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| Help ! Besoin d'avis sur une scène à la narration "médiévale et fruste" | |
| | Nombre de messages : 1906 Âge : 49 Localisation : Roazhon (Rennes) Pensée du jour : Cthulhu is my best fiend... Date d'inscription : 24/01/2011 | Faust Federel / Journal du posteur Mer 22 Aoû 2012 - 20:40 | |
| Salut. Comme le titre l'indique, j'ai besoin d'un avis par rapport à une scène que je viens de retravailler. Ci-dessous, j'ai mis deux versions de cette scène. Pour la comprendre, il est inutile d'avoir lu les chapitres qui précèdent. Il faut juste savoir que, dans la quasi totalité du roman, le narrateur est un jeune homme d'aujourd'hui. Mais, lors de la scène qui me pose problème, le narrateur change : il s'agit alors d'un jeune matelot anglais du nom de Ratson qui servait au Moyen Age sur une caraque anglaise, la Lady Mary. J'ai tenté quelque chose : j'ai voulu, dans la narration, retranscrire deux choses : - un parler "médiéval", c'est à dire avec quelques expressions de cette époque (bien sûr, il ne s'agit pas de vieux français à proprement parler, juste quelques mots et quelques tournures de ci, de là) - une narration fruste (et rustre ^^). Ce matelot de 13 ans ne sachant ni lire, ni écrire et ayant une éducation quasi-nulle, j'ai voulu retranscrire cela dans ses pensées. Ci-dessous, le premier passage est avec cette narration "médiévale et fruste", le second avec une narration assez simple mais moins frustre et sans expressions médiévales. Laquelle préférez-vous ? Et bien sûr, pourquoi ? Inutile d'en faire un commentaire détaillé, c'est juste le ressenti qui m'importe. Un grand merci d'avance car je galère un peu avec cette scène. VERSION MÉDIÉVALE ET FRUSTE : - Spoiler:
- La t'ont dépassé ou bien ? - Nan ! Devrait y être là, mais y est pas... - Foutre de Dieu ! Le capitaine Adams se tourne et s'enquerre de moi ; à ses cotés, le second Wilson lâche jurons et crachats, l'oeil cloué à sa longue-vue. - Ratson ! P'tit coquard ! Odis bien ce que j'te braille ! Tu r'montes à la vigie et t'ouvres l'oeil ou je t'abraye la couille ! Un guignon que ça me choit dessus ! J'aurais pas dû descendre, quelle merdaille ! Escagacer le capitaine et il me boute à la mer, c'est sûr ! Je descampe et passe entre les gars. J'attrape les mailles du cordage et grimpe sur le mât mouillé. J'ai l'habitude, alors je me hâte et dépasse prestement la dernière barre de flèche. Là-haut, la froidure me frappe la trogne. Pas le temps de pleurnicher comme un coquebert. Je me hisse à la vigie. Ca y est, je suis de retour chez moi. La vigie, j'y suis bien comme dans un fadesteuil. Là haut, je vole au-dessus de la mer avec les oiseaux qui giguedouillent autour de moi. Du "Lady Mary", y a que là que je suis bien. Plus d'une année qu'on est parti. Dire qu'on est presque en vue de Cork... Là-bas, je vais retrouver maman. J'escompte juste qu'elle a retrouvé bonne santé. Le gros Gordon, il dit que la sale toux qu'elle avait l'a sûrement mortie. Menteries ! Le gros Gordon, il jacte que des balivernes ! Une boursemolle et un sac à vin, voilà ce qu'il est, un fillot laissé par un écossais à une puterelle qu'a forniqué avec tout le port de Bristol ! Une main sur les yeux pour les abriter de la pluie, l'autre agrippée au mât, je m'enquère des signes d'une flambée à l'horizon. Rien à faire : pendant la nuitée, la pluie est pire que le brouillard, on n'y voit rien à cause d'elle ! Je commence à trouiller. Je suis jeune mais je suis pas un coquebert : convoier quand on y voit rien et qu'y a plein de récifs dans le coin, c'est courrir droit vers la mort ! Mordiable ! On devrait le voir, ce bric de phare ! C'est le dernier avant Cork ! Mais non, y a rien du tout. On est rien que des aveugles perdus dans l'océan, voilà ce qu'on est ! Des criements viennent d'en bas. Les marins se chamaillent, encore plus que d'habitude. Je suis bien tranquille, là-haut. J'ouvre mes escourdes pour éscouter un peu ce qui se dit : plusieurs gars, ils disent : " Faut j'ter l'ancre et attendre l'anjorner". Mais les autres, ils veulent pas et ils gueulent comme des cochons qu'on égorge : " Faut être fol pour cesser le bateau avec le vent qui se lève et la tempête qui peut nous tomber sur la mouille !". Moi, je sais pas pourquoi, mais j'ai un mauvais presage. Comme si y avait un charmement lancé sur nous par une sorceresse... La pluie se calme un