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 Hexagone 8

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Noise in 1953
   
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Noise in 1953  /  Autostoppeur galactique


pour les vagabonds

Aujourd'hui j'ai prié, pour la première fois depuis bien longtemps — une brève prière, pour les murs et les ouvertures — une prière... — rownie pusty, rownie mily.

Ici, chaque livre succède à un autre livre. Il me faut lire allonger pour ne pas tomber. Et parfois je porte le livre à ma poitrine ; je porte le livre et je cesse de penser, juste un instant, pour ne pas pleurer.

Il y a un livre que j'ai lu deux fois. Je n'avais jamais lu de livre deux fois. La première fois que je l'ai lu, j'ai senti ma poitrine s'alléger, doucement, délicatement, dans une euphorie qui m'obligeait à tourner les pages du bout des doigts. Mais très vite il n'y a plus rien eu — ni dans le livre ni dans ma poitrine, rien, juste le vide, le livre et ma poitrine vides, que je n'ai même pas replacés dans l'étagère. Alors j'ai relu ce livre. Il commence par : moje ime je spetimea calendula. Puis, au milieu du livre, on trouve : boldog, aki, mint te, martynka morelli, szep utat toltott.

Aujourd'hui j'ai pleuré, le cœur du livre sur mon cœur, où se trouvait la littérature.
 
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J'ai trouvé un autre livre, à côté du livre plein de larmes, qui contient : my name is septimea calendula.

Derrière le mur se trouve un enfant. Comme tous les enfants qui n'ont pas conscience de leur voix, la sienne engloutit l'espace.

A la fin du livre j'ai trouvé une autre page, une 411e page. J'ai recompté. J'ai recompté cinq fois et je ne me suis pas trompé. Sur cette page, il n'y a qu'une phrase, écrite jusqu'au bout de la page a ja mam na imie septimea calendula. Le livre parle d'une mère, et de sa fille. Je ne sais pas qui est la mère, qui est la fille. Le livre n'est pas clair. Il est lisible, mais il n'est pas clair. Il est écrit en français, en espagnol, en anglais, avec des langues de l'Est que je maitrise difficilement... et quelques mots de morellien, dissimulés çà et là.

rownie pusty, rownie mily
boldog, aki, mint te, martynka morelli, szep utat toltott

Aujourd'hui je n'ai pas pleuré, mais j'en ai souvent eu l'envie. Mon visage est rouge et lointain.


Dernière édition par Noise in 1953 le Jeu 18 Fév 2021 - 14:41, édité 1 fois
 
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Je viens de l'Est. Là-bas, les livres sont de peu de mots, peu que nous comprenions. Il faut, pour les comprendre, s'y enfoncer avec tout le poids de son corps, et pousser, pousser les pages, paumes sur l'encre, pour n'en extraire qu'un bref son audible, qu'un phonème que l'on pourrait conter aux autres...
 
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J'ai dormi d'un sommeil agité, me suis réveillé les jambes lourdes, presque incapable de me lever. Réveillé, je continuais à fermer les yeux. Derrière les paupières une étendue neigeuse. Juste le blanc. Le blanc et rien d'autre. Ni encre, ni lumière, ni les doigts aux fines coupures.

Dans le livre, il y a une mère, et il y a une fille. La mère n'a, au fil du livre, jamais de visage. S'il existe, il n'est pas écrit. La fille a le visage triste. C'est tout ce qui la décrit, triste. Il m'arrive parfois de vouloir arracher la tristesse du livre.

zabierz swoj smutek, martynka morelli
feltepte a havat
kao sto bi ga kisa otopila
 
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Je lis et relis les mêmes passages...

Fragments de lecture
 
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Je me suis demandé ce qu'il se passerait si je trouvais dans un de ces livres quelque chose que j'ai écrit, que j'ai moi-même écrit, dans ce carnet, et non dans le livre. Il est possible que je trouve un jour cette phrase :

Aujourd'hui je n'ai pas pleuré, mais j'en ai souvent eu l'envie. Mon visage est rouge et lointain.

alors que je ne l'aurai pas écrite moi-même. Alors je la lirais, et je ne saurais plus si elle est de moi, ou si je lui ai donné mon identité.

Si cela arrive je dirais alors : un jour j'ai donné mon identité.
 
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J'ai reçu deux livres, des hexagones 20 et 5.

