Citation :

Je sais à quoi tu penses, dit l'Indien.

Son ton était calme, sa voix impassible, et il ne poursuivit sa phrase d'aucune manière. Seulement, il savait. Will esquissa un sourire. Ce n'était-là que l'une des innombrables bizarreries dont l'avait habitué son ami.

¬ Dame Cloda! Vous allez bien?

Visiblement, non. Les gémissements devenaient de petits cris. Ann ouvrit la porte et hurla de terreur. La jolie dame blonde était assise dans son lit, les bras tendus devant elle. Ses jolis yeux bleus et sa blonde chevelure se remplissaient de blancheur à chacun des petits cris qui sortaient de sa bouche. Ses mains agrippaient quelque chose d’invisible. Ann recula jusqu’au mur. La pauvre dame ne la voyait pas, ne l’entendait pas. Devait-elle la toucher? Comment l’aider? Et Emrick qui était si loin.

¬ Le château… Le château… murmura Dame Cloda.

Ses lèvres remuaient à peine et son souffle psalmodiait ses mots faiblement sans s’arrêter. Ann se résolut à la toucher. Elle ne pourrait pas lui faire de mal, chétive et délicate telle qu’elle était.

¬ Dame Cloda, chuchota Ann en posant la main sur son bras.

Les murmures cessèrent et les bras se détendirent. Telle un pétale de rose se fanant, Dame Cloda se laissa retomber dans un profond sommeil. Sur sa couche, ses cheveux éparts reprenaient leur couleur dorée et ses paupières se fermèrent sur des yeux cristallins.

Comme la veille, la jeune femme rééduqua ses jambes dans la douleur, sans pour autant broncher. Elle savait que c’était le prix à payer pour espérer ne plus avoir de problèmes dans l’avenir. Ce prix elle l’acceptait totalement, surtout que c’était son avenir qui était en jeu, il était son fil conducteur, sa carotte pour avancer. Encore une fois, la paraplégique léger ressortit de cette séance fatiguée. Quand elle retourna à sa chambre, ses parents l’attendaient, inquiets. Sa mère vint lui sauter dessus dès son arrivé.
« —Alors ça été ? Tu n’as pas eu trop mal ?
—Si maman, mais c’est obligatoire d’avoir mal, sinon cela signifie que les muscles ne travaillent pas et ce n’est pas le but de la rééducation
—Ma pauvre, tu veux que je fasse quelque chose, que je te prépare un remontant ? Que je tapote tes oreillers, dis-moi, je t’écoute.
—Je voudrais que tu arrêtes de me surprotéger si ce n’est pas trop te demander, je suis grande à présent, je peux me prendre en charge seule.
—Mais tu es diminuée…..
— Et alors ! Je le serais toujours, je le serais toute ma vie donc à présent cesse de me protéger, cela ne me fait pas du bien, explosa Anaïs
— Je suis désolé ma chérie, promis, je vais cesser, laisse-moi juste te préparer quelque chose.
—Non maman, tu sors, j’ai envie d’être seule un peu avec Paul, on doit parler.
— Mais ma chérie….
— Laisse-moi, hurla l’ex chirurgienne, en larmes. »

Ensevelis sous branches et feuilles séchées, je m’extirpe d’une nuit pendue sur l’angoisse. J’ai dû dormir deux heures à peine, dans l’écart d’un tronc, sur de la mousse humide. Les biseaux de la nature ont foré ma peau, ils me griffent le dos, ils dessinent des tranchées indomptables… Des pointillés d’hémoglobine pleuvent de la terre jusqu’à la tête des arbres… C’est le manifeste des insectes.
La première lueur de l’aube me tend une perche solide… Je m’y agrippe… Je découvre la nature ! Il me semble que c’est la première fois qu’une lumière m’éclaire pareil paysage… J’avance dans le décor, mon falzar est déjà esquinté par les ronces… En manque de médicament, mon biberon régulier, je renais sur terre nouvelle… Mon énergie s’émousse à chaque foulée, mes sens s’empourprent, mais j’ai l’air de la nature qui descend… qui me soutient… Alors ça va…