peu. Sans respit, je mire l'horizon, encore et encore. Ca y est ! Une lumière ! Mortecouille, je la vois pas beaucoup mais elle est là ! - Capitaine ! Capitaine, lumière à bâbord ! En-dessous, les chamailleries cessent de suite. La grosse voix du capitaine tonne : - T'es sûr de toi, Ratson ?! - Ouais, capitaine ! - J'l'y vois aussi ! crie le second Wilson. Si c'est le phare aux bretons, c'est pas bon pour nous ! - Bien sûr que c'est pas bon, maroufle ! On y va droit, dans les récifs ! Le capitaine boute violentement le marin qui tenait la barre. C'est le gros Gordon, et il choit de tout son long sur le pont. Bien fait pour sa sale trogne ! J'ai pas le temps de rigoler : le capitaine vire à tribord toute. Moi, je me cramponne au mât de toutes mes forces pour pas choire à mon tour. Malgré la froidure, j'ai pas envie de descendre ; quand les gars en bas sont énervés, je me fais toujours violenter. Comme c'est moi le plus jeune et le plus petit, je récolte des taloches même quand j'ai rien fait de mal ! Le capitaine redresse la barre. Le navire file droit devant, les voiles gonflées par le vent. Ce sale vent, il colle aussi mes défroques trempées sur ma peau. Y a rien à faire, impossible de me réchaudir. Chiabrena ! Va me falloir descendre. Ca serait t'y bête d'attraper la mort juste avant de retrouver maman... J'ai moult choses à lui conter. On a été en Italie, en Sicile et jusqu'à Malte ! Et puis... non, vaut mieux pas que je lui parle des catins. Mais le jour d'hui, je suis un homme et je sais user de mon vit pour autre chose que pisser... De toute façon, elle va le deviner. Un fillot peut rien cacher à sa mère... Tant pis, je quitte mon nid en haut du mat et je descends. J'ai même pas mangeaillé. M'en vais rapiner ce que je peux trouver... - Par les saintes couilles du Christ, ils appellent ça un phare ?! braille le second Wilson. Des fot-en-culs, ces français, juste bon à s'farfouiller l'train ! - C'est pas des français, c'est des bretons, sottard ! répond le capitaine. - Mouais, c'est la même merdaille, pour moi... Mortdiable ! Y a le gros Gordon qui s'est mis juste au bas de mon mât ! Il piettonne autour et fait mine de pas y toucher... Prend-moi pour un coquard : dès que je vais poser pied sur le pont, tu vas me talocher ! Tout ça parce que t'as perdu la face quand le capitaine il t'a bouté ! C'est vrai, je suis le seul à qui tu peux mettre des raclées sur ce raffiot mais j'aurai pas treize ans toute ma vie ! Un jour, Gordon, quand je serais adulte, c'est moi que te violentera ta sale mouille de sac à purin ! Un choc violent fait trembler la Lady Mary. Je glisse et lâche prise. Comme une pierre, je chois sur le gros Gordon. Tiens, pour une fois qu'il fait quelque chose pour moi, faut que ce soit pas volontaire de sa part ! Je veux me relever mais le bateau gîte sitôt sur le côté. Le pont est trempé, alors je glisse. Je me cogne le chef violentement dans le mât. En plein brouillis, j'escoute les criements des gars et les bruits du bois qui se rompt. Je trouille comme jamais car j'ai compris : on coule ! Sur le plancher, je continue de glisser. Les gars, ils essayent de tenir debout, ils s'agitent mais tous, ils finissent par choir comme moi. Le bastingage cesse enfin ma glissade. Je veux me redresser mais un marin dégringole sur moi. Ecrabouillé entre la rambarde et le gros Gordon, j'arrive plus à respirer et surtout, je sens qu'on batacule tous les deux par-dessus bord ! Je m'agrippe mais je n'en peux ni ho ni jo : le gros Gordon, il est trop lourd, et je le compagne dans sa chute ! Saloperie de gros sac à vinasse ! On finit dans la mer glacée. La froidure vide mes poumons de tout son air. J'ouvre la bouche pour respirer. C'était pas une bonne idée car je bois la tasse. Je sais nager mais la mer, elle est itelle le courroux d'un fol possédé par le malin ! Je trouille, jamais j'ai connu une anguisse comme ça ! Je bats des bras, des jambes et je finis par remonter à la surface. Je reprends mon souffle et sitôt une grosse vague me frapper la trogne. Derechef, je coule et finis par remonter. Mon cuer joue du tambourin, l'eau de mer me brûle les yeux, la froidure est rentrée dans mes os. Je m'épuise et, par tans, je vais défaillir prestement. Mon chef cogne contre quelque chose qui flotte. Un tonneau vide ! Ma survivance est assurée si je l'attrape ! Mais il me fuit une fois, puis une autre. Ca y est ! Mes deux mains