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 [L'Immeuble - appartement 503] Sol Gutiérrez

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mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


Appartement 503


Epicentre des aventures imaginées et peu rocambolesques de Soledad Gutiérrez.
Mais ne l'appelez pas Soledad. Elle n'aime pas ça. Juste Sol. Ou Solé. Histoire de conjurer le sort.
D'ailleurs, seule sa mère l'appelle Soledad. Elle dit que c'est un si joli prénom, que c'est dommage de ne pas l'utiliser.
Sol, elle pense qu'elle la porte déjà bien assez, la solitude, et qu'elle a pas besoin qu'on le lui rappelle à chaque fois qu'on s'adresse à elle.


Il y a, sous la porte, un interstice suffisamment large pour qu'on y glisse une feuille de papier.
Si l'envie vous prenait, ce ne serait pas bizarre ou malpoli. Ca se fait, à Aguacope, de glisser des papiers sous les portes. Vous ne le saviez pas ?
 
mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


La serrure de la porte d’entrée est récalcitrante. Il faut légèrement tirer la clé vers soi pour pouvoir l’y faire tourner. Sol l’ignorait en arrivant ; elle avait toutefois réussi à ouvrir la porte à plusieurs reprises, par hasard et à force d’essais, mais il lui avait fallu se plaindre au concierge pour que celui-ci lui montre le geste et pour qu’elle puisse enfin quitter l’appartement sans craindre de dormir sur le palier. Passée la porte, on est tout de suite dans le salon : un canapé, un fauteuil en cuir qui colle à la peau, une table basse composite, et un mi-ventilateur mi-plafonnier qui éclaire piteusement et gronde comme un moteur d’avion. Le salon est petit, il faut se faufiler entre le dossier du fauteuil et le mur pour accéder à la cuisine. Et la cuisine n’a rien à envier au salon. C’est un simple couloir bordé d’un évier et de deux plaques de cuisson, couloir au bout duquel est encastrée une fenêtre à un seul vantail – celle-là peine à évacuer à elle seule les vapeurs chaudes des casseroles, et le bois du placard du dessus est rongé par l’humidité.

Depuis la fenêtre, on distingue le christ de San Pepegua, ainsi qu’une tâche rouge que Sol n’avait jamais remarquée jusque-là, probablement un drapeau, et, compte tenu de la distance, probablement d’une taille démesurée. Sol ferme la fenêtre tous les soir, quitte à ce que la pièce soit noyée de buée et d’odeurs de cuisson, car les remugles du fleuve s’élèvent chaque nuit en un nuage nauséabond qui ne désenfle qu’au petit matin.

De l’autre côté du salon, une autre porte, précédée d’une marche étroite, mène à la chambre et à la salle de bain. Tous les murs de l’appartement sont peints de ce même vert fade et sans éclat, ce vert que l’on retrouve partout dans la ville, depuis les flaques de vases qui ont colonisé les rues jusqu’aux façades usées de San Jodao, ce vert tant omniprésent qu’il semble avoir infusé partout – ce n’est pas du noir, mais bien du vert, que Sol voit lorsqu’elle ferme les yeux.
 
mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


Citation :



L’habitude est un lieu étouffant. Quantité de choses y sont fixes, déterminées, immuables, solides. Dans ce brouillard-là, je suis incapable d’imaginer les sensations qui pourraient me traverser ailleurs, ces sensations que je sais avoir éprouvées mais qui sonnent ici comme un récit d’outre-monde. Il me faut toujours partir, constater le grouillement humain, la malléabilité des choses, la multitude des possibles, pour respirer de nouveau.


 
mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


Sol habite au numéro 503 depuis un mois environ. Avant cela, elle n’avait jamais mis les pieds à Aguacope.

C’est une connaissance de son frère qui lui sous-loue l’appartement – le concierge semble n’y voir aucun inconvénient, ou peut-être a-t-il touché quelques pesos, mais qui s’en soucie maintenant ?

L’appartement était meublé. Sol est arrivée sans rien d’autre que sa valise, avec au fond d’une poche le petit carnet jaune qui l’accompagne toujours. Dans ce carnet, elle écrit tout et n’importe quoi, des mantras succins, des idées qui lui passent par la tête et qu’elle souhaiterait garder en elle encore un peu, ou des réflexions plus profondes qu’elle s’applique à organiser sur le papier. La dernière page est ainsi :
Citation :



Réapprendre à pleurer.
Il faut (ré)apprendre à pleurer.


