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 [L'Immeuble - Nouvelle loge] Le Concierge

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Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


En entrant dans sa "nouvelle loge", le Concierge retrouve les araignées qui y avait été laissées, quinze ans plus tôt, quand ils avaient décidés de barricader définitivement cette pièce à la suite d'une sombre histoire d’infiltration d'eau.

Bon...
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Umberto Carballar relu et plia la feuille sur laquelle la lettre à sa fille avait été écrite par une main qui, lui semblait-il, n'était presque pas la sienne. Il y laissa volontairement les fautes, les ratures, les phrases barrées, afin de donner à Luna l'impression réelle et très vive de l'urgence dans laquelle il se trouvait.
la lettre:
 
Pénélope
   
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Pénélope  /  Bile au trésor


(il n'y a pas de topic commentaires...):
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Bonjour Madame, que voulez-vous ?
 
Pénélope
   
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Pénélope  /  Bile au trésor


Le Concierge ouvre sa porte. Il semble fatigué, et... il y a autre chose. Triste peut-être ? Ou plutôt nostalgique ?

- Oh bonjour Concierge ! Puis-je rentrer pour vous parler ? C'est que ce n'est pas très discret ici...

Umberto me laisse entrer, après une grande hésitation, mais semble se rappeler des gardes présents à l'entrée. Je reste debout, ne voulant pas le déranger trop longtemps s'il n'a pas envie.

- Je viens surtout pour savoir comment vous allez. Vous avez été expulsé de votre loge par le Coronel et ça me semble déjà compliqué pour vous... Vous semblez fatigué quand même. Vous allez bien ? Personne ne veut vous perdre ici, vous savez. On tient tous à vous, malgré le fait que vous pensiez parfois que l'on vous veut du mal. Et on tient tous à cet immeuble, personne n'aimerait qu'il tombe vraiment entre les mains de la milice...
Puis-je me rendre utile à quelque chose ici Monsieur Carballar ? Je sais que vous ne me portez pas forcément beaucoup dans votre cœur mais j'aimerais faire des choses pour vous...
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


_ Esperanza, vous êtes aimable, peut-être la plus aimable de cet Immeuble à la fin, et je ne dis pas cela car vous êtes sous la protection de Monsieur Diaz et qu'il m'a instamment obligé d'être respectueux envers vous - du respect, du reste, j'en ai à revendre, mais parce que je le pense et cela depuis longtemps bien que vous n'êtes pas savoir que mon caractère empêche quelques fois l'expression de mes sentiments les plus doux... je suis fatigué, c'est vrai, très et je ne sais quoi faire de tout cela et cet abruti de coronel me déteste autant que je le déteste... que pouvez-vous y faire ? je ne sais pas, rien j'imagine... Vous avez des idées peut-être, des propositions ?
 
Pénélope
   
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Pénélope  /  Bile au trésor


Quand le Concierge me répond, je manque de rester béate devant ses mots. Je suis la plus aimable de l'immeuble ?! Et Diaz lui a demandé d'être respectueux envers moi ?! Qu'est-ce que c'est que cette histoire...

- je suis fatigué, c'est vrai, très et je ne sais quoi faire de tout cela et cet abruti de coronel me déteste autant que je le déteste... que pouvez-vous y faire ? je ne sais pas, rien j'imagine... Vous avez des idées peut-être, des propositions ?

Oui, ça se voit que Umberto est fatigué. Il a peut-être besoin de compagnie aussi. Il semble si seul ! Je pensais qu'il allait me dire qu'il avait besoin de quelque chose, même si c'était petit... Est-ce que j'ai des propositions ? Je ne sais pas... J'y réfléchi rapidement, car je veux absolument me rendre utile... Je sais !

- Je peux essayer de me rendre utile... Si vous acceptez. C'est une très longue histoire. Mais mon père est impliqué dans la milice... du mauvais côté. Je peux essayer de le recontacter, m'arranger pour lui montrer que je suis revenue de son côté, et je sais que je pourrais avoir des informations utiles... Qu'il pourrait me donner si je me mets en bon terme avec lui. Ça peut être très utile pour organiser notre résistance. Et je dirai à mon père que je reste dans l'immeuble pour vous surveiller... Je lui donnerai de fausses informations, pour lui montrer que je cherche à m'infiltrer et je vous donnerai ce qu'il acceptera de me confier...

