J'ai découvert ce fil hier soir, j'étais assez fatiguée, je n'ai pas tout lu vous me pardonnerez, je l'espère...
Je n'interviens pas pour relancer plus que ça ce qui a été dit au sujet de fait que le féminisme devrait ou non être déclaré comme valeur du forum, je pense que dans les discussions ici tout le monde n'avait pas les mêmes définitions et que c'est surtout de là qu'est venu le problème...
Je voudrais surtout partager une réflexion nocturne (ne jamais laisser partir son cerveau quand on a des tendances insomniaques...) qui je pense
sera assez en lien avec le post de départ.
Ce que j'ai à dire est assez long, donc je vais mettre des trucs en gras parce que je pense que ce sera moins désagréable à aborder qu'un gros pavé tout plat.
Je crois avoir vu passer la question de savoir
s'il faudrait interdire tel ou tel thème de discussion pour éviter les tensions. Je suis plutôt d'accord avec la personne qui a dit que ça ne ferait que déplacer le problème (j'ai déjà pu voir des discussions qui partent en vrille dans l'Écritoire et très franchement c'est désagréable...) et que ce n'est donc pas une solution. D'autant que le fond du problème ce ne sont pas les termes que l'on aborde,
mais les gens qui y participent. Et avant que vous me disiez "
gnagnagna, c'est pas parce qu'on n'est pas d'accord avec toi que tu dois blablabla",
je m'explique : plutôt que les gens, disons
la manière dont chaque individu aborde un débat.
Pour que vous compreniez "d'où je parle" et mes expériences avec les débats,
je vais vous raconter un peu ma vie (pour ça aussi, j'espère que vous me pardonnerez, je suis assez verbeuse, comme fille).
En fait, souvent, je me dis que si j'étais sociologue j'étudierais le rire et les débats. Je trouve ça intéressant de voir comment
un état d'esprit peut changer la manière dont on l'aborde et le ton que l'on emploie plus encore que les propos ou le ton ressenti de la personne avec laquelle on parle. Dans le "on" je m'inclue, avec d'autant plus d'évidence que je l'ai expérimenté.
Un jour, j'ai reçu un message privé sur un truc que j'avais dit sur un sujet. La personne n'avait pas de mauvaises intensions (même si je pense qu'elle cherchait plus à me prouver que j'avais tort qu'à chercher à mieux comprendre mon point de vue, mais ce n'est pas une mauvaise intention en soi) sauf que le message est tombé au moment où (1) je m'y attendais pas (logique, en même temps) (2) j'étais en train de faire autre chose d'important mais comme je suis incapable de lâcher-prise j'ai voulu aller voir le message tout de suite (3) recevoir ce message sur un thème qui n'avait rien à voir avec la choucroute
m'a fait me sentir agressée (alors que ce n'était pas l'intention de la personne et que j'en étais consciente).
Tout cela fait que j'ai répondu avec un peu de véhémence. J'ai fini par m'en rendre compte, je m'en suis expliquée/excusée, et voilà. Bref.
Tout ça pour dire que parfois, quand on aborde un débat et que les intentions sont de convaincre, ou que l'on a juste "pas la tête à ça" ou que l'on soupçonne des mauvaises intentions, des intentions belliqueuses, aux personnes d'en face et qu'on interprète ce qu'ils disent ou écrivent au lieu de l'écouter ou le lire, ça peut mal finir.
En gros : toujours penser que ce qui est en jeu dans les débats,
c'est l'image que l'on se fait de l'image que la société a de nous.
Autrement dit :
c'est lié à nos valeurs. Par exemple, j'ai beaucoup de mal quand les personnes ici ou là me disent que je ne suis pas "assez féministe" ou que je ne suis pas assez "avancée", comme si l'évolution d'une idée c'était forcément de A à Z et que toutes personnes n'étant pas à Z étaient des idiots, des crétins, qui méritent d'être méprisés, etc. Comme s'il y avait "l'aboutissement de la pensée" et
une seule Vérité. Ça, ça tire sur
des cordes très profondes et très sensibles en moi et donc oui, si quelqu'un me fait ressentir ça, ou me donne l'impression de mépriser mes idées ou de me mépriser toute entière juste parce que j'ai osé émettre un avis différent :
je me braque.