Le premier est un livre tissé de laine, où je passe délicatement le bout de mes doigts (et ça me rappelle les cheveux de cette fille, que j'ai un jour aimé, que j'aime toujours un peu, des cheveux longs qui viennent de l'Est, de là où je ne serais peut-être plus — et je suis la piste de ces fils, vers les entrailles du livre... — je suis cependant doucement, pas à pas, la piste, comme remontant le long d'un ruisseau, sans déranger la courbure des plantes aquatiques, juste une brise à fleur d'eau — et j'ai peur de m'y enfoncer, que soudain la piste s'élargisse sur une source profonde — je ferme les yeux et j'ai le visage mouillé — quand j'aurais fini cette lecture, peut-être faudra-t-il m'en débarrasser, pour m'éviter de le relire une seconde fois)(l'hexagone 20 avait raison, il y a de la douleur dans ce livre.)

Le second livre est quant à lui plein de mots. Il s'appelle La Ravie, et j'y ai retrouvé le nom de Calendula. On peut lire ainsi sur Septimea :

Quand on entrait dans la petite chambre, elle reposait toujours sur le lit, allongée en travers de son parterre de cimetière, cheveux et fleurs comme posés à la hâte sur son ventre, une tentative insolente où elle prétendait couvrir sa nudité — et cette animalité presqu'enfantine dont elle aimait jouer. Ainsi étendue, elle ne se levait jamais d'elle-même ; il fallait saisir ses mains de nos mains, et l'extirper péniblement des draps et de la lumière striée, trainant son corps à l'ombre des fleurs et des reflets jaunes qui dévoraient le monde.

Alors elle pouvait faire l'amour. Mais jamais sur le lit. Non, il fallait apprendre à la dompter hors des draperies, debout ou accoudée au bureau, dans un effort qui demandait de soulever des mondes — le monde de Calendula, celui des fleurs et des mots trop bien faits — et de s'entrouvrir toute entière, du cou aux cuisses, pour nourrir cette affamée d'une autre chaleur. Une fois cette frontière créée et abolie, enfin l'endormie s'ouvrait à son tour, plongeant d'un mouvement brusque ses lèvres mouillées sur nos lèvres, roulant ses poings dans nos clavicules et ses genoux dans nos cuisses pour défaire, nœud après nœud, ce qui devait être défait... et souvent,  bien que c'était nous-mêmes qui avions initié cet effritement des corps, on se surprenait à dire : oui, j'embrasse Salomonea Calendula.

Et quand Salomonea avait joui et fait jouir, elle retournait à son lit et ses fleurs, pour y écrire ou juste y penser... Alors on était privé de tout.
 
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J'ai saisi un autre livre de l'étagère qui avait, lui aussi, une 411e page. J'ai compté les pages, doucement, une à une, mais sans les lire. Je n'ai lu que la dernière page, la page de trop :


Ma poitrine s'est ouverte, à la verticale, de la base de mes clavicules à mon bassin, et il avait là-dedans un trou, ou plutôt le début d'un trou, un noir à peine noir, où s'était engouffré la tristesse, l'angoisse, la peur, celle de ne pas être tout ce que tu vois dans mes mots. Aujourd'hui j'ai passé la journée à me languir, mon souffle embrassant la fenêtre, regardant quinze fois par minutes si tu ne descendais pas l'avenue, si tu ne t'avançais pas pour ouvrir la porte de mon immeuble, de ma chambre, de ma poitrine. Tout s'est ouvert de soi-même, sans toi.

Moglbym go pokochac w inny sposob. Nie z samego ciala ani z jego powstania, ale niesione w bialych iglicach drzenia, az do jakiego ducha, jakiego oddechu bylismy, zostalo z nas wyrwane. Wiec male, twoje imię, martynka morelli.

Igualmente vacia, igualmente amable, recito tu nombre ad infinitum, siempre con la ternura del difunto, martynka morelli



Je me suis demandé si ces mots étaient pour moi, ou pour un autre, un autre qui n'était pas moi.
 
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Dans un des livres de Calendula, la narratrice poursuit un baiser, un baiser qu'il faudrait d'adieu, un baiser empli de secrets, et de mort, les lèvres comme celle d'un poisson cherchant l'air à la surface... un baiser plein de jalousie aussi, et de tragédie, bref, un baiser d'actrice qui se surprendrait de sa propre sincérité.