J'attends la réponse du concierge...
 
Blackmamba
   
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Blackmamba  /  Guère épais


Je multiplie les secousses retenues de mon poing contre la porte, espérant de ne réveiller personne d'autre que ce Concierge. Allez Umberto, active-toi l'ancien ! Luna s'est inclinée face à mes consignes, et patiente à la cave. J'ai préféré éviter tout risque, avec cet enfoiré d'officier présent ici. Je toque de nouveau, pestant contre la tension qui agite ma cage thoracique. Je n'ai pas fait tout ce chemin, gagné le peu de confiance possible de Luna, pour me faire avoir maintenant ! Je dois m'assurer qu'il est réveillé, avant d'amener sa fille ici. La porte s'ouvre enfin, et dévoile ce vieil Umberto tombé de son lit. Ses traits tirés s'illuminent à mesure qu'il comprend ce qu'implique ma présence.
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


@ Esperanza, plus tôt dans la soirée :

Oui, vous pouvez faire cela, "activer vos réseaux" comme on dit, moi je ne sais pas si j'ai la force de lutter ou... je ne sais pas si j'ai cette force-là, mais faites et peut-être parviendrez-vous à quelque chose... qui sait ?
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Après le départ de Diaz, Umberto et Luna Carballar restèrent muets dans la pièce étriquée qui servait de nouvel appartement au concierge. A peine osaient-ils se regarder et les retrouvailles qu’avaient si souvent imaginés Umberto Carballar, les effusions, les embrassades, les déclarations d’amour, les explications délivrées en instants et les pardons immédiats, tout cela n’eut pas lieu. Au contraire, loin d’être réglée d’un coup, leur différent fut, à peine la porte avait-elle été fermée sur eux, la seule chose qui resta, entre eux, comme une vérité commune, un repère, une balise dans la nuit. Luna n’était pas moins troublée par ce silence puisqu’elle avait, elle aussi, imaginée souvent cette scène et non seulement elle l’avait imaginée, mais même elle était devenue une espérance, un horizon qui guidait, secrètement, sa destinée et qui lui apparaissait, quelques fois, comme son authentique but, son objectif véritable. Au malaise de ne pas savoir briser la glace, s’ajouta donc, pour le vieillard et la jeune femme, la douleur de constater qu’il n’y avait pas, au-delà de leur éloignement, un lien profond, vivace et qui s’épanouira à la seconde de leur retrouvailles, mais, au contraire, une distance plus grande encore que ce que leur divorce de longue date avait laissé supposer. Au bout d’un moment, et après avoir fait glisser son regard sur le capharnaüm obscur de son père, Luna parla, moins parce qu’elle le désirait, que parce qu’il lui était nécessaire de sortir de l’écœurement de plus en plus grand dans lequel la jetait cette intenable et terrifiant silence.

— Je voudrais que tu me dises pourquoi tu m’as fait venir et je voudrais que tu me le dises rapidement. Sais-tu ce qui se passe dehors ou bien te caches-tu encore dans ton trou comme un rat ? Si tu n’as pas une bonne raison de m’avoir fait venir pa…

Elle se tut. Horrifiée par ce mot qu’elle avait failli prononcer sans le vouloir, ce « papa » qu’elle avait failli cracher avec le reste et qui lui était resté au fond de la gorge comme une épine chaude et ronde. Ses yeux cherchèrent immédiatement dans ceux de son père l’impression qu’avait fait naître chez lui ce presque-aveu et elle trouva, tout au fond de l’œil presque blanc de l’homme en face d’elle une abjecte trace de joie sauvage. Le vieux concierge avait bien entendu la première syllabe qui avait échappée à sa fille et jouissait non seulement d’y reconnaître la trace réelle de l’amour filial, mais plus encore d’y percevoir, comme le chasseur avec sa proie, la fragilité fondamentale qui faisait de Luna un être qu’il pouvait encore atteindre et, d’une certaine manière, dominer. Luna était humaine et elle était là. De son costume débordait, malgré elle, l’amour qu’elle portait au vieil Umberto Carballar et, dans sa bouche, une loyauté rebelle voulait s’exprimer malgré tout. Doucement, et comme s’il se délectait du pouvoir qu’il venait de retrouver, réformant entièrement les dispositions dans lesquelles il s’était placé, la soumission qu’il avait anticipée, il formula très distinctement, en détachant chaque mot :

— Ce n’est pas moi qui voulais que tu viennes.
 