l'accrochent. Point s'en faut, c'est pas le jour de ma mort ! - Là bas ! De l'eau plein les escourdes, je sais pas qui vient de brailler. Et puis, il veut dire quoi par "là bas" ? Je vois rien du tout, moi, rien que la mer, la pluie et la nuitée ! Une grosse vague me soulève. Moi, je serre derechef mon tonneau. En haut de la crête, je m'enquerre et mire enfin ce que le marin montrait : des flambées, plein de flambées et pas si loin de moi, en plus ! Le rivage, la terre ferme, la vie ! Je dois faire un choix : si je lâche le tonneau, je trouille de me noyer. Mais si je le lâche pas, le courant m'entraine dans une maldirection. Mortecouille ! Tant pis, je laisser filer le tonneau et nage vers les lumières. Je nage vers les appels que j'odis à peine, je nage vers la vie que je veux pas perdre ! Mes poumons sont en feu alors que mon corps, il est glacé. Mais mes bras et mes jambes veulent plus m'obéir, ils font n'importe quoi et je coule ! Je coule, je sors la tête de l'eau, je coule derechef, je ressors la tête, je coule et cette fois-ci, je remonte plus. La froidure a tué la trouille. J'arrive même plus à songer. Je vais mourir et je reverrai pas maman... Des mains solides m'attrapent par mes défroques et me sortent de l'eau. Moi, je me laisse traîner sur le sable. Le sable ? Le Sable ! Le sol, la terre, je suis sauvé ! J'ouvre les yeux et vois un homme devant moi. Je le connais pas. Il porte un mantel de laine et un chapeau plat qui dégouline d'eau. Il me mande quelque chose mais dans une langue que je comprends pas. Un autre homme qui porte des braies et une cotte m'aide à me relever. Assis par terre, j'attends que ma tête, elle arrête de tourner. Un peu plus loin, d'autres étrangers sortent un corps de l'eau. Le plus gros le mire un moment et fait "non" de la tête. Alors, ils le laissent la face dans le sable. Moi, je tourne les yeux tristeusement : je reconnais son affublement : c'est le capitaine Adams. Je m'enquerre de là où je suis. Autour de moi, il y a une plage avec à destre et à senestre deux falaises de roche. Avec la pluie et la nuitée, je vois pas grand chose d'autre. Derechef, un des deux hommes à coté de moi me parle mais je comprends toujours rien. Alors, avec un geste, il me mande de me lever. Son camarade m'aide et c'est une chance car je peux pas y arriver tout seul. Tantôt, la trouille m'a donné la force du taureau mais maintenant, je suis plus faible qu'une pucelle... Mais je suis vivant ! Maman, je suis vivant ! Les deux étrangers, ils ont compris que je peux pas piétonner tout seul. Alors, il se mettent un de chaque côté et il m'aident. Moi, je me laisse faire. On peut pas se hâter, et je sens que ça les escagace. On arrive devant un escalier taillé dans la roche. Tudieu ! Les marches trempées sont glissantes, un coup à se rompre les os ! Mais mes sauveurs, ils m'aident, alors ça va. Enfin, on arrive tout en haut de la falaise. Là, le vent froid, il colle mes défroques trempées sur ma peau mais j'ai même plus la force de trembler. Toujours aidés par les deux hommes, je piétonne sur une lande espongieuse. Autour de nous, d'autres étrangers accoutrés itels des gueux nous mirent. Moult d'entre eux portent des lanternes. Moi, je voudrais bien leur dire merci, mais je parle pas leur langue. Plusieurs d'entre eux décident de nous compagner. Merci, Vierge Marie, merci d'avoir veiller sur moi ! J'ai pas pu aller à la messe car on était en mer, mais je vais me rattraper, je te créant ! On va en direction d'un gros rocher au milieu de la Lande. On y est presque quand mes deux sauveurs, il me lâchent. Ils m'ont pas prévenu, alors je chois sur mon séant violentement. Pourquoi ils ont fait ça ?! Un tour pendable qui est pas drôle, c'est ça ?! Je me redresse et j'ouvre la bouche mais rien ne sort. Rien sortira plus jamais de ma bouche, je le sais, car je vais mourir. Un attrapoire, voilà ce que c'est, mais pourquoi ?! Pourquoi nous sauver si c'est pour faire ça ?! Pourquoi ?! Assis sur le sol, j'arrive pas à quitter des yeux ce que les lanternes des étrangers, elles enluminent. Car c'est pas un rocher mais un tas de cadavres ! Mes camarades tout couverts de sang, entassés comme des carcasses de viandes chez le boucher ! J'ai même pas la force de m'enfuir. Un étranger me bâtonne en pleine trogne et il m'abbraye la mâchoire. Un nouveau coup et mes côtes se rompent, un autre et je défaille. Ou peut-être que je suis mort.
