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cmllrz/ Hé ! Makarénine Lun 15 Fév 2021 - 11:45
Dans ton hexagone, le bruit du vent ne cesse pas:
Ton hexagone a été touché très violemment par la tempête de sable. Il est recouvert d'une pellicule de sable qui réagit bizarrement quand on marche dessus. Des images flottent et des fils de sable sont comme tissés entre tes livres. Tu peux demander de l'aide pour le désensabler ou demander refuge auprès des autres bibliothécaires.
tout est question de ressources. l'organisation du monde, les variations de tel à tel hexagone, les croyances, la gentillesse, sont déterminées par les ressources sur les étagères. c'est la conclusion à laquelle je suis parvenue. mon enfance, un problème de ressource. si j'avais grandi ailleurs. ailleurs c'est partout le même, en termes de structure, mais ce que l'on y trouve, en termes de contenu, c'est différent, ça change le monde en soi et avec les autres. là où le hasard était bon, l'organisation l'a été aussi. c'est un phénomène de contamination. quand je me suis ouverte à lui João m'avait dit tu te trompes, nous poursuivons toutes et tous un même but, celui de connaître et comprendre et vivre avec, ça m'a fait sourire. les ressources de João pour incarner sa fonction étaient différentes des miennes. puis bien sûr tu penses à ta mère, je n'ai rien dit de plus, j'ai fait tomber mon sourire. même s'il ne comprend pas, doucement touché sa main.
je me suis habituée à ce que les gens se trompent sur moi. je prends la pitié, l'amitié, la froideur de la même manière. pour ce que c'est. un rapport. c'est João qui m'a parlé de la section nouvelle. il était fou de joie. João est une personne alignée. j'ai fait la route à ses côtés, au milieu de la foule, les escaliers à perte de vue, les visages, le corps du chien battant contre mes jambes. perdu João près de l'arrivée. je sais qu'il était poussé par l'excitation et la soif. ce n'est pas grave, je serai plus à l'aise sans son regard. et s'il trouve avant moi, ce dont je doute, il viendra à ma rencontre. on nous a donné un carnet à l'entrée. ça faisait longtemps que je n'avais pas vu autant de pages blanches. c'est bien. le vide, la neige. puis de le remplir avec des traits fragiles. lettres inégales. j'y trouve une vérité beaucoup plus dense que dans l'homogénéité totale de la bibliothèque et de ses ouvrages. oui, j'ai toujours aimé cet espace. plus que celui dans lequel nos corps s'organisent. on m'a attribué l'hexagone n°20. il est ordinaire. c'est bien aussi. ce devait être un endroit ordinaire. s'il avait eu quelques particularités que ce soit ma mère s'en serait souvenue. avec un tout petit souvenir, incertain, immatériel, ma vie bascule. le chien s'est couché immédiatement près du mur le plus à gauche, j'ai posé mon sac près de sa tête. la chaleur tiède à l'intérieur, ce n'est pas exactement de l'espoir non, ça ressemble à une fatigue de fin de parcours. s'il n'y a rien ici, j'abandonne.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Lun 15 Fév 2021 - 13:30
La niche de Signe est pleine de sable:
2.
quand on me demande comment et pourquoi un chien m’accompagne en général je répond que je viens d’un hexagone où les chiens sont associés au travail de la bibliothèque, même si c’est faux. un tel endroit existe. dans la zone brune on croit que des réponses se cachent dans les propriétés matérielles des livres. la texture, l’usure, l’odeur. les chiens sont responsables de l’odeur. ils reconnaissent les ouvrages sur lesquels sont passées le plus grand nombre de mains, qui ont été les plus déplacés, les plus laissés ouverts, fatigués par l'air libre. ainsi les chiens participent à la solidité du groupe. ce sont des gardiens. la croyance que ce qui a été le plus touché possède la plus grande valeur s’autoalimente. j’ai séjourné un temps dans la zone brune. l’accueil était chaleureux. pas de questions. de là où je viens la multitude est une chose sale. le précieux se confond avec la rareté. on pense que les plus grands, les plus sages sont ceux qui déchiffrent les lignes indéchiffrables. on croit à l’ordre, à la restriction des accès, à la hiérarchisation. on réserve des pans entiers d’hexagone aux plus âgés ou aux élus. ça me dégoute. je n’aime pas penser à mon enfance, pourtant je dois me forcer à fouiller en elle pour trouver ce que je cherche. quand mon séjour dans l’hexagone brun a pris fin, on m’a proposé d’emporter un chiot et j’ai accepté. un tout petit animal noir. c’était le compagnon idéal, puisqu’il ne saura jamais lire. je l’ai baptisé signe. signe dort paisiblement sur le sol boisé pendant que je laisse courir mes doigts sur les étagères de l'hexagone 20.