Le Concierge
   
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Le Concierge  /  Barge de Radetzky


Brusquement, Luna Carballar se souvint de ce qui avait mené à leur rupture définitive. Ni la lâcheté de son père ni sa petitesse d’esprit n’avaient été la cause de cette séparation. Non. La faiblesse d’Umberto Carballar n’était que la couche superficielle d’un esprit autrement plus sauvage, brutal et carnassier. Le vieux concierge était pareil à ces serpents qui, enfermés dans un terrarium, s’enfoncent dans un sommeil placide et mou. A l’observateur inattentif, au visiteur de passage, le reptile semble n’être qu’un animal peureux, apathique, faible ; mais, pour un naturaliste plus critique, et après une longue fréquentation, le serpent se révèle être un authentique et redoutable chasseur. Umberto appartenait à cette race des prédateurs occasionnels qui, longtemps, peuvent se cacher dans les bois, se tapir, resté discret, faire silence sous le couvert des feuilles, puis, à l’instant où la proie se présente, sauter, mordre et tuer. Sa mère, Maya, victime de l’illusion, avait pu croire longtemps que son mari n’était qu’un froussard attendrissant, un pauvre homme veule mais touchant dans sa volonté opiniâtre de paraître fort et menaçant. Luna, au contraire, saisit, dès son adolescence, la part souterraine de son père adoptif : sa férocité hostile et indomptable qui ne s’exprimait qu’en de très rares, mais très significatives occasions et qui pouvait le pousser jusqu’aux pires excès, jusqu’aux décisions les plus radicales et monstrueuses, si elles étaient à même de lui apporter quelques profits. Elle savait, par exemple, que, contrairement à ce que son père avait racontée à sa femme, ce n’était pas par hasard, par inadvertance, que le vieil homme avait donné aux ennemis des tenerios toutes les armes juridiques pour les battre et voler leurs terres, mais bien volontairement et en pleine conscience.

Cela, elle en avait la conviction profonde car, le jour de leur dernière dispute, il avait laissé échapper un regard, un seul, qui avait fait office à la fois de menace et d’aveu. Ce regard était la cause fondamentale de l’éloignement de Luna qui avait moins quittée son père que fuit son père. Or, c’était ce regard-là, très exactement celui-là, qui avait percé la surface au moment où elle avait été sur le point de l’appeler « papa ». Et c’est ce regard encore qu’il conserva, bien qu’en le dissimulant vaguement sous un demi-sourire et un visage faussement timide, lorsqu’il reprit la parole :

__ Ce n’est pas moi qui voulais que tu viennes, mais la vieille doña Auxilio, dont tu te souviens peut-être… oui, dont tu te souviens surement, puisqu’elle vous tirait les cartes, à maman et à toi, quand tu étais encore petite et que tu pouvais encore croire à ces âneries ! Mais… ne sois pas déçue, je ne voulais pas que tu viennes, mais je le voulais en même temps, tu me comprends j’imagine ? (silence) Bien sûr que tu me comprends. Toi et ta mère, ça a toujours été votre force ça, de « comprendre » et cela, sache-le, entends-le bien car peut-être n’aurais-je pas l’occasion de te le dire de nouveau, cela je l’ai toujours trouvé formidable et très impressionnant… moi, tu sais, je ne suis pas comme vous, je n’ai pas cette force d’âme et cette volonté, je ne suis pas une force de la Nature comme vous autres et c’est cela que vous me reprochez d’ailleurs, ce que je comprends parfaitement n’est-ce pas, comme je comprends que nous autres, les petites gens, nous faisons des erreurs, et mêmes des erreurs fatales, et que ces erreurs nous condamnent. Non, ne sourit pas, ne sourit pas (Luna Carballar ne souriait pas du tout) : tu me condamnes et tu m’as condamnée, pour mille raisons très claires et mille raisons cachées, ne me dit pas le contraire ! Bien sûr, maintenant, peut-être que tu admettras qu’ici ou là j’avais raisons, même parfois, même un peu, et même si tu ne peux pas le dire à voix haute, parce qu’il y a entre nous trop de choses encore, peut-être te le dis-tu à voix basse et peut-être que c’est pour cela que tu es ici, que tu es venue ? (il avait dit cela comme une question, mais, visiblement, ce n’en était pas une) Oui… peut-être que si ce n’est pas moi qui voulais te faire venir ici, peut-être… malgré tout… peut-être que c’est pour moi, toi, que tu es venue… je me trompe peut-être ? (ce « je me trompe peut-être » était exactement semblable à un coup de poignard dans le cœur de Luna, cruel et vrai)