PREMIÈRE VERSION ("CLASSIQUE") - Spoiler:
- On l'a dépassé ou pas ? - J'en sais rien ! Il devrait être là, c'est tout ! Le capitaine Adams soupire et se tourne vers moi ; à coté de lui, le second Wilson se remet à scruter l'obscurité avec sa longue-vue. - Ratson, tu remontes à la vigie et tu ouvres l’œil ou je te pèle ton petit cul ! Magnes-toi ! J'ai pas intérêt à trainer, moi ! Déjà que d'habitude, le capitaine est pas commode... Là, je l'ai jamais vu énervé comme ça ! Sans demander mon reste, je tourne les talons et me précipite vers le mat. Sur le pont, les gars sont inquiets. Naviguer de nuit, c'est déjà pas terrible, mais en plus lorsqu'il pleut comme vache qui pisse ! Normalement, on devrait plus être très loin de Cork. Là-bas, je vais retrouver maman. J'espère juste qu'elle va mieux. Le gros Gordon, il dit que la sale toux qu'elle avait l'a sûrement emporté ! Mais c'est que des conneries et de toute façon, Gordon, c'est un con ! Un bâtard laissé par un écossais à une mère putain au port de Bristol, voilà tout ce qu'il est ! J'attrape les mailles du cordage et grimpe en m'aidant de mes pieds nus. Le mât est mouillé mais j'ai l'habitude. Je dépasse la dernière barre de flèche et prend aussitôt place à la vigie. La vigie, c'est chez moi, j'y suis bien. Là haut, j'ai l'impression de voler au-dessus de la mer, libre comme les oiseaux qui viennent me voir de temps en temps. Même si la vie est pas facile sur la "Lady Mary", fière caraque à deux mats de sa Majesté, moi je sais que ma place, elle est ici. Une main sur les yeux pour les abriter de la pluie, l'autre agrippée au mât, je scrute l'horizon autour de nous. En vain : la nuit, la pluie est aussi pénible que le brouillard, on n'y voit rien à cause d'elle ! Je commence à avoir peur. J'ai beau être jeune, je suis pas stupide : pas besoin de connaitre grand chose à la navigation ! Voguer quand on y voit rien et qu'il y a plein de récifs dans le coin, c'est pas du tout une bonne idée ! Normalement, on devrait voir un phare, le dernier avant de rejoindre Cork, et ajuster notre course par rapport à lui. Mais pour l'instant, rien du tout, pas de lumière à l'horizon. Alors, on navigue à l'aveugle. En bas, plusieurs marins s'engueulent, encore plus que d'habitude. La hiérarchie sur un bateau de ce genre, ça se résume à celui qui braille le plus. Et moi, comme je suis le plus jeune et bien je me tais. Je tends l'oreille pour écouter : plusieurs gars veulent qu'on jette l'ancre et qu'on attende le lever du soleil. Mais les autres, ils gueulent comme des cochons qu'on égorge que le vent est en train de se lever et qu'une tempête peut nous tomber dessus. Moi, je sais pas pourquoi, mais j'ai un mauvais pressentiment et j'aime pas ça... La pluie se calme un peu, c'est le bon moment pour scruter à nouveau. Une lumière ! Bon sang, je vois une lumière à l'horizon ! - Capitaine ! Capitaine, lumière devant nous, légèrement à bâbord ! En-dessous, la dispute s'arrête net, et la voix du capitaine tonne : - T'es sûr de toi, Ratson ?! - Ouais, capitaine ! - J'la vois aussi ! crie le second Wilson. Si c'est le phare des bretons, c'est pas bon pour nous ! - Bien sûr que c'est pas bon, crétin ! On va droit vers les récifs ! Le capitaine pousse le marin qui tenait la barre. C'est le gros Gordon, et il s'étale de tout son long sur le pont. Bien fait pour sa gueule ! J'ai pas le temps de rigoler : le capitaine vire à tribord toute. Moi, je me cramponne au mât de toute mes forces pour pas tomber. J'ai pas envie de descendre ; quand les gars en bas sont énervés, ils s'en prennent toujours à moi. Comme je suis le plus jeune et le plus petit, je me ramasse des taloches même quand j'ai rien fait de mal ! Le capitaine