Journal d'un Bibliothécaire, page 410 pour les commentaires, écrit sur un ouvrage vide de la bibliothèque, à l’exception d'un "p" à la 12ème ligne de la page 157.
Entrée n°1, un jour indéterminé à une heure imprécise, vers celle du premier repas, Zone Lisible.

Que je suis fourbu ! voilà bien 5 heures que j'erre dans ce dédale d'hexagones et de livres, que j'en ouvre quelques uns au hasard, sur le chemin qui me mène jusqu'à la zone que je dois archiver. L'architecture de cette partie est hétéroclite: le sol, tantôt en marbre, cède la place à du parquet, du linoléum ou de la simple terre battue. Les parfums se succèdent dans un ordre aléatoire, ou du moins trop élaboré pour qu'un esprit humain puisse en déchiffrer le sens. Si les murs et les sols varient, l'architecture de chacun des hexagones reste la même: 4 des 6 murs sont recouverts par cinq étagères chacun, et 32 livres s'entassent sur chacun des rayonnages, au total on arrive donc à 640 livres par hexagone.  J'estime la longueur d'un côté de l'hexagone à 1.312 mètres et depuis mon entrée dans cette bibliothèque, j'ai traversé 1941 hexagones, j'estime donc que j'ai parcourus environ  4 kilomètres et demi, mais je m'arrête fréquemment dans ma progression pour lire des pages d'ouvrages, je ne trouve rien, rien de cohérent, parfois quatre cent neuf pages vides de sens, pour une phrase simple.

J'essaie de penser rationnellement mais cette Entité défie toute pensée cartésienne, l'infini à cela de déroutant et est impossible à saisir par des moyens cognitifs, rend 0.9999... égal à 1, par son alchimie démoniaque. Je ne peux que frémir en songeant au premiers spéléologues, dont certains périrent, perdus au milieu d'ouvrages, parmi lesquels se cachent peut être des révélations de prime importance. Devons nous savoir ? sommes nous assez mûrs et sages pour user de ces informations à bon escient, quand bien même nous y aurions accès, peut-être l'Homme doit il demeurer dans l'ignorance de certains faits sous peine de basculer dans la Folie. Je me sens pareil à l'Arabe Dément de Lovecraft, ce livre de la section 4589432-C, au seuil d'une construction mentale impossible, tant de livre lisibles, "vrais", c'est impossible.

J'ai été nommé en tant que Bibliothécaire de l'Hexagone n°9, pour moi c'est une consécration. J'ai été élevé dans la section 45679-B, dont le seul ouvrage lisible était "L'ode au chien fourbu". Une fois par mois, nous quittions notre hexagone résidentiel, empli de chiffres, et nous écoutions la lecture de l'Ode. Qu'est-ce qu'un chien ? je n'en sais rien, nous n'en sûmes jamais rien, mais ce devait être une Entité fort respectée, au même titre que la Baignoire, tirée du "Manuel de Plomberie Générale", de l'Hexagone natal de ma mère. Enfin, après avoir suivi les indications du plan et des guides, j'arrive dans la zone de camp des livres lisibles. Ici des bibliothécaires triés sur le volet pour leur abnégation, leur culture et leur capacités de recherche, arpentent les lignes des ouvrages sacrés. A l'école du Palier 45679, j'étais le meilleur, mais ici, je me sens petit. Je donne ma carte de Bibliothécaire, on me guide dans l'Hexagone 9, dont on me donne la clé. Il est voisin de palier des hexagones 4, 5, 6, 7 et 8. Je ne connais pas leurs Bibliothécaires, je ne communiquerais peut-être jamais avec eux, car j'ai la sensation que je ne vivrais plus qu'exclusivement dans l'Hexagone 9.

J'entre. La salle est commune aux autres par sa forme, j'en suis déçu. J'espérais en effet trouver la salle circulaire dont parlent les Récits Oraux et qui me fascina, les mystiques en parlent à voix basse, comme d'un lieu sacré, empli de Poésie, de Perfection et de Beauté. La Poésie, un vieil homme, qui, dit on, avait beaucoup voyagé, m'en parle comme d'une Beauté de l'Esprit, d'une sensation de plénitude qui s'échappe et emplit le lecteur, lorsque ses yeux déchiffrent les mots. Tous les ouvrages dont j'ai parcouru les pages ne sont pour l'instant que des coquilles vides, j'espère trouver un ouvrage Sublime dans mon Hexagone, j'aurais alors vécu.

Passons maintenant à le description de ma zone: les rayonnages sont en ébène laqué, ce bois cité dans certains textes anciens, avec des dorures en argent. Particularité intéressantes, de fines portes vitrées retiennent les livres: toutes s'ouvrent avec la clé que l'on a trouvé dans le cabinet de sommeil. C'est un cas encore jamais vu, je suppose que c'est une particularité de ces espaces incongrus que sont les Hexagones lisibles. Les murs sont eux aussi recouverts de boiseries, je n'arrive pas encore à percer leur signification. Étrangement, un canapé trône au beau milieu de l'hexagone, ou plutôt une "causeuse", s'il en croit les descriptions des parties lisibles de certains livres de l'hexagone 4967899-D. Je m'assoie et je commence à lire, je consignerais mes découvertes plus tard.

----Fin de la première entrée.