Dernière édition par cmllrz le Lun 15 Fév 2021 - 16:51, édité 1 fois
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Lun 15 Fév 2021 - 14:54
Des grains ne cessent de rebondir juste ici:
3.
à ce jour ma connaissance des hexagones voisins est la suivante :
derrière le mur où s'est couché signe, l'hexagone 21 semble encore inoccupé. je guette les bruits. nous sommes directement reliés au 13. là encore, silence des étagères. c'est mieux. d'arriver la première. tout à l'heure, j'ai croisé furtivement les 14, 16 et 19. personne dans le 19. à première vue le 16 déborde de feuillages, un hexagone-jardin. j'en ai entendu parlé mais je n'ai pas osé aller voir, quelqu'un était à l'intérieur. au 14, le sol craque sous la cadence de pas secs et nerveux. les lieux seront vite investis.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Mar 16 Fév 2021 - 17:31
Une partie des livres de ce rayon sont brûlés. Sont-ils encore lisibles ?:
4.
si je traîne à ouvrir un livre ici dans ce qu'on appelle la section lisible, c'est que j'ai appris à me méfier du sens. en vérité je redoute tout autant le sens dans ce qu'il a d'ouvert - cette phrase sur les étagères de mon enfance e o chiim dos grilos ajuntava o campo, qui se transformait dans la bouche des femmes en longue berceuse, et à laquelle les femmes s'accrochaient, qu'elles chérissaient en secret, qu'elles protégeait du mépris des hommes, la tyrannie de cette berceuse - que lorsqu'il nous met au défi de le capturer. pour être respecté percer le mystère des lignes. proposer d'en traduire le sens pour plus faible que soi. ou une phrase qui se donne à nous, directement, suspecte, on a peur qu'elle nous manipule. le sens finit toujours par dominer, dans tous les cas. penser que seuls les signes nous mènent à lui. 25 formes sacrées. ma mère en savait plus. ils l'ont jetée dans le vide. quand je dis ils, c'est ils.
si j'avais des enfants je leur crèverai les yeux à la naissance pour être sûre qu'ils ne sachent jamais lire, pour qu'ils cherchent le monde ailleurs.
les arrivées et les départs me sont toujours difficiles. ça pense, fait la mise au point, des aller-retours entre ici, là-bas, maintenant, avant. c'est éprouvant et ridicule le matin viendra bientôt. j'irai plutôt me préparer un café dans la salle commune, apprivoiser les lieux, voir à qui j'ai à faire.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Mar 16 Fév 2021 - 19:12
Ici le sable prend la forme d'un chien:
formes possibles de signe :
(images tirées des films stalker et la vie de bohème)
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Mar 16 Fév 2021 - 19:50
Une pluie de sable murmure dans ce coin-là:
5.
signe est plongé dans un profond sommeil, ses pattes courent à l'horizontal sur le parquet ancien, il rêve qu'il pourchasse quelque chose. quoi je ne sais pas. c'est un chien de la zone brune. il n'a jamais vu ni lapin ni chat ni oiseau. peut-être rêve-t-il qu'il dévale les escaliers. peut-être qu'il circule à l'intérieur d'un livre. poursuivant le sens, inlassablement. je passe mes doigts sur ses paupières.
temps d'ouvrir quelque chose. je commence par l'étagère au dessus du corps du chien. je serai protégée par son sommeil. le premier volume semble épais. mais je sais que tous ont la même épaisseur. ma main le partage au hasard.
(Maria Lai - Ulassai (Nu) 1919-Cardedu (Nu) 2013)
*
*
c'est certain, ma mère avait déjà vu un tel ouvrage.
*
*
pour la première fois je désire savoir quelque chose.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Jeu 18 Fév 2021 - 0:07
La force du vent a poussé plein de livres dans un coin sombre:
6.
elle a reposé le livre cousu de laine. son étrangeté la rassure. le livre en lui-même ne l'intéresse pas exactement. c'est une piste à suivre. un fil, qu'il faut tirer. celle qui a fait ça devait avoir en elle une colère, ou du temps, ou envie de mourir. cette sensation, le fil.
elle sort une feuille de papier pliée en quatre d'une poche intérieure de sa veste et le porte à son front, ou plutôt courbe sa tête de manière à ce que la feuille reste logée entre son front et ses genoux repliés. elle reste ainsi longtemps. la respiration du chien s'accélère. il fait un cauchemar.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Ven 19 Fév 2021 - 12:25
Entièrement sous le sable:
7.