redresse la barre. Le navire file droit devant, les voiles gonflées par le vent. Ce vent colle aussi mes vêtements trempés à ma peau, et je claque des dents tellement j'ai froid. Pas le choix, il va falloir que je redescende. Ça serait bête d'attraper mal, juste avant de retrouver maman... J'ai plein de choses à lui raconter. On a été jusqu'en Italie, on a franchi le détroit dont j'arrive jamais à prononcé le nom. Et puis... non, il vaut mieux pas que je lui parle des putains. Mais je suis un homme maintenant, elle va le deviner de toute façon. Un fils peut pas cacher grand chose à une mère... A contrecœur, je quitte la vigie, mon nid en haut du mat, et je descends. Je prends mon temps, histoire de repérer les gars les plus énervés pour pas trainer dans leurs pattes. - L'est pas bien puissante, leur lumière ! note le second Wilson. Saloperie d'français, pas fichus d'entretenir leurs phares ! - C'est pas des français, c'est des bretons, abruti ! répond le capitaine. - Mouais, c'est du pareil au même, pour moi... Merde ! Y a le gros Gordon qui s'est mis juste au pied de mon mât ! Il fait mine de pas me regarder, mais je suis pas bête : dès que je vais mettre le pied sur le pont, il va me talocher ! Tout ça parce qu'il a perdu la face quand le capitaine l'a poussé ! De toute façon, sur ce bateau, je suis le seul à qui il peut foutre des raclées ! Mais j'aurais pas treize ans toute ma vie, Gordon, et quand je serais adulte, c'est moi que te tabasserai ta sale gueule de poivrot ! Un choc violent fait trembler le navire. Surpris, je lâche prise et tombe comme une masse sur le gros Gordon. Tiens, pour une fois qu'il fait quelque chose pour moi, faut que ce soit pas volontaire de sa part ! Je vais pour me relever mais, d'un coup, le bateau gîte sur le côté. Le pont est trempé, et je glisse. Ma tête cogne en plein dans le mât. Sonné, je m'étale sur le plancher qui penche de plus en plus. J'ai envie de vomir, la tête qui tourne mais surtout, j'ai peur ! J'ai beau être jeune, j'ai compris ce qui se passe : on est en train de couler ! Toujours allongé sur le pont, je continue de glisser. Comme au ralenti, je vois les gars qui s'agitent, qui perdent l'équilibre, qui tombent. Je vois bien qu'ils crient mais, la tête comme dans la ouate, j'arrive pas à comprendre ce qu'ils braillent. Le bastingage arrête ma glissade. J'essaye de me redresser mais un marin tombe sur moi. Écrasé entre la rambarde et le gros Gordon, j'arrive plus à respirer et surtout, je sens qu'on bascule tous les deux par-dessus bord ! Je m'agrippe comme je peux, mais il y a rien à faire : le gros Gordon est trop lourd, et il m'entraîne dans sa chute. Tête la première dans la mer glacée. Le froid vide d'un coup mes poumons de tout son air. J'ouvre la bouche pour respirer ; c'est un mauvais réflexe, et je bois la tasse. Je sais nager, mais dans une mer agitée, j'ai peur comme jamais j'ai eu peur de ma vie ! Pris de panique, je bats des bras et des jambes comme un fou et parviens à remonter à la surface. A peine le temps de reprendre mon souffle qu'une grosse vague vient me frapper. J'arrive quand même à rester à la surface mais je m'épuise. Je vais pas tenir longtemps comme ça ! Mon cœur joue du tambour, l'eau de mer me brûle les yeux, le froid est rentré dans mes os. Ma tête cogne contre quelque chose qui flotte. Un tonneau vide ! Dans un réflexe de survie, mes deux mains s'y accrochent avec une force qui me surprend moi-même. Mais le garder sur cette mer déchainée, c'est plus facile à dire qu'à faire ! - Là bas ! De l'eau plein les oreilles, je sais pas qui vient de crier. Je cherche autour de moi. Qu'est-ce qu'il veut dire par "là bas" ? Je vois rien du tout, rien que la mer, la pluie et