Nombre de messages : 3865 Âge : 27 Date d'inscription : 12/07/2011 | Nywth / Ex-Ombre passée du côté encore plus obscur. Dim 9 Juin 2013 - 23:33 | |
| Voici le texte produit lors des EC du 08 et du 09 juin (la première n'ayant pas été suffisante pour terminer la nouvelle). N'hésitez pas à lire !
Groupe
Mr.Pacific, Nyjée, Tibekamer, Claireninou
- Spoiler:
Sur un air marin Les derniers bateaux étaient amarés dans l'eau boueuse. Une fine brume recouvrait l'endroit depuis plusieurs heures. Seuls le bruit de l'océan et les cris des mouettes venaient briser un silence religieux. Après leurs sorties en mer, les pêches se recontraient à La Sirène du Havre, bar non loin du port. À ce moment de la nuit, peu de gens le fréquentaient ; c'était l'heure des derniers touristes, accoudés au coin des rues, près de leur voiture. Des marins, quelques marchandeurs de bonne aventure, une dizaine de personnes en tout. Le patron, assis derrière son comptoir, lisait le journal de la veille, essentiellement la page consacrée au sport. Des lunettes noires, de ces montures vendues aux nigauds pour trois francs six sous, pendouillaient au bout de son nez. Un simple maillot de corps rapiécé et un pantalon bleu cachaient sa silhouette grotesque. Un vieux gramophone d'avant-guerre diffusait de la musique populaire ; le vinyle usé crachotait des notes irrégulières.
En fond de salle une tout autre mélodie se faisait entendre. Une porte en bois décolorée arborant un écriteau "hors service" semblait être la source de cette partition singulière. Des bribes de voix s'élevaient ; de grands éclats de rire se mélangeaient à des silences inconfortables. L'atmosphère dégageait un sentiment de gêne et de tensions, la pièce principale, bien qu'à demi pleine, cessait peu à peu ses vociférations alcoolisées pour tendre l'oreille et décrypter ce qui se disait. Le calme se faisait violence, et même Mercedes, derrière son comptoir, qui n'avait pas décroché son regard de son journal depuis une heure environ, leva le menton, pour cerner l'effervescence de ses clients. Puis, quelques marins se remirent à discuter entre eux, de petites messes basses qui déplurent au patron car, quelques minutes plus tard, ignorant l'heure indiquée par une grosse horloge au verre brisé, il sortit de derrière son comptoir en agitant les bras :
" Désolé m'sieux, dames, le bar ferme ses portes. Allez, allez tout le monde dehors. J'ai pas envie d'avoir d'ennuis avec les poulets moi."
Des murmures de protestations s'élevèrent mais, devant la mine sévère de Mercedes, les matelots se levèrent et partirent. Lorsque tous furent sortis, il ferma la serrure à garniture. Puis il se tourna vers la porte sois-disant condamnée. Ce silence... Il entendait le plancher grincer sous ses pas. Bon sang que se passait-il là-bas? Il nettoyait frénétiquement son comptoir avec un vieux chiffon usé, imaginant les plus folles possibilités, quand tout à coup la porte s'ouvrit en grand. Une odeur de tabac s'infiltra dans la grande salle, tandis qu'une silhouette se campa sur le seuil. Le patron s'arrêta net et regarda dans sa direction.
C'était un homme très grand - ou peut-être l'encadrure de la porte, simplement petite - dont les cheveux touchaient presque la lampe fixée au bord du mur ; des cheveux de son emprisonnés dans ce rayon de lumière blafard. Et, en parallèle, au bord de sa bouche, le cigare qui pendait paraissait encore un peu plus sombre que la crasse du bar - un petit peu plus perdu encore entre les deux lèvres trop fines, à fleur de langue.
Le patron fit un pas en arrière - un instinct de vieux marin - et sa main frôla un verre qui ne vacilla qu'à peine. L'autre le regarda, et passa sa main sous son veston taillé à la perfection, dévoilant un flingue. Le vieux loup de mer prit le verre avec l'intention de le jeter sur l'inconnu; peine perdue. L'homme tira sur son cigare et demanda d'une voix forte qu'on apporte d'autres bouteilles. Le marin lâcha son verre qui roula le long du comptoir et souffla un grand coup. Il saisit une bouteille et hésita à la balancer. Les conséquences auraient été néfastes pour son bien-être et l'état de son bar. Il préféra l'apporter, non sans ronchonner sur les relations qu'entretiendrait la mère de cet homme.
