Un immense Livre rouge occupe le centre de l'Hexagone, et devant ce Livre, un siège en velours de même couleur.

Il y avait Mathias qui m'attendait dans l'hexagone, avec un cigare dans la bouche. Il prenait le cigare, et il crachait des petits nuages de fumée, comme dans les films. Il paraissait très fier. Je lui ai dit "qu'est ce que tu fais dans mon Hexagone", il m'a répondu "pourquoi est-ce que ce serait ton hexagone". Je n'ai même pas eu envie de réfléchir à une réponse. J'ai sorti mon couteau et j'ai foncé sur lui. Il n'a pas bougé. Mon couteau s'est enfoncé dans son ventre comme dans du beurre. Aucune résistance. En mourant il a juste dit "fils de pute". Le rouge de son sang était un peu partout dans la pièce. J'ai eu un vertige et je suis allé m'asseoir sur une chaise qui était au milieu de la pièce. Devant il y avait un livre, rouge.

Un livre de la bibliothèque:

"Il voyage dans les villes et se fait appeler Sham l'oiseau".

Un enfant qui avait mauvais caractère. L'institutrice s'en souvient.

On l'appelle "l'oiseau des oiseaux". C'est le plus bel oiseau car ses plumes sont multicolores.

Il aime voler quand il n'y a pas de vent. On entend comme un froissement et on croit que c'est le bruit du vent, mais c'est lui qui s'envole. Dans le désert, quand il n'y a pas de vent, on dit que "Sham passe". C'est l'expression consacrée.

Au début j'avais lu ""Il voyage dans les livres et se fait appeler Sham l'oiseau".

Je ne savais pas quoi faire du corps. Je me suis dit que je pouvais pas le laisser là. Ca allait pourrir. Je ne savais pas s'il y avait des responsable du bâtiment. Sans doute, si on m'avait attribué cet hexagone. Je ne les avais jamais vu. Ils ne s'étaient manifesté à moi que par l'envoi de petites cartes postales qui représentaient des architectures compliquées et énigmatiques, avec à l'arrière la proposition, répétée, de venir dans un endroit avec des livres à lire. J'ai trouvé l'idée amusante. J'étais en troisième année de philosophie, alors lire je savais faire. Enfin plus ou moins. Et l'idée de ne pas payer de loyer pendant un temps potentiellement conséquent m'a ravi. Et participer à une aventure excitante. Si tant est que lire puisse être une "aventure" et un tant soit peu "excitant". Il faut avouer que ma vie n'était par ailleurs que médiocrement "excitante". J'ai du payer moi-même le billet pour venir en Argentine. Je suis italien. Je suis né à Rome. Je suis arrivé à Buenos Aires il y a 7 jours. Je me suis accordé 5 jours de tourisme. Buenos Aires veut dire "bon vent". Puis je me suis rendu à

Un autre livre:

"Le Dévoilement des effets du voyage"

Le mot "safar" évoque le voyage, physique ou non.

En la personne de Nizhâm (Harmonie) il connut une théophanie.

Quand elle le regardait, avec sa prunelle ardente, il lui semblait voyager. C'était, à sa façon, un voyage physique, mais d'une autre physique.

Il se leva et il la servait.

J'ai un ami qui était juif et qui boitait. Il s'appelait David. En fait il faisait plus que boiter. C'est tout son corps qui allait d'un coté et de l'autre, sans pouvoir tenir droit. Il n'arrivait pas à se tenir sur ses jambes. Je l'ai rencontré pendant que je bossais dans une administration. Il devait descendre trois étages pour m'apporter des papiers. Je le voyais venir de loin. Il tanguait. Je l'entendais aussi. Son boitement lui donnait un pas irrégulier et tout à fait caractéristique. Ca faisait "tam tam" à la suite. "Tam tam... Tam Tam... Tam Tam...", exactement comme un valse. Moi, j'avais la main qui tremblait. J'ai toujours la main qui tremble. Quand je tourne les pages, je les déchire. Je dois faire attention pour ne pas les déchirer. Je dois les tourner lentement. Mais souvent ça se déchire quand même. Alors je dis "merde!". J'aime bien jurer.

