Nombre de messages : 3865 Âge : 27 Date d'inscription : 12/07/2011 | Nywth / Ex-Ombre passée du côté encore plus obscur. Sam 23 Mar 2013 - 0:25 | |
| Voici les textes produits par nos fiers écrivains en cette soirée ! Si vous passez lire, merci de laisser un petit message pour eux !
Groupe 1
Mr.Pacific, Nyjée, Dadouw - Spoiler:
Les éclairs dans l’arène ont tombé — Utilise le chien ! — Mais, t'es dingue ? — Utilise le chien j'te dis ! — Bon... Malik avait passé un cache-misère sur ses oreilles pour ne plus entendre. Passé la surprise initiale, il ne lui restait plus que de la déception. Il l'aimait bien, ce chien. Mais il allait devoir s'y faire, finalement. Et puis, ça le démangeait, le cache-misère. Mais la vraie plaie, la vraie sournoiserie du cache-misère, c'était sa couleur : pervenche, comme les uniformes des flics, dans le temps. Ou comme ceux des bleus pendant la Guerre. Insupportable. — Utilise le chien, que j'te dis ! — La ferme, Gustave ! Tu vois pas que j'essaie de compter les os ? — Ben, non. J'suis aveugle. Le regard de Malik passa sur son compagnon comme s'il le voyait pour la première fois. C'était peut-être le cas. Il ne se souvenait plus. — Oh, lâcha-t-il. Sérieux ? C'est pas encore une de ces histoires que tu inventes pour me laisser faire le sale boulot ? — Non, parce que je suis sourd aussi. Je ne vais pas mentir avec ce qu'il me reste. Trop peur qu'on m'arrache la langue. — Oui, logique... Malik avança une main devant le regard de son ami. Aucune réaction. Pas plus que devant la grimace qui suivit, ou son majeur dressé. Alors, puisque Gustave ne pouvait pas protester, il prit le chien par une patte. Peut-être que les pattes repoussent une fois coupées, comme la queue d'un lézard. Et puis, dans tous les cas, la pauvre bête était déjà sérieusement entamée. Sans doute, les bêtes mortes ne repoussent pas. — Passe-moi la moutarde, tu veux ? — Tiens. — Ne fais pas l'enfant, tu sais bien que ce n'est pas de la moutarde. D'ailleurs... — Je ne vois rien, je ne peux pas le deviner ! — ... tu as commencé à découper le chat, aussi. — Ah, merde. Je croyais que c'était dog. — Ouais, c'est drôle. Si tu savais ce que tu viens de me tendre ... — Ne me le dis pas. Je tiens à conserver le Nirvana. Au moins jusqu'à la prochaine pleine lune. Et dans la mesure du possible, jusqu'à la résurrection du Dalï-lama ou l'élection d'un nouveau pape. C'est toujours une question de... Ka-boom-ka-scroum-ka-sloum. Le bruit d'une explosion se répercuta dans le lointain, longue et terrifiante. Gustave soupira. — Ils n'ont pas utilisé leur chien. Les imbéciles... — Tu crois, hésita Malik, tu crois... qu'ils sont morts ? — S'ils n'ont pas utilisé le chien, oui, y'a des chances. — Faudrait peut-être aller voir ? — On pourrait. Oui, oui, on pourrait. Mais notre clebard, tu viens de l'avaler avec la moutarde. On va pas prendre de risque, ça vaut mieux. — Il ne marchait plus très bien... Et puis, il nous reste le chat... le chat ? Putain, il est où le chat ? — Miaouuu. — Ah. C'est bon. Il est sous mon pied, avoua Malik. — EN FAIT, C'EST TOI LE CHAT !!! Gustave trouva un couteau, une fourchette, et se mit à entailler Malik. La blonde qui les observait, rebelle, assise sur le canapé avec un air placide et ennuyé, se décida enfin à intervenir. — Euh, dis ? T'es vraiment en train de le manger ? — Ben... — En fait, répondit Malik, il est en train de se manger lui-même. — Non, c'est bien toi que je mange, sauf que tu ne sens rien. — C'est c'qu'on appelle de l'insensibilité nerviale. C'est très rare et très ennuyeux, surtout quand on a dix-sept