Dans la salle ils étaient cinq. Tristement identiques. Des glaçons fondaient encore doucement dans un verre ; les quatre autres paraissaient vides. Il comprit qu'une bouteille ne suffirait pas, et en ramena deux autres. La pièce s'emplissait (ça se dit je crois?) d'un brouillard épais et la seule lampe ne suffisait pas à éclairer l'ensemble de celle-ci. Le halo lumineux ne dépassait guère un périmètre plus ou moins égal à la taille de la table. Ils étaient tous assis en cercle autour de celle-ci, de gros cendriers remplis faisaient face à des verres à moutarde pour la plupart à demi terminés.
Un autre des hommes dit au barman de rester. Ça puait. Un troisième pouffa de rire. Il était fin et sec. Son visage paraissait pâle, géométrique, encadré par un complet à rayures noires-grises et par un petit chapeau melon. Les deux derniers ne portaient pas de gants et avaient des paumes de marins, façonnées par la houle. L'un semblait proche de la retraite, l'autre frisait la trentaine. Il y avait devant eux, en jeton et en liquide, de quoi acheter la moitié du Havre. Les cartes étaient éparpillées, disséminées aux quatre coins de la table. L'un des hommes, celui au chapon melon, sortit de son veston un nouveau paquet de cartes. Cela ne sent pas bon, pensait le tenancier, qui aurait préféré se trouver à des lieux d'ici.
L'un des marins se leva, les autres ne semblaient pas plus surpris que ça. Il avait du mal à se mouvoir, la pièce étant assez exiguë. L'odeur du tabac froid n'arrangeait rien à la bonne ambiance. Il s'approcha de l'homme au melon, se pencha, lui murmura quelques mots à l'oreille. L'homme au melon acquiesça et fit un signe de la main au marin, pour lui signifier qu'il était d'accord. Puis il sortit de la pièce, en lançant à Mercedes :
— Je veux téléphoner ! — La ligne a été coupée depuis Cyclone. Ou plutôt, coupée depuis la dernière facture impayée. — Cyclone ?
Et un bruit de chaises renversées. Le plus vieux des deux marins apparut dans l'encadrement de la porte ; son visage affichait une mine assez peu encleinte à la sympathie. Les deux bras croisés, tous deux débordants de tatouages divers, gravés au cours de ses nombreux voyages. Il avait une fine cigarette au bord des lèvres, lentement il déplia ses doigts, l'attrapa et la jeta par terre. Mercedes eut un faible moment d'hésitation puis lança d'une voix forte mais chevrotante :
— J'ai eu trop d'ennuis ces derniers temps pour laisser une bande de malfrats saccager mon gagne-pain.
Étrangement, le marin fut prit un fou rire, qui s'amplifia au fil des secondes. Les yeux rouges, il finit par se calmer, et parla à son tour :
— Nous n'avons pas spécialement l'envie de "saccager" ton bar. Nous voulons juste te montrer ce qu'il se passe quand on a l'imprudence de parler de nos affaires." Il claqua des doigts et deux des hommes en costume s'avancèrent vers Mercedes et saisirent chacun un de ses bras. — Max, amène-le dans l'autre pièce. Nous aurons plus de place. Celle-ci est bien trop petite pour ce que nous avons à faire.
Le gérant hurla et se débattit - ils hurlent tous, même quand ils ont une grande bouche. Puis bégaie :
— V... vous allez pas faire ç... ça ? — Non, bien sûr que non, ricana l'un d'eux. — Et maintenant, ferme-là ! dit l'autre. Y'en a marre de t'entendre brailler comme un porc qu'on égorge.
La porte "hors service" se referma. Elle n'allait plus tellement servir, c'était certain. Le chef de la bande s'assit. Il retira son chapeau melon et le posa sur le comptoir. Il se saisit d'un verre et d'une bouteille de ce qui avait du être autrefois une sorte de whisky. Il but une gorgée, et planta son regard dans celui de Mercedes.
— Maxime, demande à monsieur comment il a eu vent de Cyclone.
Le fameux Max s'approcha du barman. Il retroussa sa manche droite et décocha une violente gifle.
— Vous avez toute notre attention monsieur.
Voyant que celui-ci ne parlait toujours pas, Max lui en remit une. La joue de Mercedes enflait et prenait une teinte assez inquiétante.