_ Non, tu ne trompes pas. Pour le reste, je ne veux pas répondre. Je ne peux pas jouer à cela avec toi car, j’imagine que tu t’en rends compte, j’ai d’autres choses à faire et je ne peux pas rester ici longtemps. (silence) Sais-tu pourquoi la dona Auxilio voulait me voir ?

Sans répondre, Umberto Carballar se leva et marcha jusqu’au petit réchaud qui lui servait de cuisine provisoire. Lentement, il attrapa deux tasses qu’il avait rangé sur le bord de la petite fenêtre qui baignait sa minuscule chambre d’une lumière nocturne et blafarde.

_ Tu veux un café peut-être ?
_ Je ne veux rien. Dis-moi, pourquoi voulait-elle me voir ? Le sais-tu seulement ?

Il fouilla dans une petite étagère sur laquelle il avait accroché un rideau rose crasseux et trouva une boîte de café soluble poussiéreuse.


_ La dernière boîte ! dit-il en riant.
_ Je vais partir.
_ Attends ! Attends… peut-être que je le sais, enfin… peut-être que je l’imagine, mais tu es certaine que tu ne veux rien boire avant ?
 
Le Concierge
   
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_ Non, je ne veux rien boire ! Dis-moi ce que Auxilio me veut ou bien je m’en vais tout de suite.

Lentement, Umberto Carballa versa l’eau bouillante dans une tasse. Puis, tout aussi lentement, il versa trois cuillères de café soluble dans la tasse. Tout cela, il le fit sans jamais lever les yeux vers Luna et en étudiant chaque geste comme s’il voulait qu’ils durent le plus longtemps possible, comme s’il espérait que ces geste écartèlent littéralement le temps jusqu’à le déchirer. Luna, elle, était au comble de l’agacement et même de la colère, mais n’osait rien dire de peur de repartir de chez son père sans savoir. Elle se raccrochait étrangement à leur discussion comme un naufrager tient fort une planche de bois, vestige de son navire brisé.


_ Luna, je voulais te dire… je sais ce que tu as fait… je veux dire, je ne suis pas stupide, comme tu le penses, je ne suis pas… bref, je sais ce que tu as fait et…

Luna se figea. Elle avait noté, une nouvelle fois, dans la phrase soi-disant hachée, soi-disant cahotante de son père, toute la malice mesurée et le calcul roublard du vieil homme qui feignait, elle le su parfaitement à cet instant, l’hésitation et l’inconfort. Fermement, elle accepta la partie dans laquelle le vieux concierge voulait définitivement l’entraîner. Et, se souvenant du principe selon lequel la meilleure défense est l’attaque, elle riposta immédiatement :

_ Je sais que tu le sais, papa. Moi aussi, je sais ce que tu as fait.

Le corps d’Umberto Carballar plia très légèrement lorsque le mot « papa » sonna entre les murs de sa petite chambre. « C’est bien, c’est bien » marmonna-t-il, comme pour lui-même, comme si toute cette scène n’était que la répétition générale d’une pièce de théâtre à laquelle il ne croyait pas, dans laquelle il avait été entraîné malgré-lui, par un ami peut-être, et où il était contraint de donner la réplique.


_ Qu’as-tu dit ?
_ C’est bien, c’est bien.
_ Comment cela « c’est bien » ? Qu’est-ce que tu veux dire encore ?
_ Je veux dire que tout cela est très bien.
_ Comment « tout cela » ! Est-ce que tu ne peux pas t’exprimer clairement pour une fois ! Tu es si lâche, si lâche ! C’est impossible hein ? Tu ne sais même pas me parler en face… ! Mais pourquoi est-ce que je me retrouve avec toi ici, tu peux me le dire ça ? C’est incompréhensible…

Elle se tourna vers la porte, comme si elle voulait partir.

_ C’est bien si tu sais que je suis au courant que tu as décidé de tuer des milliers de personne et c’est bien si tu sais que j’ai décidé de le faire aussi, avant toi.