On a couru après l’amour du père sans jamais l’attraper. Pourquoi ne pas s’être contentés de l’amour de la mère qui lui était bien là ?


Je veux vouloir du bien aux autres. Je ne veux pas vouloir les posséder égoïstement. Je veux vouloir qu’ils soient heureux indépendamment de moi.


L’espoir. Putamadre.


 
mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


Elle a emménagé ici suite à une promesse d’embauche. Elle a fait quelques jours dans la librairie située plus bas sur le grand boulevard, juste avant le pont, et puis le fleuve est monté. Elle avait eu sa mère au téléphone et celle-ci lui avait interdit de chercher à rentrer, « il y a une rumeur qui gonfle parmi les travailleurs de l’hacienda, une rumeur mauvaise ». Dans le petit carnet jaune, Sol avait noté :
Citation :


Tierra
y
Libertad


 
mumtaz
   
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mumtaz  /  Pour qui sonne Lestat


Le vrombissement inquiétant du mi-ventilateur mi-plafonnier n’atténue en rien le tapage du dessus. Sol est monté, une fois, la trompette a cessé alors qu’elle s’apprêtait à cogner la porte. Elle a tendu l’oreille. Plus rien. Et puis des lamentations, un homme qui semblait parler seul, alternant entre mi-voix et chuchotements. Elle avait descendu les marches quatre à quatre, claqué sa porte et tourné le verrou deux fois. Elle n’était plus monté depuis.

Affalée sur le canapé, elle pense à avant. Les pleurs de la trompette ne l’aident pas à se changer les idées.

Elle a fui par peur d’être bloquée là-bas. Aujourd’hui elle est bloquée ici.

Qu’a-t-elle fui, d’ailleurs ? Qu’est ce qui la dérangeait tant ? Les raisons sont désormais obscures, mais n’ont-elles pas été limpides – ou du moins un peu plus claires ? Sol ouvre le petit carnet jaune, trouve l’entrée qui précède son arrivée à Aguacope.
Citation :


J’ai passé toute la semaine avec la sensation de déborder, comme si mon corps, ma peau ne suffisait plus à contenir ce trop-plein qui cherchait par tous moyens à se déverser au dehors. J’ai même été habitée de la certitude que, en me grattant trop fort le bras, je percerais l’enveloppe et me répandrais sur le sol comme une simple flaque. Plus rien n’avait d’importance, les heures, les conventions, les codes, ces choses par lesquelles on assujettit le monde, cela n’avait plus de raison d’être. Le temps m’apparaissait comme un gigantesque bloc monolithique, paradoxalement vide, et tout à fait écœurant. Je dormais le jour, vivait la nuit. Je me sentais constamment dans l’excès : si je suis d’une nature stable, si mes émotions se canalisent ordinairement en un flux que je contrôle, alors elles abondaient maintenant en un torrent qui déracinerait jusqu’au plus vieux des arbres.

J’ai agi et parlé d’une manière qui ne me ressemble pas. Je me suis dit que c’est ainsi que doivent parler les condamnés, avec une bouche qui n’en peut plus d’attendre, des mots qui se bousculent, et la voix souveraine de ceux qui vont mourir – ce ton solennel et impérieux, gonflé de l’unique certitude qui existe en ce monde.

Je pleurais sous la douche, j’ai hurlé dans la rue sur un ivrogne puant le mezcal. Je crois que je me tenais sur ce fil, hors de moi, en cet endroit si léger que certains s’y envolent. Et peut-être qu’on avait peur que je m’envole à mon tour : mon frère m’a envoyé un « ça va frangine ? » à 1h du matin. Sa crainte perlait par-delà le téléphone.

Le moindre événement me faisait passer d’une tristesse inconsolable à une rage des plus terribles. Le bonjour d’un inconnu pouvait me faire monter les larmes aux yeux. À deux doigts de craquer, tout le temps ; l’insomnie, la fatigue qui s’accumulait là-dessus, et toujours cette vie à mener, qui n’attendait pas, qui n’attend jamais.


 
mumtaz
   
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Il restait de quoi faire un dernier chili dans le placard.
 
   
    
                         
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