(cela fait longtemps que je n'ai pas embrassé avec cette surprise-là)
 
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Il arrive toujours de retrouver des bouts d'un hexagone dans un autre, d'un livre dans un autre, de ce que j'écris ailleurs — parfois ce n'est qu'un mot ou deux aux sens qui se font écho, parfois la texture du papier, parfois l'écho et l'air lourd qui pèse entre les livres. Pourtant, j'ai la sensation que rien de ce qui ne se trouve ici, rien de ce que j'ai lu, ou écrit dans ce carnet, ne pourra se retrouver ailleurs ; si je dois le retrouver, ce sera ici, dans cet hexagone, ou dans un double de cet hexagone.

Un passage de Septimea :

J'ai mangé de la tarte jusqu'à me faire vomir, pour retrouver un peu de proximité sur mes lèvres. Puis je suis allé au parc, sous les saules, où je n'étais pas allé depuis dix ans. Puis j'ai joué avec les enfants du voisin. Puis il n'y a plus eu que ma chambre plongée de crépuscule.

Il n'y avait pas de crépuscule dans l'hexagone, mais ça faisait tout comme.
 
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A propos de la colère, de la solitude, et des livres

(pour une fois je n'ai pas inventé ces passages, ils sont issus de Este Viejo Mar, de Roberto Obregon, et Each Bird Walking, de Tess Gallagher)
 
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Des fleurs dans Babel, Pallas des Renoncées, 1812 :

J'ai envoyé une lettre, et rien ne m'est revenu, aucun mot pour couvrir mes mots — ça me creuse la poitrine — furtive, l'absence de ses mots...

Au pied de la grande tour, des jonquilles ont fleuri, les premières de février, mais je ne les ai ni cueillies, ni senties, de peur de m'ouvrir la poitrine — alors les papillons se seraient envolés. Bientôt viendront les adonides, dont les boutons ont déjà creusés les tiges vertes.

Je bois le thé, que mère fait chauffer tous les jours. De petits poissons noirs au fond de la tasse ; je ne veux pas les agiter — je veux — les laisser en paix, dans les calmes profondeurs de la tasse.

Mère m'a dit qu'elle avait vue Madeleine, de loin, dans la foule de la grande place. Elle cueillait des fleurs, les volait au petit parterre — les vases, sauvagement semés dans le salon, comme autant d'endroit où se perdre — et ma lettre qui doit reposer, là, sur le bureau — l'a-t-elle même ouverte ?

Demain, je partirais, peut-être, jusqu'à la mer, pour ne pas en revenir.
 
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Derrière la tempête il y a le calme, je crois.
J'ai passé le balai et le sable s'est effacé de lui-même, dévoilant à nouveau les livres, que je n'avais pas voulu perdre.

Il y a dans ces livres comme un battement de cœur — le mien...

Il faut que je remette à lire, avant qu'une autre tempête n'arrive et emporte ce qui n'a pas encore été ouvert, n'existe pas encore.
 
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Je me suis reclus dans mon hexagone, avec la ferme volonté de lire. Mais je n'ai pas lu. Je me suis trouvé plongé dans une inactivité frémissante, à constamment repousser ce qui ne pouvait être repoussé. Je suis paralysé par l'attente. Il faudrait un mouvement...

J'ai vaguement écrit des bouts de poèmes, des poèmes de morellien, que je ne saurais traduire...

polozylem się w lozku // twoim glosem i obrazem // bruzdy twoich ust // i twoje zamykające się oczy // (ruchomy obraz // chcę zakotwiczyc na filmie) //// ma reggel vad sarga viragok pattogtak  // a kozosségi kertben (narciszok // valoszínuleg) // es nem gyujtottem semmit // es nem is fotoztam le oket //// wiosna tu nie pachnie // przynajmniej nie dzisiaj // i zastanawiam się nad zapachem // twojej wiosny // (wyobrazam sobie, ze jest twoim mieszkaniem // pieszczone przez wieczorne swiatla: // // egy ures csesze tea // egy kabát log // kutya alszik // es felmeztelen tested // lassan lelegzo)

toz // ve isik // aynada // ciplak teninizi kucaklayan bir varlik //// guneş yukselmeye devam ediyor // toz cokmeye devam ediyor // - bir orman yangini // - sonra // kullerden baska bir sey yok bedeninizin baskisi //// taa bu ubochi ikuku naeku // // ifufe ewerela isi m // na uzuzu m // (na nzuzo m chorọ // i gahu ya // echi na windo windo gi, enyo gi, akpụkpo gi)
 
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J'essaye de me souvenir de tout, tout ce qui m'a rendu heureux dans la littérature...
 

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