En fait, mon personnage est un romantique dans l'âme. Il est sur le Front de la Première Guerre mondiale. Le mari horrible de son amante vient de se faire buter au combat (ce qui l'a rendue vachement heureuse). Vu qu'elle est veuve, mon personnage la demande enfin en mariage. Et il faut que ça soit inoubliable, car ça sera sa dernière trace... En effet, il fera sa demande dans une lettre et le temps que son amante la reçoive et lui réponde "oui", il se fera tuer.

« En ce soir du Ritz, soir de destin, elle m'est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle et moi et nul autre en la cohue des réussisseurs et des avides d'importances, mes pareils d'autrefois, nous deux seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi triste et méprisante et ne parlant à personne, seule amie d'elle-même, et au premier battement de ses paupières je l'ai connue. C'était elle, l'inattendue et l'attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. Elle, Boukhara divine, heureuse Samarcande, broderie aux dessins délicats. Elle, c'est vous. »

« Et maintenant, écoutez la merveille. Lasse d'être mêlée aux ignobles, elle a fui la salle jacassante des chercheurs de relations, et elle est allée, volontaire bannie, dans le petit salon désert, à côté. Elle, c'est vous. Volontaire bannie comme moi, et elle ne savait pas que derrière les rideaux je la regardais. Alors, écoutez, elle s'est approchée de la glace du petit salon, car elle a la manie des glaces comme moi, manie des tristes et des solitaires, et alors, seule et ne se sachant pas vue, elle s'est approchée de la glace et elle a baisé ses lèvres sur la glace. Notre premier baiser, mon amour. Ô ma soeur folle, aussitôt aimée, aussitôt mon aimée par ce baiser à elle-même donné, ô l'élancée, ô ses longs cils recourbés dans la glace, et mon âme s'est accrochée à ses longs cils recourbés. Un battement de paupières, le temps d'un baiser sur une glace, et c'était elle, elle à jamais. Dites-moi fou, mais croyez-moi. »

Ma bien-aimée,
Je vous aime et j'ose enfin vous l'avouer, mais vous devinâtes peut-être mon amour auparavant. Je vous aime, ô combien je vous aime, je revois chaque seconde votre fine ombre valser, silencieuse et altière. Je revois encore votre regard profond, il s'y déroule bien des tempêtes en ses océans, et vos yeux me font perdre la raison de désespérer. Donnez-moi la force de vivre parmi la géhenne, parmi l'enfer de la guerre, la peur de mourir. Donnez-moi le bonheur, qui existe plus loin que l'horizon, plus loin que l'imaginaire, je sais qu'il existe parmi la violence, l'horreur et le sang. Donnez-moi le courage qui ne me fera plus trembler, qui me fera devenir un homme plus haut que le chêne dénudé par l'hiver. Je déposerais les armes, et vous emmènerais dans un lointain pays de l'Utopie, nulle guerre ne viendrait avec nous. Si telle était ma capacité !
Je vous le demanderai une seule fois, comme on demande le pain quand on est affamé, comme on demande la lumière quand on est cerclé d'ombre : voulez-vous m'épouser ?
J'attends le "oui" que je ne pourrai entendre voler comme un papillon de mai, mais dont le mot sera écrit sur votre prochaine lettre.
Je vous aime.