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- Décembre 2013 -
Un froid glacial me réveille et coupe court à l’un de ces rêves érotico-pornographiques, le genre de rêve qui s’arrête pile poil au moment où les choses deviennent intéressantes. Si la plupart de mes érections matinales sont simplement le fruit d’un réflexe physiologique commun à tous les hommes, ce n’est pas le cas ce matin. En temps normal après un réveil pareil je me serais empressé de me palucher pour me vider les couilles en deux minutes, mais ce froid presque sibérien m’en coupe l’envie. Les mois de décembre ont beau être rudes à Toronto, je n’ai pas le souvenir d’avoir oublié de payer mes factures ce mois-ci. Canadien de pure souche, je suis loin d’être frileux. La température de ces derniers jours avoisine les moins neuf degrés Celsius et la neige s’empare de la ville en ce début de mois de décembre.
Je suis à poil sur mon lit et je suppose que le drap se trouve en boule quelque part sur le sol entre un vieux carton de pizza, des chaussettes attendant d’être emmenées au Lavomatic, et d’autres choses qui font du sol de ma chambre un terrain miné. La pièce est plongée dans une quasi obscurité et seuls deux faibles rayons de soleil percent à travers les volets. La lumière est vive mais n’éclaire qu’une partie de mon bureau où se trouve mon Mac ainsi que tout un tas d’autres papiers, lettres, et autres factures. C’est connu, je suis le roi de la procrastination. C’est devenu une habitude chez moi de tout remettre au lendemain ces dernières années. Qu’il s’agisse d’un truc anodin ou important, je reporte systématiquement ce qui doit être fait, et certaines de mes relations, aussi bien amicales que familiales en font les frais.
Je me lève et me prends le pied dans un objet en plastique au bout pointu. Je grimace de douleur en jurant entre mes dents un bon « Putain ! ». La lumière artificielle m’éblouit et m’empêche de distinguer totalement la silhouette sur mon lit. Je perçois néanmoins la queue flasque de cet homme qui repose grossièrement le long de sa cuisse.
- Et merde !
Je n’arrive plus très bien à me souvenir des événements de la veille, encore moins de quelle façon cet inconnu s’est retrouvé dans mon pieu. Mon radioréveil affiche sept heures quatre en gros chiffres rouges et il faut que je me magne le cul si je ne veux pas arriver en retard au taf. Je bosse depuis environ trois ans au Toronto General Hospital sur Elizabeth Street, dans un service psychiatrique ouvert et la chef de service me déteste assez pour faire de moi son bouc-émissaire à la moindre erreur commise.
- Hé ! lancé-je. Hé oh … heu …
Impossible de retrouver son nom. Je pars à la recherche de ses vêtements éparpillés à droite à gauche et les lui lance en espérant le réveiller, sans grand succès.
- Ok ! Je ne voudrais pas te paraitre malpoli, ou déplacé, mais je dois partir bosser.
Je n’ai pas l’habitude de ramener des plans cul chez moi. Généralement je tire mon coup entre deux urinoirs dans un bar ou je fais ça chez le mec en question, ce qui m’évite des désagréments et l’impolitesse de foutre le gars en question dehors une fois la partie de jambes en l’air terminée.
Je le secoue au niveau de l’épaule. Sa peau est glacée et ses lèvres cyanosées. J’ouvre ses yeux à l’aide de mon pouce et de mon index. Ses pupilles ne sont pas réactives. Je pose ensuite mon oreille sur son torse à la recherche de battements cardiaque, mon majeur et mon index quant à eux à la recherche d’un pouls. Rien, que dalle, nada, nothing.
- Merde, merde, merde, merde, MERDE !!!
Je saute instantanément sur lui et me place à califourchon pour débuter un massage cardiaque. Mes mains jointes se posent au niveau de son sternum et je compte mes mouvements pour ensuite lui insuffler de l’air en lui faisant du bouche-à-bouche. Mes gestes sont brusques, ma respiration est forte, et quelques gouttes de transpiration coulent le long de mon crâne. Elles parcourent mes cheveux très courts pour terminer dans ma barbe noire. Tandis que je tente de sauver la vie de ce mec, des bribes de souvenirs de la veille me reviennent en mémoire. Je me revois au bar chez Hyck à siroter ma bière comme je le fais souvent après une journée de boulot crevante. Ce mec m’observait depuis un bout de temps sur sa banquette. Ce regard à PD je le connais par cœur.
- Ne me fais pas ça, allez !!!
Je lui insuffle de nouveau de l’air. Je nous revois nous embrasser goulument dans les toilettes.
« Je pouvais ressentir la texture de sa langue, le goût de son haleine, un mélange de vodka et de cigarette mentholée, sa queue gonfler sous son jean. »
Un bruit de craquement résonne à travers mon tympan. Une de ses côtes s’est brisée. Je le masse depuis tellement longtemps que mes bras me font mal.
« Je pouvais l’entendre jouir en moi et ressentir sa queue se retirer d’entre mes cuisses. Ce fut là son dernier cri avant de s’endormir. »
Je pars à la recherche de mon téléphone que je ne trouve pas au milieu de tout ce bordel. Je me maudis d’être aussi désordonné. Il va vraiment falloir que je me décide un jour à faire du rangement, aussi bien dans cet appartement que dans ma vie. Je trouve finalement mon iPhone dont la batterie est entièrement déchargée.
- Sérieux ?
J’ai l’impression d’être dans une pub pour l’un de ces smartphones vantant les mérites de sa charge en batterie face à son concurrent trop souvent critiqué. Une fois le téléphone branché mes yeux se fixent sur cet écran noir où s’affiche une batterie contenant un trait rouge. J’attends, encore et encore, jusqu’à ce que je me sente mal. Je cours à travers l’appartement pour me ruer dans la salle de bain. Je n’atteins pas les toilettes que je crache un puissant jet de vomi sur le sol. Ma gerbe est tellement acide qu’elle pourrait faire fondre le carrelage. Pas le temps de nettoyer tout ce merdier. J’essuie d’un revers de main le reste de gerbe que j’ai au coin des lèvres et retourne vers mon téléphone qui s’est rallumé. Je passe un coup de fil au service médical d’urgence et j’attends. J’observe ce mec dont le nom ne me revient pas et je me demande ce qui aurait pu le tuer. Je ne suis plus ce plan cul de la veille mais cet infirmier de vingt-six ans face à un patient décédé.