Un autre livre

"mundus imaginalis"

un "autre monde" qui se superpose au premier (une autre physique)

"jour de rire"

"plus de limite pour le rire"



Il racontait que lorsqu'il l'avait vue il avait cru qu'elle n'était pas réelle. Il avait tourné dans la ville en criant "j'ai vu un fantôme, plus beau que toutes les choses réelles".

Mais on lui avait dit "la femme que tu as vue, elle existe. Elle s'appelle Sophia. C'est la fille du charpentier". Alors, il avait été rempli de honte, et pendant un an il n'avait pas osé reparaitre à sa vue.

Mais le souvenir de Sophia embrasait son cœur.

Un autre livre

Il y a plusieurs genres de voyage.

Respirer est un genre de voyage. Le souffle sort de la poitrine, puis rentre.

"Ce souffle est mon désir".

Il fumait et toussait beaucoup. Un jour son médecin lui avait dit: "si tu continues de fumer, dans trois ans tu seras mort". Il ne l'avait pas cru. Trois ans après, il s'était fait renverser par une voiture. Il n'en était pas mort, mais il avait gardé une jambe boiteuse.

Je ne suis pas un voyageur. J'ai voyagé une fois en Turquie. Prendre l'avion a été l'expérience la plus inouïe de ce voyage. Pendant que nous montions dans les airs je me figurais la chute possible avec un réalisme effrayant. Mais une fois que nous avons atteint l'altitude requise, ce fut comme si tout s'était apaisé, était revenu à la normal. Il me semblait qu'il n'y eut rien de plus naturel que de se trouver à 3000 mètres d'altitude dans une boite de métal.

Mon voyage a pris fin dans cet hexagone et il y débute.

J'ai décidé de ne rencontrer personne. Je suis d'un naturel assez liant, bien que les gens que je rencontre m'apparaissent toujours comme à une distance infranchissable. Bien sûr je ne parle pas de distance physique, quoique. Je mange dans l'hexagone. Je lis par bribe. Je n'ai pas le temps de beaucoup lire. L'essentiel de mon temps je le passe à télétravailler. Je gère une plateforme de vente en ligne à distance. Quand je ne télétravaille pas je lis ou bien je dors. La lecture et le sommeil sont mes deux seuls loisirs. J'ai un respect religieux pour le loisir.

La police est venue chercher le corps de Matthias.

Quand je sortirai de l'hexagone ils viendront me chercher.

Bien sûr un mort est un mort.

Dormir est plus difficile après avoir tué.

Rien de tout cela n'est normal.

Quand je lis je tue les mots que je lis.

On ne peut pas raconter l'histoire d'un mort.

Et l'histoire d'un meurtrier?

De Turquie, j'ai ramené une chicha. Je suis rentré dans un magasin à chicha, et j'en ai acheté une, ni la moins chère, ni la plus chère. Elle était bleue avec des stries dorées. Elle était petite, et ne pesait pas très lourd dans la valise.

Pendant tout un été j'ai fumé la chicha avec des amis. On se retrouvait le soir, une ou deux fois par semaine. Les nuits étaient douces. On allait chez un ami qui avait un grand appartement avec des étagères de livre aux murs et des trophées de chasse. Il pratiquait la chasse depuis son enfance avec son grand père. On ouvrait la fenêtre pour que la fumée s'échappe. Les fumeurs de cigarette fumaient en plus leurs cigarettes. J'ai lu que fumer une chicha détruit autant les poumons que fumer 200 cigarettes.

L'été suivant on n'a pas fumé la chicha. Je ne sais plus ce que nous avons fait.

C'est à l'occasion d'une de ces soirée chichas que j'ai rencontré Matthias.

L'hexagone est une prison. Une prison de feuilles et de mots. Après avoir tué Matthias j'ai ouvert le livre rouge. Il était au centre de la pièce comme un objet important. J'ai voulu y découvrir quelque chose, une vérité, une consolation. Le livre n'avait pas de titre. Il était rempli de courts textes de thématiques, de formes, de langues, diverses. J'ai lu quelques textes écrits en italien, en anglais, en français. Ce sont les langues que je lis. Ces textes n'ont, en apparence, rien qui les distingue de n'importe quel texte.