Andrew se défoulait, et c'est tout ce qui comptait. Il abattait son épée aussi fort que sa rage le lui dictait. Un pas en avant, il retourna à l'attaque. Ses vêtements collaient à sa peau. Il haletait. La sueur piquait ses yeux orange. Il n'en pouvait plus. À genoux, le front contre le manche de sa fine épée, il se remettait de cet éprouvant exercice. Cette folie lui permettait d'oublier, d'oublier sa condition de possédé. Le dragon tapi en lui le tourmentait jour et nuit, nuit et jour, du coucher au lever des Sept Lunes. Toutes ses pensées, ses fantasmes, ses rêves et cauchemars décortiqués un à
un par cette créature sadique et cruelle.
        Et cette vieille sorcière qui ne m'aide pas et laisse faire... qui laisse son empereur souffrir... La peste soit... Qu'elle crève !
        Cette pensée se mua en une nouvelle force. Il courut vers son maître d'armes et déversa sur lui une pluie de haine. Quelques instants plus tard, il s'écroula et vomit. D'un signe de sa part, son écuyer prit son épée, tandis qu’une servante lui épongea le front. Un garde l'aida à se relever. Il ordonna qu'on lui prépare un bain et quitta la salle d’entraînement.
        Partout où il passait, on le saluait. Il arriva dans une salle à la décoration sommaire, dont le dôme en verre l'éclairait de façon continuelle grâce à la rotation des Sept Lunes. Les murs beiges étaient veinés de marron. Une rangée de colonnes maintenait les vitres grâce à des équerres courbées.
        Andrew se déshabilla, puis se glissa tout doucement dans
son bain chaud. Il poussa un soupir de plaisir avant de fermer les yeux. Une jeune femme lui apporta une éponge et un savon sur un plateau d'argent. L'empereur claqua des doigts.
        Un goûteur sortit un petit couteau. Il coupa une fine lamelle de savon qu’il goûta avant de donner son approbation. Le
souverain se mouilla la nuque ainsi que le visage, puis se frotta vigoureusement le corps. Une autre femme lui lava les cheveux avec grand soin. Sa toilette finie, ses domestiques l’habillèrent de ses atours impériaux. Un homme lui remit en place les joyaux sur sa crête auburn séchée et parfaitement coiffée.
        Alors que l'empereur allait quitter la pièce, la vieille sorcière fit irruption, un sourire mauvais sur les lèvres. Elle ordonna aux domestiques de les laisser seuls. Que cachait-elle, encore ?

— Ils sont proches ! dit-elle avec extase. Ils arrivent ! Ils sont
magnifiques !
— De qui parles-tu ? interrogea Andrew.
— De l'armée que tu dois diriger... Ils sont tout proche... Très proche !

         Son rire sifflait. Il était effrayant. Andrew essaya de dissimuler sa peur. Peur pour son peuple, peur de ce que cette armée engendrerait comme massacres.

— Majesté ! appela un garde qui entra précipitamment
dans la salle. Il y a... il y a...
— Il y a quoi ? s'énerva Andrew.
— Venez voir par vous-même...

        La terreur qui se lisait dans ses yeux lui glaça le sang. La sorcière les suivit, ponctuant chaque pas d'un rire démoniaque. Le garde emmena son empereur dans des souterrains pour atteindre
les murs de rempart de la cité. Il monta quatre à quatre les marches qui menaient sur le chemin de ronde.
        Andrew entendait du bruit, le bruit d'hommes et de femmes prêts à se battre. Il retint quelques instants sa respiration. Le bruit se transforma en cris de gloire à son approche. La sorcière et le dragon n'avaient pas menti. Ils avaient répondu à l'invisible appel d'Aoltabrec. Ils scandaient tous en chœur son nom. Ils frappaient leur bouclier et le sol de leurs armes et de leurs pieds, levaient le poing pour certains. L'empereur, entre admiration et crainte, observait l'armée. Comme l'avait prévu la vieille femme, il y avait des ailés noirs, des illusionnistes, des dragons, des créatures du mal, mais il put aussi distinguer dans cette masse des hurleurs, des paladins, de très grands rois bons, voire même certains peuples reconnus pour leur pacifisme.
« Qu'as-tu fait ? » demanda-t-il au dragon aussi bien pour lui-même. Il aurait dû empêcher cela. Il était l'empereur de Gloriania, un être tout puissant ! Il avait été lâche... Il aurait dû combattre le dragon qui était en lui pour le bien de son peuple.
        Une larme coula lentement le long de sa joue.