ans, comme moi... - Pratique, surtout, parce que je t'ai déjà mangé à moitié, répliqua Gustave. — T'es déjà aveugle et sourd, arrêtes de le bouffer, tu veux pas devenir con, aussi, quand même ? intervint une brune, blottie dans un coin du salon. — Oh, ta gueule, la tétraplégique, dit le sourd. — Ouais mais quand même, insista la blonde, je suis la seule à avoir entendu ka-boom ? — Ka-boom-ka-scroum-ka-sloum. — Ka-boom-ka. — Ka. — Merde, faudrait se mettre d'accord, conclut Malik. Le bruit dépend de l'animal. Si on veut s'en tirer... — Moi je suis certain que c'était ka-boom-ka-scroum, ou quelque chose comme ça. Typique d'une bande d'abrutis qui laissent leur chien vagabonder par tendresse, alors qu'ils devraient s'en servir. On ne sortira jamais de cette putain d'île si on fait comme eux. — Oui, ajouta Gustave. Dieux, ils ont truffé le salon de mines antipersonnel. C'est pour ça qu'on reste sur les canapés. — Moi, je suis pas sur le canapé, dit la brune. — Ouais, mais toi, tu peux pas bouger. — Moi à mon époque, commença le vieux, les chiens je les utilisais pour mon Browning.... Ah c'était le bon temps, on avait des voitures à roues, des boissons alcoolisés et pis des... Koarf Koarf Koarf. Mes quintes de toux reprennent, mince. — Putain, dire que c'est le seul qui est pas handicapé ici... Faut qu'il dise des conneries. Un éclair, une onde de couleur vague qui traversa le ciel et que les aveugles ne perçurent pas mais que les tétraplégiques purent admirer dans toute son intensité lumineuse. La brune - qui avait un nom de famille et un prénom mais que tout le monde appelait Véro ou "la tétraplégique" -, essaya de se redresser, avant de s'effondrer mollement sur le tapis, les dents de travers. Le Vieux se caressa pensivement l'aisselle et se fendit d'un rire gras qui fit sursauter la blonde. Gustave termina de déguster son ami Malik. Trempant un bout de chair dans de la moutarde à l'ancienne. Volée à la Courtepaille. — Putain, ramasse les os, c'est crade ! s'exclama la brune. — T'as qu'à le faire toi. — Mais j'peux pas bouger ! — Oh ! Les jeunes, un peu de calme ! Je m'entends plus mâcher. Un peu de respect pour les personnes normales. — J'ai raté quelque chose ? hasarda la blonde. — Oui. Tout. — ... Méchant. Je boude. T'as tout gagné, voilà. Je boude. Comme personne ne l'avait remarqué, l'éclair lumineux se fâcha et frappa. Puis encore une fois. A la troisième - ou est-ce la quatrième - fois, Véro l'aperçut. (Comme quoi, il suffisait d'insister.) — Ouais, c'est bon, on a compris, on va aller voir quel animal c'est, hasarda-t-elle Le squelette de Malik se releva, charga la tétraplégique sur son épaule, et ils sortirent. Silence. — Dites les gosses, y'a pas eu un petit bruit ? Mes foutues oreilles bioniques n'entendent plus très bien, éructa le Vieux en tapant dessus. — T'es à la traine, rétorqua Gustave. — Et on t'a déjà dit d'arrêter de te taper sur les oreilles. C'est pour ça que t'es sourd. — QUOI ?! hurla Gustave. — C'est pas à toi qu'on parle, reste dans ton coin. — Comment ça sourd ? Mais j'entends très bien ! J'entends mieux que vous ! C'était simplement pour... Pour vérifier si vous vous entendiez, voilà pourquoi ! — T'es complètement con, en plus... La porte vola en éclat. Derrière, un grand homme voûté apparut et se mit à fixer l'assemblée avec des yeux de panique. Tremblotement compulsif de ses muslces et de sa graisse. Il bégaya. — C'éta...aaaiiiit un... un... un... un CHE CHE CHEVAL ! — Merde, et elle est où la brune ? — Elle rampe sur le sol... derrière moi. La brune apparut en rampant avec sa