la nuit. Une vague énorme me soulève en haut de sa crête ; je serre de plus belle mon tonneau. Arrivé tout là-haut, je repère enfin ce que le marin désignait : des lueurs, plein de lueurs, pas si loin de nous. Le rivage, la terme ferme, la vie ! Je dois faire un choix : si je lâche le tonneau, j'ai peur de me noyer. Mais le courant m'entraine avec lui dans la mauvaise direction. Tant pis : je l'abandonne et nage vers les lumières. Je nage vers les appels que j'entends à peine, je nage vers la vie que je veux pas perdre ! Mes poumons sont en feu alors que mon corps est gelé. Comme si mes bras et mes jambes voulaient plus m'obéir, ils font n'importe quoi et je coule ! Je coule, je sors la tête de l'eau, je coule encore, je ressors la tête, je coule et cette fois-ci, je remonte pas. J'ai tellement froid que j'ai plus peur. En fait, j'arrive même plus à penser. Je vais mourir sans même m'en rendre compte. Mais le destin a décidé de m'épargner : des mains solides m'agrippent et me tirent hors de l'eau. Sans résistance, je me laisse traîner sur le sable. Le sable ! Le sol, la terre, je suis sauvé ! J'ouvre les yeux : devant moi, il y a un homme que je connais pas vêtu d'un manteau de laine et d'un chapeau plat qui dégouline d'eau. Il me parle dans une langue que je comprends pas. Un autre m'aide à me redresser, mais j'ai la tête qui tourne et mon cœur qui veut pas se calmer. Assis par terre, j'arrive toujours pas à croire que je suis en vie. D'autres ont pas eu cette chance : plusieurs étrangers sont en train de sortir un corps de l'eau. Un d'eux le regardent, fait "non" de la tête, et ils le laissent la face dans le sable. Moi, je l'ai reconnu à ses habits : c'est le capitaine Adams. Je regarde autour de moi : je suis sur une plage encadrée par deux falaises rocheuses. Avec la pluie et la nuit, je distingue pas grand chose d'autres. Je me tourne vers mes sauveurs ; ils discutent dans cette langue que je comprends pas. Derrière eux, il y en a d'autres qui portent secours à mes camarades. L'un d'entre eux se relève, je crois bien que c'est le second Wilson. Aidé par deux hommes, il a du mal à avancer vers une sorte d'escalier taillé dans la roche. Au-dessus de nos têtes, en haut de la falaise, j'arrive à voir la lumière de plusieurs lanternes. A nouveau, un des deux hommes me parle. Je lui fais signe que je comprends toujours rien. D'un geste, il me demande de me lever. Heureusement pour moi, son camarade m'aide car je peux pas y arriver tout seul. Une fois debout, j'ai du mal à retrouver mon équilibre ; tout à l'heure, la panique m'a donné un coup de fouet mais maintenant, je me sens vide comme jamais. Mais je suis vivant ! Maman, je suis vivant ! Les deux étrangers ont compris que je peux pas marcher tout seul, alors il se mettent un de chaque côté et il m'aident. Moi, je me laisse faire. On avance vers l'escalier que j'avais deviné. Taillé dans la roche, ces marches trempées sont glissantes et on doit faire attention. La montée est longue et difficile, mais mes sauveurs sont patients et ils m'aident comme ils peuvent. Enfin, nous arrivons tout en haut de la falaise. Là, le vent froid colle mes vêtements trempés à ma peau mais j'ai même plus la force de trembler. Toujours aidés par les deux hommes, je marche sur une lande spongieuse. Autour de nous, plusieurs étrangers équipés de lanternes nous observent. Je voudrais bien leur dire merci, mais je parle pas leur langue. Plusieurs d'entre eux décident de nous accompagner. Heureux d'être en vie, je remercie la Vierge Marie d'avoir veiller sur moi. Elle m'a protégé, j'en suis sûr ! On se rapproche d'un gros rocher qui trône au milieu de la Lande. Soudain, alors qu'on l'a presque atteint, mes deux