Luna lâcha la poignée qu’elle venait de saisir et se retourna vers son père :

_ Bon. Dis-moi alors.
 
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Luna vint s’assoir sur le fauteuil défoncé qui trônait, à moitié éventré, dans l’un des coins de la minuscule pièce et répéta :

_ Dis-moi, papa.

Cette fois-ci, son « papa » n’avait aucune forme, ni ironique ni nostalgique, mais gisait simplement au milieu de sa langue, comme un ancien dépôt, comme un réflexe revenu d’outre-tombe. Dehors, la grande nuit c’était installé et, à part les quelques claquements lointains d’armes à feux, un effrayant silence recouvrait la ville. L’obscurité avait lentement resserré ses liens autour d’Umberto et de sa fille. Comme deux astres orbitant à des distances quasi-infinis l’un de l’autre se rejoignent enfin, après une longue course, en un point de conjonction très précis, Umberto Carballar et sa fille avaient atteint, à ce moment-là, la coordonnée exacte où l’un et l’autre pouvaient s’éclipser, porter une ombre immense sur le visage de l’autre et ne plus craindre, sous le jour blafard, d’être observé, jugé et condamné par ordalie.

_ Je ne te juge pas. Ni toi ni ta mère n’avaient jamais su que faire de votre intelligence. Vous vous agitiez tant pour occuper votre tête ! Comment est-ce possible de bouger autant ? Même petite ! Têtue et pleine d’une stupide sagacité, voilà comment tu étais, et comme tu l’es toujours. Enfin bref, je ne te juge pas, c’est ainsi, les gens comme toi et les gens comme moi ne se comprennent jamais. Ils ne s’atteignent qu’à de rares moments, si tu veux mon avis, et même quand ils s’atteignent, c’est par chocs, par commotions. Maintenant, la ville s’écroule, non seulement par ta faute, mais aussi par notre faute à tous, et tout se passe comme si nous étions victimes d’une commotion généralisée, d’une blessure des uns et des autres, tous nous nous rentrons dedans et nous faisons du mal, c’est ainsi que cela se passe. Tu voulais échapper à la ruine et tu as fais exploser le barrage, noyé des milliers de personne, tué et tué et tué et tu l’as fait car c’était ainsi qu’il fallait le faire, comme une Antigone particulièrement énervée et particulièrement stupide, avec tout ce que cela comporte de fausses tragédies achetées peu chères au supermarché du coin !
_ Mais qu’est-ce que tu racontes ? A qui parles-tu ?
_ Je te parle à toi, puisqu’il paraît que tu es ma fille n’est-ce pas ? Papa, tu dis papa, tu dis papa quand cela te chante et moi je te parle comme cela me chante, comme à ma fille, le comprends-tu cela ?
_ Je n’ai pas fait exploser le barrage papa et tu ne comprends rien !
_ Il a explosé tout seul peut-être ! Ce ne sont pas les vôtres peut-être qui avaient fomentés depuis des années cette destruction ! Tu n’as pas tout avoué des dizaines de fois tout cela à ton vieux père peut-être ! Par allusions, oui, mais par allusions très claires !
_ Non, je n’ai rien avoué.
_ Il n’est pas utile d’avouer pour se déclarer coupable !
_ Nous n’avons pas voulu que le barrage s’effondre, mais il s’est effondré. C’est comme ça comme tu dis.
_ Vous vouliez peut-être provoquer une petite explosion ? Toi et tes amies vous ne pensez à rien ! C’est comme avec ta mère qui…

Umberto Carballar se tut, saisit peut-être par une idée nouvelle ou bien, au contraire, par une idée très ancienne et dangereuse qu’il ne voulait surtout pas approcher.

_ Oui. Ne parle pas d’elle.
_ Non. Je ne parle pas d’elle. Je ne veux plus parler. Tu sais pourquoi je t’ai fait venir ? Pour parler avec la Auxilio, mais d’Auxilio il n’y en a plus ; elle ne sort plus de son trou à rats et fait silence depuis des jours. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Que je me rétracte pour te laisser continuer comme tu le fais, aussi stupidement et aussi maladroitement ?
_ Tu es lâche, c’est vrai. Moi, j’agis.
_ Tu gesticules ! Tu remues les pieds et les bras, comme un nourrisson affamé !
_ Nous n’avons presque plus rien à nous dire papa.
_ Pourquoi presque ?
 