On aborde tous un débat avec
qui on est, profondément, à l'intérieur et pas seulement avec nos idées.
Et comme le passage du ton à l'écrit est assez hasardeux, ça peut vite dégénérer.
Mon argumentation ne prend pas du tout la construction que j'avais imaginée, mais bon, j'espère que c'est pas trop nébuleux et je continue sur ma lancée, on verra bien ce qui en ressort. (Je suis pas universitaire, hein, les beaux plans en 3 parties et 3 sous-partie par partie j'ai jamais su faire !
)
Quand j'étais en Service Civique, en 2017, j'étais dans une radio locale. On partageait nos locaux avec, pour résumer, une web TV rattachée à la MJC de la ville et qui avaient eu aussi des Service Civique.
On discutait tout le temps beaucoup de plein de sujets ; des trucs sérieux comme le féminisme, l'homophobie, etc. mais aussi l'apprentissage des langues à l'école, les drogues, je crois qu'à peu près tout y est passé.
Mon Service Civique a duré 10 mois.
En 10 mois, le ton n'a jamais, jamais, jamais monté. On ne s'est jamais pris le bec. Toutes les discussions ont été hyper respectueuses. (La seule fois où je me suis emportée on était que deux ne notre groupe, la troisième était une sorte d'extrémiste gauchiste qui coupait tout le temps la parole et trouvait encore le moyen de me dire "tu répètes la même phrase depuis tout à l'heure" ben... oui, j'aimerais bien pouvoir la finir une fois que je l'ai commencée, en fait... Bref.)
Avant que vous me disiez que c'est l'effet d'entre-soi, etc. je vais vous parler un peu plus de ce groupe : moi, je sortais d'une Licence d'Histoire, j'aime aller au musée, j'aimais débattre à l'époque encore, ma mère est instit' ; la plus jeune avait 18 ans, son père est musicien, elle faisait de la batterie et souhaitait en faire son métier, elle adulait Christina Aguiléra au point de vouloir se faire tatouer et de ne jurer que par elle, et elle avait quelques problèmes de socialisation (dans lesquels je me retrouvais beaucoup) ; l'autre fille était un peu plus âgée, elle gérait la web TV en binôme avec un autre employé de la MJC et était freelance a côté, son féminisme était plus "radical" que le mien mais elle restait ouverte à la discussion (je dis ça parce que tous les "radicaux" que j'ai rencontré ont quand même tendance à interpréter etc. le propos des autres, peut-être que j'aurais l'occasion d'y revenir), elle était issue de l'immigration par sa grand-mère espagnole ; l'un des garçons avait sa famille adoptive en Inde (il n'était pas Blanc, si j'ai besoin de préciser) et s'était retrouvé bloqué en France à cause d'un caprice de sa petite sœur, il testait tout plein de drogues mais n'était accro à rien, et a finalement arrêté plus tôt son Service Civique pour travailler pour pouvoir s'occuper de sa sœur qui allait revenir, et je trouvais qu'il avait toujours des trucs intéressants à dire ; le dernier garçon était un intellectuel, très clairement, homosexuel, qui faisait du théâtre, si sensible que je me demande s'il n'est pas hypersensible, d'ailleurs, qui avait eu une histoire personnelle avec le harcèlement, et lisait pas mal de Sciences Humaines.
Je crois pouvoir dire qu'on venait quand même un peu tous d'horizons différents, même si non, effectivement, il n'y avait pas de personnes très aisées, et d'autres provenues des quartiers populaires dans ce groupe.
Le fait est que nos différences de caractères et d'expériences faisaient qu'on n'était jamais d'accord ou plutôt
on était toujours d'accord avec certains points de tous les autres et en désaccord avec certains points de tous les autres, ce qui fait qu'au final le débat
n'était pas polarisé : il était un peu fin, et c'était très intéressant !