bouche. Elle n'avait plus de peau. C'était sans doute Malik qui l'avait écorchée pour se donner de nouveau une apparence humaine. Parce que Malik, il était complètement fondu. Et bouffé. —Un cheval ! Mais, mais... Ça fait des lustres qu'on en a pas vu ! Il s'appelle comment ? Et dites, j'espère que vous lui avez offert le thé. C'est la moindre des politesse, clama le Vieux. — Ne... faites... p...p... pas. La même erreur.... que... nous, avertit le nouveau-venu. Les Dieux n...n... ils ne pardonnent pas. — Le thé ! Ils ont oublié de lui donner du thé ! Oh les cons ! Pas étonnant qu'vous soyez plus tout frais, hurla le Vieux en brandissant un haut-de-forme troué. — Mais non, vous déconnez complètement, hurla la blonde. Vous êtes tous cons ou quoi ? Il y a des mines, des MINES !!!! sur le sol, et vous vous trémoussez comme des saints ! — En même temps, ça veut dire que si on trouve pas un cheval dans moins d'une heure, on est tous morts, observa la tétraplégique. — Les jeunes sont quand même intelligents parfois, de nos jours... M'enfin il nous faut un PRESSE-PUREE, y'a qu'ça d'utile pour survivre. — Enfoiré dit le sourd, qui n'avait rien entendu. Ka-boom. Le Vieux, dans un dernier élan, redressa sa tête, leva son bras et chuchota en direction du groupe qui s'était formé autour de lui : — Je veux des cacahouètes. Puis il mourut, laissant tout le monde dans le doute d'une absence. — Encore un, se lamenta la blonde. Le Vieux en plus. Il avait l'air gentil... — Au moins, si on le mange... on gagne encore une heure. Bon... On sait qu'ils n'aiment pas les presses-purées. — Si vous aviez utilisé le chien au lieu de me manger, annonce la voix de Malik, on en serait pas là. — Mais c'est toi qu'on a mangé ! dit la blonde, vraiment blonde. — Ouais, je confirme, dit le concerné, qui venait d'apparaitre sur le seuil de la porte. J'ai été obligé de manger la moitié de Véro pour survivre. Et le chien, aussi. J'sais pas si vous avez vu, j'ai mangé les voisins aussi, pour sauver le chien, mais j'ai pas réussi. — MAIS TU DECONNES, T'AS BUTE DES GENS POUR UN CHIEN ??? — Et de la moutarde courtepaille. Gustave a bien buté des gens pour un chat... Véro se traina jusqu'au centre de la pièce. Elle perdit deux de ses dents en passant et a un petit peu de difficultés à parler. Ses membres invisibles choquèrent contre le sol. — Dites... Sinon, on peut juste construire un canot et se casser de cette ile, non ? — Enfin une idée sensée, exulta la blonde. Rappelez-vous de faire gaffe aux mines pendant que vous démontez les canapés pour réunir assez de bois. — On ne va pas construire un canot, déclara sombrement Malik. Il est trop tard. — Mais il y a pas de mines, dit Véro. — Si. — Non. — Si. — Nonnonnon. — J'AI DIT SI !!!! ka-boom. La blonde partit dans un nuage de vapeur acre. — J'aurais peut-être du préciser que ça s'active quand on crie trop fort, en fait, se lamenta Véro. — Quelqu'un peut ouvrir la fenêtre ? Ca commence à sentir le cramé... — Ouais, je m'en occupe, dit l'inconnu, qui était resté sur le seuil de la porte. Il alla ouvrir la fenêtre. Dehors, ça sentait le fumier. Dedans aussi. — Au fait, tu t'appelles comment ? demanda Gustave. — Je m'appelle Cheval. — Cheval ? — CHEVAL ???? Malik alla chercher des couverts dans la cuisines, et ils découpèrent Cheval en petits morceux. — Si la blonde était encore en vie, pleurnicha Cheval, elle vous aurait dit que ce n'est pas bien, ce que vous faites là. C'est très mal... Et si Malik n'allait pas disparaitre mystérieusment, il aurait dit de... Ka-boom. — ... D'utiliser le chien. Je crois que Malik est