Conscience

Depuis petite je m'efforce d'être normale, suivre les autres sans me démarquer. À retenir mes émotions, à garder mon armure sans l'enlever. J'essaie de paraître infaillible, intouchable et neutre. Je ne quitte plus mon armure. C'est ma façon de me protéger du monde qui m’entoure, comme un poussin se protégerait grâce à une coquille. À force de renfermer et de barricader mes émotions. Je suis devenue faible et inconditionnellement seule.
J'aimerais avoir le cran de rétorquer à Louis de se la fermer. J'aimerais aider Leila à se défendre, à ne pas se laisser faire. Ce serait ce que la vraie moi ferait. Mais comment les gens me regarderaient ensuite ? Alors je reste discrète et me fonds dans la masse.
Je suis l'amie « fantôme » toujours présente sans pourtant être là. Sans opinion, sans caractère, sans personnalité. Qui observe et parfois acquiesce.
Je suis épuisée.

Je m'appelle Inès. J'ai 15 ans.  En ce moment le monde essaye de survivre au covid  19. Des personnes en meurent tous les jours. Cette crise est mentalement une épreuve. J'assiste à ce désastre sans pouvoir rien faire. Je garde mes larmes, les refoule.

L'automne approche, les feuilles jaunissent puis s'envolent et la pluie tombe.

Je suis perchée à la fenêtre de la chambre. D'ici j'admire la ville frappée par la pluie drue. Le froid s'engouffre dans ma chambre et mord chaque parcelle de ma peau comme des milliers de serpents mais je l'ignore. J'inspire l'air frais au parfum chloré de la pluie. Je suis un moment le rythme des goutes qui tombes, leur fracas assourdissant contre les tuiles.

Je laisse filer le temps. Je reste moi-même. Je ne pleure pas. J'observe mes émotions d'un œil neuf, sans me juger, en réfléchissant. Je comprends que mes problèmes ne se résoudront pas seuls. Contrairement au conte, aucune marraine la bonne fée m'aidera avec sa baguette magique. C'est mon travail. Si je veux vivre enfin ma vie, sans me voiler la face, il faut que je passe à l'action. Que j'arrête d'être une autre. Je n'ignore plus mes souvenirs pour me rappeler qui je suis vraiment. Dans ma tête je revis mes adieux, mes deuils, les insultes, les moqueries que j'ai encaissées sans sourciller et j’éclate en sanglots. Le ciel semble me comprendre et le tonnerre gronde pour ensevelir le bruit de mes pleurs. Je laisse enfin cours à mes larmes.
Je n'ai pas à me montrer "forte", pour une fois. Mes souvenirs forment une tempête dans mon esprit.

Ça fait des heures que je suis à ma fenêtre et je suis si fatiguée, toutes ses émotions m'ont pris mon énergie. Je n'ai plus une seule larme dans mon corps. J'ai pleuré tout mon soûl. Mes voisins, s'ils m'ont aperçu, doivent me prendre pour une folle mais je ne m'en soucie pas. Pas besoin de paraitre normale. Je ne le suis pas. Mes yeux sont gonflés et rouges. Je tremble maintenant de froid. Je ne m'en étais pas rendu compte mais la nuit est tombée. La ville est constellée de lumières.

La pluie s'est calmée. Je lève les yeux, pour la première fois depuis longtemps, je souris. La pluie a chassé les nuages et je peux contempler les étoiles, il y en a tellement. La nature est magnifique. Il faut juste savoir l'observer pour s'en rendre compte. La lune pointe son nez à l'horizon, en brillant de mille feux. La nuit me transmet son calme, sa sérénité. Mes épaules s’affaissent et mes yeux ses ferment doucement. Je me sens bien, je me sens enfin moi-même, sans faux-semblants. Le vent froid balaye délicatement mes cheveux derrière mes épaules. Je rêvasse un moment. Une pensée en chasse une autre, ainsi de suite, comme des vagues qui viennent et qui repartent.

J'attrape mes cheveux d'une main ferme et je les attache en une queue-de-cheval serrée. Je me sens enfin prête à vivre ma vie. Je ferme ma fenêtre et me redresse. Le courage c'est d’être soi-même, chaque jour dans un monde qui vous dit d’être quelqu’un d’autre. Je promet que je me battrai. Je mérite de vivre ma vie sans faux-semblants! J’affronterai mes obstacles un par un et réussirai à surmonter les épreuves, tout en restant moi. Je m'appelle Inès. J'ai 15 ans.

Tout ce qui ne me tue pas me rend plus forte. Il faut être vrai, être soi parce que la vie est bien trop courte pour être quelqu'un que tu n'es pas.