Je ne saurais dire si l'une de nos discussions a fait évoluer l'un ou l'autre de mes avis (j'imagine, que oui)
mais j'ai beaucoup appris (j'étais arrivée avec une tendance à couper la parole...) sur la manière de débattre. Encore une fois, on s'écoutait, on n'interprétait pas les propos des autres et on les faisait préciser quand on n'avait pas compris. On s'écoutait
vraiment. Parce que l'on ne cherchait pas à convaincre les autres : on cherchait à
comprendre leur manière de voir ou à se nourrir de leurs expériences. Ce qui change tout.
D'autant que l'on ne peut pas changer l'avis des gens chez qui cet avis est déjà très construit.
Sauf avec l'expérience. Mais pas avec les mots. J'avais fait un article là-dessus sur mon blog si ça vous intéresse mais pour résumer : on voit le monde selon notre "toile", nos valeurs.
Inutile de dire que je n'ai jamais retrouvé une telle ambiance, ni à la fac, ni avec mes collègues : jamais. C'était une sorte de parenthèse enchantée.
J'ai l'impression (et je ne suis pas la seule à le voir comme ça, ce qui a tendance à me rassurer parce que des fois j'ai l'impression d'être folle) qu'aujourd'hui le Débat, qu'il soit sur les réseaux sociaux, les forums, les blogs, les médias en tout genre (TV, radio, etc.)
est très polarisé.
Si tu n'es pas avec moi, tu es contre moi. Détruire ou être détruis (vous avez la réf ?
). Convaincre ou écraser l'autre.
Dans les média (encore une fois en général, de la TV à Twitter)
ceux qui parlent le plus fort sont les personnes radicales comme Alice Coffin (je cite son nom à titre de référence sur le spectre, je veux pas lancer de débat là-dessus, pour moi cette dame est à l'ouest et encore je reste gentille) ce qui fait qu'en réaction ceux qui ne sont pas d'accord
prennent des avis complètement à l'opposé parfois par simple provocation (sauf que comme les gens sont cons et qu'on est dans une sale période, ils partent au quart de tour). Et ceux qui comprennent les deux points de vue, qui sont dans la nuance, soit se radicalisent en réaction à un mépris ressenti,
soit se tirent pour se protéger. Leur départ renforce la polarisation du débat : le gris n'existe plus, on est noir ou blanc, Bien ou Mal. Et les débats tournent en rond.
Comme ici.
Je ne vais certes jamais fourrer mon nez dans l'Agora, mais les discussions parties en vrille dans l'Écritoire m'ont vaccinée pour toujours. J'ai pu par certains m'y sentir méprisée, ou sentir du mépris à l'égard d'autres membres, et très franchement
c'est désagréable.
Je comprends que les personnes qui ont dit les choses à cause desquelles je me suis sentie méprisée pouvaient elles aussi se sentir méprisées et que c'est un cercle vicieux (une mésaventure avec Léa dans un sujet où elle a utilisé le mot "avancé" et s'est sentie agressée de ma réponse met bien en exergue comment ce genre de cercle fonctionne, c'est pourquoi je me permets de le mentionner ici pour les personnes présentes à ce moment-là qui peut-être verront de quoi je parle et donc comprendront mieux ce que je veux dire ; il n'y a bien sûr aucune volonté de ma part de pointer Léa du doigt : les tords étaient partagés, autrement dit partagés par moi). Mais à ce moment-là, plutôt que de répondre par la colère, pourquoi ne pas faire en premier le pas de côté qui
mettra les choses à plat ?Au début de mon (trop) long message je disais que le problème n'était pas les sujets abordés mais les gens ou plutôt
la manière dont on aborde un débat.Alors voilà : je pense que l'on doit tous (par "tous", je me mets dedans même si c'est un travail que je fais depuis longtemps) s'examiner et examiner notre attitude dans les débats ou plutôt la manière dont on les aborde.
Cherche-t-on à convaincre à tout prix ? A-t-on tendance à interpréter les propos de ceux qui ne sont pas d'accord avec nous pour "extrémiser" ou "caricaturer" ce qu'ils disent ? Du stress extérieur lié à "la vraie vie" peut-il influencer la disponibilité de notre cerveau et nous faire répondre avec agressivité ?Je ne vise personne en particulier. Je ne dirais pas "ils se reconnaîtront" : j'ose espérer que
chacun se reconnaîtra et sera capable de se poser avec honnêteté ces questions.