mort. — Mais il faut construite un canot, je vous dis ! On a même plus besoin de bois, avec tout ces cadavres... — Un radeau de morts... J'aime l'idée. — Pas moi. C'est dégueu. Dit, ça flotte bien les cadavres ? — Ouais, on en faisait en colo, dit Vero. — Toi, la tétraplégique, tu faisais des radeaux en cadavres ? s'étonna Gustave. — Non, ils me mettaient entre les cadavres, ça schlinguait mais ça moullait presque pas. Sinon, il suffit d'attendre une semaine ou deux, y'a même plus besoin de les attacher. Ils collent seuls. — Le problème c'est qu'on a pas une semaine ou deux. On sera tous mort, répondit Cheval. Gustave se perdit dans l'analyse de la carte, accrochée sur le manteau de la cheminé. Pendant ce temps Véro observa, incrédule, les lambeaux de chairs collés à ses os. Malik lui, était toujours aussi mort. Et cette fois-ci, il ne se relèverait même pas sous forme de squelette, le connard. Soudain, de nouveaux éclairs. Véro commença à paniquer totalement. — Putain, il faut manger le cheval... Il faut manger le cheval sinon on va tous mourir... C'est le voisin qui l'a dit. Cheval recula. Gustave attrapa le chat et le lança sur Cheval. Le chat commença à bouffer Cheval. Gustave attrapa Vero et la lança sur Cheval. Véro commença à bouffer Cheval. Gustave s'attrapa lui-même et commença à déguster Cheval, mais il n'en restait pas grand chose. La foudre frappa deux minutes après qu'ils aient fini de manger, histoire d'être certaine que l'homme ne se relèverait pas. A l'autre bout de la pièce, un bras tenta de se relever, un de la blonde ; un éclair le carbonisa aussi. — Bon, maintenant, on fait quoi ? demanda Véro. — Ben, il nous reste plus qu'à allumer des lustres, on va pas rester dans le noir. Et pis faudra aussi sortir les cadavres, ils attirent les mouches. Avec un peu de chance on en attrapera assez pour se faire une grillade. — Ben, ouais, mais les Dieux de l'île auront largement le temps de nous crever... Faut qu'on fabrique un radeau d'humains, j'te dis. — On a déjà le cadavre du Cheval, avec sa graisse, il compte pour deux. Mais il nous en manque quand même. Vu que la moitié est carbonisée... Gustave se regarda, puis Véro, et il ajouta : — Tu crois qu'on peut tenir sur un radeau de cadavres ? T'es grosse et moi je suis trop grand, il nous faudrait du XXXL en cadavre. Le Cheval parait faire du XL. Faut voir... — J'ai pas de jambe ni de bras, tu exagères ! Je prends encore moins de place que toi. — Ouais mais tu as de la graisse partout. Et puis, mine de rien, on pèse quand même pas mal. La dernière fois que je me suis pesé, je faisais dans les deux cents hectoplasmes, c'est pour dire... — Bon, j'ai compris, tu ne veux rien faire, eh bien, je vais le construire sans toi ! Véro prit deux os qui passaient non loin d'elle et se les cala dans sa bouche pour s'en faire deux béquilles. Elle avança et colla les cadavres entre eux, avec son nez et des petits bouts d'éclairs sur le sol. Puis elle regarda Gustave. Il ne bougeait toujours pas mais il lui lançait des regards assassins et aveugles, qui hurlèrent par ses lèvres : — PUTAIN, TU N'AS PAS AUTRE CHOSE A FAIRE QUE DE CONTRUIRE TON SALE CANOT QUI TE SERVIRA A RIEN ? Et puis un éclair, le carbonisa. Véro regarda ses cendres d'un air attristé et chuchota : — J'avais bien dit, pourtant, que les mines ne se déclenchaient qu'à cause d'un cri... Les Dieux n'aiment pas qu'on crie. * Les projecteurs s'allumèrent, et, sur le poste de télévision, un message clignotant : "La gagnante de la nouvelle édition de Khrote-Lanta spécial handicapée est Véro, une tétraplégique !"