sauveurs me lâchent. Surpris, je peux pas retenir ma chute et m'étale de tout mon long. Ils auraient pu me prévenir ! Je me redresse et ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Aucun son sortira plus jamais de ma bouche, je le sais, car je vais mourir. Pourquoi ?! Pourquoi nous sauver si c'est pour faire ça ?! Pourquoi ?! Immobile sur le sol, j'arrive pas à quitter des yeux ce que j'ai pris pour un rocher. Les lanternes des étrangers dissipent mes doutes et mes espoirs : ce qui me fait face, c'est pas un rocher, mais un tas de cadavres ! Mes camarades tout couverts de sang, entassés comme des carcasses de viandes chez le boucher ! Je me retourne mais il est déjà trop tard ; un lourd bâton me frappe en pleine tête. La douleur explose en moi. Ils me frappent encore et encore. Ma rotule saute sous l'effet d'un coup, mes côtes se fracassent, ma mâchoire se décroche. Avec plein de questions et autant de regrets, je plonge dans la mort.
Dernière édition par Faust Federel le Jeu 23 Aoû 2012 - 9:42, édité 1 fois |
| | | Invité / Invité Mer 22 Aoû 2012 - 20:53 | |
| Je vote pour la version fruste. Rien que pour le maroufle, j'adore ce mot Non, franchement, je trouve que ça peut vraiment apporter quelque chose au texte, surtout qu'au final, ça ne gêne pas spécialement la lecture.
Dernière édition par Ehweyn le Jeu 23 Aoû 2012 - 12:28, édité 1 fois |
| | Nombre de messages : 247 Âge : 25 Date d'inscription : 07/05/2012 | Ocelline / Autostoppeur galactique Mer 22 Aoû 2012 - 21:02 | |
| Bonjour,
Personnellement je préfère la version frustre car elle s'accroche à nous, c'est rythmé et le tout est facilement lisible, en plus si cela colle avec l'histoire c'est le must. Dis-moi as tu posté le roman sur lequel tu as travaillés cette scène ? J'apprécierais beaucoup de le lire :smile |
| | Nombre de messages : 1906 Âge : 49 Localisation : Roazhon (Rennes) Pensée du jour : Cthulhu is my best fiend... Date d'inscription : 24/01/2011 | Faust Federel / Journal du posteur Mer 22 Aoû 2012 - 22:03 | |
| Merci à toutes les deux pour vos avis. Si ça reste fluide et agréable à lire, ça me rassure. Perso, je préfère aussi la nouvelle version que j'ai écrite, qui a plus de saveurs que l'autre (en particulier, j'aime bien les jurons imagés du Moyen-Age, et là, je me suis fait plaisir ^^).
@ Oceline
Tu peux lire ici le début de mon roman : http://jeunesecrivains.superforum.fr/t24837-une-poignee-de-coquillages-fantastique-moderne
Pour l'instant, cette fameuse scène sur laquelle j'ai besoin d'un avis (qui arrive assez tard dans ce que j'ai posté) est restée à l'ancienne version...
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| | Nombre de messages : 3829 Âge : 112 Localisation : Haute-Garonne Pensée du jour : "Toute personne qui aime la musique ne sera jamais vraiment malheureuse"- F. Schubert Date d'inscription : 29/08/2011 | Molly / Sang-Chaud Panza Jeu 23 Aoû 2012 - 9:18 | |
| Je préfère aussi la version "vieux français" un peu fruste (et pas "frustre", désolée de jouer les profs de français (ce que je ne suis pas)). Elle est effectivement plus savoureuse. Après, c'est vrai que je ne lirais peut-être pas tout un roman écrit dans ce style, ça peut devenir lassant, surtout à cause du côté un peu répétitif de ce genre de construction : "Le gros Gordon, il jacte que des balivernes" ; "Moi, je me laisse traîner sur le sable."; "Moi, je tourne les yeux tristeusement " etc. Sinon, j'ai relevé deux trois coquilles : - Citation :
- Je reprends mon souffle et sitôt une grosse vague me frapper la trogne
frappe - Citation :
- Autour de moi, il y a une plage avec à destre et à senestre deux falaises de roche. Avec la pluie et la nuitée, je vois pas grand chose d'autre.