S'il vous plaît, ne les balayez pas de la main avec désinvolture en mode "
nan, mais c'est bon moi je sais débattre, hein, elle est gentille la 'tite Enir avec ses leçons de gamine à deux balles tout droit sorties d'un épisode de My Little Poney" ou "
moi de toute façon je sais que j'ai raison dans les débats, si les autres veulent pas le comprendre ben oui je m'énerve c'est normal à un moment donné répéter 120 fois la même chose c'est quand même chiant, quoi". Vraiment,
posez-vous ces questions, répondez-y avec sincérité. Vous n'avez pas besoin de mettre votre réponse ici à la vue de tous, juste de vous la fabriquer et
d'y repenser au prochain débat.
Moi, je vous le fais, si vous voulez :
J'aborde les débats en cherchant à comprendre plutôt qu'à convaincre, en cherchant à m'enrichir des points de vue des autres (d'ailleurs sur Twitter je suis des gens avec qui je ne suis pas du tout d'accord, juste pour garder la caboche grande ouverte).
Par contre, je sais que si on me fait penser à "l'aboutissement de la pensée" dont je parlais plus haut, je m'énerve.
Je sais aussi que
si une personne me paraît "militante radicale" je vais de suite avoir un mauvais
a priori sur elle parce que
j'ai vécu de très mauvaises expériences avec les personnes radicales, qui ont toujours interprété mes propos jusqu'à me faire dire le contraire (à moins que je ne sache vraiment pas m'exprimer, mais que je ne sache exprimer mes idées sur aucun sujet me paraît quand même peu probable). La dernière fois que je suis partie sans
a priori sur une personne et même plutôt avec un
a priori positif, je me suis fait déglinguer. Elle a tout interprété (j'ai liste des caractéristiques (genre le fait que je tiens à l'honneur, tout ça, qui est à la fois une qualité et un défaut) et elle m'a dit que je montais sur mes grands-chevaux alors que je voulais juste démontrer que je ne suis pas qu'une femme blanche, cisgenre et hétéro. Bref.).
Que des mauvaises expériences, donc oui, j'aborde un débat avec un militant radical avec
un peu la boule au ventre et un biais certain qui me fait dire que cette personne ne cherche rien d'autre qu'à m'écraser.
À part ça, je pense être assez nuancée, et pouvoir comprendre les points de vue des uns et les autres (ce qui me fait dire que l'accrochage en début de sujet est dû à un problème de définition et que Mumtaz a raison quand il en fait la remarque).
Je me sens par contre souvent dépassée et complexée par la grande culture et le grand savoir de certains membres et suis souvent très vite désarmée.
Voilà. Ce sont mes biais. Il y en a sans doute d'autres. Par exemple, je n'aime pas la radicalité ou l'extrémisme parce que je crois très fort au juste-milieu utopiste. C'est une corde profonde en moi sur laquelle je ne peux pas agir. Je crois aussi très fort que la Vérité est en fait constituée de plein de fragments que chacun d'entre nous possèdent.
Donc, voilà pour moi. Voilà ce que
j'espère que vous prendrez le temps de faire.
Parce que le problème
ce n'est pas les sujets abordés, un "militantisme suintant" des uns ou des autres (on a tous nos idées, nos accords et nos désaccords, et à moins qu'une idée contrevienne à la loi elle n'est souvent pas dangereuse en elle-même), mais la manière dont on "attaque" un débat, l'angle avec lequel on le prend,
les intentions que l'on y met.
Je pense que si chacun peut s'examiner sérieusement et avec sincérité, le prochain débat sera super posé, très intelligent, immensément riche, et que
l'on va tous beaucoup apprendre sur le monde, sur nous et sur les autres ! C'est tout. Merci d'avoir lu jusqu'au bout.
J'ai un peu beaucoup raconté ma vie, quand même...
Prenez soin de vous
!
Et bonne année ! (techniquement, on est encore en janvier, donc j'ai le droit
)