doña Auxilio ouvre, l'air méfiant, et regarde Henri Jacquetot des pieds à la tête (sans doute pour déceler la présence inoportune d'un couteau de charcutier dans les poches de son vieux costume délabré). Elle invite ce dernier à entrer d'un geste, et le guide jusqu'à la cabane-coussins de Luz, où les quatre chiots tètent les mamelons d'une horrible chienne, à moitié endormie.

– Bon, gamin, entendons-nous bien : pas de salami, de coppa ou de saucisse sèche avec ces chiots – ils sont de toute manière beaucoup trop malingres pour ça. Lequel t'intéresse ?

Spoiler:

Elle ajoute :

– Je sais que les pénuries augmentent ; bientôt, mes petits protégés deviendront l'objet des convoitises de tout le quartier. Je compte sur toi pour bien nourrir le chiot ; quand il ne te resterait qu'une tranche de pain pour deux, eh bien, tu la lui laisserais, c'est ma vision des choses. N'est-ce pas ?

Comme une évidence, Henri se reconnait dans l'expression creuse du premier chiot. Quelque chose de son quotidien paresseux se devine dans les poches qu’il a sous les yeux. Deux grandes valises contenant le raisin de sa vie. D’un coup, tous les souvenirs du passé remontent. Ceux de son enfance, surtout.

Henri pense, de ma vie, jamais je ne laisserai ce chien crever. Encore moins dans mon salon. Presque indigné par les soupçons que lui portent la vieille, Henri tend la main vers le chiot que doña repousse.

Elle dit, est-ce bien clair. Et cela ressemble à un ordre.

Henri, soudain redevenu l’enfant, l’apprenti de la charcuterie de Mr. Flandin, hoche la tête. Oui, il dit. Je peux ? doña acquiesce. Jacquetot rappelle le chiot — appelons-le Céleste puisque c’est ainsi que le nomme Henri — qui rapplique presque immédiatement.