Répétition (mais c'est p'tre voulu ?) - Citation :
- Merci, Vierge Marie, merci d'avoir veiller sur moi !
veillé - Citation :
- entassés comme des carcasses de viandes chez le boucher
viande Y'en a p'tre d'autres, mais j'ai un peu la flemme. En tout cas, c'est vivant, enlevé, ça donne envie de lire la suite. Bonne continuation ! |
| | Nombre de messages : 1906 Âge : 49 Localisation : Roazhon (Rennes) Pensée du jour : Cthulhu is my best fiend... Date d'inscription : 24/01/2011 | Faust Federel / Journal du posteur Jeu 23 Aoû 2012 - 9:51 | |
| Salut Molly et merci pour ton avis. - Molly a écrit:
- Je préfère aussi la version "vieux français" un peu fruste (et pas "frustre", désolée de jouer les profs de français (ce que je ne suis pas)).
Argh... J’ai fait sans m’en rendre compte un mix entre « fruste » et « rustre », ce qu’il est aussi d’ailleurs. - Molly a écrit:
- Elle est effectivement plus savoureuse. Après, c'est vrai que je ne lirais peut-être pas tout un roman écrit dans ce style, ça peut devenir lassant, surtout à cause du côté un peu répétitif de ce genre de construction : "Le gros Gordon, il jacte que des balivernes" ; "Moi, je me laisse traîner sur le sable."; "Moi, je tourne les yeux tristeusement " etc.
En effet, un roman entièrement écrit avec ce style, je pense que ça deviendrait très vite indigeste (et à écrire, je n’en parle même pas…). Ce passage posté est le seul avec cette narration. Malgré tout, j’avais peur, au vu de sa longueur, que sa lecture en soit pénible. Visiblement, ce n’est pas le cas. Tant mieux. |
| | Nombre de messages : 247 Âge : 25 Date d'inscription : 07/05/2012 | Ocelline / Autostoppeur galactique Jeu 23 Aoû 2012 - 11:44 | |
| Hey,
Je go le lire Faust ! |
| | | Invité / Invité Jeu 23 Aoû 2012 - 16:47 | |
| Personnellement je voterais pour la version "classique". N'étant pas français (de France), je comprend complétement rien aux expressions utilisées. Si ça serait en jargon québecois je n'aurait pas de misère, mais en jargon français, pour moi, c'est incompréhensible. Bah, je comprend un peut, mais c'est difficile. |
| | Nombre de messages : 1906 Âge : 49 Localisation : Roazhon (Rennes) Pensée du jour : Cthulhu is my best fiend... Date d'inscription : 24/01/2011 | Faust Federel / Journal du posteur Jeu 23 Aoû 2012 - 20:34 | |
| Ah mince. Au contraire, je croyais que les québécois avaient conservé pas mal d'expressions que nous avions perdu en France... Tabernacle ! Faut que j'essaye de ne conserver que ce qui est facilement explicite et virer quelques termes plus rares (genre "à l'anjorner" qui signifie "à l'aube"... j'ai hésité mais je pense que peu le comprendront vraiment...) |
| | Nombre de messages : 3829 Âge : 112 Localisation : Haute-Garonne Pensée du jour : "Toute personne qui aime la musique ne sera jamais vraiment malheureuse"- F. Schubert Date d'inscription : 29/08/2011 | Molly / Sang-Chaud Panza Jeu 23 Aoû 2012 - 21:33 | |
| En même temps, si on ne comprend pas tout, ce n'est pas très grave... Ça participe au charme, je trouve... |
| | | Invité / Invité Ven 24 Aoû 2012 - 12:42 | |
| Je suis assez d'accord avec Molly... ça donne du charme à ton texte. Et je trouve qu'il vaut mieux que tu le fasses vraiment, si tu ne mets pas assez d'expressions et de tournures, ça risque de vite devenir "artificiel"... |
| | Nombre de messages : 1906 Âge : 49 Localisation : Roazhon (Rennes) Pensée du jour : Cthulhu is my best fiend... Date d'inscription : 24/01/2011 | Faust Federel / Journal du posteur Ven 24 Aoû 2012 - 15:23 | |
| OK. De toute façon, je pense ne reformuler que les termes les moins explicites (je suis d'accord, avec trop peu de termes médiévaux, la sauce ne prendra pas).
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