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| Le subjonctif imparfait : tempus non grata ? | |
| | Nombre de messages : 11 Âge : 29 Localisation : Quelque part dans une citation de Romain Gary. Pensée du jour : "Le juste milieu. Quelque part entre s'en foutre et en crever. Entre s'enfermer à double tour et laisser entrer le monde entier. Ne pas se durcir mais ne pas se laisser détruire non plus." R.Gary Date d'inscription : 18/05/2023 | Heavenly / Homme invisible Sam 31 Aoû 2024 - 13:36 | |
| Hello tout le monde ! Actuellement dans la phase de réécriture de mon dernier roman (un polar), je suis en train de retravailler mon incipit et se pose pour moi un cas de conscience. Mon roman est écrit à la troisième personne et au passé (traditionnel socle passé simple/imparfait). Il se trouve que le deuxième paragraphe de mon prologue débute par un subjonctif imparfait : « Qu'il se trouvât »C'est le seul qui apparaisse dans tout le prologue (qui fait environ 1500 mots). Ça s'est présenté comme ça au moment de formuler les choses, et globalement la phrase dont il est question – tant au niveau de sa construction que de sa musicalité – me plait ainsi. Mais voilà... Ce n'est pas si courant. Et par « Ce n'est pas si courant », oserais-je dire qu'une petite voix derrière l'oreille me murmure : « Ça va faire pompeux, le lecteur peut lâcher d'emblée en se disant que l'autrice se regarde écrire alors que je ne lui ai pas encore montré que je n'avais rien à voir avec Proust ! ». Normalement, le subjonctif imparfait est d'usage avec l'imparfait comme temps du récit. Or, de nos jours, on utilise davantage le subjonctif présent avec l'imparfait, quitte à transgresser le principe de concordance des temps. L'usage est si majoritaire qu'il est désormais considéré comme standard à l'écrit, et je dois dire que je n'ai rien de spécial contre ça (je suis linguiste dans la vie, et plutôt dans le camp des partisans d'une langue qui évolue aussi avec son époque...). Néanmoins, je le trouve élégant, moi, ce subjonctif imparfait (à la troisième personne du singulier, du moins, parce que les "que je bavardasse", ahem...), et j'ai peur qu'à trop vouloir éliminer ce genre de saines aspérités, on les condamne à disparaître, de la même façon que cette merveille qu'est le point-virgule se raréfie. S'il se trouvait plus loin dans le récit, dans un endroit où l'intrigue serait installée et le lecteur plus susceptible d'être pris dans l'histoire, je ne me serais même pas posé la question et l'aurait laissé tel quel. Mais là, il débute le deuxième paragraphe, et est donc visible au premier coup d'œil pour le lecteur/comité de lecture qui en prendra éventuellement connaissance. En tant que lectrice, je suis une amoureuse des tournures soignées et des usages littéraires, tant que cela ne vient pas nuire à l'histoire. Dans les débuts de mon parcours d'autrice, j'avais néanmoins tendance à en abuser, et je ne veux plus que cela arrive. Le problème, c'est que pour parer cela, je me mets à tout suranalyser, à tout trouver potentiellement "pompeux", même quand mes bêta-lecteurs me disent que ce n'est pas le cas et que c'est dans ma tête, et cela revient inconsciemment à infantiliser le lecteur... Je ne veux pas de ça non plus (y en a, décidément, des choses dont elle ne veut pas, cette nana... ). Résultat des courses : alors que c'est mon métier et que je n'ai aucun mal à le faire avec les écrits des autres, je suis devenue une piètre juge pour trancher ce genre d'ergotage avec les miens. J'ai pensé à reformuler, bien sûr, mais après plusieurs variantes testées, cette tournure demeure celle qui me plait le plus à l'oreille (et c'est un point très important à mes yeux). Du coup, j'en appelle à votre expérience et à votre propre perception du subjonctif imparfait, aussi bien en tant qu'auteur qu'en tant que lecteur. Vous posez-vous des questions au moment de l'utiliser, en particulier au début d'un récit ? L'utilisez-vous, d'ailleurs ? En tant que lecteur, son usage vous gêne-t-il ? Et sinon, y a-t-il selon vous des genres où son usage est plus périlleux (je pense évidemment aux genres populaires).Merci. |
| | Nombre de messages : 148 Âge : 36 Localisation : Tôkyô en la plaine de Musashi Pensée du jour : "...choisis et laisse le reste, sans déclamer contre ce reste, uniquement parce qu'il n'a pas le talent de te plaire. Songe qu'il plaira à d'autres, et sois philosophe." Date d'inscription : 08/06/2024 | Zinzol / Barge de Radetzky Sam 31 Aoû 2024 - 15:14 | |
