Chapitre 22
Voyage
Je n’ai pas prononcé un mot depuis que nous sommes revenus. J’ai trouvé l’attitude de Matilde vraiment très petite.
Après, elle n’a pas encore révélé ma nouvelle capacité de voyager d’un endroit à l’autre à Eden, ni le but réel de notre expédition à l’étage. Je ne sais pas trop quoi penser de tout ça. Elle n’a pas non plus révélé l’information que nous avons apprise, ni que certaines personnes ne dormaient pas.
Je n’ai pas eu le courage de tirer tout cela au clair, j’étais trop fatiguée et je me suis endormie dès que ma tête a touché l’oreiller. Mais dès que je croiserai Matilde entre quatre yeux, je veux mettre tout à plat.
- Debout les marmottes !
Ralph est déjà en pleine forme à l’entrée de la chambre.
- Mmh ? c’est quelle heure ? émerge Matilde.
- L’heure de se lever. Crie Tom par-dessus l’épaule de Ralph.
- Il n’est pas de bonne, chuchote Ralph
Il referme la porte pour nous laisser l’intimité nécessaire pour nous lever.
Je me dirige vers le miroir accroché contre le mur pour me coiffer. Je ne reconnais pas la jeune fille du reflet. Ses joues sont creusées et d’énormes cernes entourent ses yeux lui donnant l’aspect d’un panda. Cette fille, c’est moi après six mois d’épreuve.
- Alors, t’es belle ? m’apostrophe Matilde
Je me retourne pour la fusiller du regard. Mais pour qui se prend-elle ?
- Oh ça va ! j’ai fait exprès, avoue-t-elle.
- Hein ? tu crois que ça me plait de m’en prendre plein la tête ?
- Ecoute ! si Tom te croit responsable d’une petite escapade, il ne me posera pas de question. Et les informations, c’est moi qui les ai !
- Tu veux dire que tu as fait ça pour nous couvrir ?
Elle a une étrange tactique. Mais en tout cas, ça a marché. Tom ne se doute pas un instant qu’elle est ma complice.
- Alors, qu’as-tu trouvé ?
- Malheureusement, rien de concluant.
- Tu veux dire qu’on ne sait pas quand il va revenir à Thesan.
- Je sais où il sera, mais pas quand. Par contre, ce qu’on a appris est bien plus important ! dit-elle enthousiaste. Tu peux voyager sans l’aide d’un transporteur. Tu crois que ça marche aussi ici ?
J’en doute, parce que j’ai souvent eu le désir de me rendre quelque part sans que rien ne se produise, mais maintenant que je sais mieux contrôler mon flux cérébral, je devrais peut-être tenter l’expérience.
- Que fait-on maintenant ? lui demandé-je, histoire d’accorder nos violons.
- Eh bien, je ne t’aime pas et je ne peux pas te voir, termine-elle avec un clin d’œil avant de franchir la porte.
Je soupire ; j’aurais préféré une autre parade plus agréable pour moi.
Je termine de m’habiller. Tom a pensé à acheter tout ce dont je pourrais avoir besoin, et même dans des petits détails, comme du parfum ou des élastiques pour mes cheveux.
C’est terrible tout de même. D’un côté, il est dur avec moi, voir même méchant, et de l’autre, il pense aux petites choses de la vie, aux petits détails qui peuvent rendre un séjour plus agréable. Il faudrait quand même que je le remercie pour tout ça. Peut-être que cela suffira à apaiser les tensions entre nous.
Je prends le parfum qui repose sur la commode devant moi et m’en asperge. Il sent vraiment très bon et me correspond en tout point. Tom me connait toujours aussi bien après tout ce temps loin de moi.
Je commence à culpabiliser de le faire souffrir en aimant quelqu’un d’autre. Pourquoi n’ai-je pas pu rester fidèle à mes sentiments pour lui ?
Je frissonne. L’amour n’est pas quelque chose de palpable. Il nait là où on ne penserait pas que ce soit possible. Peut-être comme lorsqu’on croise une femme vraiment laide accompagnée d’un bel homme à son bras. L’amour peut voir au-delà des apparences, et c’est lui qui dicte notre conduite.
* * *
Je traverse le couloir pour rejoindre les autres qui se trouvent à la cuisine, lorsqu’une voix dans mon dos me fait sursauter.
- Tu sens bon ! Il te plait ?
Tom est appuyé contre le mur, son regard perdu dans le vide.
- C’est moi qui l’ai choisi.
- Oui, il sent très bon. C’est tout à fait ce que j’ai l’habitude de porter.
Il vient me rejoindre et se place devant moi. Il cherche ses mots et son regard est fuyant.
- Amyline, ce n’est pas personnel lorsque je suis dur avec toi. Tu dois comprendre que lorsqu’on veut mener à bien une mission avec un groupe de gens, les sentiments ne doivent pas entrer en jeux.
Il me regarde maintenant. Ses yeux, d’un brun noisette, me transpercent. Il pourrait lire dans mes pensées tellement ce regard est pénétrant. Mon cœur et mon souffle s’emballe. J’ai peur de ce qui pourrait survenir.
Je t’ente de reculer d’un pas pour reprendre le contrôle de moi-même, mais je me heurte au mur derrière moi.
- Merci !
C’est tout ce qui me vient à l’esprit, et cela le fait sourire.
- Merci pourquoi ? dit-il en prenant appuis d’une main contre le mur à côté de mon visage.
- Eh bien, de tout ce que tu as fait pour moi. Le sauvetage, et tout ce que tu as acheté pour mon confort. Je n’ai pas pris le temps de te remercier.
- Oh ! ce n’est rien, c’est normal.
- Où sont les autres ? demandé-je pour changer de conversation et me sortir de cette impasse.
- Ils sont sortis.
