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 [ Écriture collective ] Texte du 19 Juin 2015

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Texte du 19 Juin 2015



Ont participé:

Pangolin
Hel

Citation :
Nathan et les Crados]  




Je rampai sous les buissons, en essayant de contrôler ma respiration. La sueur me piquait les yeux. Ne pas fermer les yeux, surtout ne pas les fermer.

Ils avaient surgi de derrière la souche d’un vieil arbre déraciné, alors que je remettais en place les collets que Papa avait installés. Les rats de rivière pullulaient plus que jamais, depuis l’accident. En fait, c’était comme si le chaos qui avait touché le monde s’était limité à l’homme. Tout le reste semblait tellement... normal. Ou l’était, jusqu’à ce que l’électricité tombe en panne, il y avait quinze jours de cela.

J’étais content, les pièges s’étaient refermés sur deux rats, dont l’un énorme, aussi gros qu’un de ces ragondins qu’on apercevait parfois encore, quand papa et Jory prenaient le canoë pour remonter le fleuve jusqu’à l’ancienne écluse. Tout était désert, tout le monde était parti. Ou mort. Ne restaient plus que papa, ma grande sœur Jory, et moi.

Un grognement, tout près de là. Je me fourrai le visage contre les feuilles mortes ; l’humus me remplit la bouche. Une branche basse craqua, et je vis un pied nu : blanc comme un os de seiche, mais couvert de bubons, griffé comme s’il avait été mâchonné par un chien sauvage.

Les Crados.

Je me tassais sur moi-même, retenant le jet de bile qui remontait le long de ma trachée. Foutu pied que la lune éclairait, le rendant encore plus luisant. Une vision d’horreur surmontée d’une odeur nauséabonde de chair en putréfaction venait jusqu’à mes narines, et je n’aurais su dire, si elle provenait plus du pied que des rats crevés qui pendaient de mes pièges la gueule béante. Je souhaitais très fort que l’odeur vienne des pieds et non pas de mes prises. Jory allait encore me bassiner, que les pièges il fallait les vérifier tous les jours, sans quoi ça servait même à rien d’aller les poser. Mais avec le cerf qu’elle avait tiré dans le parc en centre-ville il y avait deux jours, même papa n’avait pas été très pressé de revenir sur l’îlot relever les pièges. Je m’étais porté volontaire — j’adore naviguer sur le fleuve, on a l’impression que si on s’endormait, on pourrait se réveiller en plein milieu de la mer.

Non, concentre-toi ! On parle des Crados, là ; c’est quitte ou double. Ou tu réussis à leur échapper, ou bien ils t’attrapent, et là...

Ils étaient au moins trois.

Et moi j’étais tout seul sur ce petit îlot — c’était le meilleur endroit pour chasser le rat de rivière, et papa avait dit que les Crados étaient partis, attirés par les hommes qui survivaient encore du côté du bois de Vincennes. Mais ici, non il avait été catégorique, il ne restait plus qu’eux. Trois personnes barricadées dans une vieille maison, en bord du fleuve. On avait vécu sur nos réserves, terrés comme des marmottes qui attendent la fin de l’hiver. Pour nous : le départ des Crados, attirés par la soif de nourriture... Nous.

Et puis les Crados ne savent pas nager, papa l’avait toujours dit !

Et pourtant ils étaient trois sur son îlot, à me renifler. Je devais rejoindre le canoë et traverser le fleuve. Prévenir papa et Jory.

Seulement pour cela, il fallait que je fasse tout le tour de l'ilot et les trois Crados se tenaient pile-poil entre moi et le canoë. Tout le tour de l'îlot, ça voulait dire des tas de branches et de brindilles, de feuilles mortes, de flaques qui font des plocs quand on claque les pieds dedans, et des tas de petits gravillons sournois prêts à crisser sous mes semelles et à trahir ma présence. Autant d'éléments ligués contre moi, autant de chances de me faire becqueter vivant. Je voyais déjà les trois cadavres m'encercler, les yeux exorbités et la bave aux lèvres, tendant leurs mains poilues aux ongles jaunis.
Je me forçais à prendre une profonde inspiration. Les deux rats étaient sur le chemin du canoë, mais je n'allais pas prendre de risques à essayer de les récupérer. Je visualisai ma petite embarcation : d'un jaune fluo, en plastique, la pagaie en métal calée à l'intérieur. Le problème, c'était la corde qui l'attachait à l'arbre. Je n’avais jamais su faire les nœuds marins — Jory se moquait souvent de moi d’ailleurs — et c’était donc avec les mêmes double-nœuds qui laçaient mes chaussures que je serrais la corde. Je fis jouer le manche du grand couteau glissé dans sa gaine, à ma ceinture. Je sentais que si je ne me levais pas maintenant, je n’aurais bientôt plus le courage de faire un geste.

Je ne pouvais pas finir comme un rat de rivière !

Je me décidai en un éclair. Sans réfléchir, je criai :

« Maintenant ! »

Je me redressai d’un bond, la figure dégoûtante, et je me retrouvai face à face avec une ruine de visage. Un Crado. J’en avais jamais vu un de si près, et à choisir je m’en serais franchement passé. Il avait même pas les yeux raccords mon Crado, d’ailleurs un des deux s’était délogé de son orbite, et relié par quelques filaments pendait mollement le long de sa joue. Ajoutez à cela que ce n’était pas un nez qu’il avait au milieu du visage mais plutôt un genre de cratère, sorte de trou béant, où gigotaient quelques asticots, du moins il me semble bien avoir vu de petits trucs blancs gigoter à cet endroit, et vous avez une idée de ce que peut-être une tronche de Crados.

J'ai même pas eu besoin d’y réfléchir deux secondes, pas besoin même d’y réfléchir tout court. Je veux dire, dans ce genre de situation, tu réfléchis plus, y a juste ce truc dans l’air, qui te dit que c’est lui ou toi. Evidemment je préférais que ce soit lui. Alors je pris tout mon élan, rassemblant toutes mes forces, et d’un coup je m’élançai en tenant fermement mon grand couteau de la poigne de mes deux mains. Il y eut comme une sorte de cri de guerrier, mais genre cri méchant et tout, qui sortit de ma bouche. Tellement ouf le cri, que je mis un moment à réaliser que c’était bien ma voix. Puis j’abattis mon couteau en avant. D’un coup puissant, renforcé encore par ma peur.

La lame se planta au milieu du front du Crado, et il poussa un « gaa... » chargé d’une haleine fétide qui m’atteignit en plein visage. Une vague de bile m’inonda alors la gorge.

J’essayai de dégager ma lame. Coincée ! Déséquilibré par le coup, le Crado tendait déjà une main où manquaient deux doigts. Tant pis pour le couteau de papa : je me jetai au sol en effectuant une roulade. M’enfuir, vite !

Je me relevai derrière Crado numéro un. Ses deux amis me faisaient face, séparés de moi par la souche du vieil arbre. Je me mis à courir sur ma droite, et ils bondirent à ma poursuite, leurs grognements s’élevant dans l’air nocturne comme les cris de chiens lancés dans une chasse morbide. Sans la pleine lune, je me serais surement empalé sur une racine ou une branche dressée.
Je courais aussi vite que je le pouvais, plus vite que ce que je pensais être capable de faire. Mais ils étaient encore plus rapides.

Le canoë !

Je le voyais, il clapotait à deux mètres du bord, la corde solidement attachée. Je mettais ma main à la ceinture pour en sortir le couteau...

« Merde ! »



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