Groupe 2
Pandémonium, Hel, Claireninou - Spoiler:
Thym, Laurier et Barbe à papa Jean-Thym portait sur sa tête un grand sombrero de paille qu'il avait confectionné pendant son séjour à Saint-Augustin. Il tenait à ce sombrero plus qu'à toute autre chose. Bien sûr, pour n'importe qui il s'agissait d'un simple chapeau. Mais pas pour Jean-Thym. Car sans lui comment se protéger des mauvais esprits ? Ces êtres sournois qui le poursuivaient sans relâche de murmures sinistres, de requêtes absurdes et de menaces terribles s'il refusait de les écouter. Ainsi pas un jour ne commençait sans qu'il se soit chapeauté de son précieux allié . Quand un imbécile s'amusait à le prendre pour faire rire la galerie, il se mettait à pleurer, ressentait le côté sombre du monde, et ses ombres dansant autour de lui. Alors il criait très fort pour les faire fuir. Un cri strident qui déchirait les tympans des opportuns. Et qui avait pour effet immédiat la restitution de son cher sombrero. Quand les autres ne portaient rien, il les contemplait d'un œil à la fois admiratif et effaré. Mais les démons ne semblaient pas leur en vouloir, ils ne s'en prenaient qu'au pauvre Jean-Thym. Ils profitaient d'un moment d'inattention, cachés derrière l'armoire ou sous le lit, pour surgir tout à coup . Certaines personnes lui disaient qu'il prenait tout ça trop à cœur, en feignant de le rassurer. Et ils finissaient toujours par s'éloigner, laissant Jean-Thym seul en proie à ses voix. Évidemment ils ne pouvaient pas comprendre. Eux ne craignaient absolument rien ! Tous les mardis Jean-Thym se rendait au laboratoire du Docteur Laurier, ou, plus précisément, quelqu'un venait le chercher, sonnait à sa porte et lui demandait s'il était prêt, et rajoutait de ne surtout pas oublier son sombrero. Toujours le même homme, un gaillard en costume sombre et lunettes noires. Jean-Thym pensait chaque fois que c'était une blague, car évidemment que non, non, non, il n'allait pas oublier son précieux sombrero. Comment pourrait-il ? Qui le protègerait en ce cas? L'homme l'escortait ensuite jusqu'à sa voiture et vérifiait que Jean-Thym attachait correctement sa ceinture de sécurité. Puis il faisait le tour du véhicule, s'installait et démarrait le moteur. Le trajet, durant lequel Jean-Thym, et son penchant canin, en profitait pour observer les maisons défiler, les maisons en carton-pâte et pâte à modeler, comme disait la chanson, durait environ dix minutes. Le chauffeur ne prononçait aucun mot et se garait devant un immeuble qui n'avait jamais été peint et dégageait une vague odeur d’œuf pourri. Le Docteur Laurier était un homme gentil, mais contrairement à ce que son nom laissait croire (aux enfants et à certains patients comme Jean-Thym), il sentait le bonbon à la réglisse. Mais ne proposait aucune sucrerie. Il souriait simplement et demandait à Jean-Thym s' il allait bien ; personne d'autre ne lui posait la question. L'essentiel de la thérapie consistait à lui faire retirer son chapeau. Les questions allaient en ce sens : pouvait-il le faire, pourquoi pouvait-il le faire, pourquoi ne pouvait-il pas, comment et comment non... Les divers tests neurologiques et psychologiques allaient eux aussi en ce sens. Jean-Thym n'aimait pas trop les machines, celles-ci émettaient des sons étranges, comme si elles essayaient de lui parler. Mais il ne voulait pas les écouter.S'il bougeait un peu trop, le Docteur venait le voir, lui disait qu'il allait lui faire une petite piqûre de rien du tout et qu'après Jean-Thym se sentirait plus détendu. C'était vrai. Il finissait par être détendu, et la séance commençait