- Sortis ?
- Je les ai envoyé faire quelques courses, on est tranquille tous les deux.
Un frisson glacé me parcoure le corps et me fige sur place, tel un bloc de béton s’abattant sur mes épaules, me paralysant.
Tom entrelace ses doigts dans mes cheveux et joue avec une mèche. Je veux bouger, me dégager, mais mon corps ne répond pas. Les battements de mon cœur résonnent dans mes oreilles et mon esprit s’embrume. Je perds totalement le contrôle de tout ce qui m’entoure.
Ne peut-il pas lire dans mon regard affolé que je ne veux pas ? Pas comme ça !
- Je vois qu’il y a beaucoup de choses que tu n’as pas apprises avec ton instructeur, reprend-il un sourire en coin. Ne résiste pas, ça te fera plus de mal.
Tom pose ses lèvres sur les miennes. Je ne réponds pas à son baiser, mais ne peux pas non plus le repousser. A-t-il le moyen de prendre le contrôle de mon corps ? Marcus m’a dit qu’il était doué, mais je n’aurais pas pensé à ça. Peut-il manipuler les gens à sa guise ?
Il m’attire près de lui et me soulève. Il m’emmène dans ma chambre et me dépose sur le lit.
D’un geste Tom ôte son pull et le jette plus loin. Il me couvre de ses baisers et me susurre des choses à l’oreille, mais je t’entends plus rien. Je m’enferme dans une bulle de protection pour ne pas sentir ses mains se faufiler sous mes vêtements, ni son corps de presser contre le mien.
J’espère intérieurement que Matilde a raison : si je peux voyager d’un point à un autre dans le même monde, c’est le moment où jamais de le tester. Je ne peux pas laisser Tom me faire du mal sans résister.
Je réunis les dernières gouttes d’énergie qui m’habite pour fixer mon esprit sur un lieu qui m’est familier, la rue qui mène au café Marino. J’y ai beaucoup joué enfant, pendant que maman travaillait avec Toni. Je focalise toute ma volonté dans le désir de m’y retrouver.
Un tourbillon violet apparait et m’emporte loin de mon persécuteur.
* * *
Je suis assise sur un banc et j’ai froid. J’aurais mieux fait de choisir un endroit chaud au soleil, plutôt que cette rue.
Les passants défilent devant moi et me jettent tous un regard étonné. Eh oui ! Une jeune fille sans veste au mois de décembre peut paraître étrange.
- Amyline ? c’est toi ?
Je me retourne et aperçois Marc. Je lui fais un petit signe de la main pour le saluer et tente un sourire peu convaincant.
- Mais qu’est-ce que tu fais là ? Dehors et sans veste en plus ? Viens, allons au café !
- Non je ne peux pas. Il ne faut pas que ma mère me voie. Pas encore.
- Alors dans ce cas, viens chez moi, je n’habite pas loin, un peu plus bas sur la rue.
Marc est toujours agréable, plein de douceur et de patience. Marlène a vraiment beaucoup de chance.
Il sort de son sac un pull et me le prête le temps que nous regagnions son appartement. Il vit seul depuis quelques mois. Il a trouvé un emploi dans une banque, m’annonce-t-il fièrement.
Mes pensées sont tiraillées dans tous les sens, mais il me reste suffisamment d’attention pour m’apercevoir que quelque chose ne va pas : Marc est triste.
- Où étais-tu pendant tout ce temps ? me demande-t-il en me tendant une tasse de chocolat chaud pour me réchauffer.
- C’est une longue histoire, très compliquée. Et je n’ai pas le droit d’en parler, je suis désolée.
- Tu sais, Marlène a failli devenir folle ? Elle se sent responsable.
- Elle n’est pas responsable. Mais je comprends ce qu’elle a dû ressentir. Et maintenant, elle va comment ? Elle fait quoi ?
- Tu sais, cela a été très dur et je ne la reconnaissais plus. Elle s’enfonçait et se refermait sur elle-même.
- Tu veux dire que vous n’êtes plus ensemble ?
- Non…
Je suis vraiment triste pour eux. Ils étaient si heureux ensemble, en parfaite harmonie.
- Elle est à l’hôpital, fini-t-il par dire.
- A l’hôpital ?
- Il y a trois semaines, les médecins lui ont découvert une tumeur au cerveau.
Je reçois un coup de poignard dans la poitrine. Je suis en train de perdre tous ceux que j’aime.
- Est-ce que tu pourrais venir la voir, s’il te plait ? Les médecins pensent qu’elle ne va pas s’en tirer. Et je ne veux pas qu’elle parte sans savoir que tu es là.
La peine m’envahit et je pleure. Je pleure d’avoir menti à ma mère et ma petite sœur, je pleure pour Marlène qui souffre et pour Joshua qui me manque terriblement. Il avait toujours la solution à chacun de mes problèmes. Avec lui, j’étais en sécurité, jusqu’à…
Je tente de sécher mes larmes car Marc commence à pleurer à son tour.
- Ecoute ! pour le moment, il sera difficile que j’aille la voir. Je dois d’abord trouver un endroit où me cacher. Mais dis-lui que je l’aime et que je viendrai.
- C’est si compliqué que ça ?
- Oui !
- Tu peux rester ici si tu veux. Je ne dirai rien.
Je réfléchis un instant. Le Conseil ne semblait pas s’intéresser à son cas, ni même faire attention à son existence. Tom ne le connait pas non plus. Marc est entré dans la vie de Marlène après sa disparition. C’est un endroit idéal.
- C’est vrai, je peux rester ? Alors, c’est formidable.
- Il y a quelques vêtements à Marlène dans le placard, si tu en as besoin. Je vais te laisser, je lui ai promis que j’irais la voir en rentrant du travail. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète encore inutilement.