Je vous attends, avec tout mon nécessaire à thé. Une bouilloire, une théière en fonte, quatre petites tasses de porcelaine blanche ; et beaucoup de thés différents.

L'Hexagone 5

Pas trop loin de chez lui, pas trop près. Curt a pris le livre dissident sous son bras et s'approche à pas de loup de l'hexagone numéro 5.
Profitant que le bibliothécaire en place s'occupe de son thé, il inverse son livre avec un autre sur étagère et plaque un sourire angélique sur son visage.

B'jour ! T'as du coca ?

Je me retourne, et j'aperçois un tout petit Bibliothécaire ; étonnée, je cherche l'adulte derrière son épaule.

Dans la Zone où je suis née, les enfants ne vont jamais seul·es ; la structure labyrinthique de la Bibliothèque est dangereuse pour les très jeunes. En général, on leur noue un fil autour du poignet, et ils vont, par groupes de trois ou quatre, jouer non loin des Hexagones de leurs parents.

Mais celui-là est seul. Et il a soif !

Salut ! Je n'ai pas de coca, mais tu en trouveras peut-être dans le frigo de l'Hexagora. D'ailleurs, les madeleines que j'ai mises au four sont presque prêtes. On y va ensemble ?

Je n'ai point d'autre souhait, chère Pasiphaé de l'hexagone 5, que de lire la suite des aventures de Florentine.

Salut, FloFlex !

Je viens de terminer la lecture de La Ravie. Je ne suis pas certaine que ce roman vaille plus que son poids de papier. Florentine finit par tomber amoureuse d'une petite vendeuse de tournesols, elles tentent un ménage, elles gavent les vases de soucis, et, évidemment, ça se termine mal. Tout ça est bien mièvre et convenu ; j'espère que ce qu'on appelle "littérature" ne se cantonne pas à ce type de textes.

Mais dans la préface, Maximilienne de Sarrazy indique qu'en réalité, si les livres de Marguerite de Restif ont été publiés pour satisfaire un goût d'époque, répandu dans les cercles mondains les plus interlopes, son inspiratrice, Septimea Calendula, lui est bien supérieure ; quand l'une écrivait des romans à l'eau de rose (un brin sulfureux), l'autre... mais j'ai entendu parler d'un Bibliothécaire, celui du 8, qui possèderait plusieurs ouvrages marqués du nom de cette autrice. Je m'en vais lui rendre visite !

Salut ! Je n'ai pas de coca, mais tu en trouveras peut-être dans le frigo de l'Hexagora. D'ailleurs, les madeleines que j'ai mises au four sont presque prêtes. On y va ensemble ?

Des madeleines ? Sorties du four ? Il n'en fallait pas plus pour convaincre Curt qui afficha un large sourire.

Oui ! Attends.

Il n'allait pas se trimballer son livre durant le trajet et s'approcha d'une étagère pour le poser à son pied. Curt tapota la couverture de la main, comme s'il intimait à un gros molosse de ne pas bouger et de l'attendre ici. Il sautilla vers la sortie de l'hexagone puis se détourna pour vois si on le suivait.

T'y viens ?

*j'ai vu le manège de ce drôle d'enfant ; il faudra que je pense à examiner le curieux cadeau qu'il m'a laissé*

Allons-y !

Peut-être ne sont-elles pas mangées mais brûlées vos pages, qu'en pensez-vous ?

J'ai l'un de ces livres cousus, que m'a donné Hexagone 20. Je veux bien te l'échanger, contre un de tes livres, celui qui te plaira.

Oh, j'en serais ravie ! serais-tu intéressé par ce livre : Des fleurs dans Babel, Pallas des Renoncées, 1812 ?

Oui, tiens, voilà le livre cousu de 20, et je te prends celui-ci.

Liseth avançait dans les couloirs de Babel, son regard perdu vers un horizon qui n'existait pas. Comme déconnectée de la réalité. Elle tenait contre elle un coussin sur lequel, brodé, on pouvait lire un A fluorescent. Passé le seuil du cinquième hexagone :

« Je crois qu’Aomphalos habite ici désormais, dit-elle d’une voix éteinte et les yeux dans le vague sans même s’assurer qu’une personne était présente. Tenez j’ai fait ceci pour lui cela l’aidera dans sa quête de vérité, il ne pourra plus oublier. »

Elle posa alors délicatement l’oreiller au sol, près du centre de l’hexagone, puis quasi mécaniquement, fit demi-tour et s’en alla.