1.
applique
ton écriture
fais-la belle
gracile
douillette
enrobée de toutes les gourmandises
qui garnissent tes doigts
eux qui toujours
se glissent
pour me retenir
je veux t’entendre
applaudir
lorsque tu tiendras
la corbeille de fruits
ce recueil de Tagore
qui m’a accompagné
toutes mes années d’apprentissage
je veux te voir
y trouver
toutes les accumulations
les histoires en pâtes
que tu pourras modeler
après mon passage
arpente avec moi
les nœuds
qui me tiennent
les ponts
les fils
les mouvements
d’eau
qui frémissent à ton approche
et toutes ces grâces
l’or posé
au-delà de ton front
cintré de tes cheveux blonds
c’est l’essence
qui fait mouvoir
mon corps
qui demain
aura passé un an
à croire en ta foi
2.
Imprégné
Ce n'était pas que ta rousse toison,
Qui me brûlait les yeux de passion.
Ce n'était pas que ce goût,
Ou ces baisers, sucrés,
Déposés dans mon cou.
Pas plus que ton esprit,
Qui m'avait vraiment conquis.
C'était la combinaison des senteurs.
Le Rêve d'un violet champ de fleurs.
En tout lieu, à toute heure, il n'y a bien que lui,
Pour te voir dans la foule, ton parfum patchouli.
Me combler de bonheur, apaiser mes aigreurs.
Malmené par la houle, grâce à lui je souris.
A présent continue, cette vie sans fantaisie.
Je revêts ton marbre d'essence de patchouli,
M'en imbibe l'écharpe, héritage de ta vie,
Avec toi dans les fleurs, illumine mon esprit.
3.
La mouche et le moustique, conférence
La mouche et le moustique ont à juste raison
réputation fâcheuse et provoquent la bile.
Je suis ici ce soir pour trancher la question :
de ces deux animaux lequel est le plus vil ?
Le moustique, ma foi, fait preuve de courage,
risque vraiment sa peau en irritant la nôtre,
je connais maints tailleurs qui en firent carnage,
pour mener la croisade, on trouve des apôtres.
Le moustique, c’est vrai, transporte quelques germes,
Il le fait malgré lui, comme un éternuement,
Il n’est pas responsable, il faut peser ses termes.
Le moustique, après tout, n’est pas vraiment méchant.
Mais la mouche ! affidée de Satan, être infâme,
elle nous nargue et rôde et sans fin nous inspecte,
elle attend notre mort, la nécrophile infecte,
en nous, pondra ses œufs- et souillera notre âme.
Elle bourdonne impunément, nous tourne autour,
c’est l’ombre du Malin qui rit à nos oreilles,
se pose sur la bouche, agace, nous réveille.
C’est l’enfant de Caïn aux millions d’yeux vautours.
Les Anciens le savaient, leur « Belzébuth » le dit.
Elle ne mange pas, mais défèque pourtant,
laisse partout sa trace, imprègne le vivant
de sa noirceur. A l’opposé- un paradis !
laissons-nous envahir… l’océan Pacifique…
les vagues qui s’ébrouent, au loin sur le récif,
les palmiers indolents, un doux bonheur natif
et le chant, si léger, courageux, du moustique.
4.
il est des nuits comme ça d'où l'on revient de tout
un regard dans un miroir qui pleure sur nos mains
il est des nuits comme ça qui ont peur du matin
où l'on revient de tout parce que de rien justement
le temps d'une cuvette ,le temps d'y régurgiter son âme
rien du tout
rien qui grandit ,qui se bat , qui se nomme
que du vin sur le plancher
un petit dégât
il est des nuits comme ça
5.
L’urgence
du réveil brulant
m’inonde elle m’engloutit
comme c’est bon la seconde
La seconde avant de se rappeler
Que la terre s’est retournée
je voudrais me lover
dans cette seconde l’étendre et m’étirer
et l’étendre en faire un canapé plus deux fauteuils
un petit tapis aussi une cheminée
L’étendre jusqu’à faire une fenêtre une heure tranquille et froide
jusqu’à ne plus me connaitre jusqu’à ne plus
reconnaitre
le départ et la porte close
sur le vide l’étendre plus gros que moi
gros comme une ville
et deux et trois
en bannir mon ventre et naviguer sans ventre
dans l’immensité par mon vaisseau
et dormir avec la sérénité de ceux qui s’éveillent
Enfin
6.
Quand les feux passent au rouge
Les enfants enhardis
S'élancent sur la route
Comme ils courent sur la vie
Quand les feux passent au rouge
Un conducteur excédé
Au klaxon fébrile
Les regardent passer
Quand les feux passent aux rouges
Des grands-mères aux fenêtres
Font claquer leur langue
Sur cette jeunesse indolente
Quand les feux passent au rouge
Les bons adultes savent
Que c'est une perte de temps
De prévoir tant de vert
Pour les feux des enfants
7.
