Sans perdre une seconde de plus, je coupe court à toute hésitation et, armé de mon plus beau sourire, traverse la petite cour, évitant les poulets qui s’y promènent. Une fois face à la porte d’entrée, je toque avec énergie.
Quelques secondes plus tard, Mila apparaît dans l’encadrement, une sacoche sur le dos et le regard préoccupé. Ses mèches blondes sont attachées en un semblant de chignon flou, auquel elle a porté peu d’attention. De la même manière, un vieux jean et un tee-shirt trop ample viennent habiller sa fine silhouette.

— Bonjour ?
De toute évidence, je dérange. Aucun sourire n’entrave son visage. Son regard est fuyant, tandis que sa main agrippe la bandoulière de sa besace.
— Bonjour Madame. Laissez-moi me présenter, Antoine Jones, dirigeant du site internet Meetaway.
Mila, incrédule, hoche la tête.
— Il s’agit d’un site de rencontre à portée internationale. En fait…
Sans me laisser plus de temps, la jeune femme me coupe net.
— Je ne suis pas intéressée, merci. Je suis pressée.
— Eh bien moi j’ai le temps, je peux peut-être vous accompagner pour vous expliquer le concept plus en détails…
Le regard noir qu’elle me jette me refroidit d’un seul coup.
— Non, je ne peux pas, je pars en intervention. Si vous voulez bien m’excuser…
D’un coup d’épaule, elle me fait descendre de la petite marche et se retourne pour refermer sa porte à clé. Sans plus attendre, elle fait demi-tour, m’ignorant complètement et se dirigeant vers son pick-up. Elle grimpe à bord du véhicule rouge et démarre aussitôt.
Je cours jusqu’à sa fenêtre et m’appuie sur la portière du vieux tas de ferraille.
— Je suis à la recherche de jeunes gens vivant dans un pays étranger.
— Je vous l’ai dit, je ne suis pas intéressée par votre site de rencontres.
Elle fulmine.
— Vous n’êtes pas célibataire ?
— Cela ne vous regarde pas !
— Mais si vous l’étiez, que risqueriez-vous à m’écouter quelques minutes. ?
— Je vous l’ai dit, je n’ai pas le temps ! Qu’est-ce-que vous ne comprenez pas là-dedans ?! Maintenant poussez-vous, je ne vais pas vous écraser…
Merde !
Bloqué dans une situation bien délicate, je fouille au plus profond de moi une issue de secours. Pris d’un élan aussi stupide qu’irréfléchi, je cours de l’autre côté du pick-up, sous le regard ahuri de Mila, et grimpe sur le siège de passager, claquant au passage la portière mal huilée du véhicule.
Cette fois-ci, ses prunelles semblent hésiter entre crainte et colère.
— Descendez !
Il me faut faire un effort extraordinaire sur ma personne pour afficher un sourire sympathique à cette furie sans manières.
— Écoutez, laissez-moi le temps du trajet pour vous exposer mon idée. Si cela ne vous plais pas, vous me laisserez sur le bord du chemin au retour.
Bouche bée, Mila reste sous le choc d’une telle démarche.
— Vous avez un sérieux problème, vous !
— À vrai dire, j’en ai même plusieurs… mais là n’est pas la question.
Cette fois-ci elle grogne.
— Faut toujours que je tombe sur des cinglés, c’est pas croyable !
D’un naturel sans doute déstabilisant, je souffle juste, amusé :
— Cinglé, non. Particulier, probablement.
Alors que la jeune femme enclenche la marche arrière, je soupire.
Une  première victoire…
Le pick-up s’engage sur le chemin tortueux que les semelles de mes chaussures regrettent encore, et je réalise que je ne sais pas le moins du monde où l’on va.
— Vous m’emmenez-où ?
— Dans un parc. Je vais soigner une éléphante.
— Vous êtes vétérinaire ?
— Vous êtes devin ?
Ok. Sympathie : zéro.