— Comprends bien que je ne fais pas ça par plaisir. Je préfèrerais descendre un canon avec toi. Mais tu vois, mon patron, il n'aime pas trop qu'on jette un oeil dans ses affaires. Alors, maintenant, il faut cracher le morceau. Où as-tu entendu parler de Cyclone ?
Mercedes marmonna quelque chose du genre "J'en sais rien". Le gangster soupira un grand coup.
— Écoute, si tu ne nous aides pas je vais devoir passer aux choses sérieuses. Et là, ça va être nettement moins agréable. Je te conseille donc de ne pas me mettre à bout.
Maxime, pour donner plus de forces à ses propos, décocha un coup de poing. Mais le patron ne desserra pas les lèvres. Un des marins déboucha une bouteille, s'en enfila une lampée puis la brisa sur le parquet. Les éclats de verre restèrent abasourdis une fraction de seconde, puis reflétèrent brusquement la lumière blafarde des lampes murales. Mercedes crut les voir gonfler, gonfler tel des poumons alcoolisés ; bientôt, ce serait lui qui gonflerait... Bientôt, ce serait lui qui gonflerait ! — Vous jure que je ne sais pas de quoi vous parlez ! — Tu veux me faire croire que tu ne sais pas de quoi tu parles... Désolé, je ne suis pas convaincu. Max, réexplique-lui un peu mieux la situation.
Max s'approcha du comptoir. Il se retourna vers Mercedes avec un large sourire puis sauta par dessus le bar et commença à jouer avec les verres. Puis il fit tomber une à une les bouteilles qui s’alignaient derrière lui. Elles s'éclatèrent au sol et se brisèrent dans un torrent d'alcool. Le liquide dessina quelques arabesques vulgaires avant de rapidement former une grande flaque qui s'insinua un peu partout. Elle engorgea le bois qui composait le comptoir et le sol. Rien de bon s'annonçait, pensait Mercedes. De grosses perles de sueur perlaient sur son front.
— Je vous jure, j'sais rien ! — Max...
L'homme souria encore une fois et sortit une boîte d’allumette. Il la fit tourner dans ses mains avant de l'ouvrir avec lenteur. Il se saisit d'une allumette qu'il montra au barman. Puis il la craqua et la lâcha. Les flammes se répandirent rapidement sur le parquet. — Monsieur, vous avez intérêt à nous répondre dans les plus brefs délais, à moins que vous ne désiriez que les dégâts soient irréparables.
Mercedes laissa échapper une longue plainte. Le comptoir brûlait entièrement. Le gérant se démenait comme un diable mais cela ne servait à rien. Le pauvre bougre sentait la chaleur effleurer, enfler le long de son corps. Le chef de la bande remit son chapeau melon. La petite pègre locale regarda une dernière fois le bar ; les flammes léchaient les moindres recoins.
— Dommage, vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas laissé votre chance. Max je te fais confiance : qu'il ne puisse pas s'enfuir.
L'homme prit Mercedes et le jeta à terre. Il frappa ensuite la jambe du tavernier avec le plat de sa semelle. Un bruit sinistre. Le loup de mer hurla de douleur. Maxime le roula ensuite près des flammes.
— Mais mais... j'vous jure que je comprends pas un mot de c'que vous me reprochez ! — Bien sûr, bien sûr. C'est un peu tard pour se confesser. — J'crois qu'vous vous trompez. Doit y'avoir un malentendu."
La porte se referma sur ses derniers cris, puis il ne hurla plus - on ne peut pas hurler la gorge brûlée. En silence, Maxime déposa trois mèches de cheveux de l'autre côté de la route. Le vent ne soufflait pas. Demain, elles seraient encore là.
Dernière édition par Nywth le Dim 16 Fév 2014 - 10:53, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 37 Âge : 27 Localisation : Dans mes vêtements de préférence. Sinon, en Belgique. Pensée du jour : Paaaaaapillon ! Date d'inscription : 14/09/2013 | Zachanariel / Petit chose Dim 15 Sep 2013 - 15:46 | |
| Ma foi, ce texte est vraiment pas mal ^^ Je n'ai pas l'habitude de lire des nouvelles et donc je ne peux pas vraiment développer mon avis, mais j'ai lu ceci facilement, et avec plaisir, bien que ce ne soit pas trop mon style (je m'oriente plus vers le fantastique). J'espère un jour lire une autre de vos collaborations ^^ |
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