1.
Qu'il vibre le tambour par qui le sang et l'eau
se mêlent
dans la clepsydre aux frayeurs souterraines
Dessus sa peau frappée par les bâtons les os
qu'éclatent les douleurs les rouges noires déveines
Entre tes bras de pieuvre
la nuit de tes cheveux
le sang le feu
comme la barque dans la mer
que s'engloutissent
mes râles
comme la lune dans l'oubli
que tissent
ces points bénis -vomis où tout néant s’embrase
Sorcellerie païenne où la femme et la flamme
hurlent
d'une même voix une même douleur
qui dépouille mes mots et m'arrache les veines
– Et carmins que des vers ardents jaillissent de ma peur –
La Terre et la terreur dans le dément galop
de mon cœur éclaté marqueront le tempo
le primordial élan qui naquit du chaos
et dont tous mes poèmes
ne sont qu'un pâle écho
2.
Larmes de sel, ondulations
Encrent le fard, simples sillons
Rouges vermeil, courbure d’ancre
Onde de choc, le corps se cambre
Un cri du cœur soudain qui vient
Griffer le jour dès le matin
Et tout ce vide et tout ce rien.
3.
Seul pigment qui mente
Quels yeux surmontés de quels sourcils fléchés
Iront chercher secours ou n’importe lequel
Des gonflements d’amour de secrète aquarelle,
Le clair ou le froncé de cette couleur-là,
Celle des auspices de Lucile éméchée,
Ne distinguera guère quoi qui coula
C’est Lucile vivante
Qui nous consomme, essence de nos existants,
La pudeur dévorant, férocement aimante,
Ses humeurs s'enroulent irrésistiblement
Dominant tout mélange de tant de tons charmants.
4.
Feu, tapis, carton, croix ou peau…
Il bouge, le cochon qui fouge
mais je n’ai ni gouge ni vouge...
Pour les rimes, ça va. Repos.
Velours… cochenille, un écrin,
pourpre, sanguine, cornaline,
charme
effeuillé. Jeux, cartes, livrets.
Bordeaux, carmin, pivoine,
garance, cerise, incarnat,
grenat, vermillon, nacarat.
Notés, tous les termes idoines.
Feu… grégeois ! cœur ardent, je sens
tes lèvres tes baisers, nos sangs,
matière ignée, douce flambée,
flammes, flammèches, incendies.
Joli minois, cœur de phosphore.
Lame
lame qui
lame acérée file encore
ô gorge, jusqu'à Carthage
Aurore aux doigts de rose – Céleste !
saccage
Ah ! Carthago delenda est !
(mon chant de… gorge en gage)
sous-peau. Soupons
goûtons
ces mignardises, macarons,
virevoltants jupons
dessous coquins dentelles
ces chapelets de mots perdus
dans cet afflux
flux et reflux de ces menstrues
pas de tabou car sous nos gestes
nos cœurs s’embrasent tournés vers l’Est
Groseille
griotte arbouse airelle
cassis
cerise à ton oreille
myrtille
fraises framboises sucrées
ROUGES.
5.
ROUGE PASSION
Ils recouvrent le vert de rouge
Prétendant avoir repeint le jaune en vert
Ils s’indignent de l’écarlate qui macule d’autres murs
Et tu penses devenir fou
Tu crois perdre la tête
Tes yeux te trompent-ils ?
Gare à toi si tu vois autre chose
Qu’un beau vert prairie, qu’un beau vert sapin !
Et si le pourpre devient trop vif
Si tu ne peux plus l’ignorer, s’ils ne peuvent plus le couvrir
Alors ne t’avise pas d’y voir autre chose
Qu’un furieux rouge passion
Un torride rouge amour
Et non le sang dont les barbares
(les autres ! pas eux ! pas eux !)
Remplissent les rivières
6.
Hier j’ai nagé dans un lac de sang
Vous me l’aviez demandé si gentiment :
La main sur mon épaule blanche qui pulsait
Doucement les oiseaux de la rive s’envolaient.
Hier j’ai plongé dans un lac de sang
Vous m’aviez juré que j’y tairais mes tourments
J’ai trouvé des poissons, des galets ronds et gris,
Les formes fuyantes de vos sirènes amaigries.
Hier j’ai réchappé d’un lac de sang
Les roseaux m’ont dit que vous étiez absent
Que vous n’aimeriez pas ma chair écorchée
J’étais rouge, trop rouge pour être relâchée.
Depuis je tourne dans un lac de sang
Je regagne les rives lorsque je vous entends
Les roseaux m’ont dit qu’il me restait peu de temps
Et je songe à ce rouge, tout ce rouge ravissant.
7.
"Rouge le foulard autour de son cou
Rouge sa mémoire à jamais debout" R.S.
Rouge gorge chante
Sur le cerisier
Les gouttes de sang
Qu'on a oublié.
***
Rouge-gorge chante
Alors que l'aube pointe
Dans un ciel pleureux
Aux horizons écarlates
Comme un soleil qui hurle
Fou Dans un bordel saccagé
Rouge-gorge chante
Pour fustiger
Les merles moqueurs
Qui tourmentent l'étourneau
Sur le champs de ruine des mots
Rouge-gorge chante
Les noms effacés
Sous la pluie battante
Batterie du temps hémophile
Qui ne fait que narguer
Les morts-vivants anonymes
Rouge-gorge chante
Du haut de la butte
Où la vigne vermeille
Suce le sang des copains
Quand les jeunes amoureux
Baisent sur leur charnier
Rouge-gorge chante
Même Rose sous les coups de Jules
Car être de la Tierce
Est parfois pire qu'une quarte
Qu'on augmente
Rouge-gorge chante
Cette saint-Vincent de la butte
Car les poètes et les putes
sont amies comme amantes
Rouge-gorge chante
Se soulève, souffre
Se met en grève, se promène
En liberté, dans les jardins
Mal fréquentés
Rouge-gorge chante
En attendant les pinsons
Qui soutiendront l'aube
Au matin où
Les pont-levis de l'amour
Seront hérissés à l'horizontal.
***
Rouge gorge chante
Depuis des siècles
Veille, comme la chouette
Qui s'envolera
Au lendemain du grand soir.
8.
Couché de soleil
J’ai l’amour qui hurle
Au gré des vagues
Le soleil coule
Son jus est rouge
Comme celui d’une orange sanguine
Qui coule sous les pavés
Je ne vois que cela
L’écume bouillante
Reflétant
Le bruit du jus acide
Rouge
Et sucré
De cette orange
Qui s’éteint dans le ciel
Elle glisse doucement
Vers l’horizon
L’orange s’obscurcit
Devient rouge
Puissante
Mais vacille
J’ai peur de me voir
Assis sur la plage
Impuissant
Et de voir se perdre
La rougeur de mes élans d’antan
Et la rougeur de mon vote
Devenir
Oublié des abysses.
Je bois un dernier verre de jus.