enfin... tout se distordait autour de lui. Dé-ten-du, et tellement détendu que le mot lentement rebondissait sur les murs de la pièce, joli écho comme trois petits sons qui ne pourraient jamais s'éteindre.Brutalement les machines cessaient leur bip-bip fous et menaçants. Leur matière froide mutait en une substance visqueuse qui se répandait jusque sous ses pieds. C'était amusant de pouvoir ainsi gigoter les orteils, et clapoter comme s'il avait été au bord d'un lac argenté, la chair légère des sons se raidissant sous la voute ridée de ses pieds. Le songe se déchirait parfois lorsqu'un énorme chat faisait son apparition, toujours le même, les canines frémissantes et le poil dressé... et tout devenait noir. Il racontait au docteur toute l'histoire et le docteur faisait moui, moui, ou moué, moué, et parfois notait quelque chose sur une feuille et parfois sur un petit carnet. Ce jour-là cependant, tout fût très différent. La nuit avait été particulièrement éprouvante pour Jean-Thym. Une voix plus impérieuse, plus forte, s'était détachée de toutes les autres pour se faire entendre. Celle-ci prétendait s'appeler Girofle et avoir un message de la plus haute importance à transmettre à son père, le fameux Docteur Laurier. Jean-Thym voulait répondre mais il ne pouvait prononcer un mot. Pris de panique et tétanisé, il voulait appeler le Docteur, que Girofle le laisse tranquille, s'en aille très loin, et disparaisse à jamais. Il ferma très fort les yeux, enfonçant son sombrero sur ses oreilles, persuadé que son pouvoir allait une fois de plus le sortir de ce mauvais pas. A ce moment là on le secoua avec vigueur. C'était l'homme qui venait le chercher d'habitude, ou presque. Car cette fois-ci, il portait une blouse blanche et sentait très fort. Un mélange de tabac froid, de transpiration et de pschitt à la lavande. Il lui dit de se calmer car il avait hâte de rentrer chez lui et l'embarqua. vite fait. Envolées les dix minutes et le paysage modelé, juste une infâme purée qui défilait à toute allure, rendant Jean-Thym nauséeux. L'infirmier le sortit de la voiture, lui fit grimper les escaliers quatre à quatre pour ensuite commettre une faute impardonnable. Sous le coup de la fatigue sans doute, il prit le sombrero du patient et le posa sur la chaise près du lit, qui se trouvait lui même près de la fenêtre grande ouverte. Jean-Thym, surpris, n'eût pas le réflexe d'agripper son cher chapeau. Il tenta de se lever mais les sédatifs agissaient toujours et il vacilla un instant.Un instant infime, qui suffit néanmoins au chapeau pour se faire la belle. Jean-Thym rouvrit les yeux, le temps d'apercevoir le sombrero s'envoler dans les airs. Son précieux sombrero ! Qui plongeait maintenant à pic vers la gare voisine, attiré par l'odeur de caramel fondu et les nuages sucrés de barbe à papa. Hors de question. Aucun sédatif au monde ne pouvait retenir Jean-Thym lorsque son sombrero était en danger. Il fonça droit vers la fenêtre, ces bras comme deux taureaux que personne ne pouvait plus affronter, et à un moment peut-être, il crut sentir entre ses doigts le sombrero. Comme une caresse légère, là, effleurant la pulpe de ses doigts comme pour mieux le narguer, avant de lui échapper complétement, laissant sa main se saisir du vide. L'étonnement le fit ployer de quelques centimètres en avant, de tous petits centimètres, qui suffirent néanmoins à faire basculer son corps engourdi. Le Docteur Laurier assistait au spectacle depuis la fenêtre de son bureau, pariant sur qui de Jean-Thym ou du sombrero toucherait le sol le premier.
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