Un petit mot sur Tzvetan Todorov, théoricien de la littérature et historien des idées mort l'année dernière, dont on peut dire sans coup ferrir qu'il fit aussi de la philosophie morale. Pour tout vous dire, c'est "un peu" l'homme qui, grâce à son ouvrage Critique de la critique (1984) - sans parler d'Albert Thibaudet (début XXème), de Gaëtan Picon (milieu XXème), ni d'Alain Vaillant ou Jean Goldzink (période actuelle) - m'ont cordialement "invité" à réaliser à quel point l'art est vie, qu'il y a une vie de l'art comme du vivant dans l'art.
Tzvetan Todorov est tout juste décédé, hommage à lui qui restait conscient que la barbarie existe d'abord dans celui qui l'allègue aux autres. Plus que cela, il distinguait clairement le Bien de la bonté, où ceux qui se réclament du Bien "ont toujours raison" (ce sont des barbares) et où ceux qui pratiquent la bonté "doutent toujours de leurs bienfaits, de leurs bonnes actions et de leurs bénéfices" (ce sont des civilisés).
En somme, et pour tout dire, Tzvetan Todorov faisait de la littérature une école du perspectivisme, absolument non-relativiste - où il attaque doublement le solipsisme et le nihilisme, - de ce que les œuvres nous conduisent fatalement par-delà bien et mal, dans une zone où les motivations sont toujours - sinon plus ambiguës - du moins nous obligent à tenir réellement compte du point de vue d'autrui, intrinsèquement.
Ceci étant, c'est quelque chose que tendraient à faire certaines séries télé aujourd'hui, emblématiquement Dexter ou Game of Thrones, sinon que - faut-il le dire - la nature du média altère considérablement l'affect perspectif, où la littérature seule donne accès à l'intrinsèquement, et où la cinématographie ne donne jamais qu'à s'interroger inductivement "comme dans la vie" (sinon que le montage et le découpage, la photo, etc. nous servent d'indics). La littérature détient cet indétrônable pouvoir, du Verbe faisant Loi/Jurisprudence - au moins le temps d'une œuvre.
Mais justement : Tzvetan Todorov démontrait assez bien - il n'est pas le seul, ceux que j'ai cités ne sont absolument pas les seuls : prenez Mickaïl Bakhtine, Dominique Mainguenau, encore des références ... - Tzvetan Todorov démontrait assez bien que "ça n'était pas que le temps d'une oeuvre", mais que cette œuvre était poreusement saisie par le monde, comme toute œuvre, pour faire art singulier/singularité artistique.
Aucun comité de production, même doué des meilleurs storytellers, "créatifs", communiquants, et autres imagints (ingénieurs imaginériaux), ne parviendra à telle singularité - encore qu'il faille leur laisser, certainement, la qualité d'ateliers de fabrication technique, un peu comme au Moyen-Âge, qui donc certes étaient capables de bon. Mais l'individualisme renaissant, sur la base de l'Antiquité, nous a quand même démontré que "le créateur, le talent, le génie, l'auteur" ... ont du meilleur.