Cent ans de Moby Dick
J’ai vu ce matin
Dans l’ombre des peupliers
Que la pluie apporta
Des fleurs d’où semblaient naitre
Ces sourdes histoires
Que la solitude amena
Leurs parfums sillonnaient
Les centaines de portraits
Que j’aurai pu avoir
Si je m’étais levé
Pour que n’éclose
Les poissons aux rires noirs
J’ai des cachalots blancs
Perdus à la dérive
Qui peuplent mes abysses
Car les harpons tranchants
Recouvrent la surface
D’un tas d’immondices
Devant les miroirs s’éteignent
Les brises stagnantes
De cette duchesse des mers
Je m’oublie et je me perds
Je ne sais même plus si j’existe
Ou si tout n’est qu’amer
Je ne suis qu’une personne sans sève
Qui chaque soir peint dans ses rêves
Qui ne verront jamais jour
Tous les portraits
Que j’aurai pu avoir
Si j’avais agi pour
Si seulement j’avais
Si seulement j’étais
8.
A son corps défendant
Sur tous les claviers à ma portée, j’entame
Comme autant de fugues désespérées, mon âme,
Claudiquant et nu, préservant le secret
Que l’averse cruelle éliminerait d’un trait,
T’écrivant à la craie : je t’aime, et ton oreille
Offre le seul repos qui encor m’émerveille,
T’écrivant au fusain : je t’aime, et dans ton sein
S’entend le seul accord qui ne sera pas vain.
Mais sous l’auvent, terré, dans l’alcôve, embusqué,
A l’abri des feux de ma clandestinité
Je signe à contrecœur l’aveu qui me désarme :
La pluie n'y est pour rien, c'est chaque fois mes larmes
Qui encrent et portent mes jambes se sauvant
Vers l’alcôve, terré, embusqué sous l’auvent,
Elles me rappellent que je suis bien ici
Bien ici, mon âme,
Bel et bien ici.
9.
Cycle
Novembre s'éteindra dans un feu de joie.
Je brûlerai ses mots dans l'eau et le sel,
Sous le feu des beaux jours et l'âme éclairée,
Par le soleil de juin, renouveau éternel.
Les beaux jours reviendront, un mensonge enrobé,
D'un manteau de fruits mûrs et de crème solaire.
J'irai danser nu-pieds sur la tombe de l'hiver,
En oubliant mes maux, un instant libérée.
Les beaux jours reviendront, et je craindrai le froid.
Le souvenir des longues nuits viendra couvrir le ciel.
Condamnée au courroux des saisons enchaînées,
Je trouverai mon confort dans la morsure du gel.
10.
Elle aime
Quand il vient se loger
Dans le creux de son lit.
Elle aime
Regarder à ses côtés
Comment tombe la pluie.
Elle aime
Ses deux yeux verts,
Où elle peut lire la tendresse
Quand elle lui offre sa cuisse,
Et des poignées de caresses.
Quand elle brosse son dos,
Qui se courbe sous ses doigts.
Quand elle lui sert son eau,
Quand il ronronne tout bas.
Elle prend,
Avec effroi,
Ses offrandes, ses cadeaux.
Une mésange ou un rat
Qu’elle enterre aussitôt.
Elle retrouve,
Près de lui,
Celui qui la quitta.
Et sèche ses larmes la nuit,
Le serrant dans ses bras.
11.
Incertitude poétique
Je n'ai pas mis de poème à
Votre coeur
Je n'ai pas mis d'inclinaison à
Mon amour
Je n'ai pas, je n'ai rien à
Je n'ai pas le sommeil à
Je n'ai pas plus à ce miel à
Où vous n'existiez pas
Dans ce miel où
Vous n'existiez pas
Dans la boue où
Vous n'existiez pas
Je n'avais plus à où
Mon coeur
De poème
Mon amour
D'inclinaison
Où je n'ai plus à
Rien
De sommeil
Où vous n'existez pas
Dans le miel dans la boue
Mon amour votre coeur
Dans ce poème où
Plus à moins miel boue
Vous n'existez pas.
12.
Qu'il vibre le tambour par qui le sang et l'eau
se mêlent
dans la clepsydre aux frayeurs souterraines
Dessus sa peau frappée par les bâtons les os
qu'éclatent les douleurs les rouges noires déveines
Entre tes bras de pieuvre
la nuit de tes cheveux
le sang le feu
comme la barque dans la mer
que s'engloutissent
mes râles
comme la lune dans l'oubli
que tissent
ces points bénis -vomis où tout néant s’embrase
Sorcellerie païenne où la femme et la flamme
hurlent
d'une même voix une même douleur
qui dépouille mes mots et m'arrache les veines
– Et carmins que des vers ardents jaillissent de ma peur –
La Terre et la terreur dans le dément galop
de mon cœur éclaté marqueront le tempo
le primordial élan qui naquit du chaos
et dont tous mes poèmes
ne sont qu'un pâle écho
13.
Hier j’ai nagé dans un lac de sang
Vous me l’aviez demandé si gentiment :
La main sur mon épaule blanche qui pulsait
Doucement les oiseaux de la rive s’envolaient.
Hier j’ai plongé dans un lac de sang
Vous m’aviez juré que j’y tairais mes tourments
J’ai trouvé des poissons, des galets ronds et gris,
Les formes fuyantes de vos sirènes amaigries.
Hier j’ai réchappé d’un lac de sang
Les roseaux m’ont dit que vous étiez absent
Que vous n’aimeriez pas ma chair écorchée
J’étais rouge, trop rouge pour être relâchée.
Depuis je tourne dans un lac de sang
Je regagne les rives lorsque je vous entends
Les roseaux m’ont dit qu’il me restait peu de temps
Et je songe à ce rouge, tout ce rouge ravissant.