bas de la page ; le seul fait d’avoir un blanc de pied et un blanc de tête de même dimension suffirait d’ailleurs à créer cet effet, car
le centre optique de la page (celui perçu par l’œil humain) est plus haut que le centre géométrique. Absurde, cette mode l’est aussi, parce qu’elle ne laisse pas assez de place aux pouces par lesquels on est susceptible, par le bas, de tenir un livre de poche ou de format moyen — on tient en effet un livre par les bords ou par le dessous ; personne, que je sache, ne le fait par le dessus…
Quant au petit fond et au grand fond, leur nom seul est suffisamment clair. De crainte de voir disparaître une partie du texte dans la reliure, des maquettistes improvisés ou incompétents définissent un petit fond bien trop grand, parfois plus important que le grand fond ! Rappelons que l’unité de la mise en page symétrique du texte courant n’est pas la page, mais le rectangle formé par la double page, verso et recto ;
idéalement, les deux colonnes de texte devraient être encadrées et séparées par des blancs de même dimension : blanc de grand fond 1 + colonne 1 + (blanc de petit fond 1 + blanc de petit fond 2) + colonne 2 + blanc de grand fond 2. Ainsi la somme des deux petits fonds devrait-elle en théorie être égale au grand fond ; la valeur du petit fond devrait donc être la moitié de celle du grand fond. En pratique, même les livres reliés, que l’on peut ouvrir en grand, peuvent demander, à partir d’une certaine épaisseur, un léger ajustement des blancs de petit et de grand fond pour prendre en compte la courbure du papier du côté de la reliure ; c’est encore plus vrai pour les dos carrés collés, qui ne peuvent s’ouvrir autant et où une surface significative de la page disparaît dans la reliure.
L’ajustement nécessaire consiste donc à déplacer légèrement le rectangle d’empagement vers l’extérieur, c’est-à-dire à augmenter légèrement le petit fond tout en réduisant d’autant le grand fond, afin de conserver les proportions du rectangle d’empagement pour qu’elles restent peu ou prou celles du format de la page. Avec le canon des ateliers, cet ajustement est souvent superflu pour les livres fins, car la somme des deux petits fonds est déjà légèrement supérieure au grand fond : si la surface de papier disparaissant dans la reliure n’est pas trop importante, la somme des deux petits fonds visibles sera à peu près équivalente au grand fond.
5. Lignes
La
justification correspond à la largeur du bloc de composition.
Une
ligne pleine est une ligne qui occupe toute la justification.
Une
ligne creuse est une ligne qui à l’inverse n’occupe pas toute la justification. Les lignes creuses les plus courantes sont la première ligne d’un alinéa (qui commence par un
renfoncement d’alinéa) et la dernière ligne d’un alinéa.
Une ligne vide est appelée
ligne de blanc (à ne pas confondre avec une ligne blanche — voir plus bas).
1 : ligne pleine. — 2 : ligne creuse. — 3 : ligne de blanc. — 4 : renfoncement d’alinéa.
Une composition peut être
justifiée,
centrée ou
en drapeau (alignée verticalement à gauche [fer à gauche] ou à droite [fer à droite]).
Dans une composition en drapeau, le blanc entre les mots (l’espace inter-mot) a une largeur (chasse) constante. À l’inverse, dans une composition justifiée, c’est prioritairement la variation de la chasse de l’espace inter-mot (et exceptionnellement l’interlettrage — voir plus bas) qui permet d’obtenir des lignes pleines de même longueur.
Pour ne pas compromettre le gris typographique, cette variation du blanc inter-mot doit être la plus discrète possible.En résulte un impératif majeur : dans une composition justifiée, il faut se résoudre à pratiquer la coupure de certains mots, sans quoi il est impossible de composer correctement de nombreuses lignes, qui présentent alors des blancs inter-mots beaucoup trop importants. Une ligne aux mots ainsi trop écartés est appelée
ligne blanche ou
ligne lavée — c’est un défaut de composition majeur, sinon le pire imaginable en composition numérique (où ont disparu certains accidents typographiques liées à la composition au plomb).
Deux lignes blanches (lignes lavées) particulièrement atroces
6. Polices et caractères
Une
police d’écriture ou
police de caractères, encore appelée tout simplement
caractère, se compose de plusieurs
fontes (qui dans les polices numériques correspondent à autant de fichiers), généralement au moins au nombre de quatre : le romain, l’
italique, le
gras et le
gras italique. Notamment pour améliorer la lisibilité en fonction de la taille de caractère utilisée, certaines polices comportent toute une palette de graisses, de l’ultra-léger à l’extra-noir, et donc un nombre de fontes bien plus important (jusqu’à plusieurs dizaines).
