Merci pour toutes ces réponses
Je rebondis sur différents points, je vais essayer de lier le tout :
@Hilna , je ne partage pas tout à fait le même point de vue concernant l'acquisition de la langue (ou peut-être nous sommes-nous mal comprises). Pour moi, en langue comme en tout, c'est en amenant du "trop difficile" qu'on pousse l'apprenant sur le chemin de l'apprentissage. Oui un enfant de trois ans ne connaîtra pas le passé simple parce que ce n'est pas un temps utilisé à l'oral. Mais c'est parce qu'on va lui lire des histoires utilisant le passé simple qu'il va pouvoir se l'approprier. C'est sous cette lumière que je travaille à la crèche. "Papa va revenir ce soir", c'est trop compliqué pour un bébé de 10 mois (le futur, la notion de soir...) mais c'est parce qu'on le lui dit et qu'on le répète qu'il va s'approprier ces concepts et leur verbalisation. 6 mois après, il y a les premiers "Papa parti"
Un des best-sellers de la crèche, le merveilleux "Grodoudou & moi". On voit le "on" pour "nous" et les constructions à double pronoms (je ne sais pas comment ça s'appelle) --> "Grodoudou, c'est le plus grand" au lieu de "Grodoudou est le plus grand"
Le pb n'est pas de lire/entendre "l'erreur" une fois, mais que la forme juste finisse complètement balayée par la forme "cool", que les enfants ne sachent plus s'exprimer autrement que comme cela.
Je pense qu'il y a une volonté de reproduire l'oral et donc peut-être de réduire une certaine forme de distance entre ce que l'enfant et ses adultes-lecteurs connaissent. Mais alors, comment amener le langage écrit ?
Gamine, j'ai lu et relu la Comtesse de Ségur, Sophie, Cadichon & cie.
Je pense que ça a grandement participé à ma familiarisation avec le passé simple et je ne crois pas souvenir que ça m'ait dérangé alors. Et c'est bien plus sympa que de se farcir des grilles de conjugaison... D'ailleurs, saviez-vous que le passé simple n'était plus enseignés qu'aux troisièmes personnes en primaire ? Je ne sais pas ce qu'il en est pour le collège, mais oui, nous en sommes à une époque où les "nous arrivâmes" appartiennent bel et bien passé.
D'ailleurs parlons-en du passé simple. Son problème, c'est déjà qu'il est associé à un registre très soutenu que nous usons peu, et qu'il renvoie à quelque chose de terminé-terminé. "J'eus un chien" n'appelle pas de suite. "J'avais un chien" ou "j'ai eu un chien" laissent entendre que de nouvelles informations/précisions vont arriver.
La nuance est subtile, me direz-vous, mais elle a le mérite d'exister.
Le Club des 5, j'ai dû en lire un ou deux il y a vingt ans de ça et idem, pas de souvenir d'avoir été interpellée. Les nouvelles moutures me laissent dubitative.
Je vous donne le lien d'article, qui reprend ce que j'avais déjà pu lire sur le sujet :
https://actualitte.com/article/69948/jeux-video/le-club-des-5-la-nouvelle-traduction-qui-laisse-sans-voix
"Il est une fois" ... ne me dites pas que nous n'avez pas envie de pleurer x)
Dans un bouquin que je lisais il y a quelques temps, l'auteur parlait du fait que pour lui, écrire au présent était terriblement dommageable, source de bien moins de possibilités et de profondeur que le passé. J'aurais adoré pouvoir vous retranscrire sa pensée, mais je ne suis pas certaine d'avoir tout bien compris alors je me tais ^^
Perso, j'ai écrit mes 5 premiers romans au passé (en utilisant tous les temps), mais mon manuscrit actuel est au présent, j'ai fait ce choix "à la Céline" dans une recherche de spontanéité, d'instant présent. Le passé ne me paraissait pas adapté pour ce texte. Mais s'il y a une chose que je peux affirmer, c'est que la construction du texte en est tout à fait différente. Réaccorder bêtement les temps... grosse erreur selon moi.
Si on reprend un peu ce que dit l'article au sujet des "traductions', on retrouve certains des éléments énoncés en tête de post: la forme interrogative qui disparaît etc.
Ma question est donc : que reste t-il d'intéressant ? Si tout est écrit en sujet-verbe-complément ? Si tout est lissé de manière à être certain que jamais le jeune lecteur ne se heurte ? Si l'expérience lui laisse un goût fade, ne tient pas sa promesse de voyage, comment peut-on espérer donner le goût de la lecture ?