ce livre rempli de laine, cette écriture, ça veut dire qu'elle avait raison. il existe plus que ce que nous avions sous les yeux. je veux dire, plus de formes possibles, pour le sens. de là où je viens on fait tout porter aux grandes 25. elles sont nos os, nos vertèbres, nos dents. pour pouvoir lire, les sages voyaient dans chaque lettre non pas une lettre, comme le faisaient les femmes qui chantaient e o chiim dos grilos ajuntava o campo parce qu'elles l'avaient lu avec leur petit alphabet misérable, infantile, non pas une lettre mais un signe. le signe est plus grand que la lettre. la suite la plus obscure, la plus imprononçable, mon père lui faisait cracher le sens. cela prenait du temps, il restait le front couché sur les pages, les mains aplaties, il ne fallait pas lui parler, encore moins le toucher, les signes lui parlent. il prenait chaque signe et le faisait sortir du livre, le couchait sur de grandes toiles de lin, de milliers de fois, jusqu'à ce que le signe se lasse. et parle. puis il recevait le sens et faisait passer aux autres, dans un ordre précis, en partant du haut et au bout de la chaine il y avait les femmes et les enfants. j'étais une enfant.
José Luis Puerto. Abecevarios. 2018
maman avait vu autre chose, un jour, dans un livre. un signe inconnu. quand elle en a parlé son corps s'est couvert de grandes tâches bleues.
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cmllrz/ Hé ! Makarénine Dim 21 Fév 2021 - 14:13
L'endroit sent le cramé:
8.
j'ai laissé le livre de laine à l'occupant de l'hexagone 8. sa présence m'était douloureuse. la douleur distrait. je ne souhaite pas me laisser distraire. je veux savoir si oui ou non. quelque chose de précis. qu'il y ait des zones où l'on couvre des pages de laine, ça veut à la fois tout dire et rien du tout. je ne sais plus quoi penser. toute la vie on cherche une réponse et d'un seul coup le monde s'agrandit sous vos pieds et ce n'est plus oui ou non ni même peut-être, c'est que tout était un mensonge et à la fois ne l'était pas, qu'il existe des champs si vastes, si multiples, que votre petite question se rétrécit à vue d’œil dans le creux de votre main et que votre main tremble et que bientôt la question roulera en dehors et alors commencera la vraie solitude.
quand j'ai dit à João que je cherchais le 26e signe il a eu l'air sérieux il m'a dit je chercherai avec toi. mais ce qu'il pensait, ce n'était pas ça, en vérité il se contente de regarder quand ses yeux se promènent, de garder la question dans un coin de sa tête, et à côté de la question il y a toute une vie, il pense tomber dessus par hasard, pour lui c'est chercher. mais il y a d'autres choses qu'il cherche. je ne comprenais pas comment on peut tout chercher à la fois mais j'ai trouvé le livre de laine et j'ai peur de commencer à comprendre et d'oublier ma mère.
ça me fait pleurer. quand je pleure signe s'assoit devant moi et me regarde sans bouger. qu'est-ce que tu penses ? il est impossible de pleurer sous le regard d'un chien immobile. je me lève, il se lève. je prends un livre au hasard, il s'allonge de nouveau. j'ouvre le livre. les premières pages sont ordinaires. le monde se rétrécit de nouveau et la question enfle. je me sens plus calme.
petit à petit les pages se transforment. au début on ne voit rien, la même succession de noir et de blanc, la même occupation de l'espace mais sournoisement le blanc du papier se déforme, semble pousser les caractères les uns contre les autres de manière aléatoire, toute la page bouge, je tourne plus vite, et ça s'engouffre comme une bourrasque, j'ai déjà vu le vent souffler dans certains escaliers, ça agite les habits et les cheveux et les feuilles, et là c'est comme si le vent était entré dans une faille du livre, le a le e le o le c le u le z s'étirent deviennent des lignes souples, comme si l'air circulait dans leurs corps, puis l'air se retire et les corps se rétractent ce ne sont plus rien que des petits points qui s'affolent dans la page, un jour j'ai soufflé sur du sable, je me souviens, oui ça me rappelle tout à la fois, et de nouveau les larmes coulent
Ana Hatherly, a Reinvenção da leitura, 1975 Ruth Asawa, Untitled, ca. 1970s Rudolf Sikora, White Hole - Black Hole, 1979
TOUCHÉ PAR LA TEMPÊTE : 20
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