Les caractères se présentent sous différentes formes : les
haut-de-casse ou
grandes capitales (A,B, C, D…), les
bas-de-casse (a,b, c, d…) et les
petites capitales (, , , …). On pourrait évoquer encore les
caractères supérieurs (ᶜ, ᵈ, ᵉ, ᵒ,ˢ, ¹, ², ³…) et les
caractères en indice (₀, ₁, ₂, ₃…) — à ne pas confondre avec les bricolages opérés par les logiciels de traitement de texte pour les exposants et indices.
Même si le plus souvent une majuscule se compose avec une grande capitale et une minuscule avec un bas-de-casse, ne pas confondre pour autant grande capitale et bas-de-casse (caractères) avec majuscule et minuscule (concepts). « UN ÉLÉPHANT, ÇA TROMPE ÉNORMÉMENT », composé intégralement en grandes capitales, ne comporte qu’une majuscule (
U). À l’inverse, sur les couvertures d’une collection bien connue des éditions Gallimard, on lit «
tel gallimard », énoncé composé intégralement en bas-de-casse n’en comportant pas moins deux majuscules (
t et
g).
Grandes et petites capitales
Grandes et petites capitales simulées par Writer de LibreOffice
Noter la différence de hauteur d’x et la maigreur des petites capitales simulées par rapport aux vraies
Lettres supérieures
Lettres supérieures simulées par Writer de LibreOffice (mise en exposant)
Noter la maigreur relative et la différence de positionnement
Caractères en indice
Simulation par Writer de LibreOffice : noter là encore les différences.
N’entrons pas ici dans le détail de l’anatomie des caractères pour ne retenir que les points fondamentaux pour la mise en page et la composition.
La
ligne de pied (ou
ligne de base) est une ligne imaginaire sur laquelle reposent la plupart des caractères d’une ligne.
La
ligne médiane est la ligne imaginaire qui suit le haut des caractères en bas de casse
a,
c,
e,
g,
m,
n,
o,
p,
q,
r,
s,
u,
v,
w,
x,
y et
z.
La distance entre ligne de pied et ligne médiane est appelée
hauteur d’x.
La distance entre deux lignes de pied consécutives est appelée
interlignage.
L’
ascendante, le
fût ou
jambage supérieur est la partie d’un caractère qui monte plus haut que la ligne médiane (pour
b,
d,
f,
h,
k,
l et
t).
La
descendante, le
jambage ou
jambage inférieur est la partie d’un caractère qui descend sous la ligne de pied (pour
g,
j,
p,
q et
y).
La
force de corps (ou tout simplement
corps) d’un caractère, exprimée en points, est la taille du texte entre le haut des ascendantes et le bas des descendantes.
Source : Adrien Zammit.
[/center]
N. B. — Deux polices de la même force de corps peuvent présenter des hauteurs d’x respectives très différentes.
Choisir une force de corps ne suffit donc pas à déterminer taille et lisibilité du texte.La
chasse d’un caractère est son encombrement en largeur, qui résulte de la largeur du dessin et des deux blancs situés de part et d’autre de ce dessin, appelés
approches.
Source : Élisabeth Fays.
Le
crénage est l’opération normale consistant à ajuster l’espace entre certaines paires de caractères (par exemple, « To » ou « Va ») pour corriger les problèmes d’espacement dus au dessin même des caractères et améliorer ainsi le gris typographique — si elle est bien faite, la police utilisée intègre des tables de crénage qui permettent au logiciel de PAO de procéder automatiquement aux crénages nécessaires ; dans le cas contraire, c’est au typographe consciencieux d’intervenir.
Un résultat qui parle de lui-même
L’
interlettrage consiste quant à lui à augmenter ou à réduire les approches d’une séquence de caractères en dehors de ce que prévoient pour des paires définies les tables de crénage. L’interlettrage intervient surtout dans la composition de passages en grandes ou en petites capitales. Exceptionnellement, l’interlettrage peut servir à régler des problèmes de composition (nous y reviendrons le moment venu).
Noter l’amélioration de la lisibilité apportée par l’interlettrage pour les mots en grandes ou petites capitales