Il y a quelques mois, quand je cherchais un bouquin de Zola, j'étais tombée au rayon jeunesse sur des versions "adaptées" pour les plus jeunes (Balzac y passait aussi). ça m'avait étonné, car Balzac ou Zola, ce n'est franchement pas si dingue. C'est bien plus facile à lire que du Racine ou du Rabelais par exemple. Céline, c'est pareil, c'est lyrique, mais c'est oral :
"
Courage, Ferdinand,que je me répétais à moi-même, pour me soutenir. A force d'être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'il n'y vont pas eux au bout de la nuit! "Un de mes passages préférés de Voyage au bout de la nuit, d'ailleurs
Certes, pour tous ces auteurs, il y a quelques termes vieillis ("confections" pour "prêt-à-porter" dans
Au Bonheur des Dames), mais, selon moi, pas de véritable obstacle. Et si on enlève ses descriptions à Balzac... on enlève Balzac à Balzac ?
Pour finir sur la partie "jeunesse", je me permets, Elo, de parler de ton expérience chez J'aime lire. Je me souviens notamment qu'on t'avait fait remplacer "décupler" par "multiplier la force par dix". Je trouve ça aussi très dommage...
La bonne nouvelle pour notre génération de JE, c'est que ce n'est pas les aspirants auteurs arrivant dans quinze ans qui vont nous piquer nos places !
Enfin, je rebondis sur le "nous" et pourquoi c'est trop bien. Idem, c'est une réflexion d'un travail qui a été amorcé à la crèche. Le "nous", pour le tout petit qui peine tant à construire le "moi" (une bonne année et demi déjà), "tu", "l'autre", "les autres", "le groupe", eh bien le "nous" est un formidable outil. Je vous laisse, si vous le désirez prendre deux minutes pour réfléchir à ce que, pour l'enfant, peut différencier "
nous allons nous asseoir à table et
je vais
te donner
ton repas" et "on va s'assoir à table et on va manger".
Je pourrais continuer sur l'utilisation du "Je" par le tout-petit, les enfants qui parlent d'eux à la troisième personne parce qu'on leur parle à la troisième personne... "Leah va te servir ton repas" (ne faites pas ça), mais ce serait disgresser.
Petit saut côté littérature adulte, section dialogues :
Je suis passée par toutes les phases concernant la retranscription des dialogues. Initialement, j'allais naturellement vers une retranscription toute crue de ce qui se dit à l'oral "c'est pas mes affaires" au lieu de "ce ne sont pas mes affaires" (le "c'est" qui remplace le "ce sont", parlons-en aussi ^^)
Dorénavant, j'essaie de faire plus attention, d'équilibrer spontanéité, oralité et correction de la langue. N'empêche, j'ai plusieurs fois entendu que les héros de DS&DC parlaient "comme dans les années cinquante" (c'est un roman qui se passe en 1959-60 ^^)
J'ai constaté aussi, depuis que j'ai un peu élargie ma palette de lecture, que beaucoup de ME, souvent petites et publiant beaucoup et dans des genres très lucratif (romance, notamment), semblaient peu considérer la question du style, et même avant cela, celle de la richesse du vocabulaire, de la correction de la langue. J'au beaucoup lu/bêta-lu de romans "parlé-écrit", presque comme s'ils avaient été dictés sur un téléphone. Des textes pauvres dans leurs voc, donc, mais aussi dans les constructions langagières. ça se ressent à tous les niveaux, sur le rythme, la profondeur des personnages, la finesse de la psychologie...
Elo, je rebondis sur le "les anglais ont le double "you" et ça ne pose pas de souci" :
Confession : j'ai toujours voué un culte à Bob Dylan, car c'est selon moi le seul vrai poète anglais. J'avais débattu de cette idée avec un pote nouvellement rencontré il y a quelques années. Pour moi, l'anglais, ce n'est pas une langue à poésie, justement parce qu'elle est simple, pauvre. Et j'ai vénéré Dylan pour cela, pour être allé cherché jusqu'aux contours de sa langue pour créer de la poésie comme un français l'aurait fait.
Le français, elle, est mille fois plus riche. Comme le dit mon vieux copain Phil, si les français sont si mauvais pour apprendre les autres langues, c'est parce que le français ne laisse de place à aucune autre, elle se suffit à elle-même. Il n'y a qu'à lire Rimbaud et ses images en mille déclinaisons. C'est ça la poésie française dans le monde entier. Et de la même manière que plus un peintre a de couleurs et e pinceaux dans sa palette, plus il peut représenter fidèlement un paysage, je pense que plus notre langue est riche et notre maîtrise bonne, plus elle permet d'effleurer la vérité, le fameux "ce qu'il y a au bout de la nuit" que cherchait Céline.
D'où l'importance du conditionnel et du subjonctif...
Je m'arrête là pour aujourd'hui, je sens que j'ai déjà écrit une belle tartine... J'allais rebondir sur la nuance " lire les étiquettes au supermarché" et "lire un roman" mais je suis parti pour encore 6 paragraphes.
Je peux aussi parler des écrans...
Juste un ou deux derniers points en fait :
Les enfants/ado/adultes des couches populaires plus cons, non, n'empêche qu'au regard de tout ce les facteurs qui ont été énuméré, ce serait se voiler la face que de soutenir que nous partons tous avec la même chance. Je crois beaucoup à ce qui se joue dans la petite enfance, à la langue parlée, aux propositions de langue écrite... Sacré travail.