FICHE TECHNIQUE
Titre :Dernières nouvelles de la vie
Auteur : Matthieu Gloiret
Type: recueil de nouvelles
Genre : SF
Éditeur : autoédition sur Amazon
Nombre de pages : 280
Dimensions : hauteur: 21,5 cm, largeur: 14 cm, épaisseur: 1,9 cm
Disponibilité : sur Amazon en broché ou ebook
Livre-Voyageur : NON pas encore
Quatrième de couverture Cinq nouvelles à la frontière de la science-fiction et du fantastique. Des récits où se mêlent joie de vivre et peur de mourir, désir de changer et besoin de perpétuer, des récits où demain serait un autre monde.
J'ai écrit la vie telle que je la vois: diverse, changeante, encore mal connue.
ExtraitÉTÉ 1969
C'est l'acmé de ta vie, Neil. Toute la planète est derrière toi. Tu es le premier homme à marcher sur la Lune.
En Mondovision.
La caméra filme maintenant Buzz en train de remonter dans le module lunaire ; tu as quitté son champ de vision. Tu marches assez rapidement. Au bout de deux heures d'escapade lunaire, tu as appris à maîtriser la gravité lunaire, un sixième de celle de la Terre. Tu sais maintenant que le sol ne s'enfoncera pas sous ton poids. C'était la plus grande peur de ta mère. La tienne, c'était l'alunissage. Tout ça est derrière toi maintenant. Comme les deux cents pages de procédures correspondantes, les alertes 1201 et 1202 qui t'ont donné des sueurs froides. Tu as quelques minutes pour toi. Tu as fini de prendre les photos, de monter les instruments de mesure, de prélever des roches lunaires. Tu vas pouvoir rentrer chez toi. Mais tu ne penses pas à ça. Tu as entre les mains ton PPK, ton paquetage personnel. Celui-là, tu ne l'as pas fait soigneusement. Comme beaucoup de choses qui te sont personnelles, tu les mets à l'arrière-plan. Le devoir d'abord, la mission en priorité. Les sentiments, après. Ce paquetage, tu l'as fait au dernier moment. Steven, ton père, t'a donné un tartan, le tartan du clan Armstrong, et t'a juste dit « Laisse-le là-haut, Neil. » Juste ça. Vous êtes des taiseux chez les Armstrong, de père en fils. Alors tu l'as pris. Il n'y avait pas de questions à poser.
Tu as huit minutes ; c'est ta mission dans la mission. CapCom te lâche les basques. Tout le monde regarde Buzz monter l'échelle et ouvrir la capsule. Il ne faut pas qu'il fasse de faux mouvements : la chute n'est pas tellement à craindre avec cette gravité, mais arracher un tuyau de la combinaison pressurisée ou accrocher un bouton du panneau de commandes avec ce scaphandre si volumineux, ça, c'est à craindre... et ça a failli vous arriver.
Tu marches au clair de Terre ; tu ne vois pas d'étoile. Il y a toujours ces flashs mystérieux. Buzz et toi en avez parlé. Des flashs lumineux, même les yeux fermés.
Tout est si sombre, ici. Si dangereux. Tu regardes où tu marches, mais tu ne vois pas tes pieds – la combinaison n'est pas assez souple. Personne ne sait que tu vas déposer le tartan ici, dans cet univers de gris et d'obscur. Tu crois deviner le continent américain derrière la couche nuageuse qui recouvre en partie la planète bleue. La vie est fragile. Cette phrase te traverse l'esprit un instant. Vois-tu ce nuage de points dorés se former devant toi ? Une illusion naissant de cet environnement si peu familier, un nuage de poussière éclairé par le rayonnement de la Terre, penses-tu. Et pourtant, c'est une forme de vie, la seule que connaît la Lune, satellite aride et sans atmosphère.
Tu tires sur la fermeture éclair du PPK. Le tartan est bien là. Il ne te rappelle rien, Neil ? Réfléchis. Le pucier de ton père, disait ta mère. Mais non, tu ne réfléchis pas, tu as autre chose à faire. Tu te répètes : « le tartan est la mission ». Dans quatre minutes, tu dois être revenu au pied d'Eagle, le module. Cette couverture bleue et verte, elle devrait te rappeler quelque chose. Tu l'étales devant toi et tu ne veux pas prêter attention à ces lucioles qui dansent là-bas. Le tartan flotte quelques secondes à gravité un sixième. Tu penses au chien que tu avais, enfant, sans savoir pourquoi. Tous les deux, au crépuscule, vous regardiez le ciel, les étoiles, la Lune. Ce doit être pour cela que tu as pensé à lui. Mais tu ne sais pas que dans le vide spatial, les pensées se diffusent sans obstacle. Tu ne sais pas que ces lucioles, là-bas, captent l'image de ton bonheur. Pour toi, elles ne sont que de la poussière. Comme celle que soulève ce tartan bleu et vert touchant le sol.
Ce tartan, c'était la couverture de ton chien Tippi. Et là, juste au moment où tu vas te retourner, le quitter définitivement des yeux, tu as un flash, pas lumineux celui-là ; c'est celui d'un souvenir précis avec Tippi. C'était durant l'été 1943.
ÉTÉ 1943, un souvenir de Neil
« Tippi, Tippi ! Viens ici, mon chien ! On part en excursion maintenant. »
Tippi, c'est la mascotte de la sizaine de scouts « la troupe du loup » – quand on a douze ans et qu'on veut s'affirmer, on ne cherche pas forcément un nom original. Tippi, c'est aussi et surtout le chien de Neil, un fier labrador qu'il a depuis ses trois ans. Un chien intelligent, comme son maître, et qui attire la sympathie, comme tous les labradors.
« Allez, viens Tippi ! »
Sous l'auvent de la tente canadienne, sur sa couverture, Tippi reste à mâchonner quelque chose. Lui d'habitude si obéissant n'écoute pas. Intrigué, Neil s'approche.
« Alors Tippi, une belle ballade... »
Neil s'interrompt en remarquant ce que son chien laisse pendre de sa gueule et, aussitôt, a un geste de recul car ce qu'il voit ressemble furieusement à une phalange toute noire.
« Tippi, lâche ça ! »
Suivant le ton impérieux de son maître, le labrador laisse tomber son mâchouillis. Sur la couverture aux motifs écossais se distingue nettement la forme d'un doigt humain. Il en faut plus pour impressionner Neil, le plus rationnel et le moins émotif des boy-scouts de « la troupe du loup ». Cependant, il est troublé, car comment appeler ça autrement qu'un doigt ? Son chien le perçoit, ou perçoit son intérêt pour la chose, et se dresse sur ses pattes tout en se pressant contre le jeune garçon.
« Oui Tippi, montre-moi où tu as trouvé ça. »