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Luna Carballar-Murillo avoua alors à son père ce qu’elle n’avait encore avouée à personne. Le ton qu’elle prit alors, Umberto ne l’avait jamais entendu et pour cause : cette voix était celle, toute intérieure, que Luna prenait lorsqu’elle se parlait à elle-même, dans la solitude et le secret de son bureau ou de sa chambre à coucher et ce fut moins à son père qu’elle parla, qu’à elle-même.

_ Il y a une chose, oui… une chose sur laquelle tu n’as pas complétement tort papa, pas complétement… J’ai beaucoup parlé à maman ces derniers jours, enfin… j’ai beaucoup parlé à son esprit, j’ai beaucoup parlé avec le fantôme de maman qui habite en moi, tu sais peut-être ce que je veux dire par là. Tu sais que nous nous sommes disputés avec elle ? Que nous ne nous parlons plus. Elle disait que je me trompais profondément au sujet des tenerios et… à la fin je crois que d’une certaine manière elle avait raison. Je ne peux pas t’expliquer si tu n’es déjà pas capable de comprendre la route que j’ai décidé de suivre il y a de cela des années ; cela voudrait dire te parler de paysages que tu n’as pas encore vus, que tu ne verras probablement jamais. J’ai beaucoup parlé avec elle, oui, et de cette déroute dans laquelle nous, le mouvement, moi-même aussi, nous nous sommes embarqués, corps et âme, jusqu’à nous perdre définitivement. Sais-tu que le choléra va détruire ce que nous voulions sauver ? La chose est connue partout. J’ai reçu, juste avant la visite de ton Diaz, des messages de je-ne-sais-quel émissaire de l’OMS m’intimant d’arrêter le combat contre Feijoo et les affreux de Pepegua. « Si vous continuez, nous ne pourrons rien faire ! Rien ! » L’ONU refuse d’envoyer des services médicaux d’urgence dans la situation actuelle. Il faut un « cesser le feu ». Comprends-tu ce que cela signifie ? Feijoo est un arrogant et un mégalomane. Jamais il n’acceptera de « cesser le feu ». Lui et sa clique : c’est par le feu qu’ils fonctionnent, ce sont des machines de guerre. Diras-tu à un brasier qu’il doit cesser le feu ? A un volcan qu’il doit cesser le feu ? Cela, comprends-moi, ça ne veut plus rien dire. Plus rien.
Un silence.
Je vais arrêter tout papa. Tout. Je vais déserter : je ne peux pas cesser le feu et je ne peux plus, je ne veux plus être la cause de… la cause. Tu comprends ? Je ne peux pas me rendre non plus, tu le comprends très bien, forcément, puisque tu es précisément la personne qui ne se rend jamais. Des années pour parvenir à saisir la nature de ton enseignement… je vais me cacher. Partir et me cacher. Pour quoi faire ? Je ne sais pas encore, ne me le demande pas. Si je me cache et si je disparais alors le mouvement mourra de lui-même : évaporé. L’évaporation est la seule manière de régler cette histoire d’inondation. Feijoo prendra le contrôle d’Aguacope, oui, mais peut-être alors pourrons-nous sauver quelques cholériques, quelques malades. Enfin… tu n’as rien à dire ?

Umberto Carballar observe un long moment Luna.

_ Non, je crois que tu as tout dit. Tu sais où tu vas aller ?
_ Non.
_ Très bien.
_ Nous n’allons pas nous revoir.
_ Non. Sans doute.
_ Tu vas rester à Aguacope ?
_ Je vais rester dans l’Immeuble.
_ Et les autres habitant.es ?
_ Je ne sais pas. Je crois qu’il n’y a plus personne ici.
_ Plus personne ?
_ Non. Pourquoi me poses-tu encore des questions : tu ne dois pas partir ?
_ Si. Je dois partir.

Luna Carballar-Murillo se leva sans un mot de plus et, se retournant vers son père avant de quitter la pièce. Sa posture, inchangée, l’écœura au plus haut point. Il lui sembla, soudain, qu’ils avaient passé un temps infini dans cette nuit vide et morne et qu’il ne définitivement plus rien à dire. Elle partit.
 
   
    
                         
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