| Bonjour Heavenly, Je ne saurais être impartiale non plus : grande amoureuse de la langue classique, je suis davantage dérangée par l'absence que par la présence d'un subjonctif imparfait C'est à dire que son absence perturbe pour moi la concordance des temps. Mais c'est là question d'habitude, de contexte et de goût personnel. Il me semble, par expérience (je n'ai d'autre qualification que ma pratique de l'écriture), qu'il est des cas où le subjonctif présent a valeur de subjonctif imparfait : les deux sont équivalents et le présent n'altère alors ni le sens ni la compréhension. En revanche, dans d'autres, le subjonctif imparfait est la seule solution au regard de la logique de la phrase. Je cherche des exemples. Peut-être pourrais-tu indiquer la phrase complète qui te soucie ? |
| | Nombre de messages : 195 Âge : 24 Pensée du jour : à jamais overbooked, aaaaaaaaaaaaaah Date d'inscription : 08/03/2024 | chevalierrr / Tycho l'homoncule Sam 31 Aoû 2024 - 15:41 | |
| Je n'ai pas d'expérience professionnelle sur laquelle appuyer ma réponse, mais moi aussi j'ai eu ce dilemme avec mon roman en cours. J'ai écrit tout avec le subjonctif imparfait pour respecter le principe de la concordance des temps, mais il fallait vraiment que je me fasse violence pour m'en rappeler et je revenais naturellement au subjonctif présent quand je n'y faisait pas attention. Puis, en lisant des livres de fantasy (principalement des traductions d'auteurs anglophones) dans le même esprit que ce que j'écris, j'ai remarqué qu'on ne s'embêtait pas avec ça. Du coup, j'ai décidé de tout remplacer à la relecture puisque ce subjonctif imparfait me fait tiquer de toute façon. Pour référence, niveau grammaire etc je suis plutôt une bille, mais j'utilise avec fierté le point-virgule !
C'est vrai que c'est un temps qui "date" un peu et qu'on ne retrouve plus trop dans les textes contemporains. Cela étant dit, je n'ai pas de problème à le lire chez d'autres et dans mon esprit je ne me dis pas que ça rend l'auteur pompeux. Dans les traductions de Tolkien que j'ai lues, le sub. imparfait était utilisé et ça ne m'a pas choqué à par pour les formules extrêmes peu courantes qui passe moins facilement, type "que je bavardasse" comme tu as cité en exemples.
Je pense que tu peux tout à fait employer le sub. imparfait dans ton texte si ça te vient naturellement. Après, j’avoue que ça me ferait bizarre de le rencontrer dans certains genres ou avec certaines ambiances (romance contemporaine, feel good, comédie), mais pas de là à jeter le bouquin à la poubelle tellement ça me répugne. Pour ton cas, avec un polar à priori destiné au public adulte, avec des meurtres et une enquête de police, ça ne devrait pas gêner.
Je vois ça comme l'histoire de "cette après-midi" ou "cet après-midi" : c'est selon l'habitude de la personne qui écrit et le lecteur comprendra la phrase quoi qu'il arrive. |
| | Nombre de messages : 325 Âge : 30 Localisation : France Pensée du jour : Écrire est un travail Date d'inscription : 01/12/2020 | Sasha Dahanramsar / Tapage au bout de la nuit Dim 1 Sep 2024 - 17:27 | |
| Vous posez-vous des questions au moment de l'utiliser, en particulier au début d'un récit ? L'utilisez-vous, d'ailleurs ? Je ne me pose aucune question et je l’utilise. Ma philosophie avec la langue, comme avec tout le reste d’ailleurs, c’est suivre parfaitement les règles logiques et bonnes, transgresser parfaitement les règles illogiques et néfastes. La concordance des temps est une règle logique et non néfaste. Donc je la suis.
En tant que lecteur, son usage vous gêne-t-il ? Absolument pas, et comme Zinzol, c’est son absence qui va me gêner.
Et sinon, y a-t-il selon vous des genres où son usage est plus périlleux (je pense évidemment aux genres populaires). Je ne comprends pas en quoi un subjonctif imparfait causerait un péril. Il indique un mode et un temps d’une action en accord avec le reste du texte. Il aide à la compréhension, donc. C’est l’inverse d’un péril pour moi. Maintenant, je vois la question derrière la question. Si le péril c’est le stéréotype pompeux accolé au subjonctif imparfait, je dis que les stéréotypes on les emmerde. Mets ce subjonctif imparfait et laisse les haineux dans leur coin.
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| | Nombre de messages : 244 Âge : 49 Date d'inscription : 21/11/2021 | Lynkha / Autostoppeur galactique Lun 2 Sep 2024 - 13:47 | |
| Bonjour, Déjà, d'un point de vue de lectrice, un « Qu'il se trouvât » ne me pose aucun souci de lecture D'un point de vue autrice, après quelques tâtonnements, j'ai fini par adopter la position suivante : tous mes subjectifs imparfaits sont remplacés par des subjonctifs présents, sauf dans le cas d'expressions bien connues tel que "fût-il / fût-elle / eût-il / eût-elle". En effet, si le subjonctif imparfait à la 3e personne du singulier s'adapte très bien dans un texte, les autres personnes ont tendance (selon ma perception) à heurter la lecture et à donner cette sensation de "pompeux" que tu mentionnes. Comme je ne sais jamais en commençant à écrire si je vais avoir besoin de ces autres personnes, que je pense qu'il est mieux d'uniformiser l'usage dans tout le roman et qu'il est admis, même dans la langue écrite et dans un texte au passé, d'employer le subjonctif présent, je suis arrivée à cette décision, même si je suis d'habitude très respectueuse de la grammaire (j'adore le point-virgule ). Bien sûr, chaque texte est différent et il peut y avoir de très bonnes raisons de continuer d'employer le subjonctif imparfait dans la langue française. |
| | Nombre de messages : 1264 Âge : 37 Date d'inscription : 11/07/2022 | Mika / Tentatrice chauve Lun 2 Sep 2024 - 15:16 | |
| Perso j'utilise le subjonctif imparfait sauf "les putes en -asse" on ne les utilise plus et ça me choque de lire ça donc je les remplace par du subjonctif présent. |
| | Nombre de messages : 978 Âge : 33 Date d'inscription : 30/03/2020 | Kavanaugh / Bile au trésor Lun 2 Sep 2024 - 15:58 | |
| Ce serait peut-être plus facile de te répondre avec la fameuse phrase, voire même avec les deux paragraphes ! Certains subjonctifs imparfaits sont plus fluides que d'autres.
J'ai un a priori sur l'utilisation du subjonctif imparfait, que je perçois effectivement comme pompeux et vieilli (cela dit, ça ne me dérange pas du tout d'en croiser quelques uns dans un texte). Donc forcément, je comprends ton interrogation d'en placer un dès les premières lignes du roman : dans tous les cas, il risque effectivement d'accrocher le regard. Qu'il soit perçu négativement ou positivement d'ailleurs (De « Olala, dans quoi je me suis embarquée avec ce roman » à « Ah, enfin un.e auteurice qui se sert de tout le panel de conjugaisons de la langue française » !) |
| | Nombre de messages : 374 Âge : 53 Date d'inscription : 08/08/2023 | Sanelle / Tapage au bout de la nuit Lun 2 Sep 2024 - 21:07 | |
| J'adore les belles phrases classiques et "trouvât" ne me choque pas du tout en tant que lectrice (études classiques + métier en rapport avec la langue aussi). D'ailleurs, j'ai l'impression que l'usage des subjonctifs imparfaits lorsqu'ils "sonnent" comme un passé simple de l'indicatif tend à perdurer tandis que les autres en -asse etc. tendent à disparaitre. En tant qu'autrice en revanche, j'ai eu exactement le même problème que toi (mais je n'avais pas que des troisièmes personnes du singulier, d'où le côté très pompeux). J'ai tout transformé au présent, mais pas pour cette seule raison, si bien que j'ai esquivé le problème. Je ne suis pas sûre que cette dernière réponse t'aide beaucoup, mais comme toi, j'analyse beaucoup trop et je m'agace moi-même ! . Le subjonctif imparfait peut donc être un tempus gratum... ou pas ! |
| | Nombre de messages : 192 Âge : 36 Localisation : Paris Pensée du jour : Ou pas ? Date d'inscription : 31/10/2021 | Hortense / Tycho l'homoncule Mer 4 Sep 2024 - 7:35 | |
| Comme j'ai lu beaucoup de romans classiques, où le subjonctif imparfait était l'usage (à l'époque), ça ne me dérange pas de le voir. Ça ne me dérange pas non plus quand je lis un roman récent et qu'il n'y est pas.
Comme auteur⋅e, majoritairement je ne l'utilise pas, mais il me vient naturellement quand je veux donner une certaine préciosité à mon récit. Ça peut être sous la forme de l'humour : du subjonctif imparfait qui côtoie de l'argot ou un registre plutôt oral, ou de manière très sérieuse, lorsque je veux placer temporellement mon texte dans le passé ou dans certaines catégories sociales.
Je dirais qu'il y a quand même des cas où on ne devrait pas l'utiliser : lorsque le lectorat cible est la jeunesse jusqu'au young adult, et dans les romans qui se veulent grand public (sans jugement de valeur, ce sera par exemple le polar ou la romance, le feel good...). En général, on réserve le subjonctif imparfait à un lectorat un peu plus éduqué (toujours sans jugement de valeur : il faut être un⋅e bon⋅ne lecteur⋅rice pour le lire aisément).
Sinon, je crois que chacun fait vraiment comme il veut, et si ça